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Google books , utopie versus dystopie

de la géographie vécue aux politiques publiques

Document 18 Google books , utopie versus dystopie

Dessin Hector de la Vallée, droits réservés.

(Lecteurs sous surveillance, Anne-Claire Norot, Les Inrockuptibles, numéro 717, 25 août 2009.)

Comment les acteurs mènent aux politiques publiques

Une politique de lecture-écriture peut se construire à l’échelle individuelle. Il s’agit de stratégie individuelle. Dans le cas de Marc Vayer, alias « MC Marco », nous avons affaire à un grand lecteur, graphiste et illustrateur, cinéphile, curieux des nouvelles technologies qui, par ailleurs, enseigne les arts appliqués dans un lycée public et est investi dans plusieurs formes associatives. Nous voyons là un acteur non ordinaire en ce sens qu’il apparaît surinvesti dans la littératie, dans les deux ordres de la diversité et de la masse, et qu’il a statut de formateur. Ayant reçu de lui, sans l’avoir demandée, sa « constellation des moyens » – document 19 – qu’il met à jour ultérieurement, nous l’examinons et observons comment cet acteur non ordinaire construit dans cette figure un référentiel numérique (qu’il nomme lui-même la constellation des moyens) de ses activités sur trois axes de vie (privé, associatif et professionnel). Il s’agit, selon nous, d’une représentation publique et partielle de sa bibliothèque numérique personnelle, et plus exactement la partie publique de sa bibliothèque numérique personnelle en ligne. Elle possède une spatialisation spécifique et produit des effets de type géographique. Elle n’annule nullement la dimension locale, la dimension-habitant, celle de la maison, celle de l’atelier, qui s’est dotée des outils numériques nécessaires, et celle de l’établissement professionnel avec ses cohortes d’étudiants eux-mêmes très « numériques », mais elle est mobile,. Les ressources sont consultables de tout lieu relié à l’internet par des tiers informés ou de hasard. Tous les actes posés dans cette constellation ont une échelle locale et correspondent bien à une action

locale), mais leur mise en œuvre montre des liens effectivement mobilisables qui la dépassent – ubiquité.

Document 19 : « constellation des moyens », une figuration de la bibliothèque numérique en ligne

(Marc Vayer, 2011)

déplacement de la bibliothèque physique (le numérique a sa physique) chez les hébergeurs dits gratuits (car fondé sur l’économie de la métatextualité, celle des données de consultation, évoquée précédemment). Certes, l’unité centrale locale continue de stocker l’essentiel des documents, il s’agit pour l’instant de doublons réorganisés dans un but de publicité (au sens de porter à la connaissance de) au cours d’une ré-écriture. Quelquefois, le sens du travail est inversé ou plus complexe, stockage brut sur le web, ré-écriture sur l’unité centrale locale, ré-envoi vers le web. Nous observons également que les dimensions privée, associative et professionnelle semblent se chevaucher sur certains points de la constellation, ou, en tous cas, ne sont pas séparés de manière étanche. Il ne s’agit plus tout à fait de publication en ligne, mais déjà d’une archive en ligne (et donc proactive par définition), avant d’être complétement un ensemble de ressources stockées en ligne et pourquoi pas, nul ne peut prédire l’avenir, un cloud computing généralisé,

l’infonuagique76 du Grand dictionnaire terminologique du Québec.

Comment synthétiser un espace sans point central et saturé de liens ? Si cette constellation des moyens est remarquable par la quantité et la diversité de documents qu’elle met à disposition dans une ré-écriture singulière, elle ne présente pour nous que des différences de degré et non de nature avec des constellations débutantes, creuses ou chaotiques. En effet, le point commun, c’est une distanciation et une institutionnalisation des documents ainsi traités, qui sont échangés pour la plupart de manière « anonyme » ou plutôt « automatique ». Nous pouvons avoir le sentiment a) que MC Marco se démultiplie par le déportement d’une partie significative et régulièrement actualisée de sa bibliothèque sur l’internet b) que sa présence acquiert un sens nouveau par cette forme d’auto- édition et contribue à développer une identité virtuelle qui peut-être s’incarne dans le pseudo « MC Marco » et une certaine extimité 77 de Marc vayer c) que l’échange physique direct (le face à face) n’est plus nécessaire, en théorie, à un échange dense d’informations. Cette analyse doit être répétée pour chaque acteur présent sur l’internet et possédant lui aussi une constellation des moyens. Nous en inférons que l’outil n’annule pas la dimension locale, mais qu’il créé une nouvelle dimension dans la circulation et le statut de l’information. Il est un multiplicateur et un accélérateur (y compris de son propre émetteur) à composante scalaire. Nous pouvons faire l’hypothèse que cette nouvelle dimension est corrélée à des propriétés géographiques de mobilité importantes. C’est le cas pour notre acteur dans le cadre de sa stratégie individuelle et de sa politique-habitant à forte mobilité. Il y a là un champ d’investigation important : en quoi la virtualité modifie-t-elle les référentiels géographiques ordinaires ?

