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b. effets en suisse

La Suisse n’accepte une délégation de poursuite que si elle n’est pas compétente.

Ainsi, la délégation de poursuite implique une délégation de compétence494.

489 Art. 85 al. 1 let. b EIMP. Voir zimmermann r., § 741 p. 695.

490 markees, FJS 424, § 4.02.

491 markees, FJS 424, § 4.02.

492 Dans ce sens markees, FJS 424a, § 4.11, et les références citées. Pour ce qui est des deux autres conditions de l’art. 85 al. 1, l’al. 2 déroge expréssément à l’al. 1 let. a, et nous ne voyons pas de raison qui justifierait que l’on n’applique pas la let. c, prévoyant le principe ne bis in idem, à l’al. 2.

493 Message du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale à l’appui d’une loi sur l’entraide internationale en matière pénale et d’un arrêté fédéral sur les réserves relatives à la convention européenne d’extradition, 8 mars 1976, FF 1976 II 430, p. 453-454.

494 ATF 118 Ib 269, cons. 1c p. 273 ; zimmermann R., p. 533.

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La délégation de compétence ne consiste pas en la création d’une nouvelle compé-tence, mais en un transfert de la compétence de l’Etat délégant. Lorsque la déléga-tion est acceptée, la compétence dans l’Etat délégant sera « suspendue » pendant le temps où elle sera exercée par l’Etat délