• Aucun résultat trouvé

Expression et communication

L’ ENFANT POLYHANDICAPE.

1) Naissance psychique : construction d’une position subjective.

1.1. Du réel biologique à la symbolisation : quelques aléas.

1.1.3. Expression et communication

L'expression se définit comme l'action d'exprimer quelque chose par le langage ou une technique artistique, mais elle signifie également l'ensemble des signes extérieurs qui traduisent un sentiment, une émotion.

La communication est définie par l'action de transmettre quelque chose à quelqu'un mais aussi par le résultat de cette action.

Pour succinctes que soient ces définitions extraites du petit Larousse, elles distinguent des nuances importantes dans la relation avec des enfants polyhandicapés. En effet, l'adulte et l'enfant peuvent se comprendre sans que cette compréhension passe par des échanges verbaux. D'où la nécessité de réfléchir aux modalités de cette compréhension.

La reprise des travaux de recherche collectifs datés de 1996 pour une journée d'étude sur la vie psychique des jeunes polyhandicapés organisée par l'IME "la Tremblaye"306 montre que les axes de réflexion sont permanents.

1.1.3.1. Lorsque l'enfant s'exprime….

Il arrive fréquemment que l'éducateur soit témoin d'un geste, d'une mimique, d'une manifestation de l'enfant sans qu'il ait le sentiment que cela lui soit adressé. L'expression se distingue de la réaction physiologique en ceci que le témoin lui attribue, lui présuppose un sens, même s'il reste parfois énigmatique.

C'est une démarche de tâtonnements, d'essais et d'erreurs qui permet, petit à petit de trouver une réponse susceptible d'apaiser l'enfant. Les professionnels du quotidien insistent sur la nécessité de "bien connaître" l'enfant. Ils désignent là ce savoir acquis à tâtons, mais aussi par un partage émotionnel assez proche de ce que D.W. Winnicott307 définit comme la préoccupation maternelle primaire, l'identification de la mère à son enfant, cette hypersensibilité qui lui permet de savoir ce qu'il ressent, ce dont il a besoin. Cette préoccupation maternelle primaire suscite une sécurité affective, source de confiance de part et d'autre de la relation. La "connaissance" des enfants, acquise au fil des jours et des événements sources d'informations mais aussi d'émotions par les professionnels du quotidien, est à l'image de cette préoccupation maternelle primaire.

306 Collectif. La vie psychique de l'enfant polyhandicapé. IME "La Tremblaye" Meigné sous Doué.

307 WINNICOTT DW (1956) La préoccupation maternelle primaire. In De la pédiatrie à la psychanalyse. Paris,

Pourtant, lorsque malgré les tâtonnements, cette identification primaire, pour des raisons diverses, ne s'avère pas possible, les comportements de l'enfant ne parviennent pas à faire sens. Les professionnels se sentent alors démunis, en échec, défaillants et frustrés dans leur désir de relation et leur désir de satisfaire les besoins des enfants.

Des modes de dégagement peuvent alors apparaître : l'enfant est pris dans un discours qui se prétend objectif. Ce qui ne peut prendre sens est regardé comme de l'être. Ainsi, lorsqu'il est dit d'un enfant qu'il est coléreux, c'est peut-être parce que le professionnel ne peut pas ou ne veut pas comprendre pourquoi cet enfant est en colère. La question reste la même lorsqu'il est dit de l'enfant "Il est capricieux" ou "Il est pleurnichard" :

Vincent crie et pleure lorsque quelque chose, pour lui, ne va pas. Lors d'une visite de quelques personnes sur son groupe de vie, il s'exprime de cette façon. Il lui est répondu qu'il est coléreux et capricieux. Si l'éducatrice avait été attentive à l'élévation du niveau sonore suite aux conversations bruyantes de ces personnes sur le groupe, elle aurait compris que Vincent ne parvenait plus à entendre sa musique. Discrètement rapproché de son lecteur de CD, il s'est apaisé.

Plus loin encore, ce qui est dit être de l'ordre de la stéréotypie ou du conditionnement pourrait être interprété comme une façon de placer ces conduites du côté du "hors sens" afin de ne plus avoir à s'interroger sur ce sens énigmatique.

