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Les SDIS sont confrontés à une forte contrainte entre la stabilité de leurs effectifs globaux et l’accroissement continu des sollicitations opérationnelles dont ils sont l’objet, qui est essentiellement imputable au secours d’urgence à personne (SUAP - cf. supra, dans le chapitre I, le

136 En ce sens, voir l’évolution récente du régime applicable aux personnels des groupements d’avions et d’hélicoptères de la sécurité civile ou bien l’orientation prise par la DGSCGC concernant les sapeurs-pompiers sous double statut en fonctions dans les SDIS.

point II.C.2). En effet, la part du SUAP dans la durée totale des interventions des services départementaux d’incendie et de secours est passée de 57 % en 2012 à 63 % en 2017. Les quelque 3,9 millions de sorties réalisées en 2017 au titre de cette mission ont représenté près de 84 % du nombre total des interventions des SDIS137, contre 7 % pour les interventions relevant de la lutte contre les incendies. Cette évolution n’est pas durablement soutenable.

1 - Le système a atteint ses limites opérationnelles

Dans son rapport public annuel pour 2004, la Cour avait déjà souligné la nécessité d’améliorer la coordination entre les SDIS et les SAMU en matière de secours d’urgence à personne. Les conclusions sur le suivi de ces observations ont été publiées dans le chapitre du rapport public annuel pour 2007 traitant des urgences médicales.

Un arrêté intérieur-santé du 24 avril 2009 met en œuvre le référentiel commun sur l’organisation du secours à personne et de l’aide médicale urgente. La circulaire intérieur-santé du 5 juin 2015 relative à l’application de cet arrêté a marqué un progrès dans la définition du périmètre de la mission de secours d’urgence aux personnes et de ses conditions d’exercice par les services d’incendie et de secours en collaboration avec les SAMU. Le référentiel y a été réaffirmé comme le cadre commun d’organisation de cette mission en tout lieu, sans exception.

Ses grands principes (le « départ réflexe », la réponse graduée, les bilans simplifiés) ont été confirmés et des clarifications sont apportées.

À la suite des recommandations formulées par l’IGAS et l’IGA dans un rapport commun de juin 2014 portant évaluation de l’application du référentiel commun, la direction générale de l’offre de soins et la DGSCGC ont élaboré conjointement une « feuille de route santé-intérieur » dont l’axe 1 est relatif à la clarification des missions et à la coopération des acteurs mobilisables dans ce domaine. C’est ainsi que, comme tout infirmier diplômé d’État, un infirmier sapeur-pompier (ISP) peut, avant l’intervention d’un médecin et sous certaines conditions, initier des protocoles infirmiers de soins d’urgence (PISU) en raison du

137 Source InfoSdis, édition 2018. Les sorties effectuées au titre du SUAP représentaient 54 % des interventions en 1988.

bénéfice attendu pour le patient d’une réponse urgente et formalisée jusqu’à l’intervention d’un médecin138.

En 2016, la mission commune d’information du Sénat sur l’évolution de l’activité des SDIS en matière de secours à personne139 a dressé, au terme de ses auditions et de ses déplacements, un bilan mitigé de l’application de ce référentiel commun, en mettant en évidence plusieurs dysfonctionnements. Elle a proposé dix mesures pour améliorer la coordination des acteurs du secours, optimiser les moyens des SDIS et planifier plus efficacement les risques. Cependant, très peu ont été effectivement mises en œuvre. C’est ainsi que la mutualisation physique des plateformes d’appel « 15/18 », mesure pourtant fondamentale, reste encore aujourd’hui minoritaire. Une quinzaine de SDIS seulement ont créé une plateforme commune avec le SAMU. Avec la construction d’un bâtiment commun, le SDIS de l’Ain a poussé plus loin sa coopération avec le SAMU140.

