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Appréhender les TPE par un double travail de typologie

Section 1 : Vers une recherche sur

1.1.1. Appréhender les TPE par un double travail de typologie

Si les PME ont fait l’objet d’une littérature abondante ces dernières années tant pour étudier leur dynamisme, leurs rôles macroéconomiques ou simplement pour préciser en quoi elles sont différentes du modèle de la grande entreprise, un travail similaire de différenciation, analyse et précision relative à la Très Petite Entreprise (TPE par la suite) est en phase de démarrage18. Nous avons vu en introduction l’importance des TPE dans l’économie nationale et nous nous interrogeons sur le manque de travaux réalisés sur ces entreprises numériquement majoritaires. Cependant, comme le note TORRES (1997), une carence de la littérature ne signifie pas qu’un travail de recherche doit systématiquement être engagé. Il n’y a peut-être simplement rien à dire. Au cours de nos revues de littérature, nous avons souvent constaté que la définition de la TPE en tant qu’objet de recherche ou en tant que champ d’investigation des Sciences de Gestion est éludée ou, plus exactement, réduite à un critère quantitatif : une TPE a moins de x salariés. Deux explications sont envisageables : 1) la TPE n’est pas une organisation différente de ce qui a déjà été défini (PME ou grande entreprise) ; 2) la grande diversité de situations que peut rencontrer le chercheur sur son terrain l’emmène dans une démarche contingente, casuistique où la définition de forme au sens de MARTINET (1990, p 227), forme vue comme un ensemble creux pouvant accueillir le concret, semble décourageante, voire impossible19. À l’heure où l’on parle d’essaimage (DAVAL, 2000 ; LAVIOLETTE, 2005), de stratégie collective de filière (YAMI, 2003), de terroir (POLGE, 2003), des alliances stratégiques entre TPE (JAOUEN, 2004) et des approches déjà traditionnelles (MARCHESNAY, 2003 ; JULIEN et MARCHESNAY, 1989, 1996), il est difficile de dégager une forme typique au milieu de cette évidente hétérogénéité.

C’est cependant le travail du chercheur de construire un cadre cohérent pour guider sa réflexion et celle de la communauté scientifique avec lui et après lui. Le chercheur doit

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Nous n’avons trouvé à ce jour qu’un seul ouvrage traitant spécifiquement des très petites entreprises, c’est celui d’Olivier FERRIER (2002). Nous pouvons tout de même citer les travaux de JULIEN et MARCHESNAY relatifs à la petite entreprise (1988 et 1989, chez VUIBERT). Le nombre d’articles est toutefois en nette hausse depuis 2003 avec entre autres un volume de la Revue Française de Gestion qui lui est entièrement consacré.

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Dans le cadre de notre positionnement épistémologique positiviste aménagé, nous devons nous attacher à reconnaître ces formes.

rendre intelligibles les données, les phénomènes, les comportements en en dégageant une rationalité. Le travail de conceptualisation de la TPE ne doit pas se contenter de recenser toutes les caractéristiques de la population ou de dresser un portrait robot de la TPE basé sur une approche statistique consensuelle ; ce travail veut mettre en évidence ce qui fait qu’une TPE est une TPE et rien d’autre : il vise le typique essentiel (ARON, 196720). Cela doit permettre de réaliser une typologie des organisations, c'est-à-dire la définition d’un certain nombre de types (TPE, PE, PME, GE), après une étude scientifique, destinée à faciliter l’analyse, la classification des éléments et des phénomènes permettant de comprendre une réalité complexe. Dans cette typologie des organisations, nous souhaitons mettre en évidence l’existence d’un type TPE. Pour pouvoir justifier l’existence d’un tel groupe, nous devons insister sur les particularités de ces entreprises (REYES, 2004). La réalisation de cette classification est un stade important dans une démarche de recherche, plus particulièrement quand les phénomènes observés par le chercheur revêtent une grande diversité dans leur nature et dans leurs effets.

Après avoir vu la spécificité de la TPE en tant que forme théorisable, le chercheur doit utiliser cette démarche pertinente dans l’étude des TPE dont une des caractéristiques facilement perceptibles est l’extrême diversité. Le chercheur ne peut rien tirer d’une somme d’observations juxtaposées sans ordre. Il doit réaliser un travail de classement, de définition de catégories homogènes que nous utilisons sous le terme de types (LOUBET DEL BAYLE, 2001, p 168). Ces types vont regrouper des phénomènes autour de critères considérés comme fondamentaux en laissant de côté des caractères jugés secondaires des éléments étudiés, qui font leur singularité. Ce travail de mise en avant des éléments communs à certaines catégories de phénomènes permet de détacher le chercheur de la complexité de la réalité pour la rendre intelligible à l’échelle humaine. Il n’en demeure pas moins que ce travail fait perdre une certaine essence à la réalité et que la définition des éléments à retenir et des éléments de second ordre doit être faite avec rigueur. Nous nous attacherons donc à relever ce qui est typique de la TPE pour en proposer une approche conceptuelle instrumentalisable.

