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L’ ISO 26000 et la cohérence du concept de Responsabilité Sociale

Responsabilité Sociale et Régulation hybride

19. L’ ISO 26000 et la cohérence du concept de Responsabilité Sociale

Après plusieurs années de discussions, la norme de Responsabilité Sociale ISO 26000 a été publiée en 2010253. Première « norme » de gestion issue d’une véritable négociation mondiale (plus de 90 pays ont participé des débats), elle a eu le mérite d’être formulée de façon formellement démocratique, puisqu’elle fut le résultat du travail de coopération entre des représentants des consommateurs, des travailleurs, des ONG, des autorités publiques, des entreprises, et des représentants du monde de la recherche, du conseil et des services. « ISO 26000 : Guidance on social responsibility », a été traduite en français par AFNOR: « Lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale »254. La norme s’attache à définir la Responsabilité Sociale des organisations, ses principes et ses stratégies, en se référant à l’évolution du cadre éthique et juridique international : Déclarations des Droits de l'Homme, normes de la OIT, de l’OCDE, Protocole de Kyoto, Pacte Global de l ‘ONU, etc. C’est un fait unique qu’une norme de gestion soit démocratiquement et publiquement conçue au niveau mondial, comme s’il s’agissait d’un accord international255 :

“Cette Norme, par la nouveauté et la complexité de son processus d’élaboration international et multi-parties prenantes, par la construction multiculturelle du concept de responsabilité sociétale et par la question de son statut dans les formes de régulation, peut être qualifiée de « Norme hors norme ».”256

En effet, le processus de discussion, entre dialogue et négociation, de l’ISO 26000, a dû trouver un compromis (consensus ?) entre une vision plutôt anglo-saxonne de la Responsabilité Sociale, tournée vers l’éthique, les démarches volontaires « au-delà de la loi », un abord contractualiste de la relation aux parties prenantes des organisations (chaque

      

253 Pour une analyse de la lettre et l’esprit de cette norme, voir : Capron M. Quairel-Lanoizelée F. Turcotte M-F.

ISO 26000 : une Norme « hors norme » ? Vers une conception mondiale de la responsabilité sociétale,

Economica, 2011. Une norme ISO est un “document établi par consensus, qui fournit, pour des usages répétés, des règles, des lignes directrices ou des caractéristiques pour des activités ou leurs résultats, garantissant un niveau d’ordre optimal dans un contexte donné” (guide ISO/CEI 2, 2004), cité in : op.cit. p 6.

254

Norme Française NF ISO 26000 : Lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale, op.cit.

255 Seuls 5 pays ont voté contre le document final, les Etats-Unis, le Luxembourg, Cuba, la Turquie et l’Inde.

organisation est un « nœud de contrats » qui lie différents prestataires ensemble), et une vision plutôt européenne de la Responsabilité Sociale, tournée vers le développement durable, l’institutionnalisation des organisations comme composantes immergées dans la société, et la préséance du droit. D’autre part, le statut hybride de la Norme vient du fait qu’elle conjugue des aspects éthiques, des « normes internationales de comportement » (accords internationaux, traités, conventions, principes du droit international) et des règles techniques de qualité. La « normalisation », avec ISO 26000, abandonne son domaine réservé de définition de l’optimum de procédures techniques, et se transforme en véhicule de la promotion cosmopolitique du droit international et de la raison morale dans la raison instrumentale. Tout se passe comme si la logique de la qualité technique (incarnée dans la norme ISO 9000), pressée par la force des choses à se dédier aux questions plus générales et politiques de la qualité environnementale (ISO 14000) et de la qualité sociale (ISO 26000), avait dû créer un pont entre son domaine d’origine, proprement instrumental, où l’on peut facilement être « dur » car les problèmes y sont « doux » (pour reprendre les mots de Von Foerster), et ce domaine complexe des affaires humaines morales et politiques, où l’on ne peut qu’être « doux » car les problèmes y sont « durs ». Corinne Gendron souligne cette évolution, depuis la stricte normalisation des procédures et résultats, jusqu’à la régulation hybride des comportements :

