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CONTEXTUALISATION 1 P OURQUOI A NNE F RANK ?

EXPLORATION GÉNÉALOGIQUE DU JOURNAL INTIME MANUSCRIT

CHAPITRE 3 ANNE FRANK : DE LA PRATIQUE ORDINAIRE À L’ŒUVRE ÉDITÉE

3.1 CONTEXTUALISATION 1 P OURQUOI A NNE F RANK ?

L'exploration du journal intime de Marie Bashkirtseff nous a permis d'appréhender de quelle façon la perspective d'une publication posthume s'est peu à peu imposée à l'esprit des diaristes à la fin du XIXème siècle, et a fait entrer au cœur du processus d'écriture diaristique la figure du lectorat. Pour poursuivre notre cheminement diachronique, nous avons décidé de porter notre regard sur le journal d'Anne Frank, qui permet de mettre en relief certaines évolutions dans les modalités d'expression et de publicisation de l'intime en ce milieu de XXème siècle. Comme nous le verrons, la jeune fille planifiait une auto-édition, qui n'aura pas lieu, du fait de sa disparition, mais dont le projet sera poursuivi par son père : l'histoire de l'édition du journal intime d'Anne Frank est éclairante en ce qu'elle nous permet de confronter les parti pris éditoriaux de la diariste, de la famille, et des éditeurs.

Par ailleurs, la publicité de ce journal ayant été fédérée par un contexte historique particulier – sans doute le journal intime d'Anne Frank serait-il aujourd'hui inconnu si elle n'avait pas été une victime du nazisme –, ce chapitre sera l'occasion de mettre en exergue le diarisme en tant que pratique d'écriture ordinaire, et dont les journaux intimes édités ne constituent qu'un épiphénomène. « Ce témoignage parfois drôle, parfois déchirant, d'une

enfant bouillonnante de vie et pleine de talent, obligée de se dissimuler avec sa famille pour échapper à la déportation, est devenu un symbole des victimes de la barbarie nazie »320 ; incarnation de l'holocauste donc, le journal d'Anne Frank a par ailleurs inspiré des millions de jeunes filles : il se pose également en modèle d'une pratique populaire, et plus spécifiquement du journal d'adolescence moderne.

3.1.2 INTRODUCTIONAUJOURNAL

Anne Frank est née le 12 juin 1929, fille d'Otto et Edith Frank, allemands d'origine juive. Elle vit avec ses parents et sa sœur, Margot, à Francfort jusqu'en août 1933 : la situation s'aggravant en Allemagne, la famille décide alors d'émigrer aux Pays-Bas. Tous s'adaptent à la vie néerlandaise, jusqu'à ce qu'en 1942, Margot reçoive une convocation des SS : les Frank s'installent alors à l'Annexe321 le 6 juillet 1942, rejoints en août par M. Pels, associé d'Otto Frank, sa femme et leur fils Peter, puis en novembre par M. Pfeffer, un ami de la famille. C'est dans ce contexte qu'Anne Frank tint son journal, débuté le 12 juin 1942, un mois donc avant qu'ils ne soient contraints de s'enfermer dans l'Annexe.

Le 4 août 1944, les huit clandestins sont arrêtés et emmenés par la police allemande, qui semble savoir précisément comment accéder à l'Annexe ; le dernier écrit d'Anne Frank date du 1er août. Dans l'idée de trouver des bijoux, les nazis vidèrent au sol une sacoche en

cuir, d'où s'échappèrent des feuilles de papier : il s'agissait d'une partie du journal d'Anne Frank, qui fut récupéré après l'arrestation par Miep Gies322, l'une de leur protectrice, et mis à l'abri pendant plusieurs années. Elle le remit plus tard à Otto Frank, seul survivant de la famille, lorsqu'elle fut certaine que la jeune fille n'était plus en vie. De retour à Amsterdam, ce dernier tâcha d'exaucer le souhait de sa fille en se lançant dans la publication de son journal.

Anne Frank a rédigé celui-ci sur plusieurs supports : trois carnets – et probablement d'autres qui n'ont pas été retrouvés –, ainsi que des feuilles volantes. Le journal, rédigé en néerlandais, se présente, au-delà du témoignage historique, comme le récit de la vie quotidienne des huit clandestins ; il livre également les tracasseries et aspirations adolescentes de la jeune fille, des transformations de son corps aux tensions avec sa mère, en passant par ses sentiments amoureux naissants, ou ses méditations sur l'Histoire et la vie. Le succès du journal fut immédiat, et n'a jamais été démenti : en 2012, le journal a été vendu dans le monde à plus de 25 millions d'exemplaires, ce qui en fait l'un des dix livres les plus vendus au monde323. Mais derrière ce succès éditorial se cache une histoire tumultueuse,

321 Espace aménagé en appartement par Otto Frank – qui était responsable d'une société spécialisée dans la

vente au détail de pectine – dans l'immeuble qui abritait ses bureaux, accessible par une « porte- bibliothèque », et dans lequel vécurent les huit clandestins pendant plus de deux ans, aidés par les anciens employés d'Otto Frank (Victor Kugler, Johannes Kleiman, Miep Gies et Bep Voskuijl).

322 Après le saccage de l'Annexe, ne furent retrouvés que le début et la fin du journal, l'année intermédiaire,

1943, étant en quasi-totalité perdue.

323 Lewino Frédéric & Dos Santos Gwendoline, « 12 juin 1942. Pour ses 13 ans, Anne Frank reçoit un joli

carnet qu'elle remplit au fil des jours », In Lepoint.fr, Disponible sur <http://www.lepoint.fr/c-est-arrive- aujourd-hui/12-juin-1942-le-journal-d-anne-frank-n-est-pas-celui-que-vous-croyez-il-en-existe-trois- versions-12-06-2012-1472185_494.php> (10.06.13).

entre censure et remise en question de l'authenticité du journal : l'étude du destin surprenant de ce journal intime, écrit par une jeune anonyme dans la clandestinité, nous permettra de développer plus avant notre réflexion sur les enjeux de la publication d'un journal intime.

3.2 UNE HISTOIRE DE L'ÉDITION MOUVEMENTÉE