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3.3.3 « L ES FEMMES ÉCRIVENT , LES HOMMES PUBLIENT »

EXPLORATION GÉNÉALOGIQUE DU JOURNAL INTIME MANUSCRIT

3.3.3 « L ES FEMMES ÉCRIVENT , LES HOMMES PUBLIENT »

a. « Les silencieuses de l'histoire »490

Désormais que nous avons vu de quelle façon la pratique diaristique pouvait – et devait – s'appréhender en tant que pratique culturelle, attachons-nous à décrire un paradoxe qui caractérise l'appréhension du journal intime : en effet, alors qu'il s'agit d'une pratique principalement féminine, les journaux de ces dernières sont peu étudiés. Tous les chercheurs s'accordent de fait sur le caractère genré de cette pratique : il y aurait une véritable « propension des femmes à l'écriture journalière »491. Et les chiffres confirment cet état de fait : « les femmes sont dans l’ensemble deux fois plus nombreuses à se consacrer à cette

activité (10 % contre 5 %) ; notamment lors de la période adolescente et étudiante (un quart des jeunes filles en cours d’études tiennent un journal intime contre 9 % de leurs homologues garçons) »492. Dans le tableau suivant493, nous voyons bien qu'effectivement, excepté chez les plus de 63 ans – où la pratique est à égalité –, les femmes sont en moyenne deux fois plus nombreuses que les hommes à tenir un journal intime.

Figure 11, Statistiques pratique diaristique déclarée 2008 – Olivier Donnat

489 Lejeune Philippe, « Le journal comme antifiction », 2005, In Autopacte.org, [En ligne].

490 Expression de Françoise Simonet-Tenant (Simonet-Tenant Françoise, Le journal intime : genre littéraire et

écriture ordinaire, op. cit., p.53).

491 Simonet-Tenant Françoise, Le journal intime : genre littéraire et écriture ordinaire, op. cit., p.52. 492 Donnat Olivier, Les pratiques culturelles des Français à l'ère numérique : enquête 2008, op. cit., p.202.

Pour les mêmes raisons qu'évoquées précédemment, ces chiffres sont à prendre avec précaution, puisque reposant sur une pratique déclarée – et non observée –, en cours – excluant une pratique ancienne ou interrompue –, et sont le résultat d'une question imprécise – englobant journal intime et notes personnelles. Par ailleurs, nous pouvons postuler une réserve plus grande chez les hommes à revendiquer une telle pratique, réputée féminine : ils sont donc peut-être sous-représentés dans ces chiffres. Enfin, les statistiques ne portent que sur les individus de 15 ans et plus – alors que, selon Philippe Lejeune, « c'est entre 10 et 15

ans que s'écrivent, chez les filles, le plus de journaux » (Lejeune Philippe, « Combien de diaristes en

France ? », In Autopacte.org, [En ligne]).

493 Qui reprend les statistiques établies par Olivier Donnat dans son étude de 2008 (Donnat Olivier, Les

pratiques culturelles des Français à l'ère numérique : enquête 2008, op. cit., [En ligne]). À noter que ces

chiffres, par contre, portent sur une pratique déclarée en cours – « ont pratiqué en amateur au cours des douze derniers mois ».

Hommes Femmes

15 À 30 ANS 8 % 19 % x 2,4

31 À 45 ANS 3 % 8 % x 2,7

46 À 62 ANS 5 % 8 % x 1,6

Plusieurs interprétations sont proposées pour expliquer cette connivence entre le genre féminin et l'écriture diaristique. Pour Béatrice Didier ou Françoise Simonet-Tenant, les femmes se seraient repliées sur cette pratique, puisque ayant difficilement accès à d'autres formes d'écriture, du fait notamment de l'« hostilité systématique » ou de l'« ironie »494 dont fait preuve la société à l'égard de leur aspiration à écrire ; « parce qu'on

leur conteste le droit à l'écriture, les femmes auraient affirmé leur moi dans une forme d'écriture modeste et éphémère, écriture de l'ombre prétendument immédiate, celle des carnets intimes et des correspondances, seul moyen d'expression à leur disposition »495. De son côté, Philippe Lejeune propose une explication centrée sur l'éducation : il démontre, au travers d'une étude historique, de quelle façon le journal intime a pu être une pratique pédagogique réservée aux jeunes filles, et ce dès le XIXème siècle ; il s'agissait alors de faire de cette pratique un moyen d'apprentissage de l'écriture, mais aussi d'éducation morale. Selon lui, et comme le reprend Françoise Simonet-Tenant, « faire de la propension féminine