“La norme ISO 26 000 diffère des normes 9 000 et 14 001 qui traitent de gestion, de processus, d’organisation et de contrôle. Nous sommes résolument ici dans un autre champ, où il faut nommer, définir, expliquer et, bien souvent, prendre position, ce qui pose inévitablement la question de la légitimité d’ISO à se prononcer sur des questions à caractère social, environnemental, de conditions de travail, de droit humain, de gouvernance, etc. (…)

Il est vrai que la série 14 000 s’ouvrait sur une problématique plus sociale et controversée, l’environnement, mais la norme 14 001 avait d’une certaine façon évité les débats en excluant toute dimension substantielle et en se limitant à l’énonciation de procédures. Même l’identification des aspects environnementaux significatifs est traitée d’une manière presque aseptique dans ISO 14 001 dans la mesure où la norme propose là encore une procédure où c’est à l’entreprise de définir les critères en fonction desquels elle qualifiera un enjeu environnemental de significatif ou non. Dans le cas de la norme 26 000, non seulement ISO s’éloigne des systèmes de gestion ou des spécifications techniques, mais elle s’aventure, pour y entrer de plain-pied, dans le normatif et le substantiel et délaisse les exigences procédurales. (…)

ISO ne dit plus seulement comment faire, mais quoi faire.”257

      

257 Gendron C. « Une définition socialement construite de la responsabilité sociale », in : Capron M. Quairel-Lanoizelée F. Turcotte M-F. ISO 26000 : une Norme « hors norme » ? op.cit. p 26-27.

Cette évolution est remarquable et démontre bien que la Responsabilité Sociale est un opérateur de créativité politique, car l’élaboration de la norme hors norme ISO 26000 a transformé une organisation destinée à produire des normes techniques en agora politique de dialogue entre protagonistes sociaux normalement en situation antagoniques (entrepreneurs, pouvoirs publics, syndicats, ONG) car défendant des intérêts contradictoires :

“26 000 ne semble plus tant un produit d’ISO que celui d’un processus collaboratif dont ISO n’a été que l’architecte. Bref, dans l’opération 26 000, l’ISO rédactrice et normalisatrice s’est effacée derrière une ISO lieu de dialogue et de rédaction, devenue un véritable forum social où c’est la société civile qui était à l’œuvre : à l’origine instance de normalisation, ISO est devenue espace de dialogue. C’est un ajustement dont on mesure peut-être mal les conséquences : en ayant voulu normaliser le champ de la responsabilité sociale, ISO pourrait avoir été fondamentalement transformée.”258 Dans le cadre du projet commun de se mettre d’accord pour produire des lignes directrices clarifiant pour tous les acteurs, au niveau mondial, ce qu’est et ce que n’est pas la « responsabilité sociale » de chacun, les différents représentants ont dû transcender leur position sociale figée de porte-parole ou lobbyiste259, objectivement centrée sur l’intérêt particulier, et devenir des sujets interlocuteurs pour la production d’une nouvelle signification inouïe, une Norme de Responsabilité Sociale définie entre eux et tous ensemble. L’action communicationnelle (Habermas) les a alors forcés d’elle-même à faire de la philosophie, c'est-à-dire à clarifier le champ des concepts et à poser des principes normatifs communs consensuels (des impératifs catégoriques aurait dit Kant). Ainsi, les « parties prenantes » sont obligées de s’impliquer en tant que sujets prétendant non plus à la promotion de leurs intérêts contre les autres et malgré eux, mais prétendant à la vérité et à la légitimité d’un dire avec et grâce aux autres, en situation de coresponsabilité présente et future, puisque l’acceptation du texte final vaut à l’avenir comme possibilité de l’opposer légitimement à tous les interlocuteurs, lorsque ceux-ci oublieront leur promesse de se soumettre à sa raison. La faiblesse du dialogue, qui n’est au fond que des mots, qui n’est jamais idéalement mené et qui risque toujours de sombrer dans l’oubli face aux urgences de l’action, possède quand même une force : être source d’un lien de rationalité et de sens entre les interlocuteurs, lien que ne pourra rompre unilatéralement l’un des protagoniste qu’au prix d’une délégitimation publique

      

