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brèves remarques à propos du titre

Quelques remarques préliminaires, d’ordre terminologique, s’imposent à ce stade.

Nous comprenons le terme « délégation » comme le transfert de pouvoirs d’une entité, le délégant, à une autre, le délégataire. Le délégant se dessaisit de ces pouvoirs au profit du délégataire. Un accord est nécessaire entre les deux entités, interve-nant à la suite d’une offre de la part du délégant et d’une acceptation de la part du délégataire1. Suite à une délégation, le délégataire exerce lesdits pouvoirs au nom du délégant, ce dernier élément permettant de distinguer la délégation d’un simple transfert de pouvoirs.

La délégation, telle que nous l’étudions, est qualifiée d’« internationale ». Le sujet exclut ainsi les délégations intervenant à l’intérieur d’un système étatique, notam-ment les délégations entre l’entité centrale et les entités fédérées au sein d’un Etat fédéral, telle la Confédération helvétique2, pour se concentrer sur les délégations dépassant l’échelle de l’Etat, qu’elles interviennent à l’égard d’autres Etats ou de juridictions ne faisant pas partie d’un système national. Nous laissons de côté les questions liées à la création et la disparition de l’Etat, tout comme celle des dépla-cements de frontières étatiques, notamment par cession ou par annexion, questions passionnantes et en rapport étroit avec la compétence pénale de l’Etat, mais qui ne peuvent être traitées ici.

L’objet de cette délégation internationale est la « compétence ». Se définissant comme l’exercice d’un droit, la compétence doit être comprise comme la faculté d’entre-prendre une action de manière légitime. Plus précisément, il s’agit de la « compétence pénale », donc l’exercice du droit de punir. Cette formulation a pour but d’exclure le contenu, trop large pour notre problématique, de la notion de « matière pénale » tel que défini par la Cour européenne des droits de l’homme3. La compétence que nous

1 Sur la délégation comme une forme de « contrat de mandat interétatique », voir Witschi, p. 58 ss.

Pour une critique de la transposition de notions de droit privé en droit de la coopération en matière pénale, voir DonneDieuDe Vabres, Principes modernes, p. 132.

2 Nous renvoyons le lecteur aux dispositions du Code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP), RS 312.0, en particulier aux art. 25 et 26, portant respectivement sur la délégation de compétence par le Ministère public de la Confédération aux cantons et la délégation de compétence intercantonale en vue d’une jonction de procédures. Sur ces dispositions, voir les commentaires de bertossa in Kuhn/Jeanneret, ad art. 25, respectivement art. 26 ; ATF 118 IV 37, JdT 1994 IV 191. Voir aussi l’art. 17, portant sur la délégation de procédure concernant des contraventions à des autorités administratives. Sur les enseignements qui pourraient être tirés de la pratique suisse par l’Union européenne, voir amirDiVani/Jeanneret/Jung in de Kerchove/Weyembergh.

3 Voir CEDH, Engel et al., 8 juin 1956, § 80 ss ; CEDH, Oztürk, 21 février 1984, § 46 ss. Dans ces arrêts, la CEDH fait une interprétation autonome de la « matière pénale » (CEDH, Oztürk, 21 février 1984, § 50) et considère que celle-ci doit être déterminée en fonction de la « nature même de l’infraction » (CEDH, Oztürk, 21 février 1984, § 52). Ainsi, la « matière pénale » couvre toutes

« les infractions dont les auteurs s’exposent à des peines destinées notamment à exercer un effet dissuasif et qui consistent d’habitude en des mesures privatives de liberté et en des amendes » 6

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étudions porte sur toutes les étapes du processus consistant en l’exercice du droit de punir et visant à infliger une sanction de nature pénale pour réprimer la commission d’une infraction, processus allant de la poursuite à l’exécution de la peine, en passant par la phase de jugement et la fixation de la peine.

L’existence d’une compétence est nécessaire en amont de tout exercice de celle-ci : un Etat souhaitant entreprendre un acte de poursuite, y compris formuler une demande d’extradition, doit disposer de la compétence pénale. La compétence, telle que nous la comprenons, doit ainsi être distinguée de l’exercice de la compétence. Certains éléments, telle la présence de la personne sur le territoire de l’Etat, peuvent jouer le rôle de condition pour l’existence de la compétence ou celui de condition à l’exercice de celle-ci. Il y aura lieu de revenir sur cette distinction4.

Est également pertinente la question de savoir si un Etat peut prévoir une compétence rétroactive, ou, en d’autres termes, poursuivre pour une infraction pour laquelle il n’était pas compétent au moment de sa commission. Il s’agit à notre avis d’une ques-tion délicate5 qu’il n’est pas lieu ici de traiter en détail. Néanmoins, nous proposons quelques éléments et débuts de pistes de réflexion. Les règles portant sur la compé-tence et la décision que prend l’Etat d’exercer ou non son droit de punir n’ont a priori aucune influence sur le caractère criminel d’un acte. La maxime nullum crimen sine lege ne devrait alors pas trouver application lorsqu’il s’agit de compétence. Le droit international n’interdirait donc pas aux Etats d’établir des compétences rétroactives.