2 - Des solutions efficientes restent à trouver

La multiplicité des numéros d’appel d’urgence plaide pour l’interfaçage des plateformes d’urgence. Le décret portant création de l’agence du numérique de la sécurité civile (ANSC), publié le 8 octobre 2018, prévoit des possibilités d’interopérabilité entre les différents dispositifs d’appel d’urgence (15, 17, 18). Le ministère chargé de la santé sera associé à ces travaux par le biais notamment de sa représentation au conseil d’administration de l’agence. Il importe maintenant que ces possibilités d’interopérabilité, dont la mise en place d’un numéro unique141, se concrétisent rapidement.

La croissance de leurs interventions en matière de secours à personne pèse financièrement sur les SDIS ainsi que sur les départements et « le bloc communal » qui contribuent à leur financement : aux coûts de

138Cf. la circulaire interministérielle n° DGOS/R2/DGSCGC/2015/190 du 5 juin 2015 et la note d’information n° DGOS/R2/2016/244 du 22 juillet 2016 relatif aux protocoles infirmiers de soins d’urgence (PISU).

139 Sénat, C. Troendlé et P.-Y. Collombat, Mission commune d’information sur l’évolution de l’activité des SDIS en matière de secours à personnes, 2016.

140 Sur près de 44 000 interventions réalisées en 2017 dans ce département, les

« SUAP » en représentaient environ 33 000, soit 75 %. Le SDIS de l’Ain a précisé à la Cour que, ces dernières années, sa coopération avec le SAMU s’était renforcée grâce à la mise en place, pour la gestion des demandes de secours, d’arbres décisionnels communs permettant de contenir l’évolution de l’activité opérationnelle des deux structures.

141 Le « 112 » remplaçant le 15, le 17 et le 18.

formation non négligeables des personnels et à ceux élevés de sortie et d’assistance aux personnes s’ajoutent les frais d’acquisition de véhicules et d’équipements onéreux. Afin de réduire les coûts financiers liés aux véhicules de secours et d’assistance aux victimes (VSAV), des SDIS ont opté pour une solution technique basée sur le transfert de cellule (la caisse) ; le coût de revient d’une telle opération est ainsi réduit par rapport à l’acquisition d’un véhicule neuf. D’autres utilisent des « véhicules légers infirmiers » (VLI) en complément.

En dépit de mesures expérimentées au niveau local, l’augmentation régulière des missions consacrées au SUAP et leur complexification n’apparaissent pas soutenables à court-moyen terme.

Du fait d’une « sur-sollicitation » des équipages de premier secours mais aussi du personnel œuvrant à la coordination médicale, la question se pose de la possibilité, d’une part, pour les SDIS de contenir une activité en hausse continue et, d’autre part, pour leurs financeurs de continuer à assumer l’essentiel du coût de l’inflation de la demande. Selon le projet annuel de performances pour 2019 du programme 161 du budget de l’État, « les conclusions du rapport conjoint IGA-IGAS sur le secours d’urgence aux personnes permettront en 2019, avec le réseau des services d’incendie et de secours, de mener les travaux nécessaires en la matière, tant en termes de pilotage de ces missions que de doctrine, et en lien avec l’ensemble des acteurs concernés ». Le directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises, responsable du programme, fait ici référence à un récent rapport d’inspection qui a notamment identifié quatre scénarios d’évolution de la réception et du traitement des appels d’urgence après avoir analysé les exemples européens142. La direction générale de l’offre de soins (DGOS) et la DGSGC, en s’appuyant sur le travail des inspections, ont identifié cinq premières mesures prioritaires à mettre en œuvre par les deux ministères143. Au-delà de ces mesures, le ministère des solidarités et de la santé a précisé que « une attention particulière [serait] accordée au renforcement de la démarche qualité et de gestion des risques dans les SAMU-centres 15, à la réforme du

142 Évaluation de la mise en œuvre du référentiel du secours d’urgence à personne et de l’aide médicale urgente et propositions d’évolutions, rapport conjoint de l’IGA et de l’IGAS, tomes I et II, octobre 2018.

