• Aucun résultat trouvé

b. dans l’etat délégataire

i. Quelle obligation pour l’Etat délégataire ?

Que ce soit par courtoisie internationale ou parce qu’il est lié par une conven-tion portant sur la délégaconven-tion de poursuite, l’Etat requis est tenu de répondre à la demande formulée par l’Etat requérant, dans un délai raisonnable305 ou, le cas échéant, dans le délai fixé dans la demande. S’il accepte la délégation, il est généra-lement tenu d’informer l’Etat requérant de l’issue de la procédure306.

Si l’Etat requis accepte la délégation, la question est de savoir dans quelle mesure il est tenu de poursuivre. La réponse à cette question dépendra de son droit interne307, les dispositions conventionnelles laissant les Etats libres308. Les Etats peuvent connaître l’un des deux principes suivants309 : la légalité ou l’opportunité des poursuites.

Le principe de la légalité des poursuites qui consiste en une obligation des organes de l’Etat de déclencher une poursuite toutes les fois où « des indices suffisants » indiquent qu’une infraction a été commise et que les « conditions de la poursuite sont réalisées »310. Par opposition, le principe de l’opportunité des poursuites laisse davantage de marge de manœuvre aux autorités compétentes qui peuvent décider d’ouvrir ou non une poursuite. Ce deuxième principe permet un allègement notable des tâches des organes judiciaires pénaux nationaux311.

Généralement, les Etats connaissant le principe de la légalité des poursuites312 ont des réticences à conclure des accords internationaux portant sur la délégation de poursuite313. En acceptant de tels accords, ces Etats acceptent, à l’aveugle, de devoir poursuivre toutes les infractions qui feront l’objet d’une demande. La lourdeur de ce principe a poussé certains Etats à l’appliquer seulement lorsque la compétence qu’ils exercent est territoriale, et mettre en place le principe de l’opportunité pour les compétences extraterritoriales314, notamment dans le cas d’une délégation.

305 Art. 5 Traité-type sur le transfert des poursuites pénales.

306 Art. 11 ch. 3 Traité-type sur le transfert des poursuites pénales.

307 Art. 5 Convention Conseil de l’Europe sur la transmission des procédures répressives. Voir aussi roth in Braum/Weyembergh, p. 132 et 137.

308 Art. 16 Convention Conseil de l’Europe sur la transmission des procédures répressives.

309 Bien que des formes médianes soient possibles, comme c’est le cas en droit allemand, voir roth/ Jeanneret, Droit allemand, in Cassese/Delmas-Marty, p. 26.

310 piquerez, N 277 ss ; hurtaDo pozo, N 146.

311 conseilDel’europe, Simplification, p. 20 ss, qui recommande l’adoption de ce principe à tous les Etats du Conseil de l’Europe.

312 En Europe, il s’agit notamment de certains Etats ayant connu un régime totalitaire (p. ex. l’Espagne, l’Italie ou encore le Portugal) et des anciens Etats socialistes (p. ex. la Pologne), et qui voient dans ce principe une manière de se prévaloir contre les interventions politiques dans l’exercice de la justice. Voir praDel, Pénal comparé, § 333.

313 Voir barbe in Jault-Seseke/Lelieur/Pigache, p. 84.

314 conseilDel’europe, Compétence extraterritoriale, p. 10.

293

294

295

296

De plus, un Etat connaissant la légalité des poursuites peut avoir des difficultés à transmettre une poursuite à un Etat étranger, notamment un Etat connaissant le prin-cipe de l’opportunité, qui sera alors libre de poursuivre ou non315. Les dispositions conventionnelles prévoient donc la possibilité pour l’Etat délégant de reprendre sa poursuite si l’Etat requis, bien qu’il ait accepté la délégation, n’ouvre pas de pour-suite ou, bien qu’il l’ait ouverte, décide d’y mettre fin316. Cette possibilité va aussi dans le sens des Etats connaissant l’opportunité des poursuites317, qui ne veulent pas être contraints par une convention à devoir poursuivre sans pouvoir statuer en opportunité.

ii. Poursuite continuée ou nouvelle poursuite ?

Lorsque la poursuite est déléguée, il faut déterminer si la poursuite lancée dans l’Etat délégataire est une nouvelle poursuite ou si cet Etat reprend la poursuite de l’Etat délégant là où celui-ci l’a suspendue. Cette question se pose principalement pour des motifs procéduraux : une preuve validée dans l’Etat délégant doit-elle l’être à nouveau dans l’Etat délégataire ? Plus généralement, les actes de procédure accom-plis dans l’Etat délégant doivent-ils être refaits dans l’Etat délégant ?

Bien que la solution de la continuité de la poursuite sollicite davantage la confiance entre les deux Etats, elle permet un allègement conséquent de la procédure. Dans le cadre de la coopération entre les Etats socialistes européens, une nouvelle poursuite était initiée318, la demande de délégation se rapprochant donc d’une dénonciation aux fins de poursuite. En général néanmoins, la poursuite de l’Etat délégant est reprise et continuée par l’Etat délégataire319, comme c’est le cas au sein du Conseil de l’Europe et en droit suisse.

