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La différence de génération : être l'enfant de…

L’ ENFANT POLYHANDICAPE.

1) Naissance psychique : construction d’une position subjective.

1.1. Du réel biologique à la symbolisation : quelques aléas.

1.2.2. La différence de génération : être l'enfant de…

L'inscription dans la dimension des générations, comme enfant de tels père et mère, eux-mêmes enfants de leurs parents, implique une représentation de la séparation, portée par

les parents, appropriée par l'enfant. Cette représentation n'est pas détachement affectif mais reconnaissance de cet enfant comme issu de soi et différent de soi.

Le handicap, comme signe, diffracte cette transmission.

Un enfant qui ne leur ressemble pas. Ou trop ?

"Miroir brisé, objet d'un deuil impossible, cet enfant marqué par une différence radicale confronte ses parents à un obstacle : comment se reconnaître en lui ? Le caractère étrange du handicap casse le fil des identifications nécessaires." 386

Mais aussi :

"On observe aussi …/… une identification massive et profonde à l'enfant blessé. L'enfant qui risque d'être abandonné. L'enfant à sauver. Ce bébé malheureux, perdu, rejeté que chacun porte en soi."387

Trop ou trop peu est bien la logique des extrêmes qui lie les parents à leur enfant. Cette logique n'est pas délibérée, elle se joue à l'insu des parents, mais semble bien être conséquence d'une trop grande distance par manque d'identification à l'autre comme autre, avec ses besoins, ses désirs. Des parents ne viennent progressivement plus voir leur enfant après le placement, malgré nos sollicitations. Des visites sont régulièrement reportées, des retours en famille le week-end sont reportés, voire annulés.

À l'autre extrême, lorsqu'il n'est pas possible de différencier l'enfant de chair là présent, si blessé dans son intégrité de l'enfant démuni, blotti au fond de chacun, la séparation entre l'enfant et le parent n'est pas possible, ce serait un arrachement. Il arrive que l'autre parent parvienne à trianguler cette relation symbiotique.

Jérôme, âgé de 16 ans et accueilli en externat, part toujours en vacances en caravane avec ses parents et sa petite sœur. Il demande une présence de surveillance permanente car ses déambulations avec un équilibre précaire le mènent toujours vers ce qui nécessitera une intervention de l'adulte. La mère de Jérôme est accaparée et les vacances n'en sont pas vraiment, jusqu'à ce que le père mette en balance "des vacances sans Jérôme" ou "pas de vacances du tout". La mère se décide alors à demander une

386 Idem p.46 387

période d'internat pour Jérôme afin de préserver les vacances. En entretien, elle parvient à dire que le plus douloureux pour elle serait de se rendre compte qu'elle ne manquerait pas à son fils.

La place de l'enfant handicapé dans la fratrie n'est sans doute pas sans conséquences. L'arrivée du premier enfant permet aux parents de se découvrir dans cette nouvelle identité à construire. Elle inaugure le chemin de la parentalité, avec sa part de projections, d'expérimentations, de confirmations narcissiques et de découvertes douloureuses dans des attitudes, des réponses imprévues et loin de l'idéal de soi comme parent.

Quel est le rôle de la fratrie dans l'ajustement des identifications parentales nécessaires à l'accueil d'un enfant polyhandicapé ?

L'enfant se construit dans une réponse de sujet donnée à ce qu'il reçoit en héritage, avec sa part biologique dans les normes ou non, et sa part d'histoires familiales, d'attentes projetées, de négations etc.

S. Korff-Sausse souligne deux questions toujours éludées ; l'irréversibilité du handicap et la mort. En effet, le polyhandicap n'est probablement jamais parlé aux enfants les plus gravement atteints, sans doute avec le présupposé, juste ou non, qu'ils n'en ont pas conscience. L'irréversibilité du polyhandicap n'est pas toujours si évidente pour les parents. Lorsque la pathologie s'est révélée progressivement, les parents ne perdent jamais complètement l'espoir secret d'un retour en arrière.

Edith est atteinte d'un syndrome de Rett. Jusqu'à ce que le diagnostic soit confirmé génétiquement, son papa espérait que les symptômes progressivement installés pourraient régresser, qu'Edith sortirait de sa "coquille".

Alexandra est porteuse du même syndrome. Jusqu'au diagnostic, elle était regardée par les professionnels comme autiste, avec un vécu de culpabilité par les parents, entraînant un surcroît d'investissement relationnel dans l'espoir de la sortir de son "autisme". Le diagnostic a permis un ajustement des attentes sans pour autant provoquer un désinvestissement affectif. Le diagnostic pose "objectivement" l'irréversible.

