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Chapitre 1 : Du texte au genre

8. Les caractéristiques discursives de l’article de presse

8.1. L’interdiscursivité

Dans le Dictionnaire d’analyse du discours, concernant le discours, Charaudeau et Maingueneau précisent : « Tout discours est traversé par l’interdiscursivité, il a pour propriété constitutive d’être en relation multiforme avec d’autres discours, d’entrer dans l’interdiscours. (…) L’identité d’un discours ne fait qu’un avec son émergence et son maintien à travers l’interdiscours. » L’interdiscursivité journalistique peut être le résultat d’une interaction avec d’autres discours sociaux comme le discours politique, économique ou sportive qui sont répertoriés dans des rubriques appropriées, mais elle peut aussi se manifester par la présence de discours rapportés dans les articles qui peuvent représenter une rubrique spécifique comme la tribune libre ou un genre comme le point de vue.

8.2. Le discours cité

Mettre en scène les paroles d’autrui est une stratégie discursive très répandue dans la presse écrite en dehors des genres dialogaux et polylogaux des médias, comme c’est le cas pour l’interview, l’entretien et le débat ; dans ce type de genres subsiste une alternance entre discours citant (les questions posées) et le discours cité (les réponses). Selon que l’approche abordée est d’ordre linguistique ou d’ordre communicationnel et sociologique, la nomenclature diffère pour introduire la parole d’autrui. Ainsi, les spécialistes de presse écrite parlent de discours direct pour la première approche et de citation pour la seconde, mais dans les deux cas elles présentent la même analyse pratique développée comme suit :

L’analyse pratique porte son intérêt sur les verbes introducteurs de DR (par exemple Monville-Burston 1993), sur leur modalité (dire/ prétendre), sur les degrés d’adhésion du journaliste à ce qu’il rapporte, sur la scénographie discursive de l’acte de rapporter, sur les diverses manières de transposer un discours, etc. Dans le cadre plus spécifiquement linguistique, les ilots textuel (Authier), les formes mixtes comme le discours direct avec que (Rosier) sont étroitement dépendants du corpus de presse où ces formes sont abondamment utilisées. La mise en avant de différents emplois de la typographie pour hiérarchiser l’information dans l’espace graphique du journal et marquer le discours d’autrui (guillemets, italiques, combinaison des deux) entrent aussi en ligne de compte. (Rosier, 2002 : 28)

54 Mouillaud et Tétu (cités par Rosier, 2002 : 29), distinguent, quant à eux, l’emprunt de la citation : l’emprunt est la « reproduction d’énoncé en provenance d’une source d’information » tandis que la citation est la reproduction d’énoncé en provenance d’actants du champ social. La citation inscrit le discours journalistique dans le « réel », ce qui confère au journal une légitimité absolue dans le recueil de ses données.

Le journal doit également sa légitimité à la manière dont il organise ses éléments péritextuels notamment le chapeau.

8.3. Le chapeau

Le chapeau est une unité qui compose le péritextuel, il est régi par des normes visuelles et rédactionnelles, sa définition proposée par les manuels est la suivante : « Court texte rédactionnel coiffant ou précédent le corps d’un article et le résumant. Le chapeau est composé dans un caractère et sur une justification différents de ceux de l’article. » (Voirol cité par Laborde-Milaa, 1997 : 102). Le chapeau, situé entre la titraille et le texte, a pour rôle d’ « accrocher » le lecteur car celui-ci « n’entre pas dans un article comme il entre dans un livre. Son regard balaie la surface imprimée. Si rien ne l’arrête, il passe à la suite. Pour qu’il s’arrête, il faut lui faire signe » (De Broucker cité par Laborde-Milaa, 1997 : 102). Le chapeau est rédigé par le journaliste qui prend en charge l’article et fait office de résumé.

