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EXPLORATION GÉNÉALOGIQUE DU JOURNAL INTIME MANUSCRIT

CHAPITRE 3 ANNE FRANK : DE LA PRATIQUE ORDINAIRE À L’ŒUVRE ÉDITÉE

3.2 UNE HISTOIRE DE L'ÉDITION MOUVEMENTÉE 1 L ES DIFFICULTÉS D ' UNE PUBLICATION

3.2.3 U N JOURNAL COMPOSITE

Au final, le journal d'Anne Frank est une œuvre composite, puisque procédant de l'addition de plusieurs versions, et composée sur la base de différents supports ; réécrit par son auteur, mais également revu par son père ou différents éditeurs, il est le résultat d'un certain nombre de retouches, reprises, arrangements. L'histoire tumultueuse de son écriture et de son édition en fait une œuvre riche et précieuse, témoin tout autant de la vie d'une jeune fille en cette période de guerre, que des réticences d'une époque à voir publier un texte

345 Ce qui est moins le cas aujourd'hui, les lecteurs ayant été familiarisés, par le biais des préfaces des éditeurs,

aux pièges qui contrarient la publication d'un journal intime. Dès lors, l'on peut postuler qu'ils sont également plus méfiants lorsqu'ils rencontrent un ouvrage de ce type.

346 Exemple en Annexe 2 (p.589) – signalons qu'il s'agit de l'extrait que nous analyserons. 347 Frank Anne, Les journaux d'Anne Frank, op. cit.

348 Lejeune Philippe, « Génétique et autobiographie IV : Anne Frank », Communication CLELIA, 2007, [En

ligne].

349 Frank Anne, Journal d'Anne Frank, op. cit. 350 Rosselin-Bobulesco Isabelle, op. cit., p.6.

si personnel en l'état.

a. Une remise en cause de l'authenticité

Conséquence directe du caractère hybride du journal intime d'Anne Frank : certains y trouvèrent la justification d'une remise en question de l'authenticité du journal. Un certain nombre d'éléments peuvent en effet prêter à confusion : un journal écrit sur plusieurs carnets, mais aussi sur feuilles volantes, existant en différentes versions, et dont les divers supports ont fait l'objet d'ajouts et de corrections. Tout ceci peut s'expliquer dès lors que l'on connaît l'histoire du journal mais, comme nous l'avons dit, celle-ci a été, un temps, tue au public, ce qui soulèvera certains questionnements.

Dès l'année 1957, un journal suédois351 annonce que Meyer Levin, critique américain qui s'était vu confier par le père d'Anne Frank l'adaptation théâtrale du texte, n'est autre que l'auteur du journal : selon le journaliste à l'origine de l'article, la somme qui lui avait été versée par Otto Frank attestait de cet état de fait, d'autant plus que la pièce en question n'avait jamais été représentée. Il s’avéra finalement qu'Otto Frank s'était vu obligé de dédommager le metteur en scène, ayant rompu son contrat avec lui, insatisfait de son travail. Mais le mal était fait : dix ans plus tard, en 1967, la revue américaine The american mercury développera le même argumentaire.

En France, il faut attendre 1980 pour qu'un coup sérieux soit porté au journal d'Anne Frank : cette année-là, Robert Faurisson publie un article intitulé « Le journal d'Anne Frank est-il authentique ? » dans l'ouvrage Vérité historique ou vérité politique ? coordonné par Serge Thion. Il y affirme, en s'appuyant sur une enquête menée par lui-même, que le journal intime d'Anne Frank a en fait été écrit par son père ; « même si je pense qu’[Otto Frank] ne

croyait pas que son œuvre connaîtrait un immense succès (qui, du même coup, risquerait d’en faire apparaître les terribles failles) […], même si j’ai la conviction qu’il ne cherchait nullement à monter une vaste escroquerie [… ], la vérité m’oblige à dire que le Journal

d’Anne Frank n’est qu’une simple supercherie littéraire »352. Pour avancer cela, il a tout d'abord procédé à une critique interne du journal, pointant des « absurdités matérielles »353, incohérences qui, selon lui, prouvent la fictionnalité du journal : il s'étonne par exemple que les bruits354 engendrés par les huit clandestins n'aient pas éveillé les soupçons ; il pointe du

351 Fria ord, cité In Rosselin-Bobulesco Isabelle, op. cit., p.347.

352 Faurisson Robert, « Le journal d'Anne Frank est-il authentique ? », In Thion Serge, Vérité historique ou

vérité politique ?, Paris : La vieille Taupe, 1980. p.285.

