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EXPLORATION GÉNÉALOGIQUE DU JOURNAL INTIME MANUSCRIT

CHAPITRE 3 ANNE FRANK : DE LA PRATIQUE ORDINAIRE À L’ŒUVRE ÉDITÉE

3.2 UNE HISTOIRE DE L'ÉDITION MOUVEMENTÉE 1 L ES DIFFICULTÉS D ' UNE PUBLICATION

3.2.4 P ERSPECTIVES DU LECTORAT ET RÉTROACTION

a. Entrée du 6 janvier 1944

Pour cela, nous avons choisi d'analyser l'entrée du 6 janvier 1944, dans laquelle Anne Frank réalise trois « aveux »385 : son avis sur sa mère, sa découverte de certaines manifestations liées à la puberté, et sa tendresse naissante pour Peter. Cette entrée nous a semblé particulièrement pertinente, puisqu'elle est composée des trois thématiques principalement taboues386 qui constituent le journal d'Anne Frank : elle nous permet donc d'apprécier les positions respectives d'Anne Frank, de son père, mais aussi de l'éditeur, face à ces éléments sensibles, en confrontant les versions a, b et c de cet extrait. Il s'agit donc de décomposer cette entrée du 6 janvier 1944, afin d'identifier les différentes interventions sur le journal d'Anne Frank, et d'en comprendre les motivations et enjeux387. Nous avons travaillé à partir de l'édition Les journaux d'Anne Frank388, qui propose une reconstruction de l'entrée avec ses différentes versions, que nous avons insérée en Annexe 2 (p.589).

384 En particulier p.177. 385 « Chère Kitty,

Aujourd'hui je dois t'avouer trois choses que je vais mettre un certain temps à écrire, mais que je dois raconter à quelqu'un et, après tout, tu es la mieux placée pour les entendre parce que je suis sûre que tu les garderas pour toi, toujours et en toutes circonstances » (Frank Anne, Les journaux d'Anne Frank, op. cit.,

p.479, version a).

386 Au regard, du moins, des modifications réalisées à leur sujet par Anne Frank, mais aussi par son père ou

par l'éditeur.

387 Ce travail de comparaison a été mené sur le journal d'Anne Frank, de façon plus globale, par Philippe

Lejeune, qui a rendu compte de son travail lors d'une communication. Lejeune Philippe, Génétique et

autobiographie IV, op. cit., [En ligne].

b. Les adaptations en vue de la publication

D'une manière générale, concernant la forme de l'écrit, l'on constate dans cette entrée les modifications évoquées plus tôt : Anne Frank a largement raccourci son écrit dans la version b, en répartissant notamment son dernier aveu sur deux dates différentes389. L'on retrouve ici la volonté d'équilibrer les entrées, et de transformer en matière publiable la plante sauvage que constitue le journal intime. Le père, et bien sûr l'éditeur, ont respecté cette nouvelle disposition, qui se prêtait effectivement mieux au format livresque, et à une lecture plus fluide pour le public.

Second élément : l'adresse. Celle-ci, sous la forme de « Chère Kitty », apparaît dès la version a dans cette entrée du 6 janvier 1944, ce qui n'était pas le cas au début du journal. Anne Frank n'introduisit ces écrits par aucune formule d'adresse les deux premiers mois d'écriture, avant d'hésiter entre plusieurs interlocuteurs390, puis de généraliser ses adresses à cette fameuse Kitty, confidente imaginaire. Lorsqu'elle réécrira son journal, elle choisira d'étendre le « Chère Kitty » à l'ensemble du journal, afin d'unifier et de rendre plus cohérent et lisible ce dernier, ce qui sera, en toute logique, repris dans la version c.

Nous discernons bien ici la restructuration entreprise par Anne Frank, qui est motivée par des considérations esthétiques, et sur laquelle nous n'insisterons pas391, car souhaitant nous concentrer sur les thématiques abordées – afin d'explorer de quelle façon les formulations de l'intime sont, ou ne sont pas, modifiées en vue d'une publication. Au-delà de ce travail sur la forme, qui visait à permettre une future publication, et donc relevait d'un ajustement au format livresque – bien entendu conservé par l'éditeur, dans un premier temps du moins392 –, un véritable travail thématique a été mené par Anne Frank, repris, amplifié ou contré dans la version c. C'est ce que nous allons observer maintenant, en abordant tour à tour chacun des trois aveux, ceux-ci nous permettant de mettre en lumière les différentes interventions, leurs initiateurs respectifs, et les différentes perceptions de la réception qu'elles mettent à jour.

