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EXPLORATION GÉNÉALOGIQUE DU JOURNAL INTIME MANUSCRIT

2.2.2 « G LORIAE CUPIDITATE »

2.3 UNE PUBLICATION POSTHUME

2.3.2 L A PUBLICATION EFFECTIVE

Désormais que nous avons évoqué les projets d'édition posthume de Marie Bashkirtseff, penchons-nous sur l'histoire de sa publication effective, celle-ci nous permettant de constater les résistances à la réalisation d'un tel projet. En cas d'hétéro-édition, le diariste perd le contrôle de la reproduction de son journal intime ; il cède ce travail délicat – en tout cas lorsque la publication est de sa volonté – sans être sûr du résultat. Sans doute Marie Bashkirtseff n'avait-elle pas conscience des nombreux écueils qui pouvaient mettre à mal un tel projet, et de toute façon n'avait d'autre choix que de faire confiance aux futurs éditeurs : cela explique peut-être aussi qu'au XXème siècle, certains diaristes fassent le choix de prendre en main la publication de leur journal – ayant eu connaissance des « ratés » de l'édition diaristique. Dans tous les cas, mettre au jour ces difficultés nous permet d'appréhender, au-delà des motifs personnels, les enjeux liés à la publication d'un texte si intime.

a. Les problématiques de l'hétéro-édition

Philippe Lejeune et Catherine Bogaert résument l'histoire de la publication du journal de Marie Bashkirtseff en une phrase : « préparée par sa mère et par l'écrivain André

Theuriet, l'édition publiée en 1887 donne à peu près un dixième du texte original : elle le remodèle entièrement, saute au début des années entières, sculpte des épisodes, gaze ou omet des aventures un peu risquées, enlève tout ce qui touche de près ou de loin aux histoires et disputes de la famille Bashkirtseff, construit une figure héroïque (ce qui est exact) mais aussi très édulcorée de l'auteur, et traficote le texte, coupe des mots, change des phrases, etc. Cela dit, même affadi et censuré, le texte fit scandale et séduisit »291. Le journal intime publié en 1887 n'est en effet plus que l'ombre de lui-même : la censure y a été systématique, au point de laisser de Marie Bashkirtseff une image bien éloignée de celle que laissait pointer son journal intime manuscrit292.

Il est difficile de déterminer qui, de la famille ou de l'éditeur, est responsable des nombreux écueils de cette publication. S'il semble que Mme Bashkirtseff ait contribué à

291 Lejeune Philippe & Bogaert Catherine, op. cit., p.209.

292 C'est d'ailleurs ce qui a motivé Colette Cosnier à écrire sa biographie de Marie Bashkirtseff ; à la

découverte du manuscrit, qu'elle consultait à d'autres fins, elle a été scandalisée en constatant les écarts entre la légende qui avait été faite de la diariste, et le contenu du journal, au point de décider de lui consacrer un ouvrage afin de « faire revivre la véritable Marie Bashkirtseff » (Cosnier Colette, op. cit., p.14).

épurer le journal, la question se pose de savoir si elle s'est contentée d'arracher les pages trop compromettantes et de noircir les paragraphes gênants293, ou si elle a fait le choix de ne pas remettre la version originale du journal à l'éditeur, mais une retranscription. Dans tous les cas, il semble bien que l'éditeur André Thieuret ait joué un rôle lui aussi dans cette épuration ; il « n'a peut-être eu accès qu'à des cahiers recopiés, mais qui, sinon lui, aurait

pu ajouter une fin apocryphe à la préface laissée inachevée par Marie ? »294

Deux problématiques se posent donc dans le cas d'une hétéro-édition, puisque deux intermédiaires entrent en jeu : la famille – plus justement les légataires –, et l'éditeur. Le contenu d'un journal intime, tout d'abord, peut mettre à mal la sensibilité des proches ; faire le récit de sa vie intime implique d'évoquer aussi son entourage. Il ne peut en être autrement : parler de soi, c'est aussi parler des autres, ceux qui nous entourent, nous accompagnent dans notre quotidien, ou tout simplement nous croisent un jour295. Le souci est que ces personnes n'ont pas fait le choix de figurer dans ces pages, élément d'autant plus problématique lorsque sont révélés des éléments qui ne sont pas censés sortir du cercle familial ou amical.