353 Faurisson Robert, Ibid., p.219.

doigt la fumée des ordures brûlées, ou les livraisons de nourriture, qui ne pouvaient manquer de provoquer la méfiance des voisins ; il exprime son scepticisme à l'égard de la « porte-armoire » – donnant accès à l'Annexe –, dont la construction aurait, selon lui, forcément dû attirer l'attention. Robert Faurisson a ensuite mené un examen des lieux de l'Annexe355, concluant que, du fait de la disposition des bâtiments, ou de la présence de nombreuses fenêtres, il était impossible que huit êtres humains y vivent sans éveiller les soupçons. Enfin, il a rencontré Otto Frank, qui selon lui a été incapable d'expliquer ces incohérences, ainsi que d'autres témoins majeurs – leurs protecteurs ou la femme de ménage –, peu crédibles selon lui, car peu enclins à détailler les événements relatés dans le journal. Il en conclut que « les Frank et, peut-être, d’autres juifs ont effectivement vécu dans

l’arrière-maison du Prinsengracht. Mais ils y ont vécu tout autrement que ne le raconte le

Journal. Par exemple, ils y ont vécu d’une vie sans doute discrète, mais non comme dans

une prison. [...] Leur aventure a été tristement banale. Elle n’a pas eu ce caractère rocambolesque, absurde et visiblement mensonger que M. Frank a voulu faire passer pour réaliste, authentique et vécu »356.

Après lecture de l'article, que nous avons abordé avec une vigilance certaine357, il nous est apparu que Robert Faurisson se contentait d'émettre de nombreuses hypothèses, mais qu'il était dans l'impossibilité de les valider. Par exemple, affirmer que les voisins auraient forcément dû remarquer les clandestins – première hypothèse –, et les dénoncer – seconde hypothèse –, c'est faire de la somme de deux éventualités une évidence. Ses doutes quant à la crédibilité des témoins relèvent eux aussi d'un postulat tout personnel, tout comme la vraisemblance qu'il accorde aux seuls témoins contredisant l'existence du journal358. Si Robert Faurisson multiplie les supputations, leur démonstration repose en outre sur une posture tout sauf scientifique : une lecture attentive et documentée de son article révèle que, sous l'apparente minutie et rigueur de son « enquête », se dissimule une argumentation à charge ; son acharnement à la dénonciation, sa façon de présenter des impressions personnelles en preuves implacables, son style d'écriture même – polémique –, nous apparaissent contestables. Par ailleurs, nombre d'incohérences qu'il dénonce nous semblent s'expliquer simplement, dès lors qu'elles sont considérées dans leur contexte359.

des disputes, qui selon Robert Faurisson n'auraient pu passer inaperçus.

355 Qui abrite désormais un musée, La maison d'Anne Frank. 356 Faurisson Robert, op. cit., p.257.

357 En raison de la réputation de Robert Faurisson, connu pour ses thèses négationnistes, tout comme celle de

Serge Thion, le directeur de publication de l'ouvrage dans lequel l'article a été publié.

358 Il évoque notamment un témoin-clé qui, selon lui, démonterait toute la version d'Otto Frank, mais qui a

choisi de préserver l'anonymat.

Enfin, pour achever cette rapide esquisse de notre lecture critique de l'article de Robert Faurisson, pointons que les contresens y sont nombreux – par exemple, s’employer à démontrer que trois expertises graphologiques qui ont conclu à l'authenticité du journal apportent finalement caution à ses soupçons de supercherie –, et que nombre de ses démonstrations nous semblent reposer sur des procédés « malhonnêtes » – notamment, faire des variations entre les différentes éditions du journal d'Anne Frank la preuve d'une supercherie, en balayant d'un revers de la main l'histoire particulière de l'édition de cet écrit.

