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La bibliothèque de Babel, une dystopie borgésienne

objet ordinaire et remarquable de la mondialisation

Document 13 La bibliothèque de Babel, une dystopie borgésienne

Extraits de Jorge Luis Borges, 1941, La Bibliothèque de Babel, Mar del Plata. Traduction de Ibarra

http://zombre.free.fr/pages_indispensables/bibliotheque_babel.htm via http://dicelog.com/babel

Ce chaos et cette confusion angoissante de la bibliothèque de Babel sont bien réels. Les barrières linguistiques ne sont pas le moindre obstacle à notre recherche, notamment lorsque l’on s’éloigne des langues européennes. L’effet de taille, produit du temps, de l’espace et de la révolution démographique, donc de la géodiversité contemporaine, entraîne des difficultés logistiques – de réalisation de la recherche tout simplement. Géopolitique des langues et conditions de l’échange linguistique dans la mondialisation, nouvelle géopolitique du grand nombre, de l’abondance (comment saisir, trier, ranger). L’absurde circule et périodiquement se condense ici et là. La mort de l’écrit ne sera pas non plus ignorée, non cette mort extraordinaire annoncée par les pleureuses de la croyance littéraire, mais la mort ordinaire des textes, l’érosion inéluctable de l’archive du monde. Pour toutes ces raisons et bien d’autres encore54, cette recherche ne constitue aucunement une apologie, hagiographie, idolâtrie ou fétichisme, pas plus oraison funèbre ou discours de réception à l’Académie de la bibliothèque mondiale. La bibliothèque porte en elle les dynamiques contradictoires de la domination et de l’émancipation, de l’inédit et de l’oubli. L’ambivalence est une de ses propriétés élémentaires La bibliothèque appelle une géographie totale. En ce sens, le sujet de cette recherche n’est pas périphérique. Le penser, ce serait tomber dans un autre piège, en partie lié à celui de la croyance littéraire, le piège de la croyance dualiste de la séparation du monde en deux sphères matérielle et idéelle, étanches et très inégalement 54 Notamment ce qui relève de notre éducation – le développement d’un certain rapport au livre et à la société – et de notre travail personnel d’écriture et de lecture, d’animation d’ateliers d’écriture et d’édition.

dotées d’efficacité dans l’espace mondial. Ce serait faire l’impasse sur les théories géographiques de la valeur, discutées notamment par David Harvey dans sa

Géographie de la domination (2008). Si le capitalisme dans ses modalités

néolibérales actuelles fonctionne bien comme un processus de désintégration des valeurs et des systèmes locaux, l’augmentation massive de la part culturelle dans la valeur des produits (marque, label, origine) mais aussi la permanence toujours recréée des sociétés locales requalifient l’ensemble des processus de (ré)invention des identités aux échelles locales et nationales. Quel acteur doué de raison oserait affirmer que les productions écrites ne font pas à la fois marché d’elles-mêmes et en même temps marché des valeurs identitaires, des valeurs des territoires et des sociétés ?

L’érosion de la matière écrite est le plus souvent ignorée. Certaine, elle a justifié la création progressive d’un geste, puis d’un métier et d’une institution, l’archive. Avec ses trois sens (la pièce d’archive, son gestionnaire, son bâtiment), le mot archive renvoie immédiatement à la « bibliothèque » et mobilise des outils très proches (répertoires, inventaires). L’archive, c’est la bibliothèque qui se sait menacée et s’organise contre cette fin. L’archive, avec ses trois niveaux (courant, intermédiaire ou définitif) c’est de la « RTM » (restauration des terrains de montagne) appliquée à la bibliothèque, une forme de génie littératique, pas simplement patrimonial et a posteriori, mais proactif et structurant. Cette érosion dans la bibliothèque vient de la vie même : les écritures les plus ordinaires n’ont ni statut d’archive, ni statut d’œuvres, elles deviennent rapidement des déchets, leur durée de vie est courte. Une part de la matière à statut non ordinaire disparaît dans des conditions assez semblables : de la masse des exemplaires produits et vendus, nous ne trouvons plus au bout d’un certain temps qu’un petit nombre, le solde a disparu. Parfois, des destructions forcées et concentrées (autodafés) épurent la matière disponible lors des périodes historiques de grande violence (conquêtes coloniales, totalitarismes, guerres de religion, etc.). Parfois, comme le document 14 le montre, c’est le calcul économique qui se charge d’anticiper de tels faits.

