• Aucun résultat trouvé

Le dumping et le droit de la concurrence

Le droit de la concurrence turc est régi par la Loi sur la concurrence no. 4054. Dans cette section, nous étudierons la question de savoir si cette Loi s'applique à la pratique de dumping. Notons d'emblée que Yılmaz Aslan, expert renommé du droit de la concurrence turque, est d'avis que les pratiques qui font partie du champ d'application de la Loi sur la concurrence sont les ententes et les pratiques concertées entre entreprises, les décisions des associations d'entreprises, les fusions et les acquisitions et abus de position dominante, et qu'ainsi, l'antidumping, régi par une autre loi, reste en dehors.143 Notons cependant que ni la Loi antidumping ni la Loi sur la concurrence ne contiennent de disposition excluant le dumping du champ d'application de cette dernière. Ainsi, en théorie, il serait possible d'appliquer les règles de la concurrence à la pratique de dumping. Dans ce qui suit, nous examinerons le texte de la Loi sur la concurrence à la recherche d'une réponse à cette question.

Dans son article 2, intitulé « portée », la Loi sur la concurrence liste les actes anti- concurrentiels comme suit :

« Accords, pratiques et décisions entre entreprises opérant dans les marchés de biens et de services à l'intérieur de la République de Turquie qui empêchent, faussent ou restreignent la concurrence, ou qui affectent lesdits marchés, et l'abus de position dominante par les entreprises en position dominante sur le marché, et toutes transactions juridiques et toutes pratiques constituant des fusions et acquisitions qui restreindront la concurrence d'une façon significative, et les transactions relatives à des mesures, des constatations, des règlements et des inspections visant à la protection de la concurrence font partie de la portée de la présente loi. »

peut recourir aux dispositions du Code de commerce sur la concurrence déloyale. Lorsque tous, ou presque tous les producteurs nationaux, sont lésés, on aura la possibilité d'une deuxième intervention en raison du dumping, et les autorités auront le pouvoir d'évaluer les avantages d'une telle protection, prenant en considération l'intérêt du pays et d'autres avantages économiques, politiques et commerciaux. Dans une telle situation, on peut parler d'une application simultanée de la Législation antidumping et du Code de commerce turc. » DİRİKKAN Hanife,

Karşılaştırmalı Hukuk Açısından Damping ve Antidamping Önlemler, op.cit., p. 272. Ce point de vue a aussi été

partagé par Sabih Arkan. ARKAN Sabih, Ticarî İşletme Hukuku, op.cit., p. 296.

Ainsi, la Loi sur la concurrence s'applique à trois types de pratiques :

 Accords, pratiques et décisions qui empêchent, faussent ou restreignent la concurrence,

 Abus de position dominante,

 Les fusions et acquisitions qui restreignent la concurrence dans une mesure significative.

Ainsi, le dumping ne fera l'objet des disciplines énoncées dans la Loi sur la concurrence que s'il correspond à l'une de ces trois pratiques. Inutile de dire que le dumping n'a rien à voir avec les fusions et les acquisitions. Dans le cas des importations faisant l'objet d'un dumping, il s'agit d’importations réalisées en conformité avec le contrat de vente entre l'exportateur étranger et l'importateur turc. Les parties à ce contrat de vente peuvent être des personnes physiques ou juridiques. Lorsqu'il s'agit d'un contrat entre entreprises, ce contrat de vente ne change pas le statut juridique des entreprises, c'est-à-dire qu’il ne mène pas à une fusion ou une acquisition.

De la même façon, à première vue, le dumping ne semble pas constituer un abus de position dominante. Pour ouvrir une enquête contre les importations faisant l'objet d'un dumping, il suffit de démontrer que ces importations causent un dommage à la branche de production nationale qui fabrique le produit similaire en Turquie. Même si la part de marché gagnée par les importations faisant l'objet d'un dumping figure parmi les facteurs à considérer dans le cadre d'une constatation de dommage dans une enquête antidumping, l'imposition d'une mesure antidumping n'exige pas que ladite part de marché atteigne un niveau précis.