L'ardeur de Robert Faurisson à défendre sa théorie témoigne des enjeux politiques qui entourent la publication du journal d'Anne Frank ; contester la valeur référentielle de cet écrit, c'est faire naître le doute quant à la persécution des juifs pendant la seconde guerre mondiale – qui ne serait qu'un outil de la propagande sioniste, au même titre que les « prétendues » chambres à gaz. L'enjeu est de taille ; cet « anecdotique » journal intime, parce qu'il a la force de la preuve écrite, met à mal les thèses négationnistes. Dès lors, le projet de Robert Faurisson n'est pas, contrairement à ce qu'il avance, d'expertiser avec impartialité les éléments disponibles, mais de mener une argumentation à charge, afin de discréditer cet écrit qui embarrasse ses théories révisionnistes.

Mais si l'article de Robert Faurisson n'a su nous convaincre, les publications successives de pamphlets s'attaquant au journal « finirent par ébranler des personnes qui

n'avaient aucune raison de douter de son authenticité »360, au point que l'Institut national néerlandais pour la documentation de guerre décide de mener une expertise complète du journal, réalisée par le laboratoire judiciaire national néerlandais : une analyse du papier, de l'encre ou de la colle des carnets démontrera l'utilisation de matériaux correspondant à l'époque présupposée de l'écriture, et son contexte de guerre ; de plus, une expertise graphologique du journal, mais également de tous les autres écrits d'Anne Frank, attestera que l'ensemble provient bien de sa main, et qu'il n'existe aucun doute quant à l'authenticité du journal.

Pour conclure sur ce point, rappelons que le pacte autobiographique nécessite la collaboration du lecteur, aussi bien concernant la référentialité prétendue de l'écrit, que la correspondance entre l'auteur et le narrateur, ou la sincérité de ce dernier. Or, les écrits autobiographiques sont naturellement enclins à éveiller la méfiance, ce qui n'est pas le cas

alors qu'ils sont censés être en restriction de nourriture ; pour notre part, nous pouvons tout à fait imaginer les tensions que peut créer la gestion de la nourriture dans de telles conditions, et nous ne sommes par ailleurs pas surprise que l'adolescente, agacée, ait pu exagérer – d'autant plus que, nous l'avons dit, même les récits qui se prétendent référentiels reposent sur les ressentis et les interprétations de leur auteur.

par exemple du pacte de fiction, l'auteur ne demandant pas à son lecteur « de croire pour de

bon à ce qu'il raconte »361. Dès lors, s'il se sent floué, le lecteur peut réagir vivement, les sensibilités étant exaspérées lorsque est convoqué l'argument de « vérité » : comme l'écrit Béatrice Didier, l'on a « toujours tendance à trouver plus scandaleux le journal que le

roman, parce que [l'on] s'imagine que l'écrivain est plus près de la vérité dans le journal et n'a pas l'excuse de la fiction »362.

Par ailleurs, le journal d'Anne Frank se trouve au cœur d'enjeux idéologiques, qui expliquent également les réactions brutales dont il a pu faire l'objet : au témoignage personnel s'associe un témoignage historique, importun pour tous ceux qui défendent une autre conception de l'histoire. Nous percevons ici, en tout cas, que le lecteur empirique est bien différent du lecteur modèle ; sans doute le père d'Anne Frank et l'éditeur auraient-ils pris plus de précautions dans l'édition du journal – en proposant, par exemple, un appareillage critique explicitant l'histoire complexe de ce dernier – s'ils avaient envisagé la méfiance que cet écrit pourrait provoquer. Enfin, nous voyons de quelle façon certaines réactions du lectorat – les soupçons de falsification – ont donné naissance à une nouvelle version éditoriale ; la réception du journal a donc rétroagi sur les modalités de publication de cet écrit.