Un travail de taxonomie peut également être réalisé au sein des TPE parmi lesquelles le chercheur pourra isoler certaines spécificités dans la gestion de l’entreprise et son administration. Certains travaux vont déjà dans ce sens avec une spécificité liée au métier

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de l’organisation observée : métiers artisanaux pour RICHOMME (1998) ou LOUP (2003), métiers du tourisme pour GUNDOLF et alii (2006), professions libérales pour RYMEYKO (2004), entre autres.

1.1.2. La justification d’une recherche entrepreneuriale sur

les TPE

Comment justifier alors une recherche entrepreneuriale, pour reprendre l’interrogation de TORRES, rattachée aux Sciences de Gestion, et portant sur les TPE ? En s’inspirant du travail de TORRES sur les PME (1997), nous pouvons justifier notre démarche comme suit.

 D’un point de vue empirique, les TPE représentent la forme d’organisation largement

majoritaire dans le tissu d’entreprises. Leur poids dans la démographie et leur impact en particulier sur l’emploi incitent le chercheur à travailler sur ce type d’organisation. Les récentes orientations politiques21 en faveur des auto-entrepreneurs abondent dans ce sens. Sur toutes les nouvelles entreprises créées chaque année, moins de 2 % dépassent le seuil des 10 salariés (BRUYAT, 1994) et passent donc de la catégorie officielle de TPE à celle également officielle de PE (Petite Entreprise). Nous utilisons ici le terme « officiel », car ce seuil de 10 salariés est fixé de manière arbitraire par les pouvoirs publics et ne correspond pas forcément à la réalité sous-jacente des TPE et P. BELLETANTE et alii (2003) illustrent notre propos en critiquant l’approche purement quantitative et son insuffisance théorique : les PME et les TPE en leur sein, forment une population disparate que les statisticiens proposent de découper à plat, ce qui ne peut pas constituer une démarche satisfaisante.

 D’un point de vue méthodologique, nous devons apporter un éclaircissement sur le

champ de recherche constitué par la TPE. Ceci nous permettra d’étudier des phénomènes liés à l’administration des organisations, observations plus facilement

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Citons le rapport HUREL (2008) relatif au développement du travail indépendant, le Livre Vert de la Commission Européenne (2003) en faveur de l’esprit d’entreprise, la Conférence de Bologne de l’OCDE (2000 et 2004) concentrée sur les petites et moyennes entreprises.

réalisables en raison de la petite taille de l’entreprise (TORRES, 1999) et, donc, du nombre réduit d’interférences pouvant brouiller l’observation. Nous pensons que ces phénomènes sont différents de ceux rencontrés dans la grande entreprise, sans être obligatoirement plus faciles à percevoir. La décision de financer un porteur de projet de création d’une TPE par une banque et celle de financer une grande entreprise n’ont pas grand-chose en commun dans la démarche, même si, sur le fond, nous parlons de financement. La démarche concrète n’est pas la même dans sa préparation et dans son déroulement, les acteurs ne sont pas les mêmes, leurs relations sont différentes, l’échelle temporelle est également différenciée. Dans cette approche méthodologique, nous devons également placer le premier entretien de financement dans le processus entrepreneurial. La première rencontre avec une banque est un élément important trop souvent négligé. Nous verrons que la décision d’accepter ou de refuser le financement d’une TPE est très rapide et que le premier entretien peut sonner le glas du projet entrepreneurial.

 D’un point de vue théorique, nous souhaitons apporter notre contribution par

l’éclaircissement du concept de TPE et son appartenance au champ de l’entrepreneuriat. Nous nous interrogerons sur l’intérêt pour les Sciences de Gestion de produire de la connaissance sur une approche nouvelle dont nous préciserons les contours. Nous souhaitons également éclairer le premier entretien de financement entre un porteur de projet sans expérience et un conseiller bancaire, en explorant les variables les plus importantes. Ceci nécessitera un éclaircissement du porteur de projet novice.

 D’un point de vue éthique au sens de VERTRAETE (2006), nous souhaitons apporter

des connaissances actionnables par le terrain en éclairant un élément méconnu des praticiens dans le processus entrepreneurial : le premier entretien de financement. C’est en décrivant précisément ce qui se passe sur le terrain que cette étude sera utile aux praticiens. Ils pourront agir en connaissance de cause.

1.1.3. Les courants de pensée

Il semble intéressant d’utiliser le travail de définition de la PME pour le transposer à l’approche TPE. La figure 1.01, issue de TORRES (1998), synthétise ces travaux.



Le courant de la diversité

Le courant de la diversité trouve un écho intéressant dans l’approche des TPE qui constitue un champ particulièrement fécond pour le travail de taxonomie nécessaire à l’ordonnancement de l’hétérogénéité caractéristique des TPE. Cette démarche met en évidence l’importance de la contingence dans l’approche de l’entreprise, que cette approche soit interne ou externe. La difficulté liée à cette démarche réside dans la définition de l’échantillon représentatif nécessaire à la vérification empirique de ces assertions théoriques. À trop multiplier les facteurs contingents, le chercheur propose une démarche surréaliste au faible degré de généralisation et de prédictibilité du modèle : c’est la dérive casuistique.