Un passage sur la « bordure », zone de pesée où l’on va inscrire le poids de la matière entrante. Tout est consigné. Car il s’agit de traquer la fraude à tous les niveaux de l’opération. Ensuite, tout va très vite : le camion manœuvre pour entrer à reculons dans le grand hangar où la 108, une énorme broyeuse, attend le premier chargement du jour. Elle tourne déjà. Enchâssée dans une énorme boîte métallique, on ne voit rien d’elle mais on l’entend, vacarme assourdissant. L’arrière du camion s’ouvre, quelques livres tombent avant que la benne ne bascule et déverse lentement son contenu sur le tapis. [...]. Pêle- mêle, on repère quelques exemplaires du rapport Attali, les biographies de Tom Cruise et Michel Drucker, des livres de poche de John Grisham, quelques-uns des ouvrages sur Sarkozy, Carla Bruni ou Rachida Dati, un Kama-sutra qui s’empile sur des ouvrages autour de l’Opus Dei ; des livres de Danielle Steel avec des BD des Schtroumpfs... « Un vrai roman » de Philippe Sollers dialogue avec « La Bible racontée aux enfants » d’Alain Decaux, et s’accommode aussi bien du « Parce que je t’aime » de Guillaume Musso. […] À raison de 1 500 tonnes broyées toutes les cinq minutes, un ballot cubique ne tarde pas à apparaître de l’autre côté de la broyeuse, par un petit tunnel qui crache son paquet, bien serré et bien ficelé, haut et large d’un peu plus de 1,30 mètre. [...]

Le pilon, c’est l’échec, et pas seulement dans l’édition, mais dans tous les métiers, comme le disque ou l’agroalimentaire, explique Jean-Paul Naddeo, un routier de l’édition

qui a travaillé pour Belfond, Robert Laffont ou Larousse. Le pilon, c’est la patate chaude du milieu littéraire : les chiffres sont flous, les intervenants ne veulent pas être cités et chacun se renvoie la balle. Le pilon n’est pas tabou, proteste Serge Eyrolles, président du

syndicat national de l’édition. Que met-on au pilon ? Les livres renvoyés par les diffuseurs

libraires, parce que impropres à la vente, qu’il existe une nouvelle édition, qu’il y a du surstock, qu’ils ne se vendent plus, parce qu’ils ne correspondent plus à des programmes pour les livres scolaires, etc. [...]

En réalité, il y a deux sortes de pilonnage, le pilon sur retour et le pilon sur stock. Le pilonnage des retours consiste en un grand pêle-mêle de livres, écrits par des auteurs différents. Ces ouvrages proviennent de la masse des livres renvoyés par les libraires. Le pilon sur stock, effectué à huis clos mais en présence de l’éditeur, est nettement plus traumatisant pour les écrivains, qui sont obligatoirement informés de l’opération. Il consiste en effet à détruire les livres d’un auteur pour alléger le stock.

Document 14 : pilon et édition, l’envers du décor

Karine Papillaud, 27 juillet 2008, Le grand cimetière des livres, Le Point. www.lepoint.fr/actualites-litterature/2008-07-24/le-grand-cimetiere-des- livres/1038/0/262709

Les cent millions d’exemplaires pilonnés par an représenteraient 20 % de la production annuelle de l’édition française55. C’est donc énorme. Nous trouvons une problématique non spécifique au livre : on a « pilonné » et on continue de « pilonner » des tas de produits ou denrées à travers le monde. La spécificité viendrait peut-être que la croyance littéraire cache ce phénomène, le justifie au besoin par un fatalisme qui se voudrait frappé au coin du bon sens et échoue à le prendre en charge. Par un calcul des plus grossiers, si l’on considère que l’impression ne doit pas représenter plus de 10 % du prix public d’un livre, nous voyons qu’en moyenne 2 % du prix de chaque livre56 est consacré au pilon. Celui- ci n’est donc pas seulement une aberration du point de vue de la gestion raisonnée des ressources et d’un management innovant, c’est un coût répercuté sur les consommateurs et les politiques publiques. Une autre forme d’érosion est ce que la profession des bibliothécaires appellent le « désherbage ». Robert Darnton, l’historien américain spécialiste de la littérature des Lumières, mais également acteur de la bibliothèque et de la révolution numérique au sein de l’Université américaine57, a écrit une magnifique Apologie du Livre, demain, hier et