Dans son journal intime, Marie Bashkirtseff ne se contente pas de décrire son quotidien ou d'évoquer ses états d'âme ; elle révèle les turpitudes familiales, notamment les scandales provoqués par le comportement de son oncle Georges, qui entachent l'histoire de la famille. Or, le journal tel qu'il a été publié ne fait aucune allusion à Georges : il a purement et simplement été rayé de l'histoire familiale, alors que Marie Bashkirtseff semblait y faire régulièrement allusion. Semblait, car le manuscrit a été mutilé : des pages sont manquantes, des phrases noircies, et des commentaires glissés dans les marges ; lorsque, par exemple, Marie Bashkirtseff se plaint de sa famille, sa mère a pris soin de « rectifier » ses dires. Le 30 avril 1880, Marie Bashkirtseff confie que « sortir en famille est

un supplice depuis longtemps » ; une note de Mme Bashkirtseff accompagne cette

déclaration : « ce n'est pas vrai, elle adorait sa famille mais dans les moments de

contrariété, on dit ce qu'on ne pense pas, c'est humain »296. En tête du cahier d'avril 1883, Mme Bashkirtseff ira jusqu'à noter : « ce cahier dont beaucoup de pages n'est qu'un délire d'une malade. La fièvre la faisait trop souffrir et l'imagination la rendait malheureuse ».

293 Colette Cosnier, qui a constaté ces actes de destruction en parcourant le manuscrit, postule qu'ils sont le fait

de la mère de Marie Bashkirtseff, « les cahiers étant longtemps restés entre ses mains après la mort de sa

fille », (Cosnier Colette, op. cit., p.27) et les péripéties familiales étant absentes du manuscrit mutilé.

294 Cosnier Colette, op. cit., p.316.

295 Une réflexion sur la dimension éthique et juridique de cette question sera développée p.527. 296 Cité In Cosnier Colette, op. cit., p.202.

La dimension affective de ce type d'écrits est donc très forte, et la tentation, pour la famille, d'expurger les éléments pénibles à la lecture est grande ; ce n'est pas seulement leur publicisation qui apparaît intolérable à la mère de Marie Bashkirtseff, c'est leur existence : en arrachant les pages, en raturant des passages, elle tente de supprimer ces mots qui lui font violence. Nous le verrons, la plume des diaristes peut être acerbe, le journal intime étant souvent le lieu de règlements de compte : ce qui ne peut être formulé – car trop blessant – est confié dans le secret du journal, et souvent sans délicatesse – les émotions fortes, telles que la colère ou la tristesse étant souvent, nous le développerons, à l'origine de la pulsion d'écriture.

Par ailleurs, la mère de Marie Bashkirtseff ne souhaitait pas voir publiciser certains « secrets » familiaux : les nombreuses confidences contenues dans le journal sont, à ses yeux, incompatibles avec sa publication. La préface du journal, notamment, qui retrace l'histoire familiale, a été remaniée : cette dernière a été « réécrit[e] aux ciseaux »297. Jusqu'à la date de naissance de Marie sera falsifiée : dans la préface manuscrite, Marie Bashkirtseff avait d'abord noté sa véritable année de naissance, 11 novembre 1858, avant de modifier l'année en « 1859 », sans doute par coquetterie. Il se trouve que dans l'édition de 1887, c'est « 1860 » qui apparaît, visiblement pour dissimuler une naissance hors mariage. L'intervention familiale a donc ici pour objectif de protéger la famille de Marie Bashkirtseff d'un scandale – Dina, la fille de Georges, vivra jusqu'en 1914, et Mme Bashkirtseff jusqu'en

1920 – : la publication du journal, en lui donnant une existence publique, fait apparaître des enjeux nouveaux, les confidences de la diariste pouvant avoir des répercussions sur la vie de son entourage. Le contexte social semble donc déterminant : de telles révélations étaient impensables à l'époque, les questions de décence se révélant primordiales – nous le développerons, celles-ci nous paraissent moins prégnantes aujourd'hui.

