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Chapitre 1 : Du texte au genre

3. Les genres littéraires

3.1. Genres seconds et genres premiers

Bakhtine (1984 : 295-296) considère qu’il n’y aurait peut-être que des « genres du discours », les genres littéraires ne constituant qu’une variété particulière de ces genres. Il introduit également une distinction entre les genres discursifs « primaires » et les genres discursifs « secondaires ». Les genres « primaires (ou « simples ») sont ceux des échanges verbaux ordinaires. Les genres « secondaires » (ou « complexes ») sont ceux du discours littéraire, du discours scientifique ou encore du discours journalistique ; ils ont la particularité d’absorber et de transformer les genres « primaires » et d’apparaître dans le cadre d’échanges culturels plus complexes et plus développés. En devenant des composantes des genres « secondaires », les énoncés des genres « primaires » perdent leur rapport au réel (Canvat 1999: 68). Les genres littéraires (ou « seconds ») dérivent donc des genres quotidiens (« premiers »), formes antérieures et plus élémentaires. Canvat ajoute toutefois qu’il existe des genres littéraires qui ne différent pas fondamentalement des autres « genres du discours », si ce n’est par le « système de contraintes spécifiques que font peser sur eux l’histoire et l’institution littéraire » (1999 : 86). Cependant, les genres littéraires ne peuvent pas être considérés comme des genres ordinaires du discours, « ne serait-ce que parce qu’ils sont plus complexes, que la fonction esthétique y est plus accentuée, et qu’enfin, distingués dès l’apparition de la poétique, ils jouent un rôle majeur dans l’histoire de la littérature » (Glowinski 1989 : 83).

3.2. Les composants du genre littéraire

Canvat (1999 : 86) affirme que l’hétérogénéité de la notion de genre littéraire impose la distinction de différents composants. C’est ainsi que Meijer (cité par Canvat 1999 : 86) distingue quatre types de composants : énonciatifs, formels, sémantiques et fonctionnels. Schaeffer (cité par Canvat 1999 : 86), pour sa part, en distingue cinq : énonciatifs, réceptifs, fonctionnels, thématiques et formels. Petitjean (cité par Canvat 1999 :86) distingue sept composants : l’ancrage socio-institutionnel, la situation de production, le matériau de réalisation, l’intention communicationnelle, le mode énonciatif (c’est, en somme, tout ce qui relève du contexte discursif, c’est-à-dire du texte comme acte communicationnel), l’organisation formelle et le contenu thématique (c’est-à-dire ce qui relève du « cotexte,

33 c’est-à-dire du texte comme message réalisé). Maingueneau (cité par Canvat 1999 : 86), quant à lui, en différencie huit : le statut des énonciateurs et des co-énonciateurs, les circonstances temporelles et locales de l’énonciation, le support et les modes de diffusion, les thèmes, la longueur et le mode d’organisation. En s’inspirant de ces propositions, Canvat (ibid.) suggère provisoirement de fixer à cinq le nombre des composants nécessaires pour construire la notion de genre littéraire :

– l’ancrage institutionnel qui renvoie aux dispositifs symbolico-sociaux qui contraignent la production des textes (situation centrale ou périphérique dans l’institution littéraire, statut du genre, etc.) ;

– le mode énonciatif qui renvoie au statut de l’énonciateur (réel/ fictif/ feint) ou de l’acte d’énonciation (sérieuse/ludique, oral/écrit) ;

– la fonction qui renvoie à l’effet intentionnel des textes (fonctions illocutoire et perlocutoires) ;

– l’organisation formelle qui renvoie aux structures textuelles (superstructures, éléments grammaticaux, phonétiques, prosodiques et métriques, traits stylistiques, etc.) ;

– le contenu thématique qui renvoie aux traits sémantiques des textes (le « sujet », le « thème », le « monde » construit par les textes, etc.).