Pour autant, cette irréversibilité n'est pas parlée aux enfants eux-mêmes. Un argument de rationalisation serait le peu d'accessibilité cognitive que présentent les enfants à la notion même de réversibilité. Un autre serait le sentiment de renforcer, par ces paroles, l'existence d'une réalité déjà très difficile à considérer. Le dire effacerait tout espoir, même si cet espoir est connu comme tout à fait illusoire, et ce autant pour les parents que pour les professionnels, qui se garderaient bien pourtant d'en avouer quoi que ce soit si la question était posée.

Les parents gardent souvent un espoir secret ou non.

Une maman préfère regarder son enfant comme encore dans le coma suite à une noyade, car du coma, il lui reste une chance, même infime, de sortir.

Ils gardent l'espoir d'une acquisition, différente selon chacun, acquisition qui marque peut-être ce qui signe l'appartenance à l'humanité pour ce parent : garder un jouet à la main, tenir sa cuillère, marcher, s'exprimer et se faire comprendre, fût-ce par des cris.

La question : "Que souhaiteriez-vous pour votre enfant ?" posée dans le cadre de la démarche de projet individuel n'apporte pas qu'une réponse pragmatique. Elle permet une mise en mots de ce qui lie ou non l'enfant à sa lignée familiale.

La maman de Magali souhaite que sa fille garde les cheveux longs afin qu'elle ne soit pas regardée comme un petit garçon. Les cheveux de Magali sont très difficiles à coiffer, et la petite pleure tous les matins. Sa maman dit : "Il faut souffrir pour être belle". Cette maman montre par ailleurs et pour elle-même une intention de résister à la souffrance en assumant toute une part de charges pour lesquelles elle pourrait recevoir de l'aide. Transmission de mère à fille d'une certaine relation avec la souffrance, au-delà du handicap de Magali.

L'irréversibilité du polyhandicap lui-même ne se parle guère avec les parents, et pas avec les enfants. L'importance des troubles ne laisse la place qu'à des îlots d'espoirs pour une acquisition ou la réversibilité d'un trait particulier. De ces îlots d'espoir, il est possible de

parler avec les enfants lorsqu'ils sont exprimés par les parents, et cela peut alors devenir, ou non, un objectif de travail partagé.

L'autre question, celle de la mort, est encore plus complexe. Elle ouvre un retour réflexif sur ce qui se dit de la mort dans les pratiques de l'établissement.

La réflexion sur l'accompagnement en fin de vie des enfants dans l'établissement s'est engagée à partir d'une situation exceptionnelle :

Des parents nous demandaient d'accueillir leur fille, Monique, pour les quelques semaines qu'il lui restait à vivre. Jusqu'avant son hospitalisation, Monique vivait chez ses parents. Le pronostic s'est révélé faux puisqu'elle a vécu encore cinq années, mais le pas d'une réflexion sur la possibilité de garder les enfants en fin de vie dans l'établissement, et non plus de les envoyer à l'hôpital, était franchi. En réalité, d'autres enfants avaient déjà trouvé la mort dans l'établissement, que le moment ait été anticipé ou non.

C'est la notion d'accompagnement en fin de vie comme telle qui entrait dans l'établissement, portée dans le même temps par les médias. Auparavant, la "tranche" dite "fin de vie" n'était pas distincte de la vie, mais celle-ci s'achevait plutôt à l'hôpital par manque de réflexions sur des moyens spécifiques permettant un accueil jusqu'au bout. L'accueil de Monique, décidé d'emblée "jusqu'au bout", a montré les limites d'une administration de la morphine sous forme de comprimés écrasés et passés par la sonde naso-gastrique. Le regard de Monique est difficile à soutenir, la morphine n'agit pas assez vite…

Lorsque, plus tard, une adolescente sans famille est à son tour déclarée "en fin de vie" par l'hôpital, l'évidence s'impose d'un retour dans l'établissement pour ces derniers jours. Sandrine est perfusée, et la morphine passée en sous-cutané. Deuxième pas. Les limites de la médicalisation dans l'établissement sont réfléchies, car celui-ci doit rester un lieu de vie et non un lieu de soins médicaux. Il est posé que les perfusions ne seront utilisées que dans le cadre des "fins de vie". S'ouvre alors la question d'une définition de ce cadre. Après coup, nous pouvons observer qu'il est toujours posé par l'hôpital. Un enfant revient avec ce diagnostic et après discussions avec les parents, vivre ces derniers jours en compagnie de ses camarades.

