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Elise PENALVA-ICHER

Doctorante en sociologie, ATER, Université de Lille 1, Clersé.

elise.penalva@wanadoo.fr

Mots clés : Réseaux sociaux, investissement socialement responsable, entrepreneurs institutionnels,

forums hybrides, collégialité, coopération, convention de qualité.

L’Investissement Socialement Responsable (ISR) est un marché financier récent en France. Il est encore sous le coup d’une grande incertitude relative à sa pérennité et à sa qualification. En s’inspirant, mais aussi en se démarquant des fonds éthiques américains, l’ISR français tente de produire une finance responsable, en appliquant les grands enseignements du développement durable à la gestion (De Brito et al, 2005). Le but de cette nouvelle finance est notamment de proposer une solution technique « durable » au débat sur la retraite par capitalisation.

Cependant, l’incertitude inhérente à la jeunesse du marché français de l’ISR n’est pas un problème réglé. Il reste à produire une « convention de la qualité » (Eymard-Duvernay, 1989, Favereau et al, 2002) du « socialement responsable ». Cette convention passe, dans ce monde financier technique, par les « process ». Le « screening positif » est majoritaire sur le marché de l’ISR français. Mais, nous verrons que la qualification de l’ISR demande une analyse plus subtile. En effet, deux conventions, qui tiennent plus compte de l’avenir de ce marché que de ses pratiques, sont en bataille. La question de la qualification de l’ISR s’incarne alors dans la réponse que les acteurs apportent à une autre question que celle des techniques : Ce marché est-il une niche ou doit-il, à termes, devenir « mainstream » ? C’est autour de cette question que le produit, mais également les acteurs qui veulent mettre leurs empreintes sur ce marché pour y être un jour incontournables se qualifient. La création de ce nouveau marché demande, en effet, la désignation de certains acteurs comme étant des « entrepreneurs institutionnels » (Zucker, 1987, DiMaggio, Powell, 1991, Fligstein, 2001, Boxembaum, Battilana, 2004). Ces derniers s’inscrivent au cœur de réseaux, qui produisent un processus social et politique d’institutionnalisation par la qualité. Ce processus peut être compris comme un capital social collectif (Lazega, 2006).

L’incertitude de l’ISR a également pour effet de créer un milieu social très hétérogène et interdépendant. En effet, de nombreux acteurs venant d’organisations très différentes (société de gestion, agence de notation extra-financière, ONG, syndicat…) entrent en interaction pour essayer de qualifier le « socialement responsable ». Ils ont besoin les uns des autres pour exister dans ce marché : certains apportent leur légitimité financière, d’autres leurs expertises sociales ou environnementales. Cette hétérogénéité inter-organisationnelle s’exprime dans une vie sociale intense entre les acteurs de l’ISR. Ils s’organisent dans des « forums hybrides » (Callon, 1986). En effet, de nombreuses réunions, groupes de travail, « roadshow »… sont autant d’occasion d’instituer des relations entre ces acteurs hétérogènes. Nous verrons que deux types de relations émergent de ces forums hybrides : la collaboration et l’amitié. De plus, la règle de fonctionnement de ces forums hybrides repose sur la collégialité (Lazega, 2001).

La méthodologie de cette recherche repose à la fois sur une enquête ethnographique et sur une approche quantitative, notamment pour restituer l’interdépendance de ressources entre ces acteurs

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hétérogènes (Lazega, 1998). Ces deux approches sont complémentaires. L’analyse des deux réseaux complets de collaboration et d’amitié n’a pu être entreprise qu’avec l’apport de l’ethnographie. Celle- ci a notamment permis de fixer les frontières de ce milieu, d’identifier les relations importantes dans l’échange de ressources et de comprendre les conventions de qualité en bataille dans la qualification de l’ISR.

Enfin, nous examinons comment, grâce à ces relations d’amitié et de collaboration, certains de ces acteurs parviennent à devenir des « entrepreneurs institutionnels » du marché français de l’ISR. En effet, les relations de collaboration et d’amitié servent à établir un processus social de régulation, qui permet à ce marché de devenir coopératif pour profiter des expertises de tous les types d’acteurs, mais également d’instaurer une concurrence sociale. Ainsi, seuls certains acteurs deviennent des « entrepreneurs institutionnels », selon certaines caractéristiques sociales, mais surtout selon leur place dans les deux réseaux. Cette position permet à certains financiers de reprendre la main sur la qualification du « socialement responsable ». La qualification avait, en effet, longtemps appartenu aux agences de notation, avec le rôle de l’Arese, première agence de notation extra-financière devenue, après son rachat par Nicole Notat, Vigeo (Gond, Leca, 2004, Giamporcaro-Saunière, 2006). Cette reprise en main financière s’appuie sur l’allégeance d’acteurs, comme les syndicats, à la vision financière « mainstream » de l’ISR. Au final, ce processus permettra à ces deux types d’acteurs d’être légitimes dans un marché qui aura, peut-être, à gérer les encours de la retraite par capitalisation.

Bibliographie

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Callon M., (1986), « Eléments pour une sociologie de la traduction, la domestication des coquilles saint-jacques et des marins-pêcheurs dans la baie de Saint-Brieuc », L’année Sociologique, n°36, pp 169-208.

Callon M., Muniesa F., (2005), « Economic Markets as Calculative Collective Devices », Organization Studies, vol. 26, n°8, 1229-1250.

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Fligstein N., (2001), “Social Skill and the Theory of fields”, Sociological Theory, Vol. 19, N°2, pp 105-125. Giamporcaro-Saunière S., (2006), L’investissement socialement responsable entre l’offre et la demande :

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Gond J-P., Leca B., (2004), « la construction de la notation sociale des entreprises ou l’histoire d’Arese », in

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