• Aucun résultat trouvé

L'affaire États-Unis – Loi de 1916 (CE)

L'objet de cette affaire était le chapitre intitulé « concurrence déloyale » de la Loi des finances adoptée par le congrès des États-Unis en 1916 (« Loi de 1916 »). Les Communautés

Européennes150 (« CE ») ont initié cette affaire contre les États-Unis, soutenant que cette Loi était incompatible avec certaines dispositions de l'article VI du GATT de 1994 et de l'Accord antidumping. Il s'agissait d'une plainte contre la Loi de 1916 en tant que telle, et non pas contre des cas particuliers de l'application de cette Loi.

La disposition statutaire contestée rendait illicite le fait d'importer aux États-Unis, d'une manière habituelle et systématique, des marchandises à un prix substantiellement inférieur à leur valeur commerciale effective ou à leur prix de gros sur le marché du pays de production, ou d'autres pays étrangers vers lesquels les marchandises étaient exportées. La Loi donnait aux entités privées le droit de porter plainte contre les responsables de ces importations et de demander des dommages-intérêts au triple, et elle prévoyait des sanctions pénales en cas de poursuites engagées par le gouvernement fédéral.151

Les CE ont fait valoir que, en permettant aux parties concernées de demander des remèdes contre la pratique de dumping sans que les conditions préalables précisées à l'article VI soient présentes, et en permettant des mesures contre le dumping autres que celles permises par l'article VI, la Loi de 1916 violait l'article VI du GATT de 1994 et certaines dispositions de l'Accord antidumping.152

Le Groupe spécial a dû répondre à une question juridique préliminaire avant son analyse substantielle : est-ce que l'article VI du GATT de 1994 était applicable à la Loi de 1916 ? Cette question avait deux aspects : a) est-ce que cette Loi était de caractère contraignant de façon à constituer une mesure aux fins de procédures de règlement de différends à l'OMC ?

150 Il faut souligner que le Japon a aussi initié une procédure de règlement de différends contre les États-Unis en

rapport avec la même mesure, à savoir la Loi de 1916, sur la base de la même allégation qu'en permettant des remèdes civils et pénaux pour contrebalancer la pratique de dumping, autres que ceux permis par l'article VI du GATT de 1994 et l'Accord antidumping, et en permettant l'imposition de mesures contre le dumping sans la réalisation des conditions énumérées dans ces deux textes, ladite Loi violait l'article VI du GATT de 1994 ainsi que certaines dispositions de l'Accord antidumping. Même si cette affaire était essentiellement la même que celle initiée par les CE, il y avait certaines différences entre les arguments présentés au groupe spécial par les CE et le Japon. Les groupes spéciaux traitant les deux affaires étaient composés des mêmes trois membres. Pourtant, dans la mesure où il y avait une différence entre les arguments présentés par le Japon dans la deuxième affaire, les constatations du Groupe spécial dans cette affaire étaient différentes de celles développées dans l'affaire initiée par les CE. Pour plus d'informations sur la relation entre ces deux affaires, voir le rapport du Groupe spécial, États Unis – Loi de 1916 (Japon), WT/DS162/R et add.1., paras. 6.27-6.28. Étant donné les

similarités entre les deux affaires, nous avons fondé nos explications ici sur le rapport concernant l'affaire initiée par les CE.

151 Rapport du Groupe spécial, États-Unis –Loi de 1916 (CE), WT/DS136/R et Corr.1, confirmé par le rapport de

l'Organe d'appel WT/DS136/AB/R, WT/DS162/AB/R, paras. 2.1 et 2.2.

152 Les CE ont allégué, entre autres, une violation des articles VI:1 et VI:2 du GATT de 1994 et des articles 1,

b) est-ce que, en ce qui concerne sa substance, cette Loi traitait la pratique du dumping ? C'est-à-dire, est-ce que les règles substantielles de l'article VI du GATT de 1994 étaient applicables à la Loi de 1916 ?

En ce qui concerne la première question, le Groupe spécial a suivi la jurisprudence développée par les groupes spéciaux pendant la période du GATT sur la distinction entre législation contraignante et législation non-contraignante, et a conclu que la Loi de 1916 était de caractère contraignant, et pouvait donc être contestée à l'OMC en tant que telle. Pour le Groupe spécial, le fait que le Département de la justice eût une discrétion au sujet de l'ouverture d'une procédure pénale sous la Loi de 1916 ne portait pas sur la question de savoir si ladite Loi était de caractère contraignant ou discrétionnaire.153

En ce qui concerne la deuxième question préliminaire, le Groupe spécial a souligné que « une loi qui combattrait le « dumping », tel que celui-ci est défini à l'article VI:1 [du GATT de 1994], se situerait dans le champ d'application de l'article VI. »154 Une fois qu'une loi tombe dans le champ d'application dudit article, l'existence, dans une telle loi, de prescriptions supplémentaires portant sur la constatation de dumping ne changerait rien en ce qui concerne l'applicabilité de l'article VI du GATT de 1994 à cette loi.155 Quant à la disposition contestée, le Groupe spécial a noté la « très forte ressemblance entre la définition du dumping énoncée à l'article VI et le critère de la discrimination de prix transnationale que l'on trouve dans la Loi de 1916. »156