143 Les cinq mesures consistent à : tendre vers la généralisation des coordonnateurs ambulanciers au sein des SAMU ; réduire l’attente des sapeurs-pompiers au sein des services d’urgence ; permettre aux SDIS d’effectuer des interventions à la demande du SAMU à 2 sapeurs-pompiers ; mettre en place et dynamiser la concertation entre les SDIS, les SAMU et les agences régionales de santé ; se tenir mutuellement informés des évolutions de moyens en place sur le territoire, notamment en ce qui concerne l’évolution de la cartographie hospitalière.

transport sanitaire urgent et à la clarification des missions de secours d’urgence à personnes (SUAP) et de l’aide médicale urgente (AMU) ». Il a indiqué que la question du « numéro unique » ferait l’objet de travaux complémentaires. En outre, il a été convenu, au niveau national, d’entreprendre la réécriture du référentiel SUAP-AMU du 25 juin 2008 au fur et à mesure des travaux et de leurs avancées.

La Cour constate que le « SUAP », dont relevaient 54 % des 3,4 millions d’interventions réalisées en 1988, en représente 84 % trente ans plus tard. La tendance n’est donc pas nouvelle et devrait se prolonger.

L’ensemble des facteurs évoqués supra, le vieillissement de la population et l’accroissement des risques (attentats, évènements météorologiques extrêmes) devraient en effet se traduire mécaniquement par un surplus d’interventions.

Aussi, pour les années à venir, la Cour recommande que, dans un souci d’efficience, il soit procédé à une revue des missions des services d’incendie et de secours, en particulier en ce qui concerne la place du secours à personne : quelle stratégie, quelles solutions, quels outils concevoir144 ? Quels emplois et quelles compétences prévoir ? Cet exercice de clarification de l’étendue des missions propres des SDIS n’est pas exclusif, d’une part, d’un réexamen interministériel, en lien avec le ministère de la santé, du cadre normatif défini en 1986 et du « référentiel commun », d’autre part, du développement de la réponse paramédicale, voire d’un éventuel élargissement des compétences des sapeurs-pompiers vers des gestes considérés aujourd’hui comme médicaux, permettant des interventions plus souples et rapides des services de santé des SDIS.

La Cour souligne enfin que la récente confirmation, par la CJUE, de l’applicabilité aux SPV de la directive du 4 novembre 2003 sur le temps de travail, rend cette revue des missions urgente. En toute hypothèse il importe qu’elle soit conduite en cohérence avec l’exercice que le Gouvernement a prévu de conduire par ailleurs, de mise en conformité avec le droit européen de l’organisation du temps de travail des personnels de la sécurité civile.

144 Les questions apparaissent diverses : Comment contenir cette activité ? Faut-il se concentrer sur les interventions relevant de l’urgence et fixer un seuil d’acceptabilité du temps d’activité opérationnelle pour le « secours à personne » ? Comment conserver un niveau de réponse opérationnelle optimum ? Est-il possible d’améliorer la fluidité des opérations de secours ? Quelle remise à jour du modèle d’organisation, des moyens et de la régulation médicale faut-il prévoir ?

__________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS _________

Les organisations du temps de travail des différents personnels de la sécurité civile se révèlent variées et peu cohérentes. Elles dérogent souvent aux règles de droit commun. L’obligation de mener une réflexion sur la comptabilité de ces organisations avec les normes européennes offre l’occasion de les optimiser.

Cet exercice doit s’accompagner d’une revue des missions des services départementaux d’incendie et de secours. En effet, l’augmentation régulière des interventions consacrées au secours d’urgence à personne et leur complexification n’apparaissent pas soutenables au regard des moyens que les collectivités territoriales peuvent durablement consacrer au financement des SDIS.

Compte tenu de ces éléments, la Cour formule les recommandations suivantes :

7. inviter les préfets à subordonner la validation des règlements opérationnels à la démonstration que le temps de travail qui en résulte, le cas échéant après prise en compte des durées d’équivalence, est conforme à la durée légale [État] ;

8. adopter un plan de mise en conformité de l’organisation du temps d’activité des sapeurs-pompiers volontaires avec le droit européen et mieux encadrer les activités et le temps de repos des sapeurs-pompiers sous « double statut » (SPP/SPV) [État et SDIS] ;

9. procéder à une revue des missions des services d’incendie et de secours, en ce qui concerne en particulier le secours d’urgence à personne [État et SDIS].