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Aran, une résidence d’écriture transcalaire, une glocalisation

Document 64 Inis Beag (Inisheer)

Plus grande largeur de l’île 2,8 km.

(extrait de John C. Carpenter, 1969, Inis Beag, isle of Ireland, droits réservés)

En 1985, dans le cadre d’une commande pour le magazine Géo235, Nicolas Bouvier écrit Aran à contre-saison et bouscule ainsi la convention touristique en train de se sédimenter, au grand dam de ses hôtes.

Nous pouvons alors observer ainsi un véritable darwinisme littéraire sur Aran, où la diversité du fait littéraire se construit dans un usage différencié du territoire – document 65. Chaque île a son auteur de référence, son idéologie, son mode de réception. Il nous semble qu’il n’y a là rien d’exceptionnel. Ainsi en est-il de l’usage des lieux par les auteurs. Des formes particulières de spéciation.

234 Inis Beag is a fictitious name for one of the many inhabited islands of the irish Gaeltacht, explique l'auteur dans son introduction.

Document 65 : darwinisme littéraire à Aran ou l’usage différencié du territoire dans le processus d’écriture

(F. Barbe, 2010)

La figure d’Aran se singularise dans la couronne insulaire irlandaise, en ce qu’elle caractérise et porte au plus haut une sorte d’ambiance littéraire généralisée de la partie la moins développée de la République d’Irlande. Le lien existe bel et bien entre patrimoine, paysage, nationalisme, romantisme national, écriture et développement économique dans un marché touristique où la distinction est l’un des plus puissants moteurs des déplacements. Toutefois, après le démarrage de l’artisanat d’exportation du pull aranais, magnifique produit identitaire proprement inventé au siècle dernier236, après la multiplication des activités touristiques, après les nombreux investissements publics de désenclavement, l’actuel projet de l’Autorité du Gaeltacht237 de transformer ses îles en zones franches témoigne, au delà de l’idéologie du moins d’État qui a submergé l’Irlande depuis les années quatre-vingt, de la persistance du déclin démographique. Dans son projet 236 Le pull d’Aran « moderne » naît de la rencontre entre les savoir-faire des femmes insulaires et d’autres acteurs, peut-être des migrantes écossaises venues dans les années 1910-1920, lors du boom de la pêche, travailler à la préparation et l’empaquetage du poisson, et qui amèneraient d’autres techniques, plus certainement d’une volonté d’auto-organisation et d’indépendance économique des femmes de l’archipel, commune au monde rural irlandais du mouvement Arts and Crafts, ainsi qu’à des acteurs masculins du monde politico-économique comme Pádraig Augustine Ó Síocháin, organisateur technique et commercial du marché du pull d’Aran dans les années 50 et 60, parallèlement à son investissement dans la modernisation de la flotte de pêche.

d’exempter de fiscalité directe les individus résidant au moins six mois sur une île du Gaeltacht, ainsi que de nombreuses mesures de même type destinées aux entreprises, Padraig O hAolain propose ni plus ni moins de sauver ces îles menacées par la dépopulation (une population minuscule, dont Aran forme presque la moitié de l’effectif). De fait, l’archipel continue de perdre régulièrement des habitants : 1303 résidents permanents en 1996, 1280 en 2002, 1225 en 2006. Envisageant la question de l’agonie et de la renaissance des îles, couplée ici à celle de la langue gaélique238, la lecture croisée des données accumulées depuis plus d’un siècle semble indiquer le dépassement nécessaire du modèle socio- économique actuel. Dans l'extrême ouest irlandais, l’action publique classique trouve ses limites face aux logiques de polarisation et de compétition des territoires. Dans ce contexte, la reproduction non naturalisante d’un patrimoine culturel aussi ancré que celui d’Aran est une ressource de premier ordre. Elle ne saurait se réduire à la patrimonalisation des maisons d’artistes, ni à un canon littéraire mortifère, mais s’inscrire dans une politique culturelle globale des acteurs que l’Autorité du Gaeltacht comme les nombreux îliens investis dans le secteur culturel semblent appeler de leurs vœux. En 1978, le documentariste George C. Stoney enquêtant sur « l'effet Flaherty » à Aran liste239 un certain nombre de ces îliens qui écrivent ou occupent des fonctions liés à l'écriture dans et hors l'archipel : comédiens à l'Abbey Theatre de Dublin, dans la sphère culturelle gaélique ou encore l'éditorialiste de l'Irish Times, Breandán Ó hEithir. Stoney constate par ailleurs que la censure littéraire de la paroisse a cessé d'agir dans l'archipel. On peut lire les fictions de Liam O'Flaherty sans risquer d'être exclu des sacrements de l'Église.