La continuation de la poursuite de l’Etat délégant entraîne l’application du principe dit d’assimilation320. Ainsi, que la délégation intervienne dans un cas de regrou-pement des procédures ou non, tous les actes procéduraux accomplis valablement dans l’Etat délégant sont considérés accomplis valablement dans l’Etat délégataire321. Ainsi, les preuves administrées valablement dans l’Etat délégant seront acceptées par l’Etat délégataire322.

315 Dans ce sens aussi Damaška, p. 26.

316 Art. 21 ch. 2 let. d Convention du Conseil de l’Europe sur la transmission des procédures répressives.

317 P. ex. la France (voir benillouche in Cassese/Delmas-Marty, p. 161). L’opportunité des poursuites est également adoptée en droit anglais, belge, danois, luxembourgeois, néerlandais et norvégien, voir praDel, Pénal comparé, § 332.

318 garDocki, Structures, p. 278-279.

319 alt-maes, Délégation, p. 31 et 271 ss.

320 Ou principe d’équivalence. Voir alt-maes, Mélanges Levasseur, p. 384 ss ; markees, FJS 424a, § 4.23.

321 Voir art. 11 ch. 2 Traité-type sur le transfert des poursuites pénales ; art. 26 ch. 1 Convention du Conseil de l’Europe sur la transmission des procédures répressives. En droit suisse, voir l’art. 92 EIMP.

322 A l’inverse, lorsqu’une preuve a été obtenue par exemple sous la torture, son administration ne pourra être assimilée. Sur les preuves obtenues par le recours à la torture et l’impact sur la 297

298

299

300

iii. Droit applicable

La poursuite de l’Etat délégant est assimilée en intégralité dans l’Etat délégataire, comme si elle y avait toujours été menée. Si une délégation de compétence intervient, les faits seront considérés comme tombant dans le champ de la loi pénale de l’Etat délégataire depuis le début323. Certains ajustements seront néanmoins nécessaires.

Ainsi, par exemple, la qualité de fonctionnaire de l’Etat délégant devra être comprise comme fonctionnaire de l’Etat délégataire324. De même, un bien culturel faisant partie du patrimoine national de l’Etat délégant devrait être assimilé à un tel bien de l’Etat délégataire. Dans ces deux cas, l’on peut néanmoins se demander si une telle assi-milation peut avoir lieu sans base légale nationale et/ou conventionnelle liant les deux Etats.

Le droit matériel et procédural de l’Etat délégataire s’appliquera dès le moment où la poursuite aura été déléguée325. Néanmoins, au vu de la particularité de cette poursuite, certaines règles du droit de l’Etat délégant devront être prises en considé-ration326 et être appliquées en lieu et place de celles de l’Etat délégataire327. Il en est ainsi notamment des dispositions portant sur les règles de la circulation routière328 : si la délégation de poursuite porte sur un dépassement de vitesse alors que la limite est de 100 km/h dans l’Etat délégant et de 130 km/h dans l’Etat délégataire, c’est la limite du droit de l’Etat délégant qui devra être prise en compte.

La distinction entre ajustement de fait et application du droit étranger est délicate dans certains cas. Ainsi, lorsqu’une poursuite anglaise est déléguée à la Suisse pour une infraction au code de la route anglais dans le cas d’une personne ayant roulé à droite sur un route anglaise, le cas pourrait relever de l’application du droit anglais ou de l’ajustement des éléments de fait en remplaçant « à droite » par « à gauche ».

Lorsque la délégation a lieu vers un Etat originairement compétent, il est incontes-table que le droit de cet Etat s’applique. En revanche, lorsque l’Etat délégataire exerce la compétence de l’Etat délégant, l’on peut se demander si une application de son droit matériel ne serait pas nécessaire.

procédure pénale, voir CEDH, Gäfgen, 1 juin 2010.

323 hulsman, p. 130 pour lequel « [i]l sera suffisant d’étendre l’application de la loi pénale aux faits commis à l’étranger et dont on demande la poursuite. La compétence du juge sera ainsi établie ».

324 hulsman, p. 131.

325 Art. 11 ch. 1 Traité-type sur le transfert des poursuites pénales ; art. 25 Convention du Conseil de l’Europe sur la transmission des procédures répressives ; art. 86 al. 1 EIMP. Voir De schutter B., Entraide, p. 118.

326 En général sur la prise en considération du droit étranger, voir colombini ; schultz, Compétence, p. 328 ss ; schWanDer ; Van bemmelen. Pour une analyse des différentes manières de prendre en considération le droit étranger selon une approche comparative, voir markees, FJS 424, § 4.02.

327 Voir alt-maes, Délégation, p. 101. Voir notamment la formulation de l’art. 11 ch. 1 2e phrase Traité-type sur le transfert des poursuites pénales « l’Etat requis apporte les modifications nécessaires concernant certains éléments de la qualification juridique de l’infraction ».

328 Voir art. 2 ch. 2 Convention Conseil de l’Europe pour la répression des infractions routières. Voir aussi infra Chapitre 2 N 480 ss.