Cependant, il est utile de discuter si le niveau du prix de dumping peut mener à un abus de position dominante lorsque les acteurs du dumping (l'exportateur étranger et/ou l'importateur turc) ont une position dominante sur le marché turc ou pas. Si, dans une telle situation, le prix de dumping est si bas que l'on peut le caractériser comme étant un prix prédateur, et si les acteurs d'un tel dumping ont une position dominante sur le marché turc du produit concerné, cette pratique serait-elle proscrite par la Loi sur la concurrence ? Autrement dit, est-ce que l'application d'un prix prédateur est parmi les actes constituant un abus de position dominante selon la Loi sur la concurrence ?

Même si l'application d'un prix prédateur n'est pas explicitement interdite par la Loi sur la concurrence, il est généralement accepté qu'elle constitue l'un des exemples de l'abus de position dominante énumérés à l'alinéa 2(a) de l'article 6.144 Cet alinéa déclare :

« Abus de position dominante

Article 6- Est illégale et interdite l'abus, par une ou plusieurs entreprises, de leur position dominante dans un marché de biens ou de services, dans l'intégralité ou dans une partie du pays, sur leurs propre ou par des ententes avec les autres ou par le biais des pratiques concertées.

Les cas d'abus sont, en particulier, comme suit :

a) Actes visant à prévenir, directement ou indirectement, l'entrée d'une autre entreprise dans son domaine commercial ou bien à compliquer les activités des concurrents sur le marché,

... »

L'article 6, après avoir interdit l'abus de position dominante en général, donne, à son deuxième alinéa, certains exemples de ce comportement. Comme il vise à éliminer les concurrents du marché et à empêcher les nouvelles entrées dans le marché, l'application d'un prix prédateur s'inscrit dans le cadre de l'alinéa 2(a) de l'article 6.145 Pour parler d'un prix prédateur, il faut qu'un prix au-dessous du coût soit appliqué par une entreprise ayant une position dominante sur le marché.146

Comme nous l'expliquons dans la deuxième partie de notre étude, les importations faisant l'objet d'un dumping peuvent avoir trois effets sur les prix appliqués par les producteurs turcs du produit similaire : (1) les prix de dumping peuvent causer une sous-cotation, (2) ils

144 BADUR Emel, « Rekabet Hukukunda Fiyat Sınırlamaları », Rekabet Dergisi (« Fixation des prix en droit de

la concurrence », Revue de la Concurrence), Vol. 7, p. 70.

145 Ibid., p. 70.

146 Ibid., p.71. Différents points de vue ont été exprimés concernant le coût sous lequel le prix doit être pour qu'il

y ait un prix prédateur. EKDİ Barış,« Rekabet Hukuku Açısından Yıkıcı Fiyat Uygulaması », Rekabet Dergisi (« Application des prix prédateurs du point de vue du droit de la concurrence », Revue de la Concurrence), Vol. 10, pp. 14-15.

peuvent déprimer les prix des producteurs turcs ou (3) ils peuvent empêcher des hausses de prix.147 Il faut donc étudier si ces effets des importations faisant l'objet d'un dumping peuvent être caractérisés comme l'application d'un prix prédateur, de façon à ce que cela puisse être condamné par la Loi sur la concurrence.

Il est à noter que ces trois effets, que les importations faisant l'objet d'un dumping peuvent causer sur les prix des producteurs turcs, diffèrent de celui d'un prix prédateur. La sous- cotation se réfère à une situation où les prix des importations faisant l'objet d'un dumping tombent au-dessous des prix des producteurs turcs. Les prix des producteurs turcs sont déprimés lorsque ces producteurs sont forcés de baisser leurs prix sur le marché turc à cause de l'effet des prix de dumping. Une augmentation de prix par les producteurs turcs est empêchée lorsque ces producteurs ont besoin d'une telle augmentation, mais qu’ils ne peuvent pas procéder à sa mise en œuvre, de peur de perdre leur compétitivité en raison des prix de dumping. Donc, aucun de ces trois effets n'implique nécessairement un prix inférieur au coût. Ainsi, il est impossible de les considérer comme l'application d'un prix prédateur au sens de l'article 6.2(a) de la Loi sur la concurrence.