▫ La critique envers sa mère

Comme nous l'avons déjà évoqué, l'adolescente ne mâche pas ses mots quand il

389 À la fin de cette entrée, elle évoque en effet ses anciens amours d'enfance, sujet qui naît naturellement à la

suite de l'évocation de sa tendresse pour Peter, mais qui finalement ne concerne pas directement ce troisième aveu. Elle choisit donc, dans la version b, de reléguer ce sujet à la date du 7 janvier 1944.

390 D'après Philippe Lejeune et Catherine Bogaert, les huit personnages d'une série de romans pour

adolescentes, « Joop ter heul », parmi lesquelles Kitty, qu'elle finira par privilégier (Lejeune Philippe & Bogaert Catherine, op. cit., p.213).

391 La question de l'esthétique sera développée à l'occasion de notre exploration du journal d'Anaïs Nin. 392 Puisque l'édition de 1989 proposera un montage des versions a, b et c.

s'agit de parler de ses compagnons d'infortune ; elle n'épargne personne – si ce n'est son père – et surtout pas Mme Van Pels, la mère de Peter, qu'elle n'apprécie pas du tout : « que peut-on bien faire avec un tel numéro, une pleurnicheuse et une folle ? Personne ne la prend au sérieux, elle n'a pas de caractère, elle se plaint auprès de tout le monde et elle se promène avec ses airs de gamine, ce vieux trumeau »393. Sa plume est acerbe, et l'une de ses principales cibles reste sa mère, à laquelle elle reproche un manque d'affection, mais aussi la conception de la femme qu'elle véhicule. Car Anne est ambitieuse, elle rêve de devenir journaliste, et écrivain célèbre, et elle s'est « promise de mener une autre vie que les autres

filles et, plus tard, une autre vie que les femmes au foyer ordinaires »394. Anne Frank est, du haut de ses presque 15 ans, une féministe, qui « ne se satisfait pas de l'image de la femme

que lui présente Mme Frank, qui à son avis se cantonne dans un rôle d'épouse et de mère, ou encore Mme Van Pels, qu'Anne juge sotte, vaniteuse, et trop coquette avec son père »395. Elle ambitionne pour elle-même un autre avenir, fait d'indépendance, de réussite personnelle, et peut-être de lutte pour le droit des femmes, qui lui tient à cœur396 . Nous ne saurions manquer de remarquer ce point commun avec Marie Bashkirtseff, mais aussi, comme nous le développerons, avec de nombreuses diaristes du XIXème siècle et de la première moitié du XXème siècle ; à une époque où les femmes avaient peu de droits, et peu d'espace où exprimer leurs désirs d'émancipation, le journal intime apparaissait comme un lieu privilégié pour ce type de revendications. Comme l'explique Béatrice Didier – et comme nous serons amenée à le développer – : « il en est du journal, comme de la correspondance : pendant

longtemps et pour beaucoup de femmes, ce fut le seul moyen d’expression possible »397. Pour en revenir à Anne Frank, elle est une jeune fille très différente de sa mère, et s'affirme dans l'opposition, avec verve ; dans un journal intime, la faible distance entre l’événement et la relation de ce dernier fait que la distanciation émotive est moindre, ce qui explique que les propos puissent souvent paraître abrupts. Par ailleurs, nous pourrions avancer que le journal est volontiers le lieu où exprimer ses foudres, quand le diariste souhaite atténuer sa colère. En outre, Anne Frank est une adolescente – âge de la vie, nous

393 Frank Anne, Les journaux d'Anne Frank, op. cit., 16 juin 1944, version a, p.715. 394 Frank Anne, Les journaux d'Anne Frank, op. cit., 3 mai 1944, version a, p.665. 395 Rosselin-Bobulesco Isabelle, op. cit., p.342.