Phase de généralisation théorique Phase d’examen critique empirique Années 60 – 70 Milieu 70 Début 90 Année 70 – 90 Milieu 70 Milieu 90

Figure 1.01 : Évolution de la recherche en PME, selon TORRES (1998).



Le courant de la spécificité

Le courant de la spécificité considère la TPE par rapport aux autres organisations comme un élément de nature différente. Il existe une réalité TPE théorisable. C’est en ce sens que le chercheur doit rentrer dans la boîte noire de la TPE pour identifier cette nature, élément qui l’emporte sur un critère de taille simplement quantitatif, nous suivons le questionnement de MARCHESNAY (2003) sur ce que sont les TPE et ce qu’elles font. Pour cette seconde partie de la question, DESMARTEAU et SAIVES (2004) proposent d’étudier le modèle d’affaires de la TPE.

Identifier la nature de la TPE et leurs modèles d’affaires permet d’éviter des erreurs analytiques. Par rapport à la PME, les spécificités de la TPE résident avant tout dans sa petite taille et plus l’entreprise est petite, plus les spécificités sont fortes. Cette force est à rattacher à l’importance du rôle du dirigeant.



Le courant de la synthèse

La TPE apparaît comme spécifique, mais avec une forte hétérogénéité. La synthèse des deux courants reconnaît cette diversité, mais également l’existence de points communs

Effet - taille universel Modèle universel de métamorphoses Effet - taille contingent Modèle de métamorphose Les prémices Courant de la spécificité Courant de la synthèse Courant de la diversité Courant de la dénaturation Les fondements Les prolongements

pour constituer les bases théoriques de la recherche en TPE. Cela permet de dégager cette forme au sens de MARTINET (1990).



Le courant de la dénaturation

A la suite de TORRES (1997), on peut appréhender certaines TPE connaissant des changements profonds dans leur nature. Elles quittent leur nature propre qui faisait leur spécificité. La TPE va prendre une forme hybride où seule sa petite taille rappellera ses origines, pour le reste, elle utilise des outils de gestion et de planification stratégique performants incluant les trois étapes de finalisation, programmation et action22, un mode de coordination basé sur la culture plus que la structure23. Nous avons ici affaire à des TPE très particulières, car positionnées sur des nanomarchés sur lesquels elles développent un avantage compétitif lié à leur petite taille. MARCHESNAY (2003) décline cette approche PME au niveau de la TPE en l’illustrant avec des entreprises hyperspécialisées travaillant sur des nanomarchés mondiaux.

Pour notre part, nous nous situons dans le courant de la synthèse. Nous allons nous efforcer de justifier la spécificité de la TPE tout en reconnaissant l’hétérogénéité de ces acteurs et la possibilité d’entreprises dénaturées. Nous ne souhaitons pas par contre nous situer dans le sillage de TORRES qui considère la spécificité comme une hypothèse réfutable, elle reste pour nous un paradigme dominant au sens de KHUN (1983).

Avant de traiter du financement des porteurs de projet de création de TPE sans expérience, nous devons d’abord cerner le champ de notre recherche en précisant ce que nous entendons par Très Petites Entreprises. Nous avons effectué une revue de littérature pour connaître les principales dimensions à explorer. Nous nous sommes également largement inspiré des travaux nettement plus nombreux relatifs aux Petites et Moyennes Entreprises dans le cadre francophone et au Small Business dans le cadre anglo-saxon. Nous supposons que le travail d’identification de la PME par rapport à la Grande Entreprise peut être transposé dans un travail de distinction de la TPE. Nous reprenons les propos de

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Voir GOY et PATUREL (2004) pour plus d’informations sur le diagnostic et la projection dans les PMI.

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DESMARTEAU et SAIVES (2004) présentent des TPE très spécialisées dans le domaine des biotechnologies et mettent en évidence cette diversité culturelle au sein de l’entreprise ou se côtoient culture entrepreneuriale scientifique, culture financière, culture stratégique… dans un brassage performant.

JULIEN (1997, p 3) : « On commence à distinguer les moyennes entreprises, au

fonctionnement souvent proche des grandes, des petites et, évidemment des très petites ».

Nous nous inscrivons dans ce travail de distinction.

Les TPE ont pour première caractéristique une petite taille, nous présenterons les éléments quantitatifs, dans une première section de ce chapitre, avant de les dépasser par une approche qualitative basée sur ce qui fait la TPE (deuxième section). Nous nous concentrerons ensuite, dans la troisième section, sur l’importance de l’entrepreneur et sur le caractère personnel de la TPE incarné souvent par le travailleur non salarié (TNS ; FERRIER, 2002). Puis, nous mettrons en évidence l’importance de la dimension unipersonnelle et interpersonnelle de la TPE en utilisant la loi proxémique de MOLES et RHOMER (1972) et la proxémique aiguë de TORRES (2003), que nous dépasserons pour y inclure une dimension collective. Nous essaierons par la suite de synthétiser les éléments du concept TPE afin que le monde de la Très Petite Entreprise ne soit plus un mystère, pour reprendre les propos de JULIEN et MARCHESNAY (1999, p 99).

1.2. La nécessité de dépasser les définitions