aujourd’hui (2009, 2011). Dans son chapitre intitulé « Mort du livre ou mort du

papier ? », il fait le récit objectivé et émouvant de la « crise du désherbage » dans les bibliothèques américaines entre 1950 et 1990. Dans une forme de pilotage par l’économie (la perception exagérée du manque d’espace, la croyance en une crise spatiale de la bibliothèque) et par l’innovation technologique (le microfilm né de la recherche militaire pendant la guerre) associée à un mythe scientiste de destruction (l’autodestruction chimique des livres produits industriellement après 1850), les grandes bibliothèques américaines ont éliminé dans des conditions qui paraissent scandaleuses aujourd’hui des ouvrages et une très grande quantité des séries de journaux imprimés à partir de 1870. Mal réalisé (rarement complet, brutal) sur un support qui s’est avéré rapidement à la fois difficile à utiliser et très fragile (bien plus que le papier), le micro-filmage de ces séries a été une gabegie technique et 55 Libération du 18 janvier 2005, cité par www.festivaldulivre.info

Dans le même ordre d’idées, 20 à 25 % des livres acheminés dans les librairies françaises sont retournés aux éditeurs (les « retours »).

56Hors frais d’édition, de commercialisation et de transport de ces 20 % de la production.

57 Il a fondé le Gutenberg-e program., un prix destiné à des travaux académiques exceptionnels qui seront publiés en édition électronique, grâce à une collaboration entre Columbia University Press et l’American Historical Association. - www.gutenberg-e.org/aboutframe.html

financière, une perte patrimoniale sévère. Dans l’hypothèse de maintenir un espace de rayonnage constant, « conserver a signifié détruire58 ». Les conservateurs américains semblent revenus à des pratiques plus adaptées à leur mission.

La bibliothèque mondiale comme lieu de la littératie

C’est cette incroyable et surprenante ubiquité de la bibliothèque qui nous a poussé à explorer en géographe une bibliothèque remarquable, la bibliothèque mondiale, parmi toutes les bibliothèques remarquables disponibles – une intuition en tout cas qu’il se passe quelque chose à cet endroit de la mondialisation et que cela intéresse la géographie. La bibliothèque serait au point d’articulation (front, ligne de faille, confluence, nœud) entre l’universel entendu comme l’échelle mondiale de la culture et le particulier entendu comme le lieu ininterrompu de la diversité culturelle. Un gigantesque conglomérat de productions culturelles d’obédience écrite, tout à la fois empreinte et matrice de la mondialisation. Plus précisément, la bibliothèque mondiale est ce gigantesque magasin – au sens du parler des bibliothécaires – aux dimensions du système-monde. Un magasin morcelé certes, mais communiquant par des liens (l’intertextualité et aujourd’hui l’hypertextualité) et dans lequel nous circulons tantôt instantanément, d’une page à une autre, d’une référence à une autre, d’un genre à un autre genre, tantôt par des moyens et des temporalités différentes, celles du monde classique de la géographie des transports. Aussi, la vie quotidienne dans la bibliothèque interroge-t-elle la psychogéographie, celle d’Abraham Moles et ses déformations de la métrique. Elle participe de la médiance, qui, dans la pensée d’Augustin Berque lie de manière inextricable le monde et sa représentation, le physique et l’idéel. La bibliothèque mondiale est le double écrit et la porte d’entrée des mondes parallèles à l’expérience immédiate.