S'il a aussi noté certaines différences entre ces deux définitions. Il a néanmoins conclu que celles-ci n'étaient pas importantes au point de faire sortir la définition dans la Loi de 1916 du champ de la définition formulée à l'article VI du GATT de 1994.157 Le Groupe spécial a souligné certaines prescriptions supplémentaires stipulées dans la Loi de 1916158 qui ne

153 Ibid., paras. 6.166-6.170. 154 Ibid., para. 6.107. 155 Ibid., para. 6.112. 156 Ibid., para. 6.108.

157 Par exemple, la Loi s'appuyait non seulement sur la valeur commerciale effective mais aussi sur le prix de

gros ; elle se référait également aux principaux marchés du pays de production ou d'autres pays étrangers vers lesquels les produits concernés étaient exportés ; elle mentionnait les principaux marchés d'autres pays étrangers vers lesquels les produits concernés étaient exportés ; elle ne faisait pas référence à l'utilisation d'une valeur normale construite. Ibid., para. 6.109.

158 Ces prescriptions supplémentaires étaient : l'intention a) d'« éliminer » ou b) de « léser une branche de

production aux États-Unis », ou c) d'« empêcher la création d'une branche de production aux États-Unis », ou de d) « restreindre » ou e) « monopoliser une fraction quelconque du commerce international et intérieur [des produits concernés] aux États-Unis. » Ibid., para. 6.113.

relevaient pas de l'article VI du GATT de 1994. Mais, il a conclu que, indépendamment de ses prescriptions, la Loi de 1916 visait une sorte de discrimination des prix transnationale qui répondait à la définition du « dumping » au sens de l'article VI:1 du GATT de 1994, et tombait donc dans le champ d'application de cet article.159 En outre, le Groupe spécial a noté que, étant donné le lien entre l'article VI du GATT de 1994 et l'Accord antidumping, l'applicabilité du premier a aussi entrainé celle du second.160

Ayant constaté que la Loi de 1916 était un instrument juridique contraignant et que, en ce qui concerne la substance, l'article VI du GATT de 1994 était applicable à cette Loi, le Groupe spécial a procédé à son analyse substantielle. Il a constaté qu'en soumettant l'imposition d'une mesure antidumping à l'existence d'une intention chez le défendeur, plutôt qu'à un dommage causé par le dumping, la Loi de 1916 violait l'article VI.161 Le Groupe spécial a aussi constaté que l'article VI:2 du GATT de 1994 ne prévoyait que des mesures prenant la forme de droits antidumping pour contrebalancer le dumping et que, par conséquent, en prévoyant des amendes, ou des peines d'emprisonnement, ou des dommages-intérêts triples, la Loi de 1916 violait l'article VI:2 du GATT de 1994.162 Le Groupe spécial a aussi constaté que la Loi de 1916 était contraire à l'article 4 de l'Accord antidumping, puisqu'elle n'exigeait pas un minimum de représentativité d'une branche de production nationale.163 Elle était aussi contraire à l'article 5.5 de l'Accord qui exigeait une notification à des gouvernements dont les importations faisaient l'objet des enquêtes antidumping.164 Par conséquent, le Groupe spécial a aussi conclu que la Loi de 1916 était contraire à l'article 1 de l'Accord qui contient le principe fondamental qu'une mesure antidumping ne peut être prise que dans les circonstances prévues à l'article VI du GATT de 1994 et suite à une enquête ouverte et menée en conformité avec l'Accord antidumping.165

En appel, en interprétant l'article VI du GATT de 1994 en conjonction avec les dispositions pertinentes de l'Accord antidumping, l'Organe d'appel a conclu que les dispositions de

159 Ibid., para. 6.118.

160 Le Groupe spécial a fondé ce point de vue sur le texte de l'article 1 de l'Accord antidumping qui stipule : « les

dispositions [de l'Accord antidumping] régissent l'application de l'article VI du GATT de 1994, pour autant que des mesures soient prises dans le cadre d'une législation ou d'une réglementation antidumping. » Ibid., para. 6.165. 161 Ibid., para. 6.181. 162 Ibid., para. 6.204. 163 Ibid., para. 6.214. 164 Ibid., para. 6.216. 165 Ibid., para. 6.217.

l'article VI s'appliquaient à toutes « mesures particulières » contre le dumping au sens de l'article 18.1 de l'Accord antidumping.166 Ensuite, l'Organe d'appel a noté que les actions et les sanctions civiles et pénales envisagées par la Loi de 1916 nécessitaient la présence d’éléments constitutifs de la définition du « dumping » au sens de l'article VI du GATT de 1994 telle qu'elle était précisée à l'article 2 de l'Accord antidumping. Il s'en suivait que l'article VI du GATT de 1994 s'appliquait à la Loi de 1916.167

Par ailleurs, l'Organe d'appel a estimé que le fait que la mise en œuvre de la Loi de 1916 nécessitait, en plus des éléments constitutifs de la définition du dumping au sens de l'article VI du GATT de 1994, une certaine intention, ne signifiait pas que les mesures entrant dans le champ d'application de cette Loi n'étaient pas des « mesures particulières » contre le dumping.168 Ainsi, l'Organe d'appel a confirmé les constatations du Groupe spécial au sujet de la compatibilité de la Loi de 1916 avec l'article VI du GATT 1994 et avec l'Accord antidumping.169