Lorsque ce cadre n'est pas posé de cette façon, l'épuisement progressif de la vie s'inscrit dans une continuité d'accompagnement, avec une adaptation des propositions et des modes de soins, sans que puisse se nommer l'étape de la fin de vie comme telle. Avec les parents, les échanges portent sur les diminutions progressives, les récupérations éventuelles auxquelles chacun est attentif, avec l'espoir qu'elles soient le signe d'une vraie inversion du processus de perte, et la crainte de l'espoir fugace, décevant.

Lorsque la fin de vie n'est pas nommée, le temps est maintenu dans une continuité, comme égal à lui-même. Au contraire, lorsque la fin est annoncée, le temps restant devient ce temps possible pour réaliser ce qui n'a pas pu l'être auparavant.

Une maman souhaitait que sa fille reçoive la communion solennelle. Face au peu de temps disponible et l'état de l'enfant, en lien avec le prêtre de son village, une cérémonie de la bénédiction des malades s'organise, festive et fleurie. L'enfant est décédée le lendemain.

Vincent naît avec la maladie du cri du chat (trisomie 18). Il a deux grandes sœurs. Dès la connaissance du diagnostic, ses parents choisissent une vie d'établissement pour cet enfant, privilégiant l'éducation des filles. L'existence de Vincent ne sera pas connue dans son village, personne ne parle de lui. Ses parents viennent le voir, mais c'est très douloureux pour eux.

Vincent se déplace en fauteuil manuel, il est taquin, aime rire, sollicite les éducatrices en venant "se mettre dans leurs jambes". C'est aussi un garçon solitaire, qui s'isole parfois des autres enfants.

Lorsqu'il est déclaré "en fin de vie" par l'hôpital pour occlusions intestinales à répétition jusqu'à destruction des tissus, ses parents souhaitent qu'il revienne dans l'établissement et qu'il soit ensuite enterré dans le cimetière de la commune où est situé l'établissement. Vincent revient avec perfusion de glucose et morphine. Ses parents

viennent le voir après la journée de travail. Soir après soir, la vie dure et ses parents rencontrent les anciens éducateurs de Vincent, ceux qui se sont occupés de lui plus jeune et viennent lui dire au revoir. Ils parlent du passé, de l'histoire de Vincent dans l'établissement, de son caractère joueur, de ses manies, de ses habitudes. Petit à petit, les parents s'approprient l'histoire de leur enfant, ils retrouvent des fils et reprisent la déchirure narcissique. Le temps dure, bientôt deux mois de passés, personne ne comprend comment Vincent parvient encore à vivre. La maman dit commencer à parler de son fils dans son village. Un soir, les parents nous disent leur changement de volonté. Devant Vincent, ils annoncent leur désir que Vincent soit enterré dans leur village et non sur la commune de l'établissement, afin qu'ils puissent désormais s'occuper de lui et qu'il puisse retrouver une place parmi les siens. Vincent est décédé un des jours suivants. Il avait laissé à ses parents le temps de se réconcilier avec leur histoire.

Ces moments de "fin de vie" nous montrent à quel point des enfants qui paraissent démunis sur le plan cognitif, ont néanmoins une compréhension très ajustée de ce qui fait désir de leur entourage, ici familial, dans le lien avec eux.

Néanmoins, pour revenir à la remarque concernant le silence sur la mort, nous pouvons là aussi prendre en compte une évolution des pratiques.

La mort d'un enfant, même lorsqu'elle est annoncée, n'est pas parlée avec lui directement. Elle n'est pas non plus parlée comme telle aux autres enfants, mais elle n'est pas passée sous silence en leur présence. Les enfants pressentent une ambiance particulière, une émotion plus intense, une attention et une concentration inhabituelles. Ils savent qui des leurs ne va pas bien et les plus mobiles viennent le voir, apportent un nounours, un objet. Ceux qui ne se déplacent pas deviennent plus silencieux, les plaintifs se plaignent moins.

De ces observations, et d'une formation à l'accompagnement des personnes polyhandicapées dans le décès d'un parent, s'est ouvert une interrogation sur la place suffisante ou non des rituels de deuil dans l'établissement. Comment permettions-nous, ou pas, aux enfants d'apaiser par un rituel l'angoisse de ce qui se révèle de la mort au décès d'un