Certains Etats, par exemple la France et la Belgique, estiment que la compétence est un élément faisant partie du droit procédural6, la rétroactivité étant non seule-ment autorisée, mais d’application courante, selon le principe tempus regit actum d’après lequel les règles de procédure applicables sont celles en vigueur au moment de la procédure (elles sont dites d’application immédiate7) et qu’il y a une présomp-tion selon laquelle les règles procédurales plus récentes sont meilleures que les anciennes8. Dans d’autres Etats comme la Suisse ou les Pays-Bas9, la rétroactivité de la compétence n’est pas acceptée, soit parce que les règles sur la compétence font partie du droit matériel (il s’agit des conditions d’application de la loi pénale)10, soit

(CEDH, Oztürk, 21 février 1984, § 53), y compris les sanctions administratives et les sanctions disciplinaires. Voir aussi harris et al., p. 205 ss ; White/oVey, p. 243 ss. Pour une définition de la

« matière pénale » au sens de la Loi fédérale suisse du 20 mars 1981 sur l’entraide internationale en matière pénale (EIMP), RS 351.1, voir markees, FJS 421, § 3.33 ; moreillon, EIMP, Introduction générale N 61 ss.

4 Infra N 1182 ss.

5 Contra spiga, pour qui il semblerait que la question n’a pas lieu d’être.

6 Voir bouloc, § 160 ; Desportes/le gunehec, § 367 ; praDel, Pénal général, § 216 ; sWart in Cassese/

Delmas-Marty, p. 586. Dans ce sens aussi spiga, p. 5.

7 bouloc, § 160 ; Desportes/le gunehec, § 367 ; praDel, Pénal général, § 216.

8 Desportes/le gunehec, § 367 ; hurtaDo pozo, § 149.

9 La question demeure néanmoins discutée en doctrine néerlandaise. Voir kleffner in Cassese/

Delmas-Marty, p. 223-224.

10 C’est le cas de la Suisse, ATF 117 IV 369, cons. 4g et cassani in Roth/Moreillon, ad art. 5 N 39.

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parce qu’il n’était pas dans l’intention du législateur national d’instaurer la rétroac-tivité11. Il semblerait donc que les Etats sont libres d’établir une compétence rétroac-tive, bien que certains d’entre eux s’y refusent.

On peut se demander alors si une distinction doit être opérée en fonction du type d’infraction selon si elle est de droit commun ou internationale. Pourtant, les tribu-naux internatiotribu-naux qui se prononcent uniquement sur des infractions internatio-nales connaissent des pratiques différentes. Ainsi, la Cour pénale internationale ne prévoit pas la rétroactivité de sa compétence12, à la différence des Tribunaux mili-taires internationaux d’après-guerre et des Tribunaux internationaux ad hoc instaurés par le Conseil de sécurité13. Ces constats montrent aussi qu’il est indifférent pour la question de la validité d’une compétence rétroactive de savoir s’il s’agit d’une juri-diction nationale ou internationale.

Autant la nature de l’infraction que celle de la juridiction ne semblent pas pertinentes pour faire une distinction. Encore peut-on se demander si la nature de la compétence pourrait répondre à cette question14. En particulier, une distinction devrait peut-être peut-être faite entre le cas où la compétence est soumise à la condition de double incrimination et celui où elle ne l’est pas. Lorsque ce n’est pas le cas et que les faits ne sont pas répréhensibles dans l’Etat où ils ont lieu15, la notoriété de la punissabi-lité de ces actes découle de la seule compétence de l’Etat étranger où la personne est poursuivie. Ainsi, cette compétence extraterritoriale a une certaine influence sur la punissabilité des faits. Lorsque le lien entre la personne et l’Etat qui exerce sa compétence extraterritoriale est fort, notamment lorsque la personne réside sur le territoire dudit Etat, l’on peut considérer que cette personne pouvait s’attendre à ce qu’un comportement prohibé dans son Etat de résidence sera également punissable s’il est commis à l’étranger16. En revanche, lorsque ce lien est faible, notamment lorsque la loi prévoit une compétence extraterritoriale soumise à la seule condition de la présence de la personne, une compétence rétroactive pourrait difficilement être justifiée. Dans ces deux cas, le principe nullum crimen sine lege imposera donc selon nous la non-rétroactivité de la compétence extraterritoriale lorsque celle-ci n’est pas

11 C’est le cas des Pays-Bas, Mpambara, 24 juillet 2007, § 31. C’est pour cette raison que les Pays-Bas ont refusé le transfert de l’affaire Mpambara depuis le TPIR, qui, en conséquence, a annulé sa demande de transfert d’une autre affaire, l’affaire Bagaragaza. Voir aussi VanDen herik, p. 1121.

12 Art. 11 Statut instaurant la Cour pénale internationale, adopté à Rome le 17 juillet 1998. Voir bourgon, Ratione Temporis, in Cassese/Gaeta/Jones, p. 547 ss ; schabas, ICC, p. 65 ss ; Williams S. A.

in Triffterer, ad art. 11.

13 Pour une comparaison, voir bourgon, Ratione Temporis, in Cassese/Gaeta/Jones, p. 544 ss et Wil -liams S. A. in Triffterer, ad art. 11 § 3.

14 Une distinction pourrait être faite selon si la compétence est originaire ou dérivée. Voir le développement pour ce qui est de la compétence universelle infra Chapitre 7 N 1277 ss.

15 Comme c’est le cas en droit suisse à l’art. 5 CP.

16 Voir les développements concernant l’art. 5 CP, Message concernant la modification du code pénal suisse (dispositions générales, entrée en vigueur et application du code pénal) et du code pénal militaire ainsi qu’une loi fédérale régissant la condition pénale des mineurs, 21 septembre 1998, FF 1999 II 1787, p. 14.

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soumise à la condition de double incrimination17 ou à celle du lien étroit avec l’Etat exerçant une compétence extraterritoriale.

Ces éléments de définition du titre étant posés, il y a lieu de développer davantage la notion de compétence pénale. Pour cela, nous nous proposons de la replacer dans son contexte de base, à savoir le contexte étatique et le rapport intrinsèque de la compétence pénale avec le caractère souverain de l’Etat.