Mais la forte identité de l’archipel aranais ne lui confère pas une exceptionnalité absolue. D’autres hauts-lieux émergent par l’écriture, dans cette façon glocale et malgré une apparente absence de conditions initiales favorables.

D’autres entrées « glocales » dans la bibliothèque mondiale, pays dogon et forêt lacandone

Synge ne rentre pas en Irlande après ses années d’errance européenne, il

part240 aux îles d’Aran. Trente ans plus tard, en filmant Aran et non l’Irlande, Flaherty redouble le geste, étroitisé en clip paysager mondial. Ainsi naît l’archipel d’Aran redéployé aux yeux du monde. À côté des nombreux artistes venus à Aran, la figure complexe de Pat Mullen, partiellement oblitérée, représente la force et la plasticité des acteurs locaux - du développement local à la littératie, de l’habitus familial au réseau étendu au delà des mers. Le triptyque Synge/Flaherty/Mullen est alors porteur d’exemplarité en ce qu’il interroge d’autre parties du monde et un 238 De ce point de vue, le choix des familles d'avoir développé la pratique de l'anglais malgré le travail institutionnel et militant de la langue irlandaise, s'insère dans un ensemble de pratiques des acteurs plus complémentaires qu'antagonistes. Peig Sayers le décrit très bien pour la fin du dix-neuvième siècle dans son autobiographie, Liam O'Flaherty le brocarde quarante ans plus tard. « Cette histoire de langue irlandaise oblige pour le moment les autorités à gaspiller beaucoup de temps et d'énergie, mais elle va être progressivement mise sur la touche, et, pour finir, elle s'éteindra d'elle-même lorsque le dernier autochtone parlant encore le gaélique aura émigré en Amérique. » A Tourist's Guide to Ireland, page 64 de l'édition française.

239 George C. Stoney in Must a filmmaker always leave his mark ? Conférence internationale des anthropologistes et documentaristes, Camberra, 1978,

www.der.org/resources/study-guides/must_a_filmmaker.pdf

240 Françoise Morvan, Introduction au Théâtre complet de Synge, page 11, 2005, Les Solitaires Intempestifs.

universel moderne, le développement ou plutôt sa mise en question. Que les îles Aran intègrent la bibliothèque mondiale dans le contexte d’une crise coloniale, d’une migration de masse et d’une fabrication nationale conservatrice n’est pas pour rien dans cette exemplarité. Nous pourrions alors rechercher dans d’autres lieux, pauvres ou décentrés, ceux qui ont connu ou connaissent une montée similaire dans la bibliothèque mondiale, en dépit d’une extrême modicité démographique ou économique, mais peut-être à cause d’un processus en cours. Le cas du pays dogon dans l’Est malien et de la forêt lacandone dans l’État du Chiapas à la frontière mexico-guatémaltèque nous intéresseraient alors fortement, mais aussi la Jamaïque des sound-systems ou le sertão du Nordeste brésilien dans l'interaction singulière littérature-musique-cinéma du Brésil moderne – cinema

novo de l'après-guerre qui amènera le sertão à Cannes, avec O Cangaceiro de

Lima Barreto, primé en 1953, puis en 1964 avec Le Dieu noir et le Diable blond de Glauber Rocha.

