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L’homologie entrepreneur – TPE

Entreprise par son créateur - propriétaire - dirigeant

1.3.1.1. L’homologie entrepreneur – TPE

La création d’une TPE ou la reprise d’une entreprise de petite taille se fait généralement par un individu seul, accompagné occasionnellement d’un nombre très limité d’associés, deux ou trois. Ces associés sont généralement issus du cercle familial de l’entrepreneur. Le propriétaire est à la recherche de revenus plus que de profit, ces revenus présentant une incertitude de tous les instants, au-delà des efforts quotidiens engagés dans l’entreprise (DEEKS, 1973). Pourtant, rares sont les chefs d’entreprise qui comparent leur revenu à celui qu’ils pourraient avoir en tant que salarié ou qui calculent la rentabilité de leur investissement ou de leurs efforts.

Selon GREINER (1972), DEEKS (1973) ou KOKOU DOKOU (2006), le dirigeant de TPE est avant tout issu d’une culture technique dont il va tirer profit en créant une entreprise. Cette démarche illustre une certaine mobilité sociale dont bénéficient des personnes au bagage scolaire réduit mais utilisant au mieux un savoir-faire. Elle peut s’avérer risquée quand la partie gestion de l’entreprise ne se fait pas avec suffisamment de force. Le moteur de cette mobilité est cette possibilité d’accéder grâce à la TPE à un statut social inaccessible autrement. L’entrepreneur bénéficie de la légitimité du créateur auprès de ses partenaires et de ses salariés, c’est un « self made man », un patron, et il a tous les pouvoirs. L’entreprise devient dépendante de l’entrepreneur, cette dépendance est une des composantes du pouvoir. Pour MAHE de BOISLANDELLE (1996), la dépendance a pour principaux paramètres la concentration, la substituabilité et l’essentialité. Dans une TPE, le pouvoir est concentré en totalité dans les mains de l’entrepreneur, la substituabilité est nulle à court terme, l’entrepreneur est un élément incontournable de la prise de décision, sa fonction est essentielle. Il se produit alors chez l’entrepreneur un ensemble de phénomènes psychologiques entre lui et son entreprise, un attachement profond, un enracinement dans l’entreprise. Le dirigeant perçoit la TPE comme le prolongement de sa personnalité, il s’identifie totalement à elle (PAILOT, 1999). Ces liens sont d’autant plus forts que le dirigeant est le seul créateur ou repreneur de l’entreprise. L’attachement à l’entreprise devient viscéral. L’entrepreneur se définit de manière inconsciente par son entreprise, elle est également un élément fort du projet familial. Pour BRUYAT (1993, p 58), l’entreprise est la chose de l’entrepreneur, il en détermine l’ampleur de la production et la manière dont

elle est réalisée, il est l’acteur principal. A un niveau socio-organisationnel, l’entrepreneur ne sort pas de son entreprise, ne sort plus des apprentissages liés à cette entreprise qui devient le tout et qui conduit vers un système de valeurs rigides. Les difficultés peuvent se manifester lors de l’inévitable succession (DESCHAMPS, 2000 ; ARNOULD et STEPHAN, 2006) où il peut refuser de manière consciente ou non, de perdre un objet d’attachement central dans la construction de son identité personnelle et sociale de chef d’entreprise.

Pour notre travail de définition, l’origine de propriété et ses conséquences en termes de gestion et d’administration sont importantes. L’entrepreneur au sein d’une TPE concentre la destinée de son entreprise, il la gère de manière monocratique disposant de tous les pouvoirs, oligarchique en concentrant ces pouvoirs sur un nombre limité de décideurs (associés ou membres de la famille : père et fils) ou patricienne en bénéficiant d’avis permettant l’exercice de la décision (DEEKS, 1973 ; FERRIER, 2002). Dans tous les cas, l’exercice du pouvoir est concentré entre les mains de l’entrepreneur. Être propriétaire ne veut cependant pas dire faire ce que l’on veut. On a tendance à voir l’entrepreneur TPE comme un individu solitaire concentrant les tâches de collecte, de traitement de l’information et de décision. La réalité de la TPE est assez différente. Plus l’entreprise est de petite taille, plus l’entrepreneur va solliciter des avis extérieurs pour consolider sa prise de décision (MARCHESNAY, 2003). Si nous prenons l’exemple de la TPE artisanale, le dirigeant bénéficie de nombreux échanges et d’avis que ceux-ci proviennent de son entourage, de son conjoint, de ses fournisseurs ou de syndicats professionnels dont l’un des rôles est de conseiller et de guider les artisans. Le rôle du banquier est également à noter. Il va orienter les décisions de l’entrepreneur en lui traçant la ligne entre ce qui est finançable et ce qui ne l’est pas. Dans le même registre, l’entrepreneur bénéficie des conseils de son comptable voire d’un conseiller juridique. L’entrepreneur apparaît comme le décideur final dans un processus où plusieurs points de vue s’expriment lors de la phase préalable de recherche d’informations38. Dans les cas des entreprises « nucléaires », la décision est le résultat de la confrontation des opportunités avec les objectifs familiaux, le conjoint étant souvent une sorte de contre pouvoir qui va œuvrer pour préserver le patrimoine quand l’entrepreneur va le risquer dans une démarche de croissance. Notre travail de recherche nous a montré combien la participation du conjoint au projet entrepreneurial est un élément

