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Chapitre 1 : Du texte au genre

2. Les genres

2.3. Genres, énoncés ou discours ?

La notion de « genre du discours » fut introduite par Bakhtine dans un de ses travaux posthumes. Le nombre de genres est pratiquement infini, car ils relèvent de situations humaines très diverses, évoluant et se renouvelant toujours. Mais Glowinski observe qu’ « au cours des contacts langagiers courants, nous nous servons de certains modèles, que, conscients ou non, ces modèles sont clairs et qu’en parlant, d’une manière ou d’une autre nous leur subordonnons nos énoncés » (1989 : 83). Pour Bakhtine, les pratiques sociodiscursives constituent le lieu d’existence des genres : « Tout énoncé pris isolément est, bien entendu, individuel, mais chaque sphère d’utilisation de la langue élabore ses types

28 relativement stables d’énoncés, et c’est ce que nous appelons les genres du discours.» (Bakhtine 1984 : 293). Il dit également que « nous apprenons à mouler notre parole dans les formes du genre et, en entendant la parole d'autrui, nous savons d'emblée, aux tout premiers mots, en pressentir le genre, en deviner le volume (la longueur approximative d'un tout discursif), la structure compositionnelle donnée, en prévoir la fin, autrement dit, dès le début, nous sommes sensibles au tout discursif qui, ensuite, dans le processus de la parole, dévidera ses différenciations. » (cité par Adam 1989 : 183) L’échange verbal aurait été alors impossible sans les genres du discours à partir desquels est mis en évidence l’existence de pratiques discursives réglées : « Si tous nos énoncés disposent d’une forme type et relativement stable, de structuration d’un tout, c’est parce que nous avons appris, en même temps que notre langue maternelle, des « formes types d’énoncés ». » (Bakhtine cité par Adam : 1997 : 15) Bakhtine considère aussi que tous les phénomènes langagiers s’inscrivent dans une activité sociale puisque « les domaines de l’activité humaine, aussi variés soient-ils, se rattachent toujours à l’utilisation du langage » (1984 : 293). Cette utilisation de la langue « s’effectue sous forme d’énoncés concrets, uniques (oraux et écrits) qui émanent des représentants de tel ou tel domaine de l’activité humaine » (ibid.). Bakhtine (1984 : 293) définit un énoncé selon trois composantes : son « objet », son « style » et sa « construction compositionnelle ». Ces trois particularités contenues dans un énoncé dans le sphère de l’échange verbal engendrent un genre particulier. Par « objet », Bakhtine entend le thème de l’énoncé, son contenu. Le « style » consiste en la sélection que le locuteur opère parmi les moyens lexicaux et syntaxiques fournis par la langue. Enfin, la « construction compositionnelle » recouvre la structure de l’énoncé. Bakhtine insiste sur le fait que ces trois composantes sont indissociablement liées dans tout énoncé appartenant à une sphère de l’échange verbale (1984 : 298) : « Chaque sphère connaît ses genres, appropriées à sa spécificité, auxquels correspondent des styles déterminés. Une fonction donnée (scientifiques, technique, idéologique, officielle, quotidienne) et des conditions données, spécifiques pour chacune des sphères de l’échange verbal, engendrent un genre donné, autrement dit, un type d’énoncé donné, relativement stable du point de vue thématique, compositionnel et stylistique ». Le terme de discours reste toutefois ambigu, Bakhtine (1984 : 306) souligne le caractère « vague » de ce mot car il renvoie « indifféremment à la langue, au processus de la parole, à l’énoncé, à une suite (d’une longueur variable) d’énoncés, à un genre précis du discours, etc., ». Pour lui, cette « confusion terminologique » est due à une « méconnaissance totale de ce qu’est l’unité réelle de l’échange verbale », à savoir, l’énoncé. A cette ambiguïté Bakhtine apporte une définition très claire du mot « discours » : « le discours se moule toujours dans la forme de l’énoncé qui appartient à un sujet parlant et ne peut exister hors de

29 cette forme ». Dans ce cadre-là, les locuteurs sont les principaux acteurs de l’échange verbal d’où découle un énoncé précis et qui fait que la parole est donnée à l’un ou à l’autre pour faire place à une « compréhension responsive » de l’un ou de l’autre : « Le locuteur termine son énoncé pour donner la parole à l’autre ou faire place à la compréhension responsive de l’autre. » (Bakhtine 1984 : 306). L’énoncé n’est plus perçu alors comme « une unité conventionnelle » mais plutôt comme « une unité réelle, strictement délimitée par l’alternance de sujets parlants, et qui se termine par un transfert de la parole à autrui, par quelque chose comme un muet « dixi » perçu par l’auditeur, en tant que signe annonçant que le locuteur a terminé ». Pour dire les choses autrement, tout est bien lié au vouloir-dire du locuteur. Ce dernier, en se référant à des formes stables du genre de l’énoncé va choisir un genre du discours précis pour réaliser son échange verbal, et ce, d’après Bakhtine (1984 : 314) selon la spécificité de la sphère donnée de cet échange, des besoins de la thématique ( de l’objet du sens), de l’ensemble constitué des partenaires : « Pour parler nous nous servons toujours des genres du discours, autrement dit, tous nos énoncés disposent d’une forme type et relativement stable, de structuration d’un tout ». (1984 : 314). Les genres du discours sont les créations de nos échanges dans notre vie qui sont apprises « à travers des énoncé concrets que nous entendons et que nous reproduisons au cours de l’échange verbal » avec d’autre individus », se sont ainsi des « formes de langue » et des « formes types d’énoncés » qui « s’introduisent dans notre expérience et dans notre conscience conjointement et sans que leur corrélation étroite soit rompus. » (Bakhtine1984 : 315). Soulignons également que si nous devons l’expression « genre du discours » à Bakhtine certains auteurs, dont Adam, ont transformé délibérément la notion bakhtinienne de « genres du discours » en « genres de discours » pour désigner les diverses sortes de textes attestables (Bronckart 2004 : 102).