Des acteurs collectifs ont aussi des stratégies de littératie. Ce qu’on appelle en France, le mouvement des ateliers d’écriture prend place dans une histoire certes mondiale (les creative writing workshops des universités anglo-saxonnes), mais aussi nationale et plus longue : le vingtième siècle français tout entier est concerné. À défaut d’être des politiques publiques au plein sens du terme, ce que 76 Dans le monde informatique, le nuage (cloud en anglais) est l’image généralement utilisée pour symboliser graphiquement Internet. L’infonuagique, c’est en fait l’informatique vue comme un service et externalisée par l’intermédiaire d’Internet. [...] Les ressources informatiques mises en commun et rendues ainsi disponibles à distance peuvent être, entre autres, des logiciels, de l’espace de stockage et des serveurs. (création, 2009)

77 Selon la définition du psychiatre Serge Tisseron, « le désir de rendre visibles certains aspects de soi jusque là considérés comme relevant de l'intimité ». Ici, la frontière entre l'artiste, le travailler et l’habitant est poreuse, illustrant au moins les deux vérités du travail.

le sociologue Bernard Pudal (1998) appelle des « offres d’écriture » constitue une politique mixte où des individus, des associations et des collectivités ou des institutions publiques collaborent pour développer des pratiques d’écriture inédites. Ainsi la pédagogie Freinet fondée sur une stratégie de littératie particulièrement innovante à l’époque de sa création, l’imprimerie et le journal de classe, s’inscrit dans une dimension collective et institutionnelle. Mais avant cela,

lors des Expositions Universelles de 1889 et de 1900, le Ministère demande aux instituteurs d’écrire des monographies de leur village. Plusieurs centaines répondront à ces offres d’écriture pour lesquelles, afin de les aider, on leur fournira des plans-type.78 Les Écoles normales, les séminaires et les écoles du Parti communiste présentent selon Pudal des similitudes dans l’organisation d’une offre d’écriture structurée (dans le cas du PCF, les biographies que les militants en formation doivent rédiger pour la commission des cadres) fondée sur l’exploitation « d’un rapport dominé à la culture » : éloge d’une culture commune normative et dénonciation de ceux qui se prennent pour des « savants ». Cette offre d’écriture de la période 1880-1940 se transforme pendant l’après-guerre parce que la massification scolaire généralise la disposition scolastique largement fondée sur l’accès direct à la littérature. 68 est le moment où naît en France, avec le travail précurseur d’Elizabeth Bing, le mouvement des ateliers d’écriture. Alors que les institutions de la période précédente posaient l’acte d’écrire comme une partie du « nous », l’atelier d’écriture institue le « je », un déplacement qui interroge Bernard Pudal, car l’opposition ’’nous-je’’ demande à être expliquée alors qu’elle

est le plus souvent vécue comme évidemment explicative.

Pour fonder une politique publique consistante, un État doit se doter à la fois d’objectifs et d’outils de connaissance et d’évaluation. La création au début des années 1960 du Service d’étude et de recherche du Ministère français de la Culture permet aujourd’hui de faire retour sur quarante années d’histoire culturelle à travers cinq enquêtes dédiées aux pratiques culturelles (1973, 1981, 1989, 1997 et 2008). La création de statistiques fait partie de la recherche en littératie et le sociologue Olivier Donnat propose une synthèse de ce travail dans Pratiques

culturelles, 1973-2008, dynamiques générationnelles et pesanteurs sociales

(2011). Le chercheur le fait avec beaucoup de précautions. Lorsqu’il note que la proportions de lecteurs en contexte privé (hors école et travail) n’a pas augmenté en France sur la période alors qu’il y a eu une forte élévation du niveau de diplôme, il fait observer « qu’il serait bien imprudent de conclure, sur la base de ce seul constat, que les Français lisent moins79 ». Il pointe des mutations symboliques, facteurs de sous-estimation et sous-déclaration, et l’absence de données sur les lectures en milieu professionnel et celles non livresques sur le web. Néanmoins, il se dégage des évolutions marquées sur certains points : un effet de ciseaux remarquable (baisse des lecteurs, hausse des lectrices) montre une nette féminisation de la lecture à partir de 1988 (les femmes ouvrières sont même la seule catégorie constamment à la hausse de 1973 à 2009). Les femmes ont