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TORRES (2006) évoque le modèle IMC d’Herbert SIMON (Intelligence – Modelisation – Choice) pour mettre en évidence la proximité entre l’entrepreneur et ses sources d’informations ou sources d’influence.

important39. Dans des entreprises de taille un peu plus importante, la gestion basée sur l’interpersonnel, la proximité au sens de TORRES (2003), suppose que l’entrepreneur partage son opinion, échange avec ses salariés dans le cadre de la prise de décision et est attentif à leurs propositions. La prise de décision concentrée dans les mains d’un entrepreneur démiurge semble plus tenir de la légende. L’entrepreneur n’est pas un être différent des autres, c’est un être social qui a besoin de partager, d’échanger pour recueillir de nouveaux avis ou pour conforter son point de vue dans une démarche importante pour la vie de son entreprise et donc directement pour la sienne. Si ces avis ne sont pas disponibles dans le cadre de l’entreprise, il va aller les chercher auprès des différents partenaires avec qui il est fréquemment en contact. TORRES (2006, p 8) illustre cette recherche d’informations avec la théorie des couches de GIBB (1988) qui hiérarchise les contacts en fonction de leur proximité vis-à-vis de l’entrepreneur, en partant de la famille, des amis proches, pour finir avec les agences gouvernementales.

Enfin, pour contrebalancer cet avis de la décision collégiale en TPE, l’orientation entrepreneuriale peut différencier les TPE à forte croissance des TPE à croissance plus modeste. COVIN et alii (2006) montrent l’influence de la prise de décision participative, du mode de formation de la stratégie et de l’apprentissage par les échecs. Leurs résultats vont dans le sens de la performance supérieure des modes de décision autocratique associés à une stratégie formalisée. L’image de la stratégie TPE purement réactive aux variations de l’environnement et incapable de définir et d’entreprendre une véritable stratégie de développement est assez courante. Comme tous les a priori concernant la TPE, cette absence de stratégie est à nuancer. MARCHESNAY (2003) présente, par exemple, des TPE mondialisées travaillant sur des nano-marchés sur lesquels elles développent de véritables stratégies basées sur une collecte fiables d’informations au travers de systèmes de veille efficaces. Ce sont, il est vrai, des comportements hors normes que TORRES qualifierait de TPE dénaturées. Dans la plupart des TPE, la stratégie n’est pas formalisée. Elle correspond à une intuition de l’entrepreneur qui va creuser cette opportunité et développer un comportement sur le long terme pour servir cette intuition. La TPE est extrêmement réactive et évolutive face aux variations de l’environnement, cela ne

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Le conjoint est systématiquement impliqué dans le projet soit comme partie prenante, soit comme garantie avec comme argument massue de la part des conseillers financiers : « si votre conjoint ne croit pas en vous, comment voulez-vous que je vous fasse confiance ?».

l’empêche pas de chercher à prendre une longueur d’avance en proposant au marché plutôt que de réagir à ses attentes.

Pour conclure, la décision d’un investissement important ou tout simplement le lancement du projet de création d’une TPE conduit l’entreprise dans une phase de croissance par une meilleure combinaison économique des facteurs, mais surtout par la volonté d’exploiter au mieux les capacités de l’entreprise. PENROSE (1959) montre cette incitation à utiliser au maximum un outil à l’origine surdimensionné du fait de l’indivisibilité du capital technique40. C’est l’attitude du dirigeant propriétaire de TPE face à la croissance qui va déterminer l’intensité des décisions prises. MORENO et CASILLAS (2007) montrent que la très petite taille n’est pas forcément un handicap. Elle peut même favoriser une forte