à tenir un journal un mouvement naturel constitue sans doute une justification commode qui méconnaît l'utilisation du journal comme technique d'éducation dans les milieux aristocratiques puis bourgeois »496. Nous percevons bien ici de quelle façon l'influence sociale vient structurer les pratiques, jusqu'à celles considérées comme les plus personnelles : croire que la femme est plus disposée à tenir un journal intime car naturellement plus encline à exprimer sa sensibilité497 et son intimité, c'est négliger l'empreinte sociale qui vient déterminer, au-delà des dispositions personnelles de chaque individu, les pensées et les actions. Ainsi, comme l'explique l'historienne Michelle Perrot, « dans notre société, jamais la division sexuelle des rôles, des tâches et des espaces n'a été

poussée aussi loin. Aux hommes, le public dont la politique est le centre. Aux femmes, le privé, dont le domestique et la maison forment le cœur »498. Dans ces conditions, il semble peu étonnant que les femmes se soient tournées vers ce moyen d'expression qui possède la particularité de pouvoir s'épanouir dans le secret.

Écriture avant tout féminine donc, et pourtant délaissée dans les premières études : qu'il s'agisse des travaux de Béatrice Didier, de Pierre Pachet ou d'Alain Girard, le journal féminin y tient une place discrète, voire inexistante. Le paradoxe s'explique simplement : les

494 Didier Béatrice, op. cit., p.11.

495 Simonet-Tenant Françoise, Le journal intime : genre littéraire et écriture ordinaire, op. cit., p.54. 496 Simonet-Tenant Françoise, Le journal intime : genre littéraire et écriture ordinaire, op. cit., p.54.

497 Le clivage femme-sentiment / homme-action, s'il s'est aujourd'hui quelque peu assoupli, reste présent. L'on

pourrait évoquer sans doute la fameuse « sensibilité féminine », qui est souvent soumise comme argument dans les discours de sens commun, et qu'il pourrait être tentant d'avancer pour expliquer que les femmes confient plus volontiers leurs pensées et émotions à un carnet.

études s'étant dans un premier temps massivement portées sur les journaux intimes publiés, et les journaux féminins étant rarement édités, les regards se sont tournés naturellement vers les journaux masculins. Car le réel paradoxe se trouve ici : d'après Philippe Lejeune, dans les années 2000 encore, « 85% des journaux publiés en France [...] sont le fait d’hommes,

et 15% de femmes »499.Comment expliquer ce décalage ?

Il semblerait que l'on puisse tout d'abord pointer du doigt la représentation qui est faite dans notre société du journal intime féminin : celui-ci « souffre indéniablement d'une

image dévalorisante, entachée de passivité, de mièvrerie, de sentimentalité quand ce n'est pas de bigoterie »500. En outre, il apparaît que « les silencieuses de l'histoire ont souvent

contribué d'elles-mêmes à l'étouffement de leurs voix »501 ; persuadées que leur journal n'intéressera personne, les femmes auraient d'elles-mêmes détruit celui-ci, quand ce n'est pas leur descendance qui s'en est chargée, « pressentant l'indifférence […], redoutant

l'incompréhension ou l'ironie de leurs héritiers »502. Philippe Lejeune qui s'est intéressé, dans son ouvrage Le moi des demoiselles, aux journaux de jeunes filles du XIXème siècle503, a rencontré une difficulté certaine à constituer son corpus ; évoquant le cas d'une jeune fille qui a tenu un journal dans les années 1860, il écrit : « dès les premières pages de son

journal, elle signale que toutes ses amies en tiennent un. Mais où sont les journaux d'antan ? »504. Le peu d'attention accordée à cet objet pourrait expliquer en partie que nombre d'entre eux aient disparu, qu'ils aient été jetés ou simplement égarés. Mais on peut voir aussi dans « l'acte d'autodestruction […] une forme d'adhésion au silence que la

société impose aux femmes, faites, comme l'écrit Jules Simon, " pour cacher leur vie " ; un consentement à la négation de soi qui est au cœur des éducations féminine, religieuse ou laïque, et que l'écriture – comme aussi la lecture – contredisaient »505. Comme nous l'avons écrit plus tôt, le domaine public, celui de la publicisation donc aussi, est détenu par l'homme : tout ce qui est publicisé est majoritairement masculin, tout comme il existe un monopole de l'homme sur l'écriture ; ces clivages, s'ils ont été remis en cause par le féminisme, et progressent peu à peu vers un amoindrissement, sont encore une réalité à

