• Aucun résultat trouvé

à propos de la dimension scalaire et des mobilités

Document 35 chercheur avec iPad

Park Ho-Sang, chercheur au Korean Publishing Research Institute (Séoul) photographiant avec son iPad et à sa demande les documents utilisés lors de notre entretien de restitution.

(F. Barbe, 2012)

Valorisation de l’écrit aux dépens de l’oral, valorisation du monolinguisme aux dépens du multilinguisme, valorisation de la grande culture aux dépens des autres formes d’expression, valorisation des profils scolaires et de la formation initiale aux dépens des autres expériences et modes de développement personnel, valorisation de l’acquis et du reconnu aux dépens de l’innovation et de la marge, du majoritaire aux dépens du minoritaire, du centre aux dépens des périphéries, du contrôlé aux dépens du non-contrôlé. Cette description en forme de provocation pourra paraître sévère et non fondée au lecteur, elle est là pour rappeler qu’il faut enquêter et interpréter sans rester prisonnier de son modèle de référence et peu importe qu’on considère celui-ci comme inaltéré ou en crise. L’éthique de la recherche, c’est aussi décentrer le chercheur de ses normes et usages qu’ils viennent du sens commun ou de la doxa du secteur culturel. Se rendre disponible à la découverte et à la connaissance partagée. S’affranchir de son milieu, de son identité nationale, s’extraire d’une tradition comme le revendique avec énergie Didier Coste dans son Mondial de littérature (2005). Dans la quête de quelque chose, ici la littérature, faut-il entrer par le temps ou par l’espace, par le diachronique ou le synoptique ? Il n’est pas absolument rassurant que le présent

soit absorbé dans les conséquences d’une loi (une « marche des choses ») qui permet de le décrire comme résultat plutôt que comme lieu de délibération et

d’action. En outre l’amplitude historienne exigée de ce « perspectivisme » n’a pas la moindre chance d’être obtenue à l’échelle géographique de la planète, il faudra se rabattre sur une seule tradition, « la nôtre » [...]. Nous voici dans une situation presque pire que celle des philosophes des Lumières pour qui le présent des sauvages incarnait le passé des civilisés.156 Ici une revendication géographique peut venir de n’importe quel point des sciences. Une revendication qui s’oppose à un raisonnement « ego-localiste » (ethnocentrique, c’est-à-dire européocentriste dans notre cas). Si le présent est ou va vers l’uniformisation, alors il faut rechercher la diversité dans le passé, mais cette diversité du passé n’est pas maîtrisable du fait de la surabondance, donc la solution est de se spécialiser dans un passé (le sien) et d’en déduire une centralité d’échelle mondiale. En faisant l’hypothèse que les rattrapages technologiques sont courts à l’échelle de l’histoire humaine, ainsi les inventions séparées de l’écriture n’ont couvert que deux ou

trois millénaires entre une humanité planétairement illettrée et une humanité planétairement lettrée, Coste semble montrer que l’impression d’uniformisation du

monde vient surtout de ces décalages spatio-temporels. Son conseil aux jeunes chercheurs en littérature comparée en devient alors très clair : il s’agit en somme

de se défamiliariser soi-même, de déplacer expérimentalement son attention et son point de vue par rapport à ce que l’école nous fait tenir pour des acquis de la science. […] Il nous faut nous mettre surtout ailleurs, là où ça ne nous regarde pas, pour nous regarder nous-mêmes.

Le chercheur doit dire son étonnement et son plaisir à voir autant de non- géographes se saisir des catégories de la géographie. Au terme de ce parcours, il

doit être clair, en dépit de toutes les contradictions et de toutes les insuffisances des approches considérées, que la réémergence de la notion de littérature mondiale n’est pas un gadget ou un produit dérivé du supershow de la mondialisation. [...] Si donc le Mondial de littérature doit avoir lieu, reste la question de décider où. Je ne voterais ni pour Paris ni pour New York, c’est sûr. Souhaitons qu’il ait lieu un peu partout dans le monde, que son effet d’annonce ne dépasse pas l’initiative des joueurs, et que les droits de diffusion ne soient pas achetés en bloc par une seule multinationale du divertissement.157 Nous voyons une exigence se substituer à la reproduction naïve du même. La mise en application concrète de cette politique de la science s’inscrit dans une éthique, car chercher l’ailleurs faisait déjà partie prenante du projet colonial et de cet inventaire scientifique du monde qui a souvent mal tourné. Christian Grataloup en a figuré l’organisation européocentrique – document 36. C’est donc en respectant certaines règles du jeu scientifique qu’un savoir géographique universel est possible. Sinon, il n’est que l’élargissement spatial d’une pensée localisée. Une livraison particulièrement nourricière de L’Information Géographique (2010) s’est intéressée au retour du terrain en géographie. Dans l’éditorial, Denis Retaillé met en scène le terrain comme une solution, un « coin » à enfoncer dans le débat récurrent « d’une définition [de la géographie] par l’objet ou par la méthode ». Ce

coin pourrait être le « terrain » dont il est question dans cette livraison : il est objet (et comment !), démarche (au sens propre) et méthode (dans ses conséquences). On appellera « didactique » ce coin qui ouvre à toutes les obligations du chercheur, de l’enseignant ou de l’apprenti, cela jusqu’à l’éthique en passant par la rigueur du traitement, et qui devrait donc se retrouver dans tous

156 Didier Coste, Le Mondial de littérature, Acta Fabula, Automne 2005/3 – pages 22 à 24 pour les 4 extraits à suivre – www.fabula.org/revue/document1096.php

les moments de l’apprentissage, au moins à l’équivalent des heures d’écran.158