b. L'épuration du journal

Concernant les modifications visant à édulcorer la personnalité de Marie Bashkirtseff, il est plus complexe d'en identifier précisément les initiateurs ; si nous pouvons postuler que la mère de Marie Bashkirtseff a souhaité préserver la mémoire de sa fille – en considérant que son caractère marginal la desservirait –, l'éditeur avait également tout intérêt à faire en sorte que le journal intime ne soit pas trop en rupture avec l'horizon d'attente du lectorat. La publication fait apparaître des contraintes économiques : il s'agit, pour l'éditeur,

d'optimiser la réception de l'ouvrage – ses objectifs diffèrent donc des considérations familiales. D'un côté, l'image que renvoyait Marie Bashkirtseff dans son journal ne s'accordait pas à la conception que l'on se faisait, en cette fin de XIXème siècle, d'une jeune fille ; d'un autre côté, le caractère audacieux de Marie Bashkirtseff apparaissait séduisant. Il s'est donc agi de procéder à un subtil « cocktail » : expurger ce qui risquerait de heurter le lecteur, mais sans sacrifier ce qui, sans doute, le charmerait. Il a donc fallu « normaliser » le personnage, sans pour autant supprimer ce qui en faisait l'originalité – la singularité de l'ouvrage optimisant son succès, puisque créant une publicité. Nous percevons bien ici le rôle du scandale dans ce qu'on n'appelait pas encore le « marketing » : faire du journal de Marie Bashkirtseff un texte tout à la fois décent et « vendeur ».

Ainsi, les émois et désirs amoureux de Marie Bashkirtseff ont été objets de censure : la jeune fille, qui n'hésitait pas à conter dans les détails le moindre contact avec un homme, et même un baiser échangé – chose qui n'était pas admise à l'époque –, avait une vision peu orthodoxe de l'amour pour une jeune aristocrate. De fait, seront remplacées certaines phrases, sans doute jugées choquantes : par exemple, le 16 mars 1876, à la place de « je

sentis son bras tremblant autour de ma taille et ses lèvres sur ma joue droite », l'on pourra

lire dans la version éditée : « et haletant, les larmes aux yeux, il est tombé à mes genoux »298. Au final, le journal livré au public ne fera aucune allusion à ses différents flirts avec ses prétendants : « on a préféré la petite fille prodigue rêvant à un unique amour, à l'être réel

qui en janvier 1875 faisait la liste chronologique de ses toquades successives et en citait six »299.

Les colères de Marie seront aussi la cible de coupures : des pages de septembre 1880, écrites après que le docteur lui ait annoncé que ses bronches sont attaquées, sont manquantes ; « quels cris de désespoir, quels hurlements de révolte, quelle insoutenable

rage a dû recueillir son journal pour qu'on en ait, à cette date, noirci un paragraphe et arraché une page... »300. L'intervention de la mère de Marie Bashkirtseff dans la transformation de la personnalité de sa fille semble ainsi se confirmer ; elle a œuvré, au côté de l'éditeur, à « lisser » l'image de sa fille – travail qui résulte donc tout à la fois de motifs affectifs, sociaux et économiques. Et tout comme ses colères, l'allégresse de la jeune fille apparaissait inconvenante : les plaisanteries de Marie Bashkirtseff ont souvent été supprimées dans la version éditée, comme s'il était indécent pour une jeune fille de rire trop

298 Cité In Cosnier Colette, op. cit., p.85. 299 Cosnier Colette, op. cit., p.66. 300 Cosnier Colette, op. cit., p. 210.

franchement de certaines choses de la vie.

Ses idées politiques ont aussi été censurées : le 14 mars 1881, après l'assassinat du tsar, Marie notera dans son journal : « la mort tragique de ce vieillard éveille quelque pitié,

fort peu, mais on doit s'en réjouir presque en songeant à l'effroyable gâchis qui régnait en Russie » ; la phrase sera remplacée par « la mort tragique de l'empereur éveille ma pitié et me fait pleurer »301. Quant à la collaboration de Marie à la revue féministe et socialiste La

Citoyenne, elle sera tout simplement tue.

