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L’interférométrie des ondes de coda (CWI)

Modélisation analogique des effets de la déformation élastique sur les mesures de

2.1 Quelques éléments théoriques

2.1.1 L’interférométrie des ondes de coda (CWI)

Dans le chapitre 1, nous avons brièvement présenté un ensemble de méthodes basées sur l’étude des ondes de la coda et permettant d’étudier l’évolution des propriétés physiques du milieu échantillonné par le champ d’ondes étudié.

La coda d’un signal sismique (Aki, 1969; Aki and Chouet, 1975) consiste en un long train d’ondes multiplement diffusées qui a échantillonné le milieu de manière répétitive. L’échantillonnage ré-pété de ce milieu de propagation conduit à amplifier la distorsion de la forme d’onde observée après qu’une perturbation ait été appliquée au système. Cette distorsion est causée par une mo-dification des propriétés du milieu dans lequel se propage le champ d’ondes étudié.

La comparaison chronologique des formes d’onde conduit à déceler de faibles variations de phase et de cohérence, qui ne pourraient être détectées en étudiant les premières arrivées. Depuis les travaux de Poupinet et al. (1984), cette analyse de sensibilité a été formalisée sous le nom d’in-terférométrie des ondes de coda, ou « Coda Wave Interferometry » (CWI) (Snieder, 2006; Snieder et al., 2002). En tentant en premier lieu d’illustrer les notions d’ondes de coda et de champ d’ondes diffus, nous évoquerons dans cette section quelques éléments théoriques à la base de ces mesures d’interférométrie.

Une introduction empirique aux ondes de coda et aux mesures de CWI

Dans un certain nombre de domaines scientifiques, il est remarquable que la caractérisation de signaux qui étaient jusqu’alors considérés comme un « bruit de fond » ait gagné en intérêt ces dernières décennies.

Citons d’abord un exemple dans le domaine de l’astrophysique. Dans les années 1960 et dans le cadre des phases d’essai du satellite de télécommunications Echo, les ingénieurs de la NASA étaient ennuyés par un étrange bruit de fond, persistant, régulier et identique dans toutes les di-rections de l’espace. Ne sachant comment remédier à ce signal, l’énigme aurait pu durer long-temps si une équipe de l’université de Princeton travaillant sur l’enfance de l’Univers ne s’y était intéressée et y avait reconnu la première lumière du cosmos d’une température de 3 K. Suite à cette première preuve de la théorie du Big Bang, il aura fallu attendre près d’un demi-centenaire pour scruter les infimes variations de température de ce rayonnement fossile, aussi nommé le Fond Diffus Cosmologique, au moyen du satellite européen Planck.

Plus récemment, ces recherches ont inspiré des neurobiologistes français étudiant l’activité du cortex (notre « matière grise ») dans sa phase dite d’inactivité, au cours du sommeil profond. La caractérisation de ce signal, qui était pourtant considéré comme un bruit de fond, a permis de mettre au jour un signal jouant un rôle notable dans la consolidation de notre mémoire.

La coda des enregistrements sismiques ou bien le bruit sismique ambiant constituent d’autres exemples de champ d’ondes dont l’apparence bruitée est trompeuse.

Afin d’illustrer la notion et d’identifier les changements quantifiés par CWI, considérons les mesures présentées dans la section 2.3. La figure 2.1 présente des formes d’onde synthétiques en-registrées numériquement au moyen d’un milieu fictif fortement diffusif. Chacune de ces formes d’ondes est relative à un état de chargement du système, caractérisé par le déplacement δ appli-qué sur le haut de celui-ci : δ = 0 µm (en noir, état de référence), δ = 75 µm (en bleu), et δ = 150 µm (en rouge).

FIGURE2.1 – (a) Comparaison entre trois formes d’onde synthétiques enregistrées respectivement pour un déplacement imposé δ = 0 µm (noir), δ = 75 µm (bleu), et δ = 150 µm (rouge); (b) zoom dans une fenêtre de 6.5 µs au début du signal, où un décalage temporel négligeable est observé et (c) zoom à la fin de la forme d’onde, où le décalage temporel est clairement sensible au déplacement imposé.

