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L'objet de l'étude, hypothèse de départ et méthode

Il y a deux raisons pour lesquelles nous nous sommes engagés dans une étude critique de l'antidumping en droit turc pour ce projet de doctorat. Premièrement, il s'agit d'un sujet peu étudié jusqu'à maintenant. D'après ce que nous savons, notre travail représente la première étude approfondie du droit antidumping turc. Deuxièmement, parce que nous soutenons que le temps est venu de réformer le droit turc en matière d'antidumping. Il s'agit d'un système adopté en 1989, révisé d'une certaine façon en 1999, mais qui, à plusieurs égards, a besoin d'être revu et réformé afin de mieux servir son objectif, à savoir la protection des industries turques des effets dommageables des importations faisant l'objet d'un dumping. Ceci constitue également l'hypothèse de départ de notre étude.

Vu ces deux raisons derrière notre choix de sujet, notre travail a deux objectifs principaux. Premièrement, puisqu'il s'agit de la première étude approfondie du droit antidumping turc, nous étudierons ce droit et expliquerons, en détail, comment il fonctionne. Deuxièmement, nous évaluerons ce droit d'un point de vue critique pour savoir s'il contient des incohérences internes, ou bien des incohérences avec les obligations internationales assumées par la Turquie. Si nous constatons de telles incohérences, nous proposerons des modifications concrètes. Nous mènerons ces deux évaluations simultanément. C'est-à-dire, en rapport avec chaque aspect du droit antidumping turc que nous étudierons, nous expliquerons les règles pertinentes et ensuite discuterons la compatibilité de ces règles avec d'autres règles en droit turc ou, plus important encore, avec les obligations internationales de la Turquie.

En ce qui concerne l'étendue de notre étude, il faut souligner encore deux choses. Premièrement, par l'expression « le droit antidumping turc », nous nous référons non seulement à la Législation antidumping turque, mais aussi à la pratique de l'AE. Ainsi, le cas échéant, nous discuterons la compatibilité de la pratique de l'AE avec la Législation nationale et/ou les règles internationales pertinentes. À notre avis, la pratique d'une AE est un aspect indispensable de l'étude du système antidumping de n'importe quel pays. Souvent, on ne peut discerner le sens d'une certaine disposition qu'après avoir examiné sa mise en œuvre par l'AE. Sans examiner la pratique de l'AE, notre étude serait incomplète. Deuxièmement, notre étude comportera également une évaluation du cadre institutionnel du système antidumping turc, ainsi qu'une évaluation de la révision judiciaire des constatations faites par l'AE.

Quelles sont les règles internationales de référence par rapport auxquelles nous examinerons la compatibilité avec le droit antidumping turc ? Ce sont celles de l'OMC, plus précisément l'Accord antidumping. À proprement parler, notre travail ne représente pas une étude comparative du droit turc et du droit de l'OMC. Pourtant, nous devons traiter les règles de l'OMC comme critère d'évaluation parce que la Turquie, comme d'autres membres de l'OMC, a l’obligation d'assurer la cohérence de sa Législation antidumping avec les règles de l'OMC, et de s'abstenir de s'engager dans des pratiques incompatibles aves lesdites règles. Ne pas procéder ainsi peut mener à des plaintes contre la Turquie au sein de l'OMC, et peut perturber la pratique antidumping du pays.

Soulignons que le fait que nous étudierons le droit antidumping turc à la lumière des règles de l'OMC ne signifie rien concernant la place de ces règles comme source dudit droit au niveau interne. Même si l'AE turque et les tribunaux turcs chargés de réviser les constatations de l'AE ne sont pas tenus de traiter les règles de l'OMC comme contraignantes, au cas où il y aurait une procédure de règlement de différends contre la Turquie à l'OMC, l'évaluation juridique par les organes de l'OMC sera basée uniquement sur les règles de l'OMC. C'est pour cette raison que nous prendrons les règles de l'OMC comme critère dans notre évaluation du droit antidumping turc. Ajoutons également que, s'il y a une jurisprudence de l'OMC interprétant une certaine disposition de l'Accord antidumping, nous nous référerons également à cette jurisprudence dans nos explications d'une telle disposition.

Il est important de souligner à ce stade que le fait que nous prenons le droit de l'OMC comme norme de comparaison dans notre étude du droit antidumping turc ne signifie pas que nous sommes d'accord avec tous les aspects de ce droit. Cela est surtout le cas en ce qui concerne la jurisprudence de l'OMC. Nous sommes conscients qu'il y a une grande littérature critiquant cette jurisprudence de plusieurs points de vue. La seule raison pour laquelle nous nous basons sur le droit de l'OMC dans notre analyse du droit turc est que la Turquie est dans l'obligation d'assurer la compatibilité de son droit et de sa pratique avec le droit de l'OMC.