258 Gendron C. idem. p 29.

259 Voir : Cabanis A. Igalens J. Martin M-L. « ISO 26 000, norme politique et cosmopolite », in : Capron M. Quairel-Lanoizelée F. Turcotte M-F. ISO 26000 : une Norme « hors norme » ? op.cit. p 73 sq. Les auteurs dégagent une typologie des différentes manières d’être « partie prenante », selon son rapport à ses propres intérêts et à sa compétence par rapport à l’enjeu considéré. Ils définissent quatre postures différentes du « stakeholder » : Expert ou militant, Porte-parole, Opportuniste, Lobbyiste.

face aux autres, perdant ainsi sa réputation et donc son pouvoir d’influence non coercitive. Ce lien de rationalité et de sens public est la définition même de ce que fait l’espace politique de publicité et qu’aucune autre force ne peut produire, ni celle de la violence, ni celle de l’argent, ni celle de la science, ni même celle de la loi. Ainsi, cette norme serait hors norme car elle serait finalement une « norme politique », voire cosmopolitique :

“Ni chez Kant, ni chez Beck, le cosmopolitisme ne se confond avec le point de vue international car il ne résulte pas de l’addition de points de vue nationaux, mais plutôt de leur dépassement. Le cosmopolite qualifie l’universel, voire le transcende, et n’est pas une résolution acquise à la majorité des nations.

Si ces auteurs ont raison, nul doute alors que la responsabilité sociétale des organisations (RSO) doit être analysée comme la première manifestation du cosmopolitisme dans la vie des organisations. (…) La norme ISO 26 000 qui fixe depuis 2010 les lignes directrices de la RSO deviendrait ainsi la première norme politique et cosmopolite du siècle concernant l’entreprise. (…) Certes, par définition, une norme « classique » gagne à être cosmopolite, mais ISO 26 000 n’est pas une norme classique : elle est politique”.260

Certes, ISO 26000 ne fait pas l’unanimité, elle n’est pas directement certifiable et se présente seulement comme un ensemble de lignes directrices de suggestions pour les organisations volontaires, afin de mettre en cohérence leur désir de gestion socialement responsable, sans contrainte légale, ce qui limite beaucoup son impact pour le moment. Il s’agit donc d’un cosmopolitisme en tous les cas « incomplet »261, et qui ne parvient pas à dépasser, on s’en doutait, le double conflit entre intérêts économiques/intérêts universels d’une part, et intérêts des pays développés/intérêts des pays émergents d’autre part, puisque les principales critiques venues des pays du Sud contre l’ISO 26000 concerne le risque d’instrumentalisation de la Responsabilité Sociale à des fins de protectionnisme économique pour des pays développés se défendant des autres pays en leur imposant des contraintes « éthiques », « environnementales » et « sociales », afin d’augmenter leurs coûts de production beaucoup plus bas que ceux des entreprises des pays riches.

Mais cet oxymore « concurrence éthique déloyale » est sans doute finalement une bonne chose en vue d’une redéfinition des processus capitalistes de production, tant au Nord qu’au Sud, en tenant compte de l’exigence éthique et économique à la fois : Comment produire de façon juste et soutenable à moindre coût ? Cette question pourrait bien occuper le monde des

      

260 Idem. p 73-74.

entreprises pendant les décennies qui viennent et témoigner d’une ruse de la raison morale pour forcer la raison instrumentale et stratégique à plus de justice et de respect dans le développement de son processus conflictuel de lutte pour la domination économique. D’autre part, la norme ISO 26000 non certifiable pourra bien sûr inspirer des législations et être opposable moralement pour dénoncer des pratiques négatives, avec la force publique d’un référent mondialement conçu. La norme compile en annexe un ensemble d’initiatives génériques ou sectorielles déjà existantes en matière de Responsabilité Sociale, ce qui permet d’inscrire les principales pratiques des dernières décennies en matière de certifications, labels, normes, principes de conduite, dans un même courant général de responsabilisation des organisations par rapport à leur sphère d’activité. Ainsi, on peut dire que les lignes directrices de l’ISO 26000 viennent résumer et déterminer tout un mouvement d’entreprises, de gouvernements et d’ONG autour d’une nouvelle manière de gérer les organisations de façon plus juste et soutenable, en utilisant des outils de gestion tels que SA 8000, AA 1000, GRI, SGE 21, Global GAP, etc., mais aussi en mettant en valeur des principes éthiques à respecter, comme le font des ONG comme Amnesty International, la ‘’Clean Clothes Campaign” (CCC), Transparency International, etc.