499 Lejeune Philippe, « Le journal comme antifiction », 2005, Autopacte.org, [En ligne].

500 Simonet-Tenant Françoise, Le journal intime : genre littéraire et écriture ordinaire, op. cit., p.53. 501 Simonet-Tenant Françoise, Le journal intime : genre littéraire et écriture ordinaire, op. cit., p.53. 502 Perrot Michelle, op. cit., p.14.

503 Lejeune Philippe, Le moi des demoiselles : enquête sur le journal de jeune fille, op. cit.

504 Philippe Lejeune va jusqu'à constater que les rares journaux sur lesquels il a réussi à mettre la main sont

ceux dont l'auteur a été emporté par une mort précoce : « il semble que la tuberculose ait souvent, en tuant

la diariste, immortalisé le journal […]. En revanche les diaristes qui ont survécu ont eu le temps de tuer leur journal, de le perdre... » (Lejeune Philippe, Le moi des demoiselles : enquête sur le journal de jeune fille, op. cit., p.9 & 22).

notre époque. Dans ces conditions, difficile pour une femme de se voir reconnaître la valeur de l'un de ses écrits – si ce n'est elle-même qui en doute –, et d'autant plus de le voir publié.

Ce double processus de sur-visibilité et de valorisation de la pratique diaristique masculine tend à exacerber, tout à la fois, une représentation du journal intime féminin comme écrit « fleur bleue » et de piètre qualité, et celle du journal intime masculin comme œuvre littéraire. Le cercle est vicieux : les journaux intimes féminins sont peu publiés car considérés comme moins légitimes, et cette sous-exposition renforce leur discrédit.

Pour notre part, nous avons souhaité donner une visibilité aux journaux intimes féminins. Au cours de notre étude généalogique, nous avons fait le choix d'aborder les écrits de trois femmes, et celui d'un seul homme ; de même, notre corpus empirique, présenté en seconde partie de cette thèse, n'est constitué que de femmes. Si nous ne saurions dire que les diaristes mis en avant dans notre étude ont été choisis en premier lieu à partir de ce critère, il nous est néanmoins apparu rapidement indispensable de donner une place centrale à la dimension genrée de la pratique dans notre analyse : en faire abstraction aurait été, selon nous, un non-sens.

b. Le journal de jeune fille

De fait, la question du genre nous apparaissant fondamentale, nous souhaitions aborder l'étude réalisée par Philippe Lejeune sur le « journal de jeune fille »506, dont l'influence fut déterminante sur la pratique diaristique féminine ; celui-ci, qui s'est épanoui tout au long du XIXème, peut être en effet considéré comme l'ancêtre du « journal d'adolescence moderne »507, dont Anne Frank est justement l'une des représentantes.

Philippe Lejeune, constatant l'absence des femmes dans les généalogies littéraires de ses prédécesseurs, a mené un véritable travail d'archive508, porté par l'intuition que celles-ci étaient au contraire nombreuses à avoir tenu un journal intime, et ce peut-être avant même les diaristes considérés comme précurseurs509. Il date ainsi l'apparition du journal de jeune

506 Dénomination de Philippe Lejeune, pour désigner les journaux écrits par des individus de sexe féminin,

non mariés, et âgés de moins de 25 ans. Son étude est circonscrite au territoire français, et aux aires francophones immédiatement voisines, et au XIXème siècle – entre 1789 et 1914.

Lejeune Philippe, Le moi des demoiselles : enquête sur le journal de jeune fille, op. cit.