Le pays dogon fait partie de notre expérience malienne. La question de la reproduction de la langue dogon (sa standardisation difficile, son imprégnation par le bambara), l’islamisation active de la région (beaucoup de nouvelles mosquées), les rivalités dans l’accès aux ressources de la patrimonalisation sont des thèmes que nous avons découverts depuis Bamako. Mais il faut revenir au point de départ de l’inscription. La « découverte » du pays dogon en 1931 au cours de la mission Dakar-Djibouti aboutit à une longue traîne d’œuvres ethnologiques, ouverte par Marcel Griaule puis Jean Rouch, suivies d'œuvres dérivées de tous acabit. Cette production constitue une véritable mythification de la cosmogonie dogon, que l’anthropologue Anne Doquet rencontrée à Bamako nous fait découvrir – document 66 - une preuve de l’existence d’une culture noire consistante contre l’idée dominante à l’époque de la primitivé culturelle africaine. Griaule n'avait

qu'une idée en tête : révéler aux Occidentaux que les Noirs, pour lesquels ils n'avaient que mépris et indifférence, possédaient des cultures aussi dignes d'attention des érudits que celles des « nobles riverains de la Méditerranée occidentale.241 Inscrit en 1993 au patrimoine mondial, le pays dogon est devenu un temps la première région touristique de l’Afrique de l’Ouest242.

Le mythe anthropologique dogon

Depuis plusieurs décennies, le mythe anthropologique dogon se fissure et une réflexion épistémologique visant à déconstruire les recherches menées dans la région s’est imposée. Néanmoins, l’image « grand public » de cette société ne semble pas affectée du même discrédit. Dans la presse, écrite comme audiovisuelle, les Dogon jouissent toujours de leur notoriété en tant que société traditionnelle, immuable et harmonieuse. Relevant à l’évidence de l’utopie, ces qualités construites dans l’imaginaire folklorique semblent fonder une sorte de spécificité ethnique et culturelle. Ces représentations perdurent dans la littérature vulgarisatrice, qui au fil du temps reproduit le même discours enchanteur. [...]

Éphémères ou prolongés, les regards extérieurs engagent chez toute population observée une présentation de soi et donc une mise en scène. Le succès durable de la société dogon suppose la coïncidence entre l’objet de la quête des visiteurs et ce qu’ils croient constater au cours de leurs pérégrinations : les Dogon se montrent bien dogon.

241 Anne Doquet cite ici la fille de Marcel Griaule, dans son article Une nature dogon ? L’occultation de l'environnement naturel dans la patrimonialisation du pays dogon, 2005, Patrimoines naturels au Sud, page 401.

242 Avant que la récente crise sahélienne et la double pression sécuritaire (des groupes armés et des gouvernements européens) ne mettent un terme à cette économie touristique aujourd'hui à l’agonie.

Avant de poser la question des mises en scène nécessaires à cette correspondance, il paraît donc important de mesurer les avantages que les interlocuteurs locaux des touristes, des ethnologues ainsi que de nombreuses agences de coopération internationale peuvent trouver à préserver une identité ethnique spécifique aux yeux des étrangers.. [...]

L’anthropologie passionnée qu’a suscitée le peuple dogon et le caractère spéculatif de certains de ses écrits ont été discutés par différents chercheurs. Représentant du courant de l’anthropologie dynamique à l’aube des décolonisations, Georges Balandier sera le premier en France à porter un regard critique sur l’œuvre de Griaule. En 1959, il publie dans les Cahiers internationaux de sociologie une critique dense de cette école, lui reprochant entre autres un manque de références aux cadres sociaux objectivement observés, un privilège excessif donné aux aspects les plus ordonnés de la société et l’absence de perspective historique dans les analyses. […] Le principal reproche que lui fait l’anthropologie française est l’idéalisation de la culture à laquelle aboutit une étude où se confondent l’univers mythique et la réalité sociale.

Document 66 : un haut-lieu, une mythologie mondialisée, le pays dogon

(Anne Doquet, Se montrer dogon, Les mises en scène de l'identité ethnique, 2002,

Ethnologies comparées, n° 5)