Les formes d’onde ont une apparence bruitée et il est difficile d’y identifier des arrivées déter-ministes correspondant à des phases bien précises (arrivées directes ou réfléchies, par exemple). L’apparence bruitée du signal s’explique par les réverbérations multiples que subissent les ondes se propageant dans le système et par leur dispersion le long de multiples trajets. Les multiples hé-térogénéités qui composent le milieu numérique ici étudié sont responsables de l’établissement d’un tel régime de propagation (voir section 2.3 pour une description précise des caractéristiques de ce milieu numérique).

Ces formes d’onde ne sont néanmoins chaotiques que d’apparence, et sont bien empreintes de phénomènes physiques déterministes. Un zoom dans une fenêtre au début du signal (Fig. 2.1 (b)) montre qu’un décalage temporel négligeable est observé entre les formes d’onde. En revanche, dans la queue du signal (Fig. 2.1 (c)), nous isolons une fenêtre dans laquelle des décalages tem-porels émergent clairement entre les formes d’onde représentées. La queue du signal est compo-sée d’ondes multiplement dispercompo-sées, et compose la coda. Ces arrivées tardives ont passé plus de temps à se propager dans l’échantillon et sont donc plus sensibles aux changements induits sous l’effet de la perturbation appliquée au milieu de propagation. La déformation de celui-ci conduit

in fine à observer de légers décalages temporels entre les formes d’ondes représentées dans la

figure. L’amplitude du délai dépend du déplacement appliqué, et donc de l’intensité du change-ment intervenant dans les propriétés du matériau.

Émergence des principes de l’interférométrie des ondes de coda

La preuve de concept est initialement fournie par Poupinet et al. (1984). Les auteurs étudient les enregistrements de séismes s’étant produits avant et après un événement de magnitude ML5.9, localisé sur la faille de Calaveras en Californie. Leur attention porte sur les formes d’ondes enregis-trées en différentes stations et dont l’apparence est très similaire. Leur étude indique l’existence de sources répétitives dont les mécanismes sont comparables. L’étude de Poupinet et al. (1984) a ainsi conduit à l’émergence de la méthode des doublets sismiques. Celle-ci se base sur l’analyse de

signaux provenant de sources répétitives, et vise à étudier l’évolution de la partie tardive des en-registrements, de façon à en déduire des informations sur les changements qui surviennent dans les milieux échantillonnés par le champ d’ondes.

Le principe de la méthode est transposé plus tard à l’étude d’ondes ultra-sonores par Roberts et al. (1992) : les ondes de la coda sont marquées par la perturbation survenant dans le milieu de propagation échantillonné. La marque imprimée par cette perturbation peut être examinée à partir d’un diagnostic de corrélation, en étudiant la cohérence (ou la similarité) des signaux enre-gistrés avant et après perturbation. Cette pratique consiste essentiellement en une mesure d’in-terférométrie (Snieder, 2006; Snieder et al., 2002).

Il est usuel d’analyser l’évolution de la phase des signaux, ce qui revient à quantifier un déca-lage ou un retard dans le domaine temporel. Comparons deux enregistrements, eΘ(t ) et Θ(t ). Ces signaux sont d’une durée Tf et sont centrés autour du temps t. Notons tS le décalage temporel appliqué à l’une de ces traces. Afin de quantifier la similitude d’un des signaux avec des versions décalées d’une valeur tSdu second, nous exprimons la fonction CC(tS), décrivant l’évolution du coefficient de corrélation CC en fonction du décalage temporel tSappliqué :

CC(tS) = Rt+Tf/2 t−Tf/2 Θ(t) eΘ(t+ tS)d t r Rt+Tf/2 t−Tf/2 Θ2(t)d tRt+Tf/2 t−Tf/2 Θe2(t)d t (2.1)

Le décalage temporel tS,maxpour lequel le coefficient de corrélation croisée CC est maximal, consiste en une mesure du délai observé entre les deux signaux (ou de leur déphasage, dans le domaine fréquentiel) (Snieder, 2006). Dans la suite du manuscrit, nous serons amenés à noter ce retard dt. Cette notation ne doit pas être confondue avec la durée d’une fenêtre du signal, notée

