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L’intersubjectivité contradictoire

intersubjectivité particulière

3.2.2.1. L’intersubjectivité contradictoire

Lors de la phase de terrain, le chercheur doit avoir une idée assez précise du jeu des acteurs en place pour éviter de récolter des informations dont la fiabilité n’est pas conforme aux attentes. Il doit être vigilant aux éléments environnementaux susceptibles de polluer la conversation, il doit également comprendre le langage utilisé. Pour GOLD (in CEFAI, 2003, p 346), « de brèves rencontres avec de nombreux informateurs l’exposent (le chercheur) à

faire face à plusieurs univers de discours qu’il comprend imparfaitement, qu’il n’a pas le temps de maîtriser. Ces rencontres brèves, souvent frustrantes, engendrent des perceptions erronées qui dressent des obstacles à la communication. L’enquêteur de terrain n’en a souvent même pas conscience, sinon trop tard ». L’objectif d’un protocole de collecte et

traitement des données est de garantir la cohérence entre les informations détenues par les sujets, le mode de collecte mis en place par le chercheur et le mode de transformation de ces informations en connaissances. Comme le conseillent MILES et HUBERMAN (2003) sans la citer directement, l’intersubjectivité contradictoire consiste à utiliser des méthodes, des tactiques afin d’obtenir des acteurs enquêtés une information fiable et débarrassée d’éléments trop personnels. Utiliser des tactiques doit faire l’objet d’une réflexion permettant de savoir si la connaissance est valable, et finalement de savoir si cela est juste pour reprendre le terme des auteurs (2003, p 438). Pour GOLD (2003, p 346) « un enquêteur ne

maîtrise vraiment son rôle que s’il peut aider les enquêtés à maîtriser le leur ». Un des

intérêts de cette démarche intersubjective contradictoire est de transformer une information individuelle, personnelle, en une information collective enrichie et débarrassée des éléments d’ordre historique135 influençant le discours.

Remplacer l’objectivité idéalisée par l’intersubjectivité contradictoire plus réaliste et accessible ne doit pas conduire le chercheur à une démarche ethnocentrée productrice de jugements de valeur sans intérêt. La dimension affective que nous pouvons assigner à certains éléments en les appréhendant au travers de nos souvenirs bons ou mauvais est

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SAVALL et ZARDET (2004, p 222) présentent les effets de trois éléments : l’Actualité, la Mémoire et l’Anticipation. L’Actualité correspond à la survalorisation d’événements récents comme une cessation d’activité dans un portefeuille client pour un conseiller financier qui ne sera pas incité à financer un dossier équivalent. La Mémoire est un élément peu fiable, les événements anciens sont absents, erronés ou sous représentés. L’Anticipation conduit les acteurs à confondre un état futur attendu et la réalité, le chercheur devant faire la part des choses.

également un piège contre lequel nous devons nous prémunir. Nous devons être conscient de notre propre perception et être ouvert aux interprétations des autres sur lesquelles nous pouvons travailler en les amenant à développer leur pensée et en confronter les idées avec d’autres acteurs. C’est ce que nous appelons la dimension relayée de l’intersubjectivité contradictoire. Nous ne pouvons « provoquer » la confrontation directe et contradictoire des subjectivités individuelles comme cela pourrait être le cas dans des entretiens de groupe. Nous devons donc amener les éléments subjectifs des uns à la perception et la critique des autres, en prenant comme précaution que notre relais ne soit pas une source de perturbations. La rigueur de notre démarche d’intersubjectivité contradictoire relayée est une garantie face à ces dangers potentiels résidant dans la subjectivité des acteurs et l’interprétation qui est la nôtre. Cette garantie se trouve dans l’organisation des procédures de filtrage et d’affinage des informations (SAVALL et ZARDET136, 2004, p 345). Elle est également présente dans la reformulation des idées des uns auprès des autres.

L’intersubjectivité contradictoire joue un rôle dans la phase de collecte d’informations ainsi que dans la phase d’analyse et d’interprétation. A l’aide de tactiques, le chercheur développe l’art d’obtenir des informations précises et surtout exactes au moyen d’une investigation rigoureuse (KRIEF, 2005). L’homme est, pour MILES et HUBERMAN (2003), « un faiseur

de sens capable de repérer des régularités et des patterns dans le chaos le plus important ».