La construction anthropologique de Griaule a longtemps masqué la réalité d’une géographie paysanne et l’inscription territoriale historiquement variable des Dogon, tantôt repliés sur les abris de la falaise et fuyant les raids esclavagistes de leurs voisins africains, tantôt s’étalant dans la plaine à la faveur des optimums politiques et climatiques. Aujourd'hui, l’inhospitalité apparente du milieu réduit à la falaise par la scénographie touristique cède la place à une perception plus juste de la richesse des terroirs locaux, des pratiques traditionnelles parfois très originales mais aussi très contemporaines de ses acteurs dans le cadre de la décentralisation malienne. Une approche médiale du pays dogon (qui réconcilie les habitants et leur environnement dans une trajection singulière) oblige à intégrer ces éléments contradictoires et convergents. Loin de la falaise, Bandiagara, en accueillant la Mission culturelle du classement Unesco, puis un grand festival culturel et artistique annuel, se positionne en capitale touristique régionale et d’un réseau touristique moins congestionné, captant et diffusant le capital culturel accumulé initialement à Sangha. L’entrée spectaculaire du pays dogon dans la bibliothèque mondiale a des effets saisissants dans le territoire en question. Mais ces effets jouent aussi à l’échelle du Mali tout entier. Population animiste à la réputation un peu inquiétante, installée dans une zone refuge, les Dogons ne bénéficiaient pas d’une grande considération au sein de la société malienne. Le processus décrit plus haut permet la réduction des préjugés et la valorisation de cette culture auprès des autres Maliens, y compris lorsque ceux-ci sont touristes dans leur propre pays. Autonomisé par la décentralisation malienne, le nouveau pays dogon traverse un mouvement d’émancipation du cadre posé par les auteurs occidentaux historiques : entrée en écriture de jeunes auteurs (Issa Guindi et Hassan Kansaye, Nous les Dogons, éditions Le Figuier, 2000, Bamako) et développement d’un écotourisme moins étroit. Jusqu’à la crise actuelle, la nouvelle élite locale liée au mythe et au tourisme actualise ainsi l’inscription en haut-lieu par la littératie.

Dans cette recherche de formes semblables, la forêt lacandone constitue une variante plus contemporaine. Brian Gollnick, universitaire nord-américain243, en a 243 http://clas.uiowa.edu/dwllc/spanish-portuguese/people/brian-gollnick

donné une interprétation remarquable dans son Reinventing the Lacandoń,

sulbaltern representations in the rain forest of Chiapas (2008, University of

Arizona Press). Cœur historique de la civilisation maya retourné à la vie sauvage à partir du huitième siècle, la selva lacandona demeure pendant tout le temps de la Conquête une frontière intérieure du Nouveau monde espagnol, puis de l’indépendance du Mexique aux années 1960, elle devient une frontière méridionale : refuge d’Indiens isolés refusant la sujétion, « carrière » de bois tropical (le temps d’un boom) et réservoir archéologique pré-colombien et proto- touristique pour Occidentaux. À partir de 1924, un révolutionnaire allemand exilé au Mexique écrit (sous le pseudonyme de Bruno Traven244) des romans à succès qui font entrer le Chiapas dans plusieurs bibliothèque nationales (Allemagne, États-Unis, Mexique, France) des années trente aux années cinquante. L'œuvre connaît un succès étonnant construit sur un mythe révolutionnaire forestier pourtant vide à l’époque de toute réalité historique et factuelle. Tout en affirmant le contraire à ses éditeurs allemands, Traven se place clairement dans le registre de l’invention politico-littéraire. À partir des années soixante, la forêt réelle est mangée sous tous les fronts : afflux des indigènes appauvris depuis les hautes terres chiapanèques, front de colonisation officiel du gouvernement mexicain, renouveau de l’économie forestière, puis démarrage de l’exploitation pétrolière, arrivée massive des réfugiés de la guerre civile guatémaltèque (Lobato, 1997). La forêt lacandone connaît une révolution humaine et paysagère qui amène dans les années quatre-vingt des intellectuels mexicains et occidentaux à internationaliser la question de sa conservation (c’est la plus grande forêt pluviale d’Amérique centrale) dans une perspective de bien commun de l’humanité. Dans le même temps, les contradictions de la société mexicaine se sont accentuées, un certain nombre de militants radicaux des années soixante-dix s’établissent au Chiapas et préparent avec des militants indigènes ce qui deviendra, dix ans plus tard, l’insurrection zapatiste.