396 « On peut concevoir que l'homme, grâce à sa plus grande force physique, a depuis le départ exercé sa

domination sur la femme ; l'homme gagne sa vie, l'homme engendre les enfants, l'homme a le droit de tout faire... Il faut dire que les femmes sont idiotes de s'être tranquillement laissé imposer cette règle jusqu'à récemment car plus celle-ci se perpétue à travers les siècles, plus elle s'enracine. Heureusement, les femmes ont quelque peu ouvert les yeux grâce à l'école, au travail et au développement […]. Mais cela ne suffit pas, le respect de la femme, voilà ce qu'on attend encore ! », Frank Anne, Les journaux d'Anne Frank, op. cit., 13 juin 1944, version a, p.714.

semble-t-il, propice aux emportements –, dont les conditions de vie – l'enfermement, et la cohabitation forcée – sont pénibles. Malgré tout, Anne Frank n'assumait visiblement pas ses emportements : elle a atténué tout ce qui touchait à sa mère, adouci quelque peu les attaques envers Mme Van Pels. Dans cette entrée du 6 janvier 1944, elle a tout simplement supprimé

ce premier aveu, censurant ainsi un large paragraphe de reproches adressés à sa mère. Elle ira jusqu'à créer de toutes pièces une entrée à la date du 2 janvier 1944 – juste avant la fameuse entrée du 6 janvier –, dans lequel elle confie ses regrets d'avoir mal parlé de celle- ci398 : regrets sans doute avérés au moment de l'écriture – qu'on ne peut pas dater avec certitude –, mais qui se teintent d'un soupçon d'imposture quand on sait qu'ils ont été ajoutés

a posteriori, et surtout en vue d'une publication. La jeune fille, qui projetait la lecture de la

version b par son entourage, a jugé nécessaire de leur épargner ce qui leur serait douloureux ; les modifications visent donc à éviter que le contenu du journal ne dégrade ses relations avec ses proches.

Otto Frank a quant à lui décidé de réintroduire ce premier aveu, tout en atténuant légèrement le ton de l'écrit ; nous imaginons bien le dilemme de ce père et mari, qui souhaitait respecter au mieux l'image véritable de sa fille – et donc reprendre un maximum d'éléments de la première version, avant qu'Anne Frank ne se censure à des fins de publication –, tout en préservant la mémoire de sa femme. Ceci explique qu'on retrouve à la fois dans la version c certaines critiques censurées par Anne Frank, mais aussi cette entrée du 2 janvier 1944, que nous savons ne pas appartenir au journal originel. Cependant, quand Anne Frank va trop loin, ce qu'elle fait à la date du 8 février 1944, l'entrée entière est censurée par son père : « je crois savoir que Papa a épousé Maman parce qu'il la trouvait

apte à tenir le rôle de sa femme », écrit-elle à cette date, « […] Ce n'est sûrement pas facile, pour une femme qui aime, de savoir qu'elle n'occupera jamais la première place dans le cœur de son mari, et Maman le savait. […] Pourquoi en aurait-il épousé une autre ? Ses idéaux s'étaient envolés et sa jeunesse était passée »399. C'est ce feuillet qui avait été écarté par Otto Frank, avant qu'il ne soit retrouvé par hasard en août 1998, et réintégré dans la dernière édition400. La charge affective provoquée par ce type d'écrits rend difficile la conduite de leur publication par une personne partie prenante ; malgré la manifeste éthique

398 « Ce matin, comme je n'avais rien à faire, j'ai feuilleté mon journal et suis tombée à plusieurs reprises sur

des lettres traitant du sujet " maman " en des termes tellement violents que j'étais choquée […]. Je suis et j'étais victime d'humeurs qui m'enfonçaient (au figuré, bien sûr) la tête sous l'eau et ne me laissaient voir que l'aspect subjectif des choses », Frank Anne, Les journaux d'Anne Frank, op. cit., 13 juin 1944, version a, p.477.