Par contre, lorsque les prix de dumping sont aussi au-dessous du coût de production des exportateurs étrangers, les producteurs turcs peuvent, théoriquement, invoquer l'article 6.2(a) de la Loi sur la concurrence. Pourtant, il faut souligner que, du point de vue du droit de la concurrence, l'application d'un prix prédateur est l'un des exemples de l'abus de position dominante. Donc, pour pouvoir évoquer l'article 6.2(a) de la Loi sur la concurrence contre la pratique de dumping, il faudra en premier lieu démontrer que les exportateurs et/ou les importateurs qui appliquent un prix de dumping prédateur sont dans une position dominante sur le marché turc. Néanmoins, il sera difficile de démontrer que l’exportateur ou l’importateur d'un produit, dont l'importation est libre, a une position dominante sur le marché de celui-ci en Turquie. Donc, la possibilité d'évoquer l'article 6.2(a) de la Loi sur la concurrence au dumping reste une possibilité purement théorique.

Tournons-nous maintenant vers le troisième acte énuméré à l'article 4 de la Loi, à savoir « les accords, pratiques et décisions qui empêchent, faussent ou restreignent la concurrence ». Ceux-ci sont abordés comme suit :

147 Pour nos explications à propos des effets des importations faisant l'objet d'un dumping sur les prix des

« Accords, pratiques concertées et décisions qui empêchent, faussent ou restreignent la concurrence Article 4 – Est illégal et interdit tout accord et pratique concertés entre entreprises, ayant pour but, ou pour effet ou effet vraisemblable, la prévention, la distorsion ou la restriction, directe ou indirecte, de la concurrence sur le marché d'un certain bien ou service, et telles décisions et pratiques des associations d'entreprises.

Ces cas sont, en particulier, comme suit :

a) Fixation du prix d'achat ou de vente de biens ou de services, des éléments tels que le coût et les bénéfices qui forment le prix, et toutes sortes de conditions d'achat ou de vente,

b) Répartition des marchés de biens ou de services, et le partage ou le contrôle de toute sorte de ressource ou d'élément sur le marché,

c) Contrôle de la quantité de l'offre ou de la demande d'un bien ou d'un service, ou fixation de ceux-ci en dehors du marché,

d) Complication, restriction des activités des entreprises concurrentes, ou exclusion des entreprises opérant sur le marché par des boycotts ou d'autres comportements, ou empêchement des nouveaux entrants potentiels sur le marché,

e) Sauf concession exclusive, l'application de termes différents envers des personnes dans des situations identiques en rapport avec des droits, des obligations et des actes identiques,

f) Conditionnement de l'achat d'un bien ou d'un service à l'achat d'autres biens ou de services, ou conditionnement de l'achat d'un bien ou d'un service par une entreprise intermédiaire à l'exposition d'un autre bien ou d'un autre service par l'acheteur, ou l'imposition de conditions pour la ré-offre d'un bien ou d'un service déjà offert, de façon contraire à la nature d'un contrat ou aux coutumes commerciales.

Dans les cas où l'existence d'un accord ne peut pas être prouvé, le fait que les variations de prix ou la balance entre l'offre et les secteurs opérationnels d'entreprises soient semblables à celles des marchés sur lesquels la concurrence est empêchée, faussée ou restreinte, constitue une présomption selon laquelle les entreprises sont engagées dans une pratique concertée.

Chacune des parties peut se décharger de toute responsabilité en prouvant qu’elle ne s’engage pas dans une pratique concertée, à condition que l'explication offerte soit fondée sur des faits économiques et rationnels. »

Le premier alinéa de l'article 4 contient une définition générale des accords, des pratiques concertées et des décisions qui empêchent, faussent ou restreignent la concurrence, tandis que le deuxième alinéa en donne des exemples. L'expression « ces cas sont, en particulier, comme suit » au deuxième alinéa confirme que la liste qui suit n'est pas exhaustive. Ainsi, une pratique qui ne correspond à aucun des actes énumérés au deuxième alinéa peut quand même constituer un accord, une pratique ou une décision qui empêche, fausse ou restreint la concurrence si elle satisfait la définition générale figurant au premier alinéa.148