Mais notre hypothèse de recherche prend aussi le risque de la métaphore. À voir des bibliothèques partout comme à imaginer une grande bibliothèque unitaire là où d’autres ne verraient que confusion ou carrément rien du tout59, le chercheur s’expose. L’exploration intensive et extensive du terrain mondial ne peut se faire qu’en multipliant les positions et échelles d’analyse : espace global, territoires, hauts-lieux, routes, places de village, centres commerciaux, réseaux migratoires, impasses, plaines de Nullliber et bûchers dans la nuit obscure, salles de classe, tribunaux et maisonnées, chambres à coucher, fragiles continents, ensembles linguistiques mouvants, mixtes, sécants et faiblement saisissables, États-nations, empires et Empire. Oui, la liste des opérations possibles est bien trop longue et nous serons fragmentaire par nécessité et de seconde main pour certains aspects. Le lecteur verra, au-delà des enquêtes imaginées, que le livre et l’édition ont pris une place majeure aux dépens de catégories plus rares et moins étudiées. La mise en jeu de notre travail pourrait alors se dire ainsi : la bibliothèque mondiale est-

elle plus qu’une vague métaphore du système-monde ? Peut-être un vrai système

spatialisé complexe, dont la connaissance par la science géographique permettrait de mieux insérer la question de la lecture-écriture dans celles du développement , des politiques publiques et du droit au bonheur. L’aménagement du territoire ou peut-être son ménagement contemporain, en plus des politiques de la compétitivité 58 Robert Darnton, Apologie du livre ; demain, aujourd’hui et hier, 2011 (2009), Gallimard, page 148. 59 En 1876, Lewis Carrol propose une désormais célèbre carte [totalement vide] de l’océan dans La

chasse au snark, nouvelle utilement sous-titrée Délire en huit épisodes ou crises. Pascale Casanova

l’utilise en couverture de l’édition de poche de La république mondiale des lettres, [Le Seuil, 1999], 2008.

et de l’excellence, du marketing territorial, des mesures agro-environnementales, de la fiscalité et des kilomètres de voirie60, a également pour origine, moyen et fin, la bibliothèque. Nous le dirons un peu plus loin, la bibliothèque avec la littératie, car la bibliothèque n’est rien sans ses acteurs.

Dans notre travail, la question des échelles rejoint celle de la distance au sujet, à la manière des photographes. Dans cette bibliothèque aux dimensions du globe, avouons-le à ce stade de la recherche, il y a des livres et même beaucoup de livres – le mot est enfin écrit.

Basiquement, UN LIVRE + UN LIVRE + UN LIVRE + N LIVRES = LA BIBLIOTHÈQUE MONDIALE.

En réalité, notre position de recherche s’écrit plutôt sous la forme UN DOCUMENT+ UN DOCUMENT + UN DOCUMENT + N DOCUMENTS = LA BIBLIOTHÈQUE MONDIALE.

Une fois cela acquis, la question est de s’en bien saisir. Quoi regarder, bref, comment lire tous ces documents ? Franco Moretti, lettré italien passé dans le Nouveau Monde [docteur en littérature moderne de l’université de Rome, Italie, devenu enseignant-chercheur à l’université de Stanford, Californie] et à la géographie a défini le fructueux croisement entre le close reading (la lecture attentive de l’œuvre singulière) et le distant reading (la lecture globale des séries et des catalogues). Au delà même du dépassement du canon littéraire, cette fraction légitime mais infime de la production écrite, la lecture de loin est ce type d’approche « où la distance n’est pas un obstacle, mais une forme spécifique de

connaissance : un nombre plus réduit d’éléments, d’où un sens plus aigu de leur

interconnexion globale. Organisations, relations, structures. Formes. Modèles.61 » Avec les précautions éclairées d’un Pierre Bayard62, lucide et discret provocateur de la bibliothèque mondiale et au risque de la subjectivité de notre propre bibliothèque, nous essaierons d’accommoder – du proche au lointain et inversement, dans l’expérience de la recherche et de mille manières. Chacun saura se défaire d’un piège invisible tendu à tous ceux que l’écrit « agit », et même à ceux qu’il semble ignorer, la « croyance littéraire ». Nous avons pu constater, à l’occasion d’une évaluation d’une de nos propositions d’article que certains chercheurs semblent penser, parce que les sciences sociales ont grand ouvert les portes et enquêté bien au-delà de la littérature canonique, que cette croyance littéraire a aujourd’hui largement disparu comme fait social. De notre point de vue d’acteur concret de la littératie, engagé dans des actes socialisés de type performances, ateliers d’écriture, accompagnement de projets éditoriaux, montages de projets dits participatifs, rencontres avec des enseignants et des élèves, avec des lecteurs dans des bibliothèques ou même dans des événements plus ordinaires ou intimes, nous tenons que cette position prend la recherche universitaire pour un espace analogique à la société globale. Cela ne nous paraît pas du tout correspondre à la réalité observée, des pratiques scolaires aux pratiques les plus intimes.