399 Frank Anne, Journal d'Anne Frank, op. cit., p.178. 400 Pour l'édition française, 2001.

avec laquelle Otto Frank a mené ce projet, certains éléments sensibles ont été retranchés. Au point que nous nous interrogions : est-il vraiment possible pour un proche de mener un travail d'édition sur de tels écrits sans retoucher à rien ?

▫ La fascination pour le corps féminin

Le second aveu qu'Anne Frank aborde dans cette entrée du 6 janvier 1944 concerne sa fascination pour le corps féminin : elle y confesse en effet son trouble face aux manifestations de son propre corps401, et l'envie qu'elle ressent parfois de se toucher, ou de toucher le corps d'une amie : « une fois, alors que je passais la nuit chez Jacque, je n'ai pas

pu me retenir tant j'étais curieuse de son corps, qu'elle cachait toujours de mon regard et que je n'avais jamais vu. Je lui ai demandé si, en gage de notre amitié, nous pourrions nous palper mutuellement les seins. Jacque a refusé. De même, j'avais une terrible envie d'embrasser Jacque et je l'ai fait »402.

Cet aveu, la jeune fille choisit là encore de ne pas le faire apparaître dans la version

b : elle a en fait supprimé tout ce qui touche de près ou de loin à sa découverte du corps et

de la sexualité. Il est vrai que dans la version originelle, les choses étaient écrites sans détour, et en se relisant des mois ou des années plus tard, l'on peut postuler qu'Anne Frank n'ait pas toujours assumé ce qu'elle avait pu écrire. Par exemple, le 22 janvier 1944, elle ajoute ce commentaire, « je ne pourrais jamais écrire une chose pareille aujourd'hui ! »403, à la suite de l'entrée du 20 octobre 1942, dans laquelle elle déclare : « j'oubliais de te donner

une nouvelle capitale : je vais probablement avoir mes règles. Je m'en aperçois parce qu'il y a toujours une sorte de semence gluante dans ma culotte et maman me l'a prédit »404 ; ce passage disparaîtra dans la version b, d'une part parce que ces propos insupportaient désormais Anne Frank – pudeur –, d'autre part car elle savait qu'ils étaient impubliables – décence405.

Dans la version c, ce second aveu est rétabli par le père, mais franchement aseptisé.

401 « Chaque fois que je suis indisposée (et ce n'est arrivée que trois fois), j'ai le sentiment, en dépit de la

douleur, du désagrément et de la saleté, de porter en moi un doux secret », Frank Anne, Les journaux d'Anne Frank, op. cit., version a, p.481.

402 Frank Anne, Les journaux d'Anne Frank, op. cit., version a, p.482.

403 Notons qu'il n'est pas rare que les diaristes annotent leur journal intime lors des relectures ; la prise de recul

qui a fait jour rend souvent difficile la confrontation à ce qui a pu être écrit, et qui apparaît indélébile. Commenter une phrase ou une entrée est un moyen de signifier sa distance face à des pensées que le diariste ne partage plus. Dans le cas d'Anne Frank, il s'agit de manifester sa maturation – démontrer qu'elle a évolué, qu'elle n'est plus si naïve ou effrontée – ; ne pourrait-on pas voir dans cette précaution le signe que la diariste projette l'éventualité d'une lecture de son journal par autrui ?

404 Frank Anne, Les journaux d'Anne Frank, op. cit., version a, p.326.

405 Nous développerons les différences entre les sentiments de pudeur et de décence, et leurs enjeux respectifs,

Par exemple, à la place de l'extrait cité plus haut – concernant son envie de toucher Jacque –, on peut lire « je me rappelle, en passant la nuit chez une amie, avoir eu alors

l'irrésistible besoin de l'embrasser, ce que j'ai fais d'ailleurs »406. On pourrait penser qu'il s'agit d'une censure du père, mais il s'agirait apparemment d'une volonté de l'éditeur : en effet, selon Philippe Lejeune, cet extrait « choquera [...] l'éditeur néerlandais qui exigera la

suppression de certains détails »407 ; la publication de la confession d'une pulsion sexuelle d'une adolescente apparaissait inadmissible, d'autant plus que l'épisode pouvait résonner comme une expérimentation homosexuelle. Il en sera de même pour ce passage où Anne Frank décrit en détail ses parties intimes, et qui ne se retrouvera ni dans la version b, ni dans la version c : « Devant, quand on est debout, on ne voit rien que des poils, entre les jambes