Au-delà du caractère composite de la composition du journal, qui amena le doute sur son authenticité, le journal d'Anne Frank se présente également hybride dans son contenu : il est à la fois témoignage historique et personnel – ce que nous souhaiterions aborder dès maintenant.

b. Un double témoignage

Ce journal intime possède en effet la particularité de procéder d'un double témoignage : celui d'une jeune fille, découvrant les bouleversements propices à son âge, et celui d'une victime des affres de la guerre et du nazisme, aux prises avec un monde qu'elle ne comprend plus. Aux traits classiques du journal intime d'adolescence, qui caractéristiquement prend la forme d'une quête intérieure, est associé un regard sur l'Histoire, et les événements du dehors, quand, paradoxe, cette jeune fille n'y a plus accès.

Anne Frank débute son journal le jour de ses 13 ans, et les premières pages sont consacrées à sa vie de collégienne, relatant ses amitiés et discordes avec ses camarades,

361 Lejeune Philippe, Qu'est-ce que le pacte autobiographique ?, op. cit., [En ligne]. 362 Didier Béatrice, op. cit., p.36.

rapportant le nom de ses admirateurs, ou faisant le compte-rendu de ses devoirs. Mais moins d'un mois plus tard, c'est l'installation à l'Annexe, et le ton d'Anne Frank devient peu à peu plus grave363 ; elle n'est rapidement plus la petite fille légère et rieuse des premières pages, et devient « une jeune fille apprenant à mieux se connaître et découvrant le monde qui

l'entoure. On assiste à la maturation psychique et psychologique d'une enfant qui devient adolescente »364.

Elle s'analyse et dresse un autoportrait scrupuleux de ce qu'elle observe : « je t'ai

déjà raconté (dit) plusieurs fois », écrit-elle le 1er août 1944, « que mon âme est pour ainsi dire divisée en deux. D'un côté se logent ma gaîté exubérante, mon regard moqueur sur tout, ma joie de vivre et surtout ma façon de prendre tout à la légère. Par là, je veux dire que je ne vois rien de mal à flirter, à donner un baiser, à serrer quelqu'un dans ses bras, à dire une blague de mauvais goût. Ce côté est le plus souvent à l'affût et refoule l'autre côté qui est bien plus beau, plus pure365 et profond. C'est vrai finalement, le beau côté d'Anne,

personne ne le connaît et c'est pourquoi si peu de gens peuvent me supporter »366. Cette dualité qu'elle observe en elle, mise en mots dans ce dernier écrit, sera tout au long du journal prétexte à nombre d'auto-analyses, dans lesquelles elle ne cesse de se remettre en question, se reprochant tantôt ses maladresses, ruminant tantôt son statut d'incomprise.

Autre leitmotiv de son écriture, ses relations avec les autres, et notamment sa rancœur envers sa mère, qui essuie souvent les foudres de sa colère adolescente, bien plus que les autres membres de sa famille : son père, au contraire, est souvent décrit en termes élogieux. Sa relation amoureuse naissante avec Peter est elle aussi scrutée, avec une émotion non dissimulée dans un premier temps, puis sans concession, dès lors qu'elle comprend qu'il n'est pas fait pour elle, tant il est résigné, quand elle est obstinée. Car revendicatrice, Anne Frank l'est certainement, au point que les conflits avec les autres clandestins se multiplient : au fond d'elle-même, elle se sent adulte, et ne comprend pas que les autres continuent à la traiter comme une enfant. Anne Frank crie beaucoup, se plaint souvent, elle trépigne parfois de rage dans l'Annexe, bien trop petite pour contenir toutes ses aspirations ; en fait, « Anne

juge le caractère, les motivations et le comportement de chacun selon une éthique rigoureuse, certainement imprégnée des principes libéraux de son père et de l'influence

363 Béatrice Didier écrira à ce sujet : « Anne Frank, obligée par le nazisme à la réclusion dans un logement

exigu, découvre au jour le jour une vocation d'écrivain et une maturité exceptionnelle » (Didier Béatrice, op. cit., p.12).

364 Rosselin-Bobulesco Isabelle, op. cit., p.339.

365 Les fautes d'orthographe de la diariste ont été reproduites – comme c'est le cas pour tous les extraits de

journaux intimes que nous avons retranscrits.

366 Frank Anne, Les journaux d'Anne Frank, op. cit., p. 733.

religieuse de sa mère »367. Esprit en ébullition, certes souvent bruyant, grincheux, accusateur, mais souvent juste : elle scrute le monde d'un regard empreint de valeurs.