En suivant la méthode décrite ci-dessus, nous organiserons notre étude en trois parties. Dans la partie I, nous donnerons un panorama du droit antidumping turc. Dans ce contexte, nous identifierons les liens de l'antidumping avec d'autres domaines du droit turc. Plus particulièrement, nous discuterons la place de l'antidumping en ce qui concerne la distinction entre le droit privé et public, ainsi que le droit interne et international. Ensuite, nous identifierons les liens de l'antidumping avec le droit de la concurrence déloyale et le droit de

la concurrence, et aborderons la question de savoir si la pratique du dumping peut faire l'objet de ces deux autres domaines. Un autre aspect important de cette question réside dans les répercussions potentielles au niveau de l'OMC d'accorder à des parties plaignantes une voie de recours sous le droit de la concurrence déloyale ou le droit de la concurrence contre la pratique de dumping, ce que nous discutons également dans ce contexte.

Un examen juridique d'un certain domaine du droit nécessite tout d'abord l'identification des sources dudit domaine. Ainsi, dans la partie I, nous ferons cette identification. Ce qui rend l'antidumping unique à ce propos est l'existence de deux sources principales, à savoir l'Accord antidumping et la Législation nationale. Nous discuterons la relation entre les instruments juridiques émanant de ces deux sources principales. Comme il y a d'autres sources du droit antidumping, telles que les accords bilatéraux signés par la Turquie, la jurisprudence – tant de l'OMC que de la justice turque- et la doctrine, nous expliquerons également l'ordre hiérarchique parmi ces différentes sources. Un autre aspect que nous aborderons, qui est propre à la Turquie, concerne l'existence de multiples instruments juridiques dans la Législation nationale. Nous étudierons l'utilité d'une telle structure fragmentée en ce qui concerne les sources du droit antidumping turc et proposerons un amendement significatif à ce propos.

Le troisième aspect de la partie I sera consacré à l'AE turque. Dans ce contexte, nous expliquerons la place de l'AE dans l'administration ainsi que le processus de prise de décision dans les procédures antidumping. En ce qui concerne la place de l'AE, nous discuterons l'utilité de la situation actuelle et aborderons d'autres possibilités qui puissent mener à une meilleure utilisation de ressources. S'agissant du processus de prise de décision, nous identifierons les problèmes actuels et proposerons des moyens pour les éliminer.

Après l'évaluation des aspects généraux du droit antidumping turc, nous procéderons à une évaluation des règles concernant la conduite des enquêtes antidumping. À cette fin, nous discuterons les aspects substantiels dans la partie II et les aspects procéduraux dans la partie III de notre étude. Soulignons que dans ces deux parties, nous nous référerons très souvent à la pratique de l'AE en plus d'une évaluation des règles pertinentes de la Législation. La partie II commencera avec une étude de l'étendue de l'enquête, comportant la définition du produit similaire et de la branche de production nationale. Suivront nos explications sur la constatation de dumping. À ce propos, nous aborderons les règles relatives à la détermination de la valeur normale, du prix à l'exportation ainsi que la comparaison des deux. Nous

accorderons une attention particulière, entre autres, à l'application par l'AE du test d'opérations commerciales normales dans le processus de la détermination de la valeur normale, au concept de traitement individuel dans le contexte de la détermination du prix à l'exportation, et à l'usage par l'AE des différentes méthodes pour la comparaison entre la valeur normale et le prix à l'exportation.

Après la constatation de dumping, nous aborderons la constatation de dommage et de lien de causalité. En ce qui concerne la constatation de dommage, nous discuterons les différents types de dommage, ainsi que les composants principaux d'une constatation de dommage, tels que le volume des importations faisant l'objet d'un dumping, leurs effets sur les prix de la branche de production nationale, et leur incidence sur l'état de ladite branche. Concernant le lien de causalité, nous expliquerons d'abord l'établissement d'un lien de causalité entre les importations faisant l'objet d'un dumping et le dommage subi par la branche de production nationale, suivi du traitement d'autres facteurs qui causent aussi un dommage à ladite branche.