L’un des avantages de l’ISO 26000 est qu’elle s’est attelée au difficile travail de définition de la Responsabilité Sociale. D’après la norme, la Responsabilité Sociale est la :

“responsabilité d’une organisation vis-à-vis des impacts de ses décisions et activités sur la société et sur l’environnement, se traduisant par un comportement éthique et transparent qui :

• contribue au développement durable [sustainable], y compris à la santé et au bien-être de la société ;

• prend en compte les attentes des parties prenantes [stakeholders];

• respecte les lois en vigueur tout en étant en cohérence avec les normes internationales de comportement;

• est intégré dans l’ensemble de l’organisation et mis en œuvre dans ses relations.”262 Cette définition, même si elle peut être reformulée, améliorée et complétée, notamment vis-à-vis de la nécessité d’associativité, de travail en partenariat, de coresponsabilité comme stratégie obligatoire pour pouvoir satisfaire le devoir de gestion des impacts de l’organisation dans le champ social et environnemental, est quand même une définition utile et fertile. Elle

      

262

ISO 26000, op.cit. p 4. La définition est complétée par deux notes : (1) “les activités comprennent des produits, des services et des processus” ; (2) “les relations correspondent aux activités de l’organisation au sein de sa sphère d’influence” (ibid.).

valide la conception de la Responsabilité Sociale en termes de gestion de ses propres impacts que nous avions produite ci-dessus. La réponse que la Responsabilité Sociale apporterait à l’exigence de responsabilité globale pourrait se formuler dans cet impératif catégorique :

« Agis de telle sorte que tu te responsabilises pour les impacts de tes actes dans le monde, en collaboration avec tous ceux qui peuvent t’aider à bien les gérer en vue d’une société soutenable, et dans le respect des normes internationales de comportement (Droits de l'Homme, ONU, OIT, Kyoto, etc.) ».

Cette réponse s’adresserait en priorité aux organisations, notamment celles dont le pouvoir a des conséquences globales263, mais pas uniquement. Un individu peut aussi être concerné par cet impératif, dans tous les actes quotidiens de son existence, par exemple en tant que consommateur, puisque ses choix ont des impacts sur les décisions économiques des entreprises et les modalités de production. Par exemple, le mouvement des « consom’acteurs » tente de favoriser la liaison réfléchie de l’objet consommé avec les conditions sociales et écologiques de sa production, afin de faire adopter des habitudes de consommation responsables qui puissent promouvoir le « développement durable », l’agriculture biologique et le commerce équitable entre Nord et Sud, donc influencer à moyen terme pour que toute la chaine de production soit socialement et écologiquement responsable. L’idée est que le porte-monnaie du client a un pouvoir politique, puisque c’est lui qui, en dernière instance, finance toute l’économie des biens et services.

La définition de la Responsabilité Sociale de l’ISO 26000, obtenue de la discussion entre parties prenantes aux perspectives différentes, est beaucoup plus rationnelle et fertile qu’il n’y paraît, et ceci pour plusieurs raisons :

(1) En définissant la responsabilité sociale en termes de responsabilité d’une organisation pour ses propres impacts, elle fait comprendre au sujet organisationnel que son devoir est de veiller aux effets directs et collatéraux de son agir dans le monde. Chaque organisation doit pratiquer alors une double gestion : gestion de ses activités (ce qu’elle fait) et

      

263

D’après la Déclaration Universelle d’Interdépendance : “la détention d’un pouvoir d’échelle globale, qu’il soit économique, scientifique, médiatique, religieux ou culturel, implique le corollaire d’une responsabilité globale, c’est-à-dire étendue à tous les effets de ce pouvoir”.

gestion des impacts de ses activité (ce que fait ce qu’elle fait). Cette responsabilité est

autoréférentielle : ce sont les impacts de son propre agir que l’organisation doit gérer de façon permanente. Il ne s’agit pas de prendre soin de quelqu’un d’autre mais de veiller à soi-même. Du coup, tout lien avec l’acte de charité, l’altruisme ou la philanthropie se trouve écarté. L’action généreuse de l’organisation, en marge de son core business, n’a enfin plus rien à voir avec sa Responsabilité Sociale. La Responsabilité Sociale est bien « démoralisée »264. Elle devient un mode de gestion rationnelle sous des principes éthiques, certes, mais non dépendant d’une « bonne volonté » impossible à contraindre.