Tout ce qui apparaissait gênant a donc été expurgé dans la version éditée, sans que semblent s'être posées de questions quant à la fidélité au manuscrit : la même imprudence semble avoir guidé les premières éditions du journal de Benjamin Constant. Publier un journal intime était alors relativement nouveau, et nous pouvons postuler que les éditeurs, tout comme la famille, avaient peu conscience des problématiques liées au respect de l'écrit original, qui deviendront peu à peu essentielles dans les projets d'édition de journaux intimes. Les normes d'édition, les sensibilités affectives, et le souci de décence, l'ont donc emporté sur le respect du manuscrit : la réception présumée rétroagit sur les modalités de publication du journal. Dans tous les cas, le journal de Marie Bashkirtseff, tel que publié en 1887, ne ressemble en rien à l'original, et il faudra attendre 1995 pour que paraisse le premier tome d'une version fidèle au manuscrit302.

c. Les publications successives

Malgré toutes les interventions qui ont eu lieu sur le journal, le désir de Marie Bashkirtseff a été respecté par sa famille303 : son journal – ou peut-être sa retranscription – a été confié à un éditeur, André Thieuret. Il est difficile, comme nous l'avons vu, de mesurer les implications de chacun des acteurs dans l'épuration du journal, mais pour l'éditrice qui a pris en charge la publication complète et non censurée du journal intime de Marie Bashkirtseff en 1999304, les choses semblent claires : l'édition de 1887 est « une version

fragmentaire et censurée, préparée par André Thieuret d'après des copies faites par Mme

301 Cité In Cosnier Colette, op. cit., p.218.

302 Bashkirtseff Marie, Mon journal : 11 janvier 1873-10 août 1873, Abbeville : Cercle des amis de Marie

Bashkirtseff, 1995.

303 Les légataires jouent un rôle d'intermédiaire inévitable dans la publication posthume d'un journal intime ;

s'ils font le choix de ne pas respecter la volonté du défunt, celle-ci ne verra jamais le jour.

304 En parallèle à l’initiative du « Cercle des amis de Marie Bashkirtseff », la maison d'édition « L'âge

d'homme » a initié elle aussi le projet d'une édition non expurgée et complète du journal. Cependant, à ce jour, un seul tome est paru, couvrant uniquement les années 1877-1879. (Bashkirtseff Marie, Journal :

Bashkirtseff, mère de Marie »305.

En 1901, une nouvelle version du journal est publiée, et complétée dans une nouvelle édition en 1955, qui sera rééditée en 1981. Mais ces « diverses et nombreuses rééditions du

Journal […] ne sont que la simple réimpression de l'édition originale »306 . En 1925, paraissent les Cahiers inédits intimes, dans lesquels l'éditeur Pierre Borel prétend rétablir le vrai visage des écrits de Marie Bashkirtseff : en vérité, il accommodera à sa convenance des fragments de différents cahiers et lettres personnelles, n'hésitant pas à réécrire certains faits ou à inventer des détails selon ses envies307. En 1925, toujours, il publie Confessions, puis en 1926 Marie Bashkirtseff, dernier voyage ; mais tous ces ouvrages sont des versions tronquées et altérées, basées sur de mauvaises copies, le manuscrit original étant interdit de communication. Celui-ci sera finalement trouvé en 1964 à la Bibliothèque nationale de France, où Mme Bashkirtseff l'avait déposé avant sa mort ; c'est cette découverte qui

permettra de prendre la mesure des multiples écueils des différentes éditions. Colette Cosnier, qui s'est attelée en 1985 à réaliser une biographie de Marie Bashkirtseff, s'interroge : « je n'ai donné là de Marie Bashkirtseff qu'une esquisse à grands traits.

L'image véritable, la photographie est encore tenue cachée. Quel éditeur acceptera de publier intégralement le Journal afin que les femmes de notre temps puissent écouter ce cri, s'y reconnaître et s'en faire l'écho ? »308. Son souhait sera entendu car, à partir de 1995, le « Cercle des amis de Marie Bashkirtseff », sous la direction de Ginette Apostolescu, entreprend d'éditer, fidèlement et en intégralité, le journal de Marie Bashkirtseff, et seize tomes paraîtront entre 1995 et 2005, pour un total de plus de cinq mille pages imprimées309. Il aura donc fallu plus d'un siècle pour que le souhait de Marie Bashkirtseff soit finalement réalisé ; un siècle pour qu'une version fidèle au manuscrit paraisse. La distanciation temporelle est donc encore conséquente, mais l'on remarquera, dans le schéma ci-après, qu'elle s'est raccourcie par rapport à celle du journal de Benjamin Constant : si la version fidèle au manuscrit est encore très longue à apparaître, la première publication se fait chez Marie Bashkirtseff très rapidement après sa mort ; l'antériorité de l'acte d'écriture semble donc diminuer peu à peu.