Un examen des pratiques énumérées au deuxième alinéa établit que faire des importations à un prix de dumping ne relève d'aucune d'entre elles. Même la pratique énumérée au sous- alinéa (a), que l'on peut appeler « la fixation des prix d'achat ou de vente », ne relève pas du dumping. Il n'y a aucun accord entre l'exportateur étranger et l'importateur turc, les parties

principales aux transactions d'importations faisant l'objet d'un dumping, pour la fixation, sur le marché turc, des prix d'achat ou de vente du produit importé. Après l'achèvement de la transaction d'importation, ou, en fonction des termes du contrat, avant ce stade, le titre des produits importés passe à l'importateur, et ce dernier est libre de décider à quel prix il revendra ses produits sur le marché turc. L'exportateur qui se trouve de l'autre côté de la transaction de l'importation ne s'occupe pas du prix auquel l'importateur revend ses produits en Turquie. Il s'ensuit que le dumping ne correspond à aucun des exemples énumérés à l'article 4.2 de la Loi sur la concurrence.

Ensuite, il faut se demander si le dumping remplit la définition générale des « accords, pratiques concertées ou des décisions qui empêchent, faussent ou restreignent la concurrence » énoncée à l'article 4.1 de la Loi ou pas. Notons d'abord que le dumping n'est pas un accord. C’est plutôt une pratique portant sur la détermination du prix à l'exportation d'un produit. Au sens du droit de la concurrence, le dumping n'est pas une pratique concertée non plus. Une pratique concertée représente un acte commun à des entreprises d’un même niveau commercial sur le marché d'un certain produit, tandis que le dumping survient dans les ventes d'un exportateur étranger (qui est souvent le producteur du produit) à l'importateur turc, qui est souvent un vendeur en gros du produit concerné. Ainsi, le dumping se produit dans le cadre d'un contrat de vente entre deux entités qui sont en général dans une relation commerciale verticale.149

À notre avis, il est peu probable que le dumping représente « une décision » au sens de l'article 4 de la Loi sur la concurrence. Comme déjà noté, il y a un dumping lorsque le prix à l'exportation du produit concerné tombe en-dessous du prix pratiqué par l'exportateur étranger sur son marché intérieur. Normalement, c'est l'exportateur qui décide si un prix de dumping sera appliqué dans sa relation contractuelle avec l'importateur ou pas. Néanmoins, comme nous l’avons souligné plus haut, en rapport avec la concurrence déloyale, il se peut que l'importateur et l'exportateur décident ensemble d'appliquer un prix de dumping. C'est uniquement dans un tel cas que l'on peut observer une décision.

Néanmoins, il convient de souligner que, pour qu'une décision viole l'article 4 de la Loi sur la concurrence, il faut qu'elle ait pour but ou pour effet de restreindre la concurrence sur le

149 Il a été noté dans la littérature que, en général, les aspects anticoncurrentiels dans les relations horizontales

sont considérés comme hautement suspects. Voir, KORAH Valentine, An Introductory Guide to EEC

marché turc. Comme nous l'avons déjà souligné, étant donné que la Turquie suit une politique de commerce international libre, il sera difficile de démontrer que l'application d'un prix de dumping, dans un cas donné, ait un effet anti-concurrentiel sur le marché turc. Si, cependant, le dumping se produit dans le cadre d'un contrat, entre l'exportateur étranger et l'importateur turc, qui a pour objectif de restreindre la concurrence sur le marché turc, on peut, théoriquement, appliquer l'article 4 de la Loi sur la concurrence. Ceci dit, dans la grande majorité des cas, les parties au dumping, à savoir l'exportateur étranger et l'importateur turc, n'ont pas un tel objectif, car leur relation commerciale est limitée à la vente du produit concerné. En tout cas, un accord sur un tel objectif resterait informel entre les parties ; il ne serait pas mentionné dans un contrat écrit. Finalement, même si l'on identifiait une telle décision écrite, ce qui violerait l'article 4 de la Loi dans un tel cas aurait été l'existence d'une décision visant à restreindre la concurrence, et non pas le dumping. Ainsi, l'application au dumping de l'article 4 de la Loi sur la concurrence reste également une possibilité purement théorique.

Ces discussions mènent à la conclusion selon laquelle les dispositions de la Loi sur la concurrence ne sont pas applicables à la pratique de dumping.

Chapitre II – La compatibilité de l'existence de voies de recours alternatives contre le