8.4. Genres et rubriques

Outre les genres, le journal est également construit à partir d’une hyperstructure représentée par la « rubrique » ou les « formats » et qui ont « des effets structurants plus forts que les genres » (Adam 2001 : 9). Il existe en effet des rubriques qui sont même à la base du découpage des journaux : questions politiques, économie, questions internationales, pages régionales, culture, société, carnet, horizons-débats, horizons-documents, entreprises, finances, sports, services, etc. Mais, comme le précise Adam, ce double classement des unités rédactionnelles de la presse écrite « explique assez bien le fait que, quand on veut en savoir plus à propos de ces catégories, on se trouve en face d’une hétérogénéité et d’un flou définitionnel décourageants » (2001 : 9). Mouriquand, dans une synthèse récente sur l’écriture journalistique, dévoile qu’il se manifeste de plus en plus « une pernicieuse confusion des genres » et prend pour exemple les emprunts de l’enquête au reportage. Cependant, il affirme

55 que le rôle des genres est bien attesté : « Chacun des genres journalistiques est adapté pour rendre un son particulier. Le reportage, c’est la vie. Le portrait, c’est l’épaisseur humaine. L’interview, c’est la riche sonorité d’une voix. L’enquête, c’est la clarté de la démonstration. Ces caractéristiques, qu’une bonne plume doit savoir rendre, aident à donner du relief à un journal. » (cité par Adam, 2001 : 10)

8.5. L’activité scripturale

Boyer considère que deux principes régulateurs régissent l’activité scripturale dans la société, à savoir, le principe de scription et le principe d’écriture : la scription appartient au domaine du prêt-à-écrire et de l’univocité tandis que l’écriture recourt à la créativité et à la complexité. Dans l’écrit journalistique, la scription concerne les courtes biographies qui figurent dans la rubrique Carnet, le récit de vie dans le Courrier des lecteurs ou bien même un faire-part ; une lettre ouverte, elle, relèvera de l’ordre de l’écriture. La scription mobilise les micro-systèmes de la langue, « des savoirs et des savoir-faire en nombre limité, et même impérativement limité » (Boyer, 1988 :74), contrairement à l’écriture dont « le jeu des possibilités linguistiques et extra-linguistiques est largement ouvert » (ibid.) ; dans ce cas-là, les ressources de la langue peuvent être utilisées dans toute sa richesse. Pour Boyer, la spécificité de l’écriture journalistique se trouve bien plus dans le conflit qui oppose le principe de scription à celui de l’écriture que dans une opposition entre deux ensembles immuables de pratiques textuelles.

9. Récit et société

Les histoires sont inhérentes à toute société et elles se manifestent toutes sous la forme d’un récit puisqu’il est présent dans tout ce qui relève du « raconter » et est transmis à partir de canaux différents. C’est ce qu’affirmait Barthes en 1966 :

Innombrables sont les récits du monde. C’est d’abord une variété prodigieuse de genres, eux-mêmes distribués entre des substances différentes, comme si toute matière était bonne à l’homme pour lui confier ses récits : le récit peut être supporté par le langage articulé, oral ou écrit, par l’image, fixe ou mobile, par le geste et par le mélange, ordonné de toutes substances ; il est présent dans le mythe, la légende, la fable, le conte, la nouvelle, l’épopée, l’histoire, la tragédie, le drame, la comédie, la pantomime, le tableau peint (que l’on pense à la Sainte Ursule de Carpaccio), le vitrail, le cinéma, les comics, le fait divers, la conversation. De plus, sous ces formes presque infinies, le récit est présent dans tous les temps, dans tous les lieux ; il n’y a pas, il n’y a jamais eu nulle part aucun peuple sans récit ; toutes les classes, tous les groupes humains ont leurs

56 récits, et bien souvent ces récits sont goûtés en commun par des hommes de culture différente, voire opposée : le récit se moque de la bonne et la mauvaise littérature : international, transhistorique, transculturel, le récit est là, comme la vie. (Barthes, 1985 : 167)

Kibedi-Varga (citée par Lits, 2008 : 75) présente plutôt le récit comme une catégorie anthropologique constitutive de la nature humaine qui précède le discours. Pour lui, si le récit reste toujours présent malgré les époques et l’évolution des genres c’est bien grâce à sa fonction essentielle qui consiste à « répondre aux questionnements existentiels concernant le faire, le vivre et l’être » (ibid.). Nous nous alignons à cette idée de « catégorie anthropologique », pour l’unique raison que notre vie n’est tout simplement qu’un récit où régissent à la fois un passé, un présent et un futur, le tout contenu dans un cadre spatial. Nos mouvements, nos paroles voire même nos pensées ne sont finalement qu’une multitude de séquences qui forment une trame qui forme à son tour un récit.