se trouvent en fait des espèces de petits coussinets, des choses molles, elles aussi couvertes de poils, qui se touchent quand on se met debout, à ce moment-là, on ne peut pas voir ce qui se trouve à l'intérieur. Quand on s'assoit, elles se séparent, et dedans c'est très rouge, vilain et charnu. Dans la partie supérieure, entre les grandes lèvres, en haut, il y a un repli de peau qui, si on l'observe mieux, est une sorte de petite poche, c'est le clitoris. Quand elles s'ouvrent, on trouve à l'intérieur un petit bout de chair, pas plus grand que l'extrémité de mon pouce. Le haut de ce bout de chair est poreux, il comporte différents trous et de là sort l'urine. Le bas semble n'être que de la peau, mais pourtant c'est là que se trouve le vagin. Des replis de peau le recouvrent complètement, on a beaucoup de mal à le dénicher. Le trou en dessous est si minuscule que je n'arrive presque pas à m'imaginer comment un homme peut y entrer, et encore moins comment un enfant peut en sortir. On arrive tout juste à faire entrer l'index dans ce trou, et non sans mal. Voilà tout, et pourtant cela joue un si grand rôle ! »408. Il n'était pas d'usage, à l'époque, d'évoquer ainsi sans contrainte la sexualité, ou de décrire avec de tels détails le sexe féminin, d'autant plus qu'il s'agissait là d'un ouvrage destiné à la jeunesse : ce n'est plus le cas aujourd'hui, et l'on retrouve ce passage dans la dernière édition. L'on perçoit bien ici de quelle façon l'évolution des mœurs a autorisé la réinsertion d'éléments supprimés, et de quelle façon la perception de ce qui est indécent s'inscrit dans un contexte social.

▫ La tendresse pour Peter

Le dernier aveu d'Anne Frank concerne Peter. Elle confie en effet éprouver tant le besoin de parler à quelqu'un, qu'elle a pris l'habitude de le rejoindre dans sa chambre pour

406 Frank Anne, Les journaux d'Anne Frank, op. cit., version c, p.482. 407 Lejeune Philippe & Bogaert Catherine, op. cit., p.217.

être près de lui. Elle rapporte ces instants où, plongeant « dans ses yeux bleus foncés », elle se sentait « toute drôle », et attendrie par sa timidité. Elle raconte cette nuit où, dans son lit, elle a « pleuré, et pleuré »409, en pensant à tout ce qu'elle raconterait à Peter le lendemain.

Dans la version b, la jeune fille ne censure pas cet aveu, et l'entrée du 6 janvier 1944 s'ouvre donc sur celui-ci410. Elle a par contre reformulé ses phrases, parlant de lui avec une plus grande distance, une tendresse moins marquée, un bouleversement moindre. Elle supprime les lignes où elle évoque sa timidité et l'empathie ressentie pour lui, et remplace l'aveu de ses pleurs nocturnes par des mots d'une tout autre tonalité : « le soir dans mon lit,

je trouvais que la situation n'avait rien de très encourageant et l'idée d'avoir à implorer les faveurs de Peter tout simplement repoussante »411. Au moment de la rédaction de cette version b, la jeune fille a en fait mis fin à l'idylle avec Peter ; il semble donc qu'elle ait renoncé à évoquer cette relation qui, depuis, s'est dégradée, et qu'elle ressentait peut-être désormais comme une erreur. Car si Anne Frank a choisi d'intégrer cet aveu dans l'entrée du 6 janvier 1944, elle supprimera par ailleurs tout ce qui a trait à cette histoire lorsque les choses seront plus sérieuses – aucune mention des câlins, des baisers, des confidences intimes ou de leurs déclarations d'amour respectives – : ce qu'elle conçoit, finalement, dans cet entrée du 6 janvier 1944, c'est simplement son besoin d'être écoutée, mais nullement un début d'attirance. Sa prise de distance face à cette histoire est donc déterminante ; ce qui