Le formaliste russe Tomachevski définit les genres littéraires comme étant « des classes particulières d’œuvres qui se caractérisent par un groupement de procédés autour des procédés perceptibles » (cité par Dubied et Lits 1997 : 54). Tomachevski appelle ces procédés les traits du genre à partir desquels il détermine la notion de « dominante » : « Les traits du genre, c’est-à-dire les procédés qui organisent la composition de l’œuvre, sont des procédés dominants, c’est-à-dire que tous les autres procédés nécessaires à la création de l’ensemble artistique leur sont soumis. Le procédé dominant est appelé la dominante. L’ensemble des dominantes représente l’élément qui autorise la formation d’un genre. » (ibid.).

3.3 Le savoir savant au regard de notre texte littéraire

Le nom de l’auteur Maïssa Bey, le titre de l’ouvrage Surtout ne te retourne pas, la maison d’édition de l’Aube et l’année d’édition 2005 présents dans le péritexte explicitent la catégorie générique du texte : il s’agit bien d’un texte littéraire. D’après les déicitiques pronominaux et les temps verbaux du texte, l’énonciation est à la première personne du singulier, le temps dominant est le présent, le discours est, selon les deux plans d’énonciation de Benveniste,

34 celui de l’énonciateur (énonciatrice en ce qui nous concerne). Le thème est également posé, il s’agit d’un tremblement de terre et plus particulièrement de l’état d’une ville après une telle catastrophe naturelle. Par ailleurs, la capacité discursive est prise en charge par la composition et la disposition du texte et aussi par le choix des types de discours et l’organisation séquentielle. Il s’agit, dans notre cas, d’un type narratif à visée descriptive. En effet, le texte comporte des séquences narratives par la présence de verbes d’action au présent et, tout autant, par la succession d’actions dans le présent telles que « je marche « , « je traverse » , « j’avance et je m’enfonce » qui renvoient aux déplacements de l’énonciatrice. Ces séquences narratives, ponctuées par les verbes de mouvement, sont suivies de séquences descriptives : l’énonciatrice décrit la ville au fur et à mesure qu’elle la traverse elle présente d’abord son cadre général avant d’en faire une description plus détaillée. Nous avons également, à la fois, deux types de séquence descriptive : une description statique celle des choses inanimées et une description dynamique qui est celle des personnes comme c’est le cas de la « femme » ou des « deux jeunes gens » ou aussi celle de l’énonciatrice dans le passage suivant : « je suis couchée dans la poussière. Affaissée, effondrée à mon tour. Minuscule, dérisoire, obstinée, j’essaie d’avancer ». La description dynamique concerne aussi « l’odeur » et la « souffrance » puisque l’énonciatrice emploie, en plus d’extensions nominales (une odeur âcre et offensante de poussière ; une souffrance aiguë, plus aiguë, plus farouche qu’un hurlement de femme), des verbes de mouvement au présent (l’odeur se déploie, elle s’insinue,… ; la souffrance déborde,… ? elle se déverse, creuse son lit,…). La capacité linguistico-discursive est, quant à elle, déterminée par les aspects linguistiques tels que le lexique, les actes de langage, quelques points de grammaire qui font qu’un genre revêt une dimension communicationnelle. Dans notre texte, nous en avons relevé plusieurs comme ceux qui expriment un ordre, un doute une ignorance, une surprise,…etc. Nous mettons aussi en avant les opérations de textualisation par la mise en avant des constructions syntaxiques telles que des phrases verbales avec des verbes de mouvement suivis d’un complément ; par le repérage des indications temporelles et des indications spatiales à la fois des personnes (les enfants, les hommes, les deux jeunes gens, les formes) et des non-personnes (l’odeur, broussailles, une rangée de poteaux électriques) ; par la mise à jour des adverbes de lieu à valeur déictique (là, plus loin, là-bas) qui situent l’énonciation et par l’explication à la fois de la fréquence de la négation, de la formation de l’impératif et du doute.

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