La partie III sera consacrée aux aspects procéduraux de l'enquête antidumping. Dans ce contexte, nous analyserons d'abord le processus de dépôt d'une plainte et de son traitement par l'AE. Nous expliquerons les renseignements qu'un plaignant doit présenter dans sa plainte, l'examen préliminaire par l'AE, et le processus de prise de décision concernant l'initiation d'une enquête. Nous mettrons également l'accent sur le concept de représentativité, et expliquerons pourquoi l'AE doit éviter de le confondre avec la définition de la branche de production nationale. Ensuite, nous discuterons le processus de collecte de renseignements par l'AE et les conséquences de ne pas présenter les renseignements sollicités. Suivront des éclaircissements sur le droit des parties intéressées à une transparence dans le processus d'enquête ainsi que le traitement des renseignements confidentiels. Ensuite, nous aborderons la constatation préliminaire et l'adoption des mesures provisoires ainsi que la constatation finale et l'adoption des mesures définitives.

Un autre aspect important de la partie III sera nos explications sur divers réexamens des mesures définitives, ainsi que d'autres procédures, telle qu'une enquête de remboursement et des procédures anticontournement.

Finalement, la partie III abordera la question de la révision judiciaire des constatations de l'AE par les tribunaux nationaux. Dans ce contexte, nous expliquerons le fondement juridique de cette révision, les tribunaux compétents, les constatations révisables, les parties ayant le

droit de porter plainte etc. Ensuite, nous présenterons une évaluation des procédures de révision judicaire menées jusqu'à présent et discuterons l'efficacité de cette révision. Nous finirons en proposant la création d'un tribunal spécialisé afin d'assurer une révision judiciaire plus efficace.

Lors de notre évaluation de différents aspects du droit antidumping turc dans les trois parties de cette étude, quand nous identifierons des aspects qui sont incompatibles avec les règles pertinentes, nous proposerons une solution. Les solutions que nous proposerons dépendront de l'incompatibilité identifiée. À ce propos, il faut distinguer les problèmes qui concernent uniquement la pratique de l'AE et qui ne découlent pas d'une incompatibilité dans la Législation, et celles qui se rapportent à la Législation. Lorsque nous identifierons une pratique de l'AE qui est incompatible avec la Législation, nous l'identifierons de façon claire et suggérerons qu'elle ne soit pas répétée à l'avenir. Lorsque nous identifierons un aspect de la Législation nationale qui n'est pas conforme aux normes de l'OMC, nous proposerons une modification textuelle. S'il y a une pratique fondée sur une telle disposition erronée, nous proposerons également que ladite pratique ne soit pas répétée à l'avenir. Lorsque nous identifierons certains aspects qui devraient figurer dans la Législation mais qui en sont absents, nous proposerons également de les y ajouter.

À la lumière de tous les problèmes textuels que nous trouverons dans la Législation, nous présenterons, dans l'annexe de cette thèse, un projet de Règlement antidumping que la Turquie pourrait adopter afin d'éliminer ces problèmes. En préparant ce projet de Règlement, nous prendrons comme point de départ la version française du Règlement turc notifiée à l'OMC. La préparation du Règlement sera achevée en quatre étapes. D'abord, nous identifierons les erreurs de traduction dans cette version française, dont certaines que nous identifierons dans notre thèse, et les corrigerons en faisant une comparaison avec la version turque du texte. Ensuite, nous ajouterons au Règlement les aspects de la Loi et/ou du Décret antidumping qui, à notre avis, doivent faire partie du Règlement. Après, nous éliminerons du texte du Règlement actuel les aspects concernant les enquêtes de mesures compensatoires, parce que, comme expliqué dans la partie I de notre étude, nous proposerons la préparation de deux Règlements différents pour les enquêtes antidumping et pour les enquêtes de mesures compensatoires. Finalement, nous ferons les modifications textuelles nécessaires pour éliminer les incompatibilités dans le Règlement que nous identifierons dans cette étude.

Il convient aussi de noter que, dans notre étude, nous identifierons plusieurs chevauchements parmi les trois éléments de la Législation turque, à savoir, la Loi, le Décret et le Règlement, et proposerons de les éliminer. Cependant, comme nous proposerons d'abroger la Loi et le Décret, et de limiter la Législation à un Règlement, le besoin d'éliminer ces chevauchements disparaitra dans une certaine mesure. Pourtant, dans la mesure où il y a des chevauchements entre le Règlement et les dispositions de la Loi ou du Décret que nous ajouterons à notre projet de Règlement, ainsi que parmi les dispositions du Règlement lui-même, nous les éliminerons de notre projet de Règlement.

De même, les modifications que nous proposerons aux textes de la Loi ou du Décret seront reflétées dans le texte de notre projet de Règlement dans la mesure où les dispositions pertinentes de la Loi ou du Décret seront incorporées dans le projet de Règlement.