Il doit utiliser cet art du raisonnement afin de faire ressortir sa compréhension des phénomènes sous la forme d’une théorie qui apparaît alors comme la meilleure explication du réel tant qu’une nouvelle théorie n’a pas prouvé le contraire. Nous suivons POPPER (1990, p 45) sur le point que : « toute critique rationnelle d’une théorie consiste à soumettre

à la critique sa prétention à être vraie et capable de résoudre les problèmes pour les solutions desquels elle a été imaginée ». Nos propositions seront donc falsifiables pour

permettre de « savoir s’il nous est possible de fournir des raisons valides, critiques, à

l’encontre de l’idée qu’une théorie est vraie, une nouvelle théorie est plus proche du vrai que celle qui la précédait ».

Il est donc primordial, dans notre démarche où l’homme joue un rôle central, de considérer, d’un côté, le jeu des acteurs, y compris (voire prioritairement) le nôtre, de l’autre côté, le

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processus de production de connaissances, de la collecte de données à la présentation de ces connaissances.

 

 Collecte d’informations

Multiplier les sources d’informations et les techniques d’investigation d’un sujet permet au chercheur de gagner en objectivité des connaissances produites. KRIEF (2005) présente le triptyque : entretiens – observations – analyse de documents comme un principe de base de l’intersubjectivité contradictoire. Notre démarche est assez semblable même si les phases ne sont pas tout à fait les mêmes. Nous abordons la collecte d’informations autour de trois points : notre expérience professionnelle de conseiller financier, puis de porteur de projet, une revue de littérature, une phase de terrain organisée de manière particulière.

- Notre expérience nous permet de disposer d’une somme considérable d’informations sur notre thème de recherche. En prenant certaines précautions137, nous pouvons utiliser ces informations pour avancer nos idées préalables à la phase de terrain. Cette expérience professionnelle est surtout bénéfique pour décoder le jeu des acteurs en place, soit « lire entre les lignes » et creuser le ressenti immédiat pendant l’entretien. Nous pouvons alors débarrasser les données que nous collectons d’une partie de la subjectivité dont elles sont empreintes.

- Dans le processus qui nous a conduit vers ce travail de recherche, nous avons commencé par une revue de littérature sur les thèmes connexes au financement des TPE. Cela nous a permis de construire un premier guide d’entretien nécessaire à notre démarche terrain que nous voulons conséquente pour percevoir des éléments nouveaux dans le processus de création de l’envie de financer chez un conseiller financier. Nous avons opté pour des entretiens non directifs ciblés autour de notre problématique de recherche. Ce type d’entretien permet au chercheur d’alimenter la conversation tout en laissant au maximum l’enquêté s’exprimer. Nous nous contentons de faire rebondir la discussion pour obtenir plus de précisions ou d’informations. Dans la démarche d’intersubjectivité contradictoire utilisée dans notre première approche du terrain, il est

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nécessaire de multiplier les points de vue pour obtenir une image proche de la réalité. Plus le chercheur combine les sources de collecte d’informations et multiplie son panier d’informateurs, moins il sera dépendant de leur vision subjective (SAVALL et ZARDET, 2004, p 213). Nous avons donc fixé un double objectif à ce premier travail de terrain : une étude exploratoire des éléments influençant l’envie de financer et une démarche contradictoire pour limiter l’aspect subjectif des entretiens. Cette démarche alterne terrain et analyse des informations.

  

Analyse et interprétation des informations

En suivant SAVALL et ZARDET (2004), KRIEF (2005) présente la phase d’analyse des informations collectées : « l’intersubjectivité contradictoire s’inscrit au sein du dispositif de

restitution des résultats (« effet miroir ») et d’intime conviction de l’intervenant (avis d’expert) ». L’effet miroir a pour objectif de confronter les enquêtés avec les représentations

précédemment collectées. Cette étape correspond à une phase d’échange plus ou moins direct entre les acteurs. Le terme contradictoire prend alors son sens s’il est possible d’organiser une conversation directement entre les acteurs autour de réalités plurielles avec des points de convergence et de divergence. On est assez proche de méthodes qualitatives de confrontation d’avis d’experts visant à une définition communément acceptée. Dans notre travail de recherche, nous ne pouvons pas organiser de véritables confrontations contradictoires où plusieurs conseillers financiers viendraient présenter leur point de vue sur le financement des porteurs de projet et participeraient à une réflexion collective permettant de s’affranchir des subjectivités individuelles par l’utilisation de l’intersubjectivité contradictoire. Confronter les points de vue et analyser les réflexions des uns aux assertions des autres permet de libérer le discours recueilli d’une partie de sa subjectivité. Cela n’est pas sans rappeler la méthode DELPHI utilisée par GARTNER (1990) pour définir

l’entrepreneurship.