C’est dans le contexte de l’accord de libre-échange245 avec les États-Unis, que la notoriété certaine, mais encore modeste de la forêt lacandone connaît au début de l’année 1994, une exceptionnelle extension. Au terme d’une brève « campagne militaire de publicité » menée par l’Ejército Zapatista de Liberación

Nacional dans la capitale et plusieurs centres urbains du Chiapas, l’activité de

production médiatique s’emballe. Les géographes Pierre-Mathieu Le Bel et Stéphane Guimont Marceau nous disent que le sous-commandant Marcos, celui

que Ramonet (2001) surnomme « cyberguérillero » possède une écriture facile et imagée. Il sait en outre mettre habilement en scène le langage et les formules qui attirent l’attention des médias et de la population. C’est lui qui rédige la majorité des communiqués du mouvement. Ses chroniques sont attendues par le public et retransmises par la radio, la presse écrite et Internet. Marcos a publié divers volumes, surtout des chroniques, des entretiens et des contes. Il conserve par ailleurs des liens privilégiés avec des écrivains et personnalités sympathiques à sa cause (par exemple José Saramago et Manuel Vásquez Montalbán). C’est dans ce cadre qu’il a, semble-t-il, proposé à l’écrivain Paco Ignacio Taibo II de participer à une aventure littéraire quelque peu inusitée. Cette proposition arrivait à point nommé au sein d’une stratégie de communication qui visait à faire connaître la situation des Autochtones du Chiapas, la corruption du système politique mexicain

244 Bibliographie - www.popsubculture.com/pop/bio_project/b_traven.html

Reconnu à la fois comme écrivain allemand et mexicain, il demandera à ce que ses cendres soient dispersées au dessus du Chiapas.

et les pièges du néolibéralisme international. Ainsi est née l’histoire de « Muertos incómodos ». Elle a d’abord été publiée sous forme de feuilleton hebdomadaire dans le quotidien mexicain de gauche, La Jornada, mais a rapidement été reprise par les éditeurs mexicains et étrangers.246

De son vrai nom, Rafael Sebastián Guillén Vicente, le porte-parole de l’EZLN est le fils d’un riche entrepreneur de meubles d’origine espagnole installé à Tampico. Nourri de théologie de la libération dans un collège jésuite, polygraphe diplômé de lettres et de philosophie de l’Université nationale autonome du Mexique, cet ancien militant étudiant et jeune enseignant découvre le Chiapas dès le début des années quatre-vingt. Après l’appel du premier janvier 1994, il rédige un volumineux corpus de textes247, épistolaires souvent, grotesques parfois, politiques toujours et de nombreuses autres productions de tout acabit. On ne saurait trop dire le rôle de l’internet (réticularité et capacité proliférante) et d’une iconographie post-moderne (qui met les rieurs de son côté) dans l’amplification de cette inscription du territoire lacandon au cœur de la bibliothèque mondiale. Nous voyons en cette figure post-moderne un personnage atypique (queer) proche des parcours que nous avons observés dans le premier vingtième siècle irlandais. L’émergence d’un « zapatourisme » d’échelle mondiale alimenté par des personnalités et des militants de la gauche radicale248 semble assurer à l’organisation une part significative de ses revenus, en même temps qu’il protège « touristiquement » la contre-société zapatiste de l’action militaire de l'État mexicain, lui-même lié au tourisme mondial et ainsi entravé dans sa répression devenue médiatiquement difficile : toute répression finit dans la bibliothèque mondiale.

Brian Gollnick, en revenant sur l'œuvre mexicaine de Bruno Traven, observe les effets performatifs de son cycle de six romans, le Cycle de la jungle, qui prend place dans les camps de bûcherons indigènes de la forêt lacandone au temps du

Porfiriato (1876-1911). En Allemagne, il a déjà publié un roman, des nouvelles et

auto-produit un périodique anarchisant Der Ziegelbrenner (Le cuiseur de briques). Acteur de la République des conseils de Bavière (printemps 1919), il fuit la répression politique et arrive à Tampico d’abord, puis à Mexico, après plusieurs années d’errance en Europe. Le Mexique connaît alors (1924) une période de pacification (relative, mais sans rapport avec la violence du début de siècle) d’abord sous la présidence du général Álvaro Obregón, puis sous celle de Lázaro Cárdenas : développement du justicialisme mexicain et de ce qui deviendra le

Partido Revolucionario Institucional. Gollnick montre qu’à Tampico, sous l’effet

(très local) de la promotion des ouvriers du pétrole par le gouvernement, les premiers écrits mexicains de Traven brossent un tableau idyllique et erroné de la situation du pays, à l’image des généreux soldats du Trésor de la Sierra Madre (1927, cinéma 1947). Cette orientation va radicalement changer dans le Cycle de