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Catherine COMET

Clersé-CNRS, Institut de Sociologie et d’Anthropologie Université de Lille 1, Villeneuve d’Ascq

Catherine.Comet@univ-lille1.fr

Mots clés : concurrence, performance, réseaux sociaux, trous structuraux, sources de pouvoir, incertitudes

La littérature sur les réseaux sociaux et le capital social oppose généralement deux principaux arguments. D’après l’argument des trous structuraux (Burt 1992, 2005), la performance relative des acteurs découle des vides structuraux dans leur réseau, car les réseaux ouverts stimulent leur créativité et leur capacité d’innovation. D’après l’argument des réseaux fermés (Coleman 1990), la cohésion et la fermeture des groupes facilitent l’action collective en favorisant le contrôle social, l’émergence de normes communes et la confiance. Nous proposons de dépasser cette opposition en mettant l’accent sur l’aspect dynamique de la concurrence. Tous les acteurs n’ont pas les mêmes intérêts en fonction de leur légitimité ou de leur position hiérarchique par exemple. La manière dont les réseaux sociaux constituent ou non une source d’avantage concurrentiel pour un acteur dépend plutôt de ses sources de pouvoir. Nous illustrons cette proposition théorique avec trois exemples se rapportant à des formes d’organisation très différentes : une grande entreprise, un nouveau marché financier et une organisation de la production par métier. A partir de la comparaison de ces exemples, nous élaborons ensuite un modèle général articulant réseaux, avantage concurrentiel et sources de pouvoir.

Le premier exemple est tiré d’une étude menée dans une grande entreprise de high-tech aux Etats- Unis, qui analyse les effets des réseaux personnels des managers sur la vitesse de leur promotion (Burt 1992). L’un de ses principaux résultats est d’établir que les vides structuraux ne profitent pas à tous les acteurs. Les directeurs les mieux placés dans la hiérarchie tirent effectivement avantage des vides structuraux dans leur réseau. Cependant, les nouvelles recrues et les femmes sont au contraire pénalisées quand elles disposent de réseaux épars. Elles sont en revanche promues plus rapidement quand elles ont des réseaux limités et cohésifs, comprenant au moins un directeur plus haut placé sans lien hiérarchique avec elles. D’après Burt, les effets des trous structuraux varient selon la légitimité des acteurs. Nous proposons une interprétation alternative fondée sur une analyse stratégique (Crozier et Friedberg 1977) : ces variations s’expliquent par les sources de pouvoir relatives de ces différentes catégories de managers.

Le second exemple concerne le lien entre la réputation des acteurs et l’ouverture de leurs réseaux personnels sur un nouveau marché financier : l’Investissement Socialement Responsable (Penalva et al. 2007). Deux types de stratégies radicalement opposées ont un effet positif sur la réputation individuelle : cette dernière se renforce avec la fermeture des réseaux mais également, dans une moindre mesure, avec l’ouverture des réseaux personnels. Ces stratégies ne bénéficient toutefois pas aux mêmes acteurs. Les interdépendances dans le processus de production et le degré de légitimité déterminent le rendement de leur capital social. Les acteurs financiers comme les gestionnaires de fonds tireraient profit des réseaux ouverts, alors que leurs fournisseurs comme les agences de notation extra-financières auraient plutôt intérêt à développer des réseaux cohésifs et fermés.

Le dernier exemple confirme le rôle des incertitudes sociotechniques dans le rendement des réseaux personnels (Comet 2007). Il concerne le lien entre capital social et profitabilité dans quatre corps de métier du bâtiment. Ces corps de métier occupent des positions différentes dans le process de production, qui déterminent le degré d’interdépendance des entreprises sur les chantiers. De plus, le

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degré de spécialisation varie également. Or les réseaux des entrepreneurs n’ont pas le même effet en fonction de ces caractéristiques sociotechniques. Les entreprises de maçonnerie, plus autonomes sur les chantiers, et d’électricité, plus spécialisées, voient leur marge bénéficiaire augmenter avec l’ouverture de leur réseau. Les entreprises de plomberie, moins autonomes et plus diversifiées, tirent au contraire avantage de réseaux fermés.

La relation entre performance et ouverture des réseaux sociaux n’est donc pas linéaire. A partir de ces exemples, on peut dresser un modèle général tenant compte du contexte d’action. Quand un acteur occupe une position subordonnée et bénéficie de peu de légitimité, la relative fermeture de son réseau lui permet un meilleur contrôle de son activité, d’autant plus que celle-ci est soumise à de fortes incertitudes. Il peut en cas de difficulté compter sur la coopération d’alliés sûrs. Cependant, le rendement de son réseau décroît à mesure qu’il acquière une meilleure maîtrise de son travail, grâce à ses connaissances de l’organisation et de son activité. L’étape suivante consiste non plus à se protéger des incertitudes, mais à tenter d’en tirer profit. Quand la légitimité et l’autonomie d’un acteur se consolident, les réseaux ouverts peuvent alors devenir des sources d’opportunité. Cette dynamique concurrentielle mériterait néanmoins d’être éprouvée à partir d’enquêtes longitudinales.

Références

Burt, R. S. (1992) Structural holes: The social structure of competition. Cambridge (Massachussetts) and London (England): Harvard University Press.

Burt, R. S. (2005) Brokerage and Closure: An Introduction to Social Capital. New York: Oxford University Press.

Coleman J. S. (1990) Foundations of social theory. Cambridge, Harvard University Press.

Comet, C. (2007) ‘Capital social et profits des artisans du bâtiment : le poids des incertitudes sociotechniques’.

Revue française de sociologie. 48(1): 67-91.

Crozier, M. et Friedberg, E. (1977) L’acteur et le système. Paris: Seuil.

Penalva, E., Agneessens, F., Comet, C., Eloire, F. (2007) ‘The formation of coalitions in a new market: The case of Socially Responsible Investment in France’. Working paper, QMSS final conference, European Science Foundation, Prague.

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Dynamique des réseaux sociaux, apprentissage collectif et controverses :

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