305 Le Roy Lucile, « Préface », In Bashkirtseff Marie, Journal : Édition intégrale – 1877-1879, Lausanne :

L'âge d'homme, 1999, p.III.

306 Le Roy Lucile, Ibid., p.VI.

307 Pour plus de détails, Cf. Cosnier Colette, op. cit., p.325. 308 Cosnier Colette, op. cit., p.328.

309 Bashkirtseff Marie, Mon journal : 11 janvier 1873-10 août 1873, Abbeville : Cercle des amis de Marie

Bashkirtseff, 1995.

Figure 4, Délais de publication

d. Représentations du journal

Si la première édition du journal de Marie Bashkirtseff s'est faite rapidement, elle a également connu un succès immédiat : « en 1887, ce texte subversif, qui fait éclater tout

cadre normatif, rencontre son public. Plus de 8000 exemplaires sont vendus jusqu'en 1891. Marie fascine ses lecteurs et lectrices ; son Journal devient la bible de toute une génération en France et à l'étranger »310. Le succès est considérable, si bien qu'en 1891 sont publiées les lettres de Marie Bashkirtseff, adressées à sa famille, Emile Zola, Edmond de Goncourt ou Guy de Maupassant311. En 1926, Albéric Cahuet publie l'hagiographie Moussia312, dont le succès est si grand qu'en 1930 paraît sa suite Moussia et ses amis. Un film autrichien sur la vie de Marie Bashkirtseff est même tourné en 1926, qui fera scandale, car elle y apparaît comme ayant été la maîtresse de Maupassant. En 1937, le magazine féminin américain

Minerva va jusqu'à affirmer : « aucune jeune fille n'entre dans la vie sans avoir lu le Journal de Marie Bashkirtseff »313. L'engouement pour sa personne est tel qu'une crypte sera érigée pour son tombeau au cimetière Passy, où les adulateurs viendront se recueillir ; Mme

310 Simonet-Tenant Françoise, Le journal intime : genre littéraire et écriture ordinaire, op. cit., p.57.

311 « Là encore, la rigueur et l'honnêteté ne sont pas ce qui caractérise cette édition » (Cosnier Colette,

op. cit., p.316) : certaines lettres sont censurées, quand d'autres sont en fait des copies de fragments inédits

du Journal.

312 Diminutif, légèrement modifié, que Marie Bashkirtseff porta pendant se petite enfance et qu'elle

n'appréciait guère, comme le prouvent certains écrits de son journal, en particulier l'entrée du 5 août 1883 : « Moussa : nom insipide dont on m'ennuyait à la maison » (Bashkirtseff Marie, citée In Cosnier Colette,

op. cit., p.327).

313 Cité In Cosnier Colette, op. cit., p.318.

Écriture journal Mort du diariste Première publication

BENJAMIN CONSTANT 1804-1816 1830 1887 1952 71 ans 136 ans MARIE BASHKIRTSEFF 1873-1884 1884 1887 1995 111 ans Publication fidèle au manuscrit 3 ans

Bashkirtseff ira jusqu'à organiser des visites de sa chambre, tandis que ses tableaux et photographies seront prisés par les collectionneurs. Marie Bashkirtseff sera également le modèle de nombreuses diaristes, parmi lesquelles des anonymes, mais aussi Julie Manet – fille du peintre –, l'écrivain Katherine Mansfield, ou Catherine Pozzi314, figure phare de l'écriture diaristique féminine.

Mais la légende ainsi créée est loin de correspondre à la personnalité que laissait transparaître Marie Bashkirtseff dans son journal manuscrit. Un article est ainsi publié le 1er

novembre 1884 dans Le Figaro, qui présente Marie Bashkirtseff, non pas comme une artiste, mais comme une jeune fille du monde : « elle allait se marier quand son fiancé n'a

plus reparu. C'est après la retraite de celui-ci que, blessée au cœur, elle a essayé de se faire un nom par son talent. Elle a pris froid un matin en peignant dehors. Elle est morte en quinze jours »315. L'image de la jeune fille mélancolique et romantique, fauchée par la mort, que la version éditée de 1887 composait d'elle, s'est ainsi imposée ; mais très vite, « la