(2) La définition ne mentionne à aucun moment le caractère « volontaire » et « au-delà de l’obligation légale » de la Responsabilité Sociale. Au contraire, elle exige compatibilité entre les impacts de l’agir organisationnel et les normes internationales de comportement, ce qui rend la Responsabilité Sociale des Organisations théoriquement opposable en regard des textes des traités intergouvernementaux signés, des normes des organismes internationaux et des conventions internationales. De plus, comme il est précisé que la Responsabilité Sociale concerne la totalité de l’organisation, dans toutes ses relations, et pour toute sa « sphère d’influence », c'est-à-dire pour tout le domaine des “relations politiques, contractuelles, économiques ou autres à travers lesquelles une organisation a la capacité d’influer sur les décisions ou les activités de personnes ou d’autres organisations”265, l’organisation ne pourra plus se défausser derrière son seul domaine de propriété, en arguant que telle filiale socialement irresponsable ne lui « appartient pas », donc ne tombe pas sous sa responsabilité juridique. C’est bien la direction générale de l’organisation qui est responsabilisée, dans sa capacité de décision et d’action vis-à-vis de tout ce qu’elle peut influencer et non pas sa propriété effective. Est donc aussi dépassée la vision appauvrie de la RSE du Livre vert de la Commission Européenne, qui n’y voyait que de « l’intégration volontaire de préoccupations sociales et environnementales au-delà des obligations légales ». Les normes internationales de comportement, au contraire, deviennent directement des instruments de gestion de l’organisation socialement responsable.

      

264

Comme le réclamait Fouad Benseddik dans son article : « Démoraliser la responsabilité sociale », in : Bonnafous-Boucher, M. et Pesqueux Y. (dir.) Décider avec les parties prenantes, Approches d'une nouvelle théorie de la société civile, op.cit. p 91 sq.

(3) La finalité de la Responsabilité Sociale est clairement définie comme le « développement soutenable » de la société, en insistant particulièrement sur l’exigence de santé, qui fonctionne effectivement comme critère charnière entre la problématique environnementale et la justice sociale. On dépasse par là une vision instrumentale réductrice de la Responsabilité Sociale en termes d’opportunité de profits et d’évitement de risques de mauvaise réputation, car le but de la responsabilisation sociale est un intérêt universel et moral de l’humanité, et non pas un intérêt particulier de l’organisation. La Responsabilité Sociale « démoralisée » n’est donc pas « amorale », elle reste soumise à un devoir universel de l’humanité envers elle-même, celui de prendre soin de sa propre soutenabilité. L’intersection entre l’exigence écologique, la solidarité sociale et l’efficacité économique, par laquelle on définit communément le développement soutenable266, offre une boussole pour construire la nouvelle comptabilité complexe tripartite (triple bottom line) du bilan financier, sociétal et environnemental, dont le pilotage de la Responsabilité Sociale au sein de l’organisation a besoin267. C’est donc bien la contribution à la soutenabilité humaine planétaire qui constitue le critère de distinction général entre un impact positif et un négatif. Le recours à la bonne volonté ayant été dépassé, on pourra atteindre l’objectif de la soutenabilité en faisant jouer divers registres de régulation des comportements, dont celui de la satisfaction de l’intérêt bien compris. Ce n’est pas que la Responsabilité Sociale soit un moyen stratégique de faire des bénéfices sur des secteurs de marché sensibles aux arguments éthiques, c’est plutôt que la responsabilisation sociale des organisations pourra s’appuyer aussi sur les buts lucratifs des entreprises pour parvenir à ses propres fins éthiques. Mais elle vise avant tout à une réforme du système de production et consommation vers un modèle économique soutenable, une