60 Etc. Comme dirait Georges Perec qui aimait bien le deuxième livre constitué par les notes infrapaginales.

61 Franco Moretti, 2008, Graphes, cartes et arbres, modèles abstraits pour une autre histoire de la

littérature, [2005] Les Prairies Ordinaires, page 33.

Montrez-moi le Tolstoï zoulou ! Cette répartie, reductio ad absurdum d’un

intellectuel nord-américain, est rapportée par Edward W. Saïd dans Culture et

impérialisme. L’universitaire américano-palestinien de l’université Columbia y

reconnaissait les propos de ceux qui, aujourd’hui, parlent de l’Occident et de ce

qu’il a fait et sur ce que le reste du monde a été, est et peut être63. Nous pourrions dire également que l’injonction paradoxale de son contradicteur montre comment on peut tenter de transférer la croyance littéraire dans l’espace mondial. Replacée dans son cadre anthropologique d’origine, la croyance littéraire est un ensemble de propriétés de la littérature, de la littérature « littéraire » pour être tout à fait précis, c’est-à-dire le canon augmenté d’une périphérie de textes légitimes moins connus. Dans cet univers ultra-normatif, le texte légitime ne se discute qu’entre initiés : il est une œuvre unique et autonome, décontextualisée et même désocialisée, pourrait-on dire. L’écriture y est un don, la lecture comme l’ensemble des gestes de la culture lettrée sont des actes gratuits et désintéressés. Les diversités et inégalités socio-spatiales sont ignorées ou niées, et les autres pratiques de la langue « non littéraire » ne sont envisagées qu’en tant que formes déficitaires et le plus souvent regrettables. Notre projet d’une géographie de la bibliothèque mondiale ne peut exister sans se libérer d’une telle croyance. Il n’est pas possible de délocaliser une partie de la production écrite en dehors de l’espace géographique dans un champ littéraire « pur » hors d’atteinte de la méchante réalité socio-spatiale et de la critique de la science. Nous nous appuierons sur des approches ethno-géographiques, quantitatives et actorielles. Cette approche multiple par les terrains, les statistiques et les acteurs ne peut davantage se faire contre les textes. Réfuter la croyance littéraire, ce n’est nullement condamner le

close reading, ni s’empêcher funestement l’accès aux œuvres elles-mêmes, tout au

contraire. Ainsi, inviter à la lecture d’une œuvre brève, mais fondatrice et inédite en français, l’Universal Bibliotek de Laßwitz, c’est bien lire de près - c’est aussi exposer le projet de construire cette thèse de doctorat en tant qu’objet matériel et intellectuel, à la manière d’une bibliothèque, permettant des lectures diverses. Cette ambition architecturale nécessite de concevoir les éléments du texte à différentes échelles de perception (lecture pour eux-mêmes, dans un chapitre, dans l’ensemble du travail), d’agir de même avec l’image, de développer les liens vers l’extérieur. C’est écrire de la science en laissant au lecteur la liberté de poursuivre ou non, avec sa propre bibliothèque, la proposition née de la recherche.

Une position de recherche sur l’objet « bibliothèque mondiale »

Il s’agit de figurer et de nommer de manière stable notre premier objet, la bibliothèque mondiale. Le document 15 propose une représentation de la matière écrite dans une dimension grossièrement chronologique. La matière écrite traverse depuis trente ans un moment géohistorique particulier, la naissance d’une nouvel espace dans ladite bibliothèque à un rythme et dans des proportions sans aucun rapport avec celles du moment historique de l’imprimerie.