301

302

303

304

Certains auteurs se sont prononcés en faveur d’une telle proposition, en particulier lorsque l’Etat délégant est l’Etat territorial329. Selon ces auteurs, l’application de la lex loci delicti commissi découle de l’adage nullum crimen, nulla poena sine lege330. D’autres proposent, sur le modèle du droit privé, d’appliquer le droit de l’Etat « which had the most significant contacts with the crime »331.

Cet avis ne fait cependant pas l’unanimité : une application systématique du droit étranger332 ne serait pas la bonne solution, au vu notamment de l’imprécision des critères pour désigner l’Etat dont il faudrait appliquer le droit.

La discussion doctrinale demeure ouverte, mais en l’état actuel du droit, la seule prise en considération du droit de l’Etat délégant, hormis les exceptions mentionnées supra333, se fait au moment de la fixation de la peine.

Le principe dit de la lex mitior334 s’applique en tout cas lorsque la délégation de poursuite a été accompagnée d’une délégation de compétence335. Il consiste en l’application de la peine du droit de l’Etat délégant si elle est plus favorable que celle du droit délégataire.

La recherche de la lex mitior doit se faire in concreto, après une analyse des résultats auxquels conduisent les raisonnements juridiques336 en droit de l’Etat délégant et de l’Etat délégataire pour l’infraction en cause. Une combinaison entre le droit de ces deux Etats n’est pas possible337.

L’application de ce principe se justifie par le fait que la délégation de compétence ne peut avoir pour résultat d’empirer la situation de la personne. De plus, il serait injustifié d’appliquer une peine supérieure à celle prévue par le droit de l’Etat dont la compétence est exercée338.

c. Responsabilité de l’etat destinataire pour les actes dans l’etat délégant et vice versa ?

En principe, chaque Etat est responsable pour les violations des droits fondamen-taux qui découlent des actes accomplis par ses autorités. Ainsi, pour tous les actes

329 Voir colombini, § 57 ; gaeta in Cassese, Utopia, p. 603-604 ; schultz, Compétence, p. 329. A noter que certains auteurs proposent d’appliquer le droit de l’Etat territorial déjà lorsque la poursuite est menée sur la base d’une compétence au lieu du domicile. Voir enscheDé, p. 55.

330 Voir DonneDieuDe Vabres, Principes modernes, p. 174, selon lequel « La certitude nécessaire du rapport de droit pénal, qu’exprime l’adage Nullum crimen, nulla poena sine lege, a pour corollaire l’obligation, pour les juges de tous les pays, de connaître et d’appliquer, le cas échéant, les lois pénales étrangères ».

331 L. Sarkar, repris par schultz, Compétence, p. 334.

332 schultz, Compétence, p. 335.

333 Supra N 302.

334 En général, voir colombini, § 142 ss ; hurtaDo pozo, § 329 ss.

335 Art. 11 ch. 1 in fine Traité-type sur le transfert des poursuites pénales.

336 moreillon, EIMP, ad art 68 N 2.

337 ATF 118 IV 305, JdT 1995 IV 66, cons. 3.

338 De schutter B., Entraide, p. 118.

305

306

307

308

309

310

311

accomplis avant la cession de la poursuite et également les actes accomplis, à titre supplétif, après, l’Etat délégant est responsable. Une fois que la poursuite est reprise par l’Etat délégataire, celui-ci est responsable de toute violation pouvant découler des actes entrepris.

Le fait est de savoir si l’on peut envisager une responsabilité jointe des deux Etats, d’une part pour les atteintes résultant en cours de procédure de délégation339, et d’autre part pour celles intervenant dans l’Etat délégataire. En d’autres termes pour ce dernier point, il s’agit de déterminer l’étendue de la responsabilité de l’Etat délégant pour les actes accomplis par l’Etat délégataire, responsabilité qui pourrait découler de l’initiative prise par l’Etat délégant de transférer la poursuite ainsi que du choix de l’Etat, sans prendre en considération l’avis de la personne concernée.

Cette question pourrait faire l’objet de développements qu’il n’est pas lieu de faire ici. Certains auteurs proposent néanmoins d’établir, au sein de l’Union euro-péenne, une « responsabilité conjointe et solidaire des Etats membres de l’Union lorsque les mécanismes de coopération judiciaire pénale débouchent sur des atteintes aux droits fondamentaux »340. Selon nous, plus la responsabilité de l’Etat délégant sera importante, moins il sera enclin à déléguer, qu’un risque concret de violation soit présent ou non. Ainsi, peut-être devra-t-on être plus nuancé, et admettre une responsabilité341 de l’Etat délégant pour les retards injustifiés que pourrait prendre la procédure du fait de la délégation. En particulier, tel pourrait être le cas lorsque le retard est dû à des manquements de la part de cet Etat, comme le fait qu’il ne s’est pas assuré auparavant de l’incrimination des faits dans l’Etat auquel il souhaitait déléguer.

En revanche, pour ce qui est de la poursuite dans l’Etat délégataire, l’Etat délégant devra sans doute vérifier, avant de présenter sa requête de délégation, s’ily a un risque manifeste de violation qui surviendrait si la délégation a lieu342, mais ne sera pas responsable de violations imprévisibles, intervenant une fois la poursuite déléguée.