Au-delà de la réflexion qu'elle porte sur sa vie, elle n'a de cesse également de se poser des questions sur la nature de l'homme : « pourquoi dépense-t-on chaque jour des

millions pour la guerre et pas un sou pour la médecine, pour les artistes, pour les pauvres ? Pourquoi les gens doivent-ils souffrir la faim tandis que dans d'autres parties du monde une nourriture surabondante pourrit sur place ? Oh, pourquoi les hommes sont-ils si fous ? »368. Son étonnement face à la violence et aux injustices s'accompagne toujours d'une compassion pour ceux qui souffrent, car malgré son ton parfois caustique, elle ne cesse de croire en la possibilité d'un monde meilleur.

Anne Frank s'interroge sur une période de l'Histoire, mais il y a aussi le quotidien, cette vie de réclusion subie par les huit clandestins : gestion des réserves de nourriture, récits de cambriolage, fréquence des bombardements, la vie de l'Annexe est réglée sur celle de l'extérieur. Et « dans cet univers clos qu'est l'Annexe, Anne se tourne vers l'extérieur et

paradoxalement élargit son champ de vision, en s'instruisant, en s'informant sur les événements du dehors »369 : Anne Frank sait les rafles et les déportations, elle connaît les rumeurs sur les chambres à gaz. Elle suit, avec les autres clandestins, les nouvelles à la BBC, rapporte les positions de l'armée, les anecdotes sur Hitler, le sort réservé aux juifs, le Débarquement370. Nous percevons bien ici de quelle façon regard sur soi et regard sur le monde s'imbriquent, et comment l'un et l'autre se complètent. C'est, au fond, nous semble-t- il, toujours le cas dans les journaux intimes, à des degrés divers : d'une part, comme nous l'avons déjà évoqué, l'appréhension de soi ne peut exclure la présence d'autrui ; d'autre part, le regard sur soi ne peut s'abstraire d'une perception du monde. Le journal intime « se définit

ainsi comme une écriture hybride, ouverte a priori aux variations et inventions, dont le propos ne se restreint pas au champ de l'introspection »371 : il n'est pas uniquement regard sur soi, et se trouve toujours ouvert, à différents degrés, sur l'« extérieur » ; il « se fait

nécessairement caisse de résonance des événements du monde, et de soi dans le monde »372. À partir du XXème siècle, certains auteurs ambitionnent de tenir, aux antipodes du journal intime, un journal « externe », « non personnel, tout entier aspiré par le monde et

367 Rosselin-Bobulesco Isabelle, op. cit., p.344.

368 Frank Anne, Les journaux d'Anne Frank, op. cit., 3 mai 1944, p.664. 369 Rosselin-Bobulesco Isabelle, op. cit., p.340.

370 « " This is the day ", a dit la radio anglaise à midi et en effet, " this is the day ", le débarquement a

commencé ! », Frank Anne, Les journaux d'Anne Frank, op. cit., 6 juin 1944, p.702.

371 Rannoux Catherine, op. cit., p.7.

les autres »373 : c'est le cas par exemple de Michel Tournier et de son Journal extime (2002)374, ou d'Annie Ernaux, qui publie en 1993 Le journal du dehors, et en 2000 La vie

extérieure375. Pour notre part, il nous semble que ces ouvrages révèlent eux aussi l'impossibilité qu'il y a à opposer un « dedans » à un « dehors » : la frontière entre l'un et l'autre est impossible à délimiter, car tous deux s'entremêlent et se conjuguent. Réciproquement de ce que nous avons annoncé dans le paragraphe précédent, le regard sur le monde est toujours expression de soi, « il se révèle indirectement, par l'attention portée

aux autres »376 et au monde : « la contemplation vaut pour le contemplateur qu'elle révèle,

comme signe indirect d'un regard et d'un état d'âme »377.

Dans cette perspective, « que l'observation de " la vie extérieure " et la propre vie

intérieure de l'observateur ne s'interpénètrent pas semble tenir de la gageure »378 ; prétendre tenir un journal qui ferait totalement abstraction du « monde extérieur », ou au contraire qui