9.1. La notion de récit

Le récit est pour Adam un type textuel à l’instar du type descriptif, explicatif, argumentatif, narratif et dialogal. Un même discours peut comporter un ou plusieurs de ces types. Ainsi, dans un article de journal, nous pouvons trouver à la fois du narratif, du descriptif et de l’argumentatif. Par ailleurs, le récit demande la représentation d’au moins un évènement ; il est « minimal » s’il est « constitué de deux propositions narratives liées entre elles par un rapport de contiguïté-consécution temporelle et causale » (Adam 1994 : 17). Adam évoque également une dimension « configurationnelle » du récit qui fait qu’un lecteur ne doit pas seulement suivre une histoire dans sa dimension épisodique, mais qu’il doit être en mesure de saisir ensemble ces évènements successifs afin de dégager une configuration sémantique. L’école narratologique s’est également penchée sur la question du récit et c’est Genette qui a fixé la distinction entre l’histoire, le récit et la narration : « Je propose (…) de nommer histoire le signifié ou contenu narratif (même si ce contenu se trouve être, en l’occurrence, d’une faible intensité dramatique ou teneur évènementielle), récit proprement dit le signifiant, énoncé, discours ou texte narratif lui-même, et narration l’acte narratif producteur et, par extension, l’ensemble de la situation réelle ou fictive dans laquelle il prend place. » (Genette, 1972 : 72)

57 Nonobstant cette nette distinction, l’utilisation du terme récit pour recouvrir ce que Genette appelle histoire est fréquente.

Dans ce qui suit nous verrons que le récit est également présent dans la presse écrite après avoir développé certaines notions.

9.2. Discours et récit

Benveniste distingue deux « plans d’énonciation », c’est-à-dire « deux attitudes possibles du locuteur par rapport à son énoncé, qui fondent deux systèmes énonciatifs différents » (Riegel, Pellat, Rioul 2009 : 1001), à savoir, l’énonciation de discours et l’énonciation historique. L’énonciation de discours correspond au « cas normal de communication », dans ce cas de figure « le locuteur assume la responsabilité de son énoncé dans lequel il inscrit formellement les marques personnelles et temporelles de son énonciation. Les faits énoncés sont mis en relation avec l’acte d’énonciation et le locuteur prend une distance minimale par rapport à son énoncé » (ibid.). Dans une énonciation historique, le positionnement du locuteur est tout autre puisqu’il « prend une distance maximale par rapport à son énoncé, qui relate des évènements passés. Il n’intervient pas dans le récit des évènements, qui n’est pas formellement marqué par sa présence. Le récit apparaît coupé de l’acte d’énonciation et les évènements sont présentés comme indépendants, situés dans une temporalité autre que celle du locuteur » (ibid.). Le passé simple est le tiroir de base de l’ « histoire » et le passé composé le passé perfectif du « discours ». Les successeurs de Benveniste ont préféré au terme « histoire » celui de récit.

Les termes « discours » et « récit » sont des concepts grammaticaux référant à des systèmes de repérage des énoncés. Relève du « discours » toute énonciation écrite ou orale qui est rapportée à sa situation d’énonciation (je-tu/ici/ maintenant). Le « récit », en revanche, correspond à un mode d’énonciation narrative dont la trace de l’énonciateur, co-énonciateur, du moment et du lieu de l’énonciation est effacée dans l’énoncé : « Seule la troisième personne est possible, puisqu’elle ne représente pas un des acteurs de la communication. » (Riegel, Pellat, Rioul2009 : 1003) Ainsi, les évènements sont présentés comme « se racontant eux-mêmes » (Mainguenau, 2003 : 47-48).

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