507 Désignation là encore de Philippe Lejeune.

508 Déterrant de véritables trésors oubliés, grâce à une recherche active sur le terrain : il a, par exemple, lancé

des appels dans la presse, s'est déplacé dans la France, a mené un travail de pistage d'après des sources diverses, pour retrouver plus de 100 journaux ; sans doute n'est-ce là encore qu'une partie infime des journaux de jeunes filles de l'époque.

509 Philippe Lejeune mène actuellement une étude sur l'émergence du journal personnel en France dans la

fille aux années 1780 – avec les journaux de Lucile (future) Desmoulins, et de Germaine (future) Staël –, puis constate un creux jusqu'aux années 1830, postulant une destruction des journaux intimes, due au « faible intérêt attaché, à l'époque, à des textes appartenant à un

genre qui n'avait pas encore été légitimé par des publications »510. Si Philippe Lejeune a conscience que la production de ces journaux n'a peut-être pas toujours été constante, et que « dans l'état actuel de [s]es connaissances [...] c'est seulement au début de la monarchie de

Juillet ([1830]) que la pratique semble s'établir et se répandre »511, ses résultats révèlent le biais qu'il y a à dater la naissance du journal intime en se basant uniquement sur les textes accédant à la publication ; les journaux de Delacroix ou d'Alfred de Vigny nous sont restés, mais l'intérêt qui leur a été porté ne s'explique-t-il pas par le statut de leurs auteurs ? De même, ce n'est sans doute pas un hasard si les deux journaux de jeune fille qu'il a pointés – Lucile Desmoulins et Germaine de Staël – sont ceux de personnalités qui marqueront l'histoire. Le doute est donc grand quant à la datation exacte d'une naissance du journal intime ; tout juste pouvons-nous conclure qu'elle semble se jouer à la fin du XVIIIème siècle, et que les femmes n'y étaient pas en reste.

Concentrant ses conclusions sur les certitudes, Philippe Lejeune définit, au terme de son étude, trois grandes phases dans le développement du journal de jeune fille :

▫ La première s'étend de 1830 à 1848, et c'est celle de la « génération romantique ». Pendant cette période, la pratique reste encore peu codifiée, et une certaine liberté de ton s'exprime dans les journaux.

▫ Mais c'est lors de la seconde période que la pratique semble s'établir réellement : son corpus s'épaissit effectivement au cours de ce qu'il a choisi d'appeler la « génération de l'ordre moral » (1850-1880). C'est l'époque de l'utilisation du journal intime à des fins édifiantes : il s'agit à la fois de pratiquer un examen de conscience, et l'exercice de la rédaction. Il est intéressant de constater que cette pratique se fonde sur un modèle ; c'est en effet à partir des années 1850 que se développent les livres pédagogiques proposant aux jeunes filles des modèles de journaux. En 1858, paraît le Journal de Marguerite, de Mlle

Moniot512, « best-seller aujourd'hui oublié, qui a formé la sensibilité de plusieurs

intimes], de toutes sortes, variés, certains étonnants ». Il propose, sur son site Web, une série de

monographies sur des journaux de la période en question : celles-ci, que nous avons découvert trop tardivement, n'ont pu être appréhendées en profondeur, mais leur lecture nous a néanmoins confirmé que les études fondées uniquement « à partir des traces publiques » ont tendu à détourner les regards des autres productions diaristiques, et à fausser, notamment, l'estimation de l'époque d'apparition du genre. Lejeune Philippe, « Aux origines du journal personnel (France 1750-1815) », In Autopacte.org, <http://www.autopa cte.org/Origine.html> (18.02.13).

510 Lejeune Philippe, Le moi des demoiselles : enquête sur le journal de jeune fille, op. cit., p. 421. 511 Lejeune Philippe, Le moi des demoiselles : enquête sur le journal de jeune fille, op. cit., p.422.

générations de petites filles »513. Ce journal spirituel fictionnel, retraçant l'histoire de Marguerite, pré-adolescente dans l'attente fervente de sa première communion, aura un tel succès qu'il sera suivi en 1861 de Marguerite à vingt ans514, ouvrage qui se clôture sur l'entrée de la jeune fille au couvent. En proposant un modèle d'écriture « fondé sur l'oubli du

moi, la fusion en Jésus »515, ce journal « va exercer une influence importante sur les petites

filles et jeunes filles à venir en proposant un modèle d'écriture inscrit dans une perspective édifiante »516, codifiant la pratique pendant plusieurs décennies.