Tf par la suite, ou bien avec l’échantillonnage du signal, noté Ts. Le délai temporel tS,maxobservé peut être exprimé de manière formelle par l’équation 2.2.

tS,max =

P

τWτd tT

P

τWτ (2.2)

Cette formule est basée sur le principe de sommation des chemins. Elle conduit à décrire un signal de coda par une somme d’ondes qui se propagent le long de tous les chemins de dispersion τ possibles. Pour une onde de trajectoire τ donnée, nous notons le changement dans son temps de parcours dtτet sa densité d’énergie Wτ. L’équation propose de quantifier le retard de temps de parcours mesuré au sein d’une fenêtre de coda1, comme la moyenne, pondérée par l’énergie, des retards observés pour chacune des ondes arrivant dans la fenêtre temporelle considérée. Ces éléments théoriques sont à la base du formalisme construit autour de l’interférométrie des ondes de coda, la CWI (Snieder, 2006; Snieder et al., 2002).

Caractérisation du champ diffus : une approche intuitive

L’application du formalisme décrit dans le paragraphe précédent conduit à étudier un champ d’ondes fortement diffus, ayant échantillonné le milieu de propagation de manière répétitive avant d’être enregistré par le récepteur. Un tel système physique résulte par exemple d’interactions mul-tiples entre le champ d’ondes et les mulmul-tiples hétérogénéités qui composent un milieu diffusif.

Afin d’illustrer le concept, supposons qu’une source ponctuelle émet un champ d’ondes dans un milieu comportant de multiples hétérogénéités jouant le rôle de diffracteurs. Considérons d’abord un événement de diffusion particulier : une onde plane se propage dans une direction donnée de l’espace, et interagit avec une des hétérogénéités du milieu. La diffusion peut être répartie unifor-mément dans toutes les directions (c.-à-d. isotrope), ou bien elle peut être anisotrope. Cette inter-action engendrera des ondes dans plusieurs directions qui vont à leur tour se diffracter au contact

de l’une des multiples hétérogénéités qui compose le milieu de propagation (voir l’exemple illus-tratif proposé Fig. 2.2 dans le cas d’une diffusion isotrope).

Afin que le champ d’ondes émis interagisse avec ces hétérogénéités à de multiples reprises avant d’être enregistré par le récepteur, un ensemble de conditions doivent être satisfaites. Ces conditions portent sur les caractéristiques du champ d’onde. En particulier, la longueur d’onde λ de l’onde incidente doit être plus courte que la taille des hétérogénéités, que nous noterons ici d. Cette condition est illustrée sur la figure 2.3.

La production d’un champ d’ondes multi-diffusé suppose de plus de contraindre la distance caractéristique entre deux événements de diffusion successifs. Cette distance est nommée libre parcours moyen, et est notée ℓ. Cette grandeur physique est schématisée dans la figure 2.3. Afin que le milieu de propagation soit favorable à l’établissement d’un régime de forte diffusion, il est nécessaire que cette distance caractéristique soit supérieure à d, la taille des hétérogénéités, et inférieure à D, la distance entre la source et le récepteur.

À la suite d’une série d’événements de diffusion, un état d’équilibre qualifié d’équipartition est atteint : toutes les ondes seront représentées statistiquement avec une pondération équivalente, dans toutes les directions de propagation.

FIGURE2.2 – Illustration schématique du phénomène de diffusion multiple.

La description que nous faisons de ce champ diffus suggère également de caractériser ce sys-tème à la manière d’un syssys-tème physique complexe. De tels syssys-tèmes permettent de décrire, par exemple, la dynamique d’une cellule, le vol d’une nuée d’étourneaux ou bien encore la propaga-tion foisonnante d’une épidémie. De manière générale, les éléments qui interagissent dans de tels systèmes n’ont pas une vue globale et complète des phénomènes qui surviennent dans le milieu. Ils n’en ont qu’une vue parcellaire : une nuée d’oiseaux est un exemple typique de système com-plexe, dans lequel chaque individu perçoit la présence de son proche voisin mais n’a pas une vue globale de l’ensemble du système.

