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Chapitre 3: L’étude de terrain

1. La réalité des contextes

1.2. La francophonie libanaise actuelle

1.2.1. Une langue bien implantée au Liban

Ces dernières années , la francophonie a reçu un nouvel élan grâce au retour d’émigrés chiites d’Afrique et aux nombreux étudiants libanais de toutes confessions disséminées dans les universités de France, de Belgique et du Canada ; pour Hafez, le paysage sociolinguistique a bien changé au Liban et il souligne : « Si le confessionnalisme est toujours d’actualité au Liban, le français échappe de plus en plus à ce clivage et il est approprié et revendiqué par ses locuteurs, qu’ils soient musulmans ou chrétiens. Même si le taux de la francophonie reste plus important chez les chrétiens que chez les Musulmans, on assiste cependant à une importance progression dans la communauté chiite » (2006 : 17-18). Dans certains quartiers de Beyrouth des citadins s’expriment spontanément en « franbanais ». Parler de francophonie, c’est également évoquer les écrivains et, dans ce domaine, la littérature libanaise compte quelques grands noms, comme Gibran, l’auteur du Prophète, ou le poète et dramaturge Schéhadé. Se sont affirmés par la suite des auteurs installés en France et écrivant en français, comme Maalouf qui a reçu le prix Goncourt en 1993 et qui est actuellement membre de l’Académie française, Stétié ou Khoury-Ghata. L’orient-Le Jour est l’unique quotidien libanais francophone, tous les samedis ce journal édite le supplément « Les Copains » destiné aux jeunes de 7 à 15 ans, et le premier jeudi de chaque mois, les lecteurs peuvent découvrir le supplément « Littérature ». Le Monde du Moyen Orient est l’un des trois hebdomadaires de langue française et sept mensuels féminins francophones sont édités au Liban dont le plus important est Noun. La presse française importée de Paris est également présente au Liban et connaît un véritable essor : « Dès 1992, le Liban est redevenu le premier importateur de presse française de la région devant l’Egypte, la Turquie. Depuis 1996, plus de 105 millions d’exemplaires de la presse française sont vendus annuellement au Liban. Ainsi, le Liban est devenu le 14e marché à l’export des nouvelles messageries de la presse parisienne et son 7e marché en chiffre d’affaires sur 107 pays. » (Mounin cité par Hafez, 2006 : 138).

118 Malgré ces chiffres positifs, la francophonie libanaise est en mauvaise passe.

1.2.2. Une francophonie en mauvaise passe

Dans son article Le livre scolaire, les institutions éducatives et la francophonie libanaise, Hoyek (2010 : 178-180) énumère des constats alarmants concernant la place du français au Liban :

– Premier constat : durant les 25 dernières années, le pourcentage des élèves francophones a chuté de 77.7% à 62.4% perdant ainsi 15% de la population des élèves alors que le pourcentage des élèves anglophones a enregistré une augmentation de 20% :

1982 - 83 1992 – 93 1996 – 97 2000 – 01 2007 - 08 Variation

Français 77.7 70.1 69.6 67 62.4 -15%

Anglais 17.7 26.9 30.4 33 37.6 +20%

– Deuxième constat : durant les 8 dernières années, le nombre des établissements francophones a diminué de 61 et celui des établissements anglophone a augmenté de 83 :

Années scolaires

Total écoles Nbre écoles Fr Nbre écoles Angl. Nbre écoles Fr + Angl 1999 – 2000 2677 1627 524 526 2002 – 03 2704 1576 559 569 2006 – 07 2812 1566 607 639 Evolution du Nbre des écoles

en 8 ans

119 Les établissements Fr+ Angl. sont ceux qui ont à la fois une section anglophone et une autre francophone.

Par ailleurs, le plus grand pourcentage des nouveaux établissements scolaires anglophones se retrouve dans le secteur public qui, en contrepartie, diminue ses établissements francophones. Ainsi, 52 établissements francophones ont été fermés alors que 58 établissements purement anglophones ont été inaugurés en moins de 8 ans. Selon Hoyek, la fermeture des établissements français pourrait trouver son explication dans « l’inefficacité de l’enseignement du français que connaît ce secteur et que lui reconnaissent tous les rapports, même officiels, d’évaluation » ; il souligne également que le secteur privé payant réussit mieux cet enseignement. Afin de préserver la présence du français dans les écoles privées payantes, une grande partie d’entre elles ouvrent deux sections parallèles d’enseignement bilingue, l’une francophone, l’autre anglophone. Ainsi, durant les 8 dernières années, 40 nouveaux établissements scolaires ont été inaugurés dont 5 purement francophones et 35 francophones et anglophones à la fois.

– Troisième constat : de 2002 à 2008, la consommation de presse française a enregistré une chute de 16%.