Il est intéressant de constater que cette pratique ne concernera que la bourgeoisie et la noblesse, et seulement les filles : Philippe Lejeune, malgré ses longs mois de recherche, n'a en effet trouvé quasiment aucun journal masculin ; il semblerait que les techniques d'éducation n'aient pas été les mêmes pour les garçons517. En outre, il apparaît que le journal de l'ordre moral repose sur une relation principalement mère/fille : la pratique du journal semblait en effet peu tolérée dans les pensionnats ou les couvents, et « c'est dans l'éducation

à la maison, sous la conduite de la mère ou de l'institutrice, qu'il joue un rôle essentiel »518. Enfin, ces journaux se clôturent généralement sur un mariage arrangé : la jeune fille, une fois installée dans sa vie conjugale, est devenue femme, et son éducation morale est achevée ; la tenue d'un journal, de fait, est devenu superflue.

Nous percevons bien, ici, comment le journal intime, instrument de liberté dans son fondement, peut devenir « prison, autant que refuge »519 ; de quelle façon cet objet si personnel, aux motivations intimes, peut naître d'une prescription. L'on distingue l'écart profond entre journal intime et journal spirituel, le premier étant fondé sur une attention toute particulière au « moi », le second au contraire sur un effacement de ce « moi » ; et au final, dans ces journaux de l'ordre moral, « le miroir dans lequel [ces jeunes filles] se

regardent n'est pas vraiment un miroir. Leur moi y est peint d'avance. On leur demande de conformer leur image à des modèles »520. Cependant, l'on aurait tort de conclure que ces

journaux appartiennent définitivement et absolument au genre du journal spirituel ; car certaines jeunes filles tentent d'aller au-delà, de détourner le modèle initial. Et l'instrument

Paris : Librairie Périsse Frères, 1861, T.1.

513 Lejeune Philippe, Le moi des demoiselles : enquête sur le journal de jeune fille, op. cit., p.345.

514 Mademoiselle Moniot, Le journal de Marguerite : Marguerite à vingt ans, Paris : Libraire Périsse Frères,

1868, T.2.

515 Lejeune Philippe, Le moi des demoiselles : enquête sur le journal de jeune fille, op. cit., p.18. 516 Simonet-Tenant Françoise, Le journal intime : genre littéraire et écriture ordinaire, op. cit., p.55.

517 « Le garçon, lui, apprend le latin, des choses qui ne sont pas pour les filles, et ses relations avec son

précepteur ne sont pas du même ordre ». (Lejeune Philippe, Le moi des demoiselles : enquête sur le journal de jeune fille, op. cit., p.21).

518 Lejeune Philippe, Le moi des demoiselles : enquête sur le journal de jeune fille, op. cit., p.345. 519 Lejeune Philippe, Le moi des demoiselles : enquête sur le journal de jeune fille, op. cit., p.82. 520 Lejeune Philippe, Le moi des demoiselles : enquête sur le journal de jeune fille, op. cit., p.11.

de contrôle devient espace d'affranchissement, l'identité figée devient personnelle ; « même

si l'écriture du journal est en quelque sorte " commandée " par l'institution pédagogique, les cahiers réels ont l'imprévisibilité, la liberté et la richesse de la vie »521.

▫ La troisième génération de journaux de jeune fille est celle de la « Troisième République », qui s'ouvre en 1880 et annonce le XXème siècle. C'est une période charnière, car disparaît alors la perspective d'édification, et qu'au cœur de ces journaux « s'affirment le

goût de l'introspection et de l'écriture, l'exigence spirituelle et la remise en cause du sort imposé aux femmes »522. A la tête de cette génération, Marie Bashkirtseff, qui offrira un exemple tonitruant de « journal laïque du MOI »523, et plus tard Catherine Pozzi524, qui aura « le courage de rejeter, après examen, la religion catholique et de se lancer, à quatorze ans,

toute seule, contre son milieu, dans une recherche intellectuelle et spirituelle exigeante qui occupera toute sa vie »525. Toutes deux526 annoncent le journal d'adolescence moderne, et représentent « le journal de jeune fille en train de s'émanciper de cette tutelle et de

s'engager dans les voies modernes de l'affirmation et de l'exploration du moi »527.