Le régime de propagation que nous avons décrit implique une grande complexité du champ d’onde enregistré, à l’image des systèmes physiques décrits. Il est de ce fait impossible d’isoler des arrivées déterministes qui seraient liés à des trajets particuliers de l’onde au sein du milieu échantillonné. Ceci est illustré empiriquement par la figure 2.1.

Les éléments composant un système complexe sont toutefois capables d’établir des corréla-tions à longue portée : à l’échelle macroscopique, une structure déterministe peut émerger. Malgré la complexité du champ d’ondes étudié dans un régime de forte diffusion, il demeure ainsi pos-sible d’établir des corrélations sur les long parcours des ondes de la coda, permettant de déduire des informations sur l’évolution du système. Aussi, il demeure possible de caractériser la propaga-tion du champ diffus en décrivant, d’un point de vue macroscopique, l’évolupropaga-tion de son intensité.

FIGURE2.3 – Illustration des caractéristiques du champ diffus.

Description de la propagation d’un champ d’ondes diffus

L’équation du transfert radiatif permet de décrire l’interaction entre le rayonnement et la ma-tière. Elle permet d’analyser la propagation des ondes à travers le milieu en termes d’intensité. L’équation de transfert radiatif décrit la distribution de l’énergie dans un milieu diffusant en tant que fonction de l’espace, du temps et de la direction de propagation. Cette équation décrit l’in-tensité spécifique, c’est-à-dire la quantité d’énergie traversant une surface orientée, par unité de temps et de surface. Évaluer le transfert radiatif permet de décrire la transition entre différents ré-gimes de propagation : des ondes balistiques directes, vers des ondes faiblement diffuses, et enfin multiplement diffusées.

Historiquement, l’équation du transfert radiatif a été introduite de manière phénoménolo-gique par Chandrasekhar (1960). Pour une revue détaillée de la dérivation analytique de l’équa-tion, nous référons par exemple à Lagendijk and Van Tiggelen (1996).

Considérons le cas général d’une onde qui se propage au sein d’un ensemble de diffuseurs ani-sotropes. Cette équation n’admet, dans ce cas, pas de solution analytique exacte. L’utilisation d’hy-pothèses simplificatrices permet en revanche de se ramener à des cas d’étude plus simples. Après un grand nombre de collisions, la répartition angulaire de l’intensité spécifique devient quasi-ment isotrope. Selon Lagendijk and Van Tiggelen (1996), l’équation de transfert radiatif se ramène alors à une équation de diffusion pour l’intensité. Il est alors possible de décrire la propagation de l’onde de manière macroscopique, en étudiant l’évolution de son intensité, c’est-à-dire l’intégrale, sur toutes les directions de propagation, de l’intensité spécifique.

Supposons la propagation d’une onde en 2D en présence de diffuseurs isotropes. Dans ce cas, l’équation de transfert radiatif peut être résolue analytiquement. Le problème est solutionné initialement par Tieliang and Longsheng (1988), et l’intensité solution s’écrit en fonction d’une constante de diffusion Di f f = V·ℓ/2 , où V est la vitesse des ondes et ℓ, le libre parcours moyen. Le libre parcours moyen est une grandeur clef dans la caractérisation du régime de diffusion. Dans la suite du manuscrit, son estimation permettra d’évaluer l’établissement d’un régime de forte dif-fusion, ce qui constitue une condition nécessaire à l’application des méthodes de CWI. Notons que dans le cas anisotrope précédemment mentionné, l’équation fait intervenir le libre parcours moyen de transport ℓ* (voir Fig. 2.3) qui diffère du libre parcours moyen ℓ d’un facteur d’anisotro-pie de diffusion. La figure 2.3 décrit de manière schématiques les différentes grandeurs physiques nous conduisant à caractériser le champ d’ondes, à savoir la longueur d’onde λ, le libre parcours moyen ℓ et le libre parcours moyen de transport ℓ*. Notons enfin que nous ne faisons pas la dif-férence, dans les paragraphes précédents, entre la notion d’intensité et celle de densité d’énergie, ces deux grandeurs étant proportionnelles.

2.1.2 Reconstruction de la fonction de Green : utilisation de la coda sismique ou du

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