aujourd’hui un engagement plus fort dans le monde du livre que les hommes dans tous les milieux sociaux, à la fois parce qu’elles sont plus nombreuses à lire quand elles sont jeunes et qu’elles résistent mieux à la diminution du rythme de lecture qui accompagne l’avancée en âge.80 La connaissance professionnelle que nous 78 Bernard Pudal, Quelques remarques sur l’histoire des offres d’écriture, Actes de lecture 1998/61, association française pour la Lecture, page 69 et suivantes pour les autres citations du paragraphe. 79 Olivier Donnat, Pratiques culturelles, 1973-2008, dynamiques générationnelles et pesanteurs sociales, in Culture études, 2011/7, DEPS Ministère de la Culture, page 4.

avons du milieu des ateliers d’écriture sur une période de plus de dix ans montre également une très grande féminisation de cette pratique tant chez les participantes que chez les animatrices, qui n’est pas sans effet sur les directions de travail et l’exclusion relative de certaines thématiques (comme l’espace et surtout le politique qui seraient davantage masculinisés). Ces statistiques n’ont de sens que celui qu’on leur prête par rapport à une politique donnée : Augustin Girard (1926- 2009), « fonctionnaire-militant » est l’inventeur de la prospective culturelle en France. La ré-édition, à l’occasion de sa mort, d’un certain nombre de ses écrits par le ministère de la Culture montre comment une institution peut développer une et des politiques publiques. Très didactique, parce que fondateur, le document 20 montre d’une part l’inscription de la Culture dans le Plan, tout en proposant une méthodologie, les deux décrivant assurément l’aménagement culturel.

La réponse doit être cherchée, non dans l’appréciation subjective, mais dans l’observation scientifique et objective : l’enquête par sondage auprès du public. Toutefois, l’évaluation ainsi faite ne constitue pas, à proprement parler, une prévision, ni une demande réelle ; elle n’a pas de valeur objective et ne saurait être prise à la lettre. Elle permet simplement de prendre conscience de l’ampleur des phénomènes à attendre ainsi que des conditions les plus apparentes de la demande future. De plus, simple extrapolation, elle doit être complétée […] par cinq autres [modalités] d’évaluation des besoins. La première est l’enquête auprès des experts, des fonctionnaires spécialisés (inspecteurs régionaux de la jeunesse, du tourisme, etc.) et des élus locaux. Ceux-ci en savent souvent plus long que le plus habile sociologue après une vaste enquête. Leur concours est indispensable. Plus tournée vers l’avenir est la deuxième sorte d’enquête, qui doit être menée auprès des « leaders d’opinion », dirigeants et militants des associations qui œuvrent dans le domaine. Plus profonde est l’enquête qualitative, qui est menée par interviews non directives auprès de quelques échantillons typiques de la population : on en obtiendra les tendances qui cherchent à se satisfaire à long terme. Très efficaces, les

comparaisons internationales, qui permettent de discerner les niveaux de loisirs auxquels

correspondent divers seuils atteints dans les niveaux de vie, fournissent également des hypothèses d’évolution des besoins. Enfin, la démarche prospective, qui consiste à imaginer quelles sont les principales données de la vie économique et sociale du pays à un « horizon » donné, conduit à diverses propositions pour une politique des loisirs.

Le but de la démarche prospective n’est pas de dresser un tableau cohérent de la société « vingt ans après », ce qui est impossible, mais de retenir ce qui paraît commun à toutes les hypothèses possibles. […] Les six méthodes se compensent pour atténuer le caractère mécanique de l’extrapolation. Elles permettent de prendre en considération les tendances nouvelles qui commencent à se faire jour et qui sont perçues par les « relais » locaux. Elles introduisent enfin dans la prévision des préoccupations normatives qui sont inévitables et indispensables.

Il reste évident en effet qu’on ne saurait passer directement de l’information à la décision et que ce sont les systèmes de valeurs qui doivent commander la définition des objectifs et présider à la préparation des décisions.