– Quatrième constat : une recherche menée par l’Association Libanaise des Enseignants de français (ALEF) auprès d’un échantillon national d’élèves d’EB9 (classe de 3e, 15 ans) dont le français est langue seconde, a montré que ceux-ci, surtout les garçons, ont un rapport négatif à la langue française. Cette recherche, d’après Hoyek, a mis en relief les représentations négatives que les garçons ont du français : « Pour cette catégorie d’apprenants, le français n’est pas la langue de la science ni celle de la technologie. Il n’est pas non plus la langue du commerce ni des finances. C’est la langue belle et douce des salons et de la culture. Que faut- il de plus pour que ces apprenants voient en elle une langue réservée au sexe féminin? Faut-il mentionner que plus de 93% des enseignants de français du Liban appartiennent à ce même sexe ? »

En outre, notre sondage mené dans des écoles implantées dans des régions où le français n’est pas favorisé a révélé que sur 122 filles, 56,55% d’entre elles ne sont pas en contact avec des documents écrits ; sur 134 filles, 44,02% ne parlent pas en français en dehors de la classe ; dans le cas contraire, elles communiquent dans cette langue plutôt dans leur milieu familial ;

120 sur 126 filles, 50,79% affirment regarder des émissions ou des films en français. En ce qui concerne les garçons, sur 62 réponses, 54,83% d’entre eux affirment être en contact avec des documents écrits en français ; sur 58 garçons, 55,17% parlent en français en dehors de la classe notamment avec leur famille tandis que sur 48 garçons, 58,33% regardent des émissions et des films en français. Ce sondage montre que les élèves inscrits dans des classes francophones gardent, un tant soit peu, un contact avec cette langue en dehors de leur cours de français.

– Cinquième constat : comparé à l’anglais, le français apparait comme une langue moins utile tout en étant plus difficile à apprendre. Le pourcentage de succès aux épreuves officielles du français est inquiétant :

Bac SG (sciences générales) SV (sciences de la vie) SE (science économique) LH (langue/humanité Français 29.6 24.45 22.8 17.71 20.41 Anglais 32.4 50.4 52.8 32.54 38.92

L’épreuve de français et d’anglais ont la même structure générale, à savoir, une partie de « compréhension écrite » et une partie de « production écrite » et les deux épreuves portent sur l’argumentation, mais celle du français concerne plus la typologie textuelle et la grammaire tandis que l’épreuve d’anglais porte sur des questions de compréhension d’ordre thématique et lexical. Ainsi, comme le souligne Hafez (2006 : 109), les questions de français tournent autour du repérage, de la vérification et de l’analyse, par exemple : A- Relevez les deux interrogations qui figurent dans le texte. B- Quel aspect du problème révèle chacune d’elles ? Y a-t-il dans le texte une réponse précise à la première interrogation ? Justifiez. En anglais, les consignes portent sur le repérage, la déduction et l’explication : Why is it difficult to teach children the virtue of tolerance ? Give two reasons from the text ; Which two sentences in the text show that Hannah learned the lesson of tolerance ? How would you describe the father’s attitude? Is it permissive, strict or what? Explain in 1-2 sentences. Hafez souligne que le grand écart entre ces deux résultats est peut-être dû au statut de ces deux langues : « L’anglais occupe le statut de langue étrangère dans les écoles anglophones, tandis que dans les écoles francophones, le français est considéré comme une langue de formation et de scolarisation, donc la barre est placée très haut. » (ibid.)

121 L’expansion de l’anglophonie est également un autre constat malheureux puisqu’elle représente un réel danger pour le trilinguisme (et donc aussi pour l’apprentissage du français) : « Si l’enseignement francophone a depuis toujours favorisé l’apprentissage de l’anglais, nous constatons malheureusement que partout où s’étend l’enseignement en anglais, il le fait au détriment de l’apprentissage du français. » Une étude réalisée par un groupe de chercheurs de l’Université Saint Joseph a montré que plus le nombre d’anglophones augmente dans une région, plus celui des trilingues diminue. Comparant le taux de ceux qui sont exclusivement anglophones à celui des trilingues, l’étude relève cette progression étonnante :

Kesrouan Metn Baabda Aley

Anglophone exclusivement

6.4 12.1 35.5 53.6

Trilingue 71.8 59.1 24.5 8.8

1.2.3. Des recommandations

Afin que le français au Liban retrouve un nouvel élan, Hoyek (2010 : 185-186) apporte les recommandations suivantes :

1. Porter secours de toute urgence à l’enseignement du français dans le secteur public, notamment celui du cycle primaire pour réduire sa tendance à se diriger vers l’anglais. 2. Œuvrer de façon à ce que l’école publique qui enseigne en français assure un

enseignement efficace de l’anglais. Ainsi, désireux d’assurer le trilinguisme à leurs progénitures et convaincus que l’apprentissage du français facilite celui de l’anglais, les parents n’opteront plus pour les établissements anglophones.

3. Entreprendre tous les efforts nécessaires pour :

a. Créer un mouvement de réflexion didactique, à la lumière du CECR (cadre européen commun de référence pour les langues), visant à ancrer dans des esprits des enseignants du français comme des décideurs en matière de politique éducative la notion et les spécificités du français langue étrangère d’enseignement (pour éviter de reprendre le terme de FLS)

122 b. Revoir, en fonction de ce statut, le contenu du programme de français, la méthodologie et les critères d’évaluation de son enseignement, ce qui réduirait la difficulté de son apprentissage et augmenterait les pourcentages de succès aux épreuves officielles de français.

4. Engager des recherches pour trouver les facteurs susceptibles de donner plus d’attractivité à la langue française et à son apprentissage et pour favoriser la construction d’une image sociale positive de cette langue.

5. Soutenir par tous les moyens les institutions scolaires et universitaires francophones, véritables bastions de la francophonie libanaise, sans oublier celles du secteur privé qui s’est imposé comme acteur principal dans le domaine.

6. Améliorer le niveau de français des enseignants en français pour fournir aux apprenants davantage d’occasions de communiquer en cette langue.