Une autre modalité de dégagement est sans doute observable dans les conduites d'abandon de l'intérêt porté aux comportements incompréhensibles de l'enfant, avec un déplacement de l'investissement vers un autre enfant.

Les professionnels ne sont pas sans percevoir que c'est de leur propre désir, de leur propre intention d'attribuer du sens que vont pouvoir naître les échanges qui deviendront communication, l'enfant et l'adulte étant partenaires. Si ce désir est présent, le moindre détail aura du sens, au moins dans la relation. S'il est absent, une réaction physiologique sera interprétée comme quelque chose de purement mécanique et non interrogée dans ce qu'elle peut constituer comme expression ou encore dans la façon dont l'enfant peut faire usage de cette réaction dans la relation.

C'est là un engagement nécessaire et vital pour les enfants de la part des professionnels du quotidien, mais sans doute aussi de la part des autres professionnels, plus formés à une position critique vis-à-vis de cet engagement, en particulier psychiatres et psychologues. Il s'agira alors d'analyser ce qui est engagé comme désirs de relations, comme projections, comme anticipations.

1.1.3.2. D'une intention préalable.

L'intention, qui marque un objectif à atteindre, décentre l'enfant de la position narcissique primaire pour l'orienter vers l'extérieur à lui-même. Elle est donc une des prémices nécessaires à la communication, comme l'est l'intentionnalité du professionnel envers l'enfant. Différents supports sont utilisés par les professionnels pour transmettre leurs intentions à l'enfant comme la voix, le toucher, le regard, la distance, la posture, la mimique, l'objet signe, le pictogramme…

Il est parfois difficile pour les professionnels de trouver un moyen de transmettre leurs intentions, mais paradoxalement, il est aussi difficile de les cacher. Lorsqu'ils ne sont pas disponibles, et en particulier psychologiquement, les enfants manifestent leur sensibilité à cette absence psychique en appelant plus fortement par des cris, des pleurs, des tensions du corps.

La construction de l'intentionnalité chez l'enfant a été étudiée par Michel Lemay : « Lorsque l'enfant tend sa main, pleure…Il s'agit d'une expression globale d'états affectifs puis d'appels indifférenciés, mais cette expérience partagée avec autrui a pour le parent ou l'éducateur une référence précise, une représentation déterminée. Au nom de cette signification présupposée, l'adulte adopte des patterns identiques de réponse et anticipe chez l'enfant une évocation qui n'existe pas encore, mais qui existera. Le parent (ou le professionnel) se trouve donc toujours un pas en avant par rapport aux activités réelles de l'enfant. »308

Une formulation plus lacanienne poserait que c’est la préexistence de l’Autre qui permet à l’appel de devenir demande par la réponse signifiante que donne l’Autre.

308

Si l'adulte anticipe sur l'intention de l'enfant en attribuant ce sens à priori, l'enfant peut parvenir petit à petit à se l'accaparer et à le reprendre pour lui-même de façon active, dans une intention propre.

L'enfant peut aussi être dans une grande difficulté à montrer ses intentions en raison de ses impossibilités motrices. Des réactions motrices très discrètes, comme une tension musculaire plus intense ou un regard orienté vers une source attractive, ne fût-ce qu'un instant, peuvent être des marques d'une intention diffuse, mais néanmoins présente.

De plus, une intention de ne pas être dans la relation pourrait s'exprimer dans un regard qui évite, dans un corps qui se tend, une vocalisation qui s'efface ou, au contraire, s'exacerbe comme enveloppe possible. L'écoute de ces manifestations du côté de l'intention active de l'enfant ou du côté du déficit tient là encore à la position psychique du professionnel. L'absence de reconnaissance de l'intention de l'autre, soit par impossibilité, soit par refus ou par incompréhension, entraîne une situation de tensions psychiques dans la relation. L'enfant, comme le professionnel, peut perdre confiance dans ses capacités à transmettre, à être actif dans la relation, avec des effets du côté de la réduction de la différenciation.

La reconnaissance et la prise en considération de l'intention de l'autre sont donc des conditions nécessaires à l'instauration d'une véritable communication entre deux partenaires différenciés et reconnus comme tels.

1.1.3.3. Vers la communication.

Globalement, les professionnels se vivent en situation de communication avec l'enfant lorsqu'ils ont le sentiment de réussir facilement à décoder la raison de tel ou tel comportement de l'enfant, qui leur était adressé, donc de pouvoir leur donner un sens, et/ou, réciproquement, lorsqu'ils ont le sentiment que l'enfant a reçu ce qu'ils voulaient lui transmettre.

Les supports de cette communication peuvent être divers, de la simple attitude variable selon le professionnel en présence à la communication assistée de pictogramme permettant un code commun explicite entre l'enfant et l'adulte.

Cette dimension de la communication pose la question de l'interprétation tout autant que celle de l'expression ou de l'intentionnalité.

Des comportements peuvent être interprétés comme intentionnels du fait du contexte relationnel car ils ont des répercussions émotionnelles sur le professionnel. Il est alors dit de

l'enfant "qu'il en fait exprès", "qu'il veut embêter" alors qu'il peut n'avoir qu'un réflexe d'expectoration consécutif à un trouble de la déglutition. Néanmoins, l'enfant peut aussi utiliser ce réflexe dans la relation…

Eléonore tousse beaucoup, plus ou moins selon son encombrement pulmonaire quasi chronique. L'impact de cette toux n'est pas le même lorsqu'elle survient au cours de la journée ou au cours d'un repas, lorsque sa bouche est pleine de mixture (repas salé d'une texture proche de celle d'une bouillie).

Les enfants capables d'être dans la communication ne le sont pas pour autant en permanence. Lorsque l'enfant est envahi par des tensions physiques telles que, par exemple, de l'inconfort de posture, sa disponibilité à la communication en est d'autant plus fragile. Ce qui est juste pour tous l'est particulièrement pour eux.

Les sources de tensions psychiques sont tout aussi présentes, mais plus encore sujettes à l'interprétation. Il n'y a pas toujours d'aménagements possibles à proposer qui permettraient de s'assurer d'une origine psychique des difficultés.

Un préalable à la communication est donc une connaissance la plus ajustée possible des modalités d'être, de réaction, d'agir, de ressentir propres à l'enfant, en tenant compte de ses capacités, mais aussi de ses incapacités.

Si le désir, l'intention de communiquer du professionnel, son appel à la relation, sont des préalables nécessaires pour aller vers la communication, la part n'est pas toujours suffisamment faite du désir de l'enfant.

Au cours des années, des formations techniques, "l'appareillage" communicationnel s'est développé et précisé. L'utilisation de signes concrets ou de pictogrammes désignant une situation comme la toilette ou le repas, permet aux enfants qui en ont la capacité d'établir un code commun entre l'éducateur et l'enfant. Celui-ci peut alors anticiper la situation vers laquelle il est conduit et se dégager un tant soit peu de l'immédiateté du présent. Cela l'aide à comprendre ce qui lui est proposé ou demandé. Néanmoins, ces techniques, pour intéressantes qu'elles soient, réduisent souvent la communication à son aspect fonctionnel, informationnel. Les éducateurs sont moins à l'affût de la façon dont l'enfant s'exprime qu'à celui de la façon dont il s'approprie les supports de communication qui lui sont proposés. L'enfant a t- il besoin

d'un signe concret signifiant le moment du repas lorsqu'il a les moyens de le savoir par l'arrivée bruyante du chariot et des odeurs qu'il dégage ? Un argument pesant pour l'usage de ces outils tient dans l'apprentissage de la notion de code en tant que telle, permettant ensuite à l'enfant de réutiliser les supports concrets pour signifier à son tour à l'éducateur ce que pourrait être sa demande.

Tous les enfants n'ont pas accès à l'usage des supports concrets, d'objets ou d'images. Cet usage nécessite au minimum une relation d'objet en construction, une distinction du moi et de l'environnement, et certains des enfants ne semblent pas en être là.

La communication instrumentalisée concentre l'attention sur les supports mis en place et réduit d'autant l'attention portée à la place de la subjectivité dans la relation. Or, nous l'avons vu, la subjectivité est toujours présente dans l'interprétation, avec ce qu'elle implique de soi pour celui qui interprète, avec ce qu'elle comporte de nécessaire et de forçage.

1.1.4. L'interprétation.

L'ouverture à une possible communication nécessite une intention préalable de l'adulte envers l'enfant qui se pose comme une interprétation anticipée, avec une signification présupposée de ce que l'enfant exprime. En retour et avec l'expérience de la réponse de l'adulte, l'enfant s'approprie cette signification et la reprend à son compte.

Cette interprétation, nécessaire et vitale dans le développement du nourrisson, le reste dans la relation avec l'enfant polyhandicapé aussi longtemps qu'il n'est pas en possibilité d'exprimer l'acceptation ou le refus, ce qui est encore préalable au code oui/non.

En effet, lorsque le code est acquis comme tel, il s'agit plutôt de trouver la bonne question, c'est-à-dire la bonne piste et d'explorer ensuite par arborescence d'exclusion : des questions les plus larges au départ vers les plus précises au fur et à mesure que peuvent s'exclure, en fonction des réponses, des champs de préoccupations. Du temps est nécessaire pour comprendre par exemple qu'un enfant peut être inquiet de savoir où est son fauteuil lorsqu'il n'est pas dans son champ visuel. Il ne s'agit plus là d'interprétation anticipée ; la connaissance du cadre de vie de l'enfant aide à viser plus vite les bonnes questions !

L'interprétation dont il est ici question n'a pas la signification habituelle dans le champ de la psychanalyse. Elle ne porte pas sur l'équivoque d'un signifiant qui ouvrirait sur une signification latente. L'interprétation, signifiée d'une parole ou d'un geste, porte sur des gestes de l'enfant, des attitudes, des expressions, qui constituent des signes. Il est nécessaire

de leur donner valeur signifiante, ce qui n'est possible qu'à condition d'accepter de recevoir émotionnellement ce que l'enfant transmet pour lui donner du sens. Cette interprétation prend le risque d'une projection de ses propres émotions, d'une mise en jeu de ses propres ressentis conscients ou non en écho à la situation présentée par l'enfant.

Pourtant, bien des psychanalystes se sont intéressés à cette dimension des premières interprétations reçues par le très jeune enfant, et qui ne sont pas par lui compréhensibles. F. Ferenczi309 parle de la confusion des langues entre les adultes et l'enfant. Jean Laplanche310 souligne également cette dimension, source d'une séduction, mais aussi d'une violence comme effets de l'énigme inhérente à cette dissymétrie. Il décrit le monde dans lequel est plongé l'enfant : « Un monde de signifiance et de communication, débordant de toutes parts les capacités d'appréhension et de maîtrise de l'enfant. … Ces signifiants originaires, traumatiques, nommons-les signifiants énigmatiques ».

Une nuance dans la comparaison avec l'enfant polyhandicapé est nécessaire. La mère d'un enfant sans atteintes visibles se tient dans une assurance selon laquelle, si son enfant ne comprend pas encore l'énoncé de ce qu'elle lui dit, il en sera capable plus tard. Piera Aulagnier311 souligne d'ailleurs l'importance de cette attente maternelle de l'apparition chez son enfant de la capacité à penser. « Le pouvoir d'intellection est attendu comme ce dernier venu qui viendra confirmer à la mère la réussite ou l'échec de sa fonction maternelle ». 312

L'enfant polyhandicapé est bien plongé dans un monde de signifiants énigmatiques, mais les attentes de l'entourage envers ses capacités intellectuelles sont plus limitées. C'est tout au moins ce qui peut s'en dire consciemment. Avant de reprendre, entre autres, les travaux de P. Aulagnier dans la partie suivante centrée sur l'émergence de la pensée, il serait nécessaire de s'attarder sur les difficultés rencontrées dans ce dialogue avec l'enfant polyhandicapé, évoqué tout au long de cette partie. Les entraves à ce dialogue viennent tout autant des difficultés propres à l'enfant que de celles de l'adulte qui s'approche de lui.

309

FERENCZI S. (1933) "Confusion des langues entre les adultes et l'enfant" in Psychanalyse, Tome IV, Paris, Payot, 1982

310 LAPLANCHE J. (1987) Nouveaux fondements pour la psychanalyse, Paris PUF 311 AULAGNIER P. (1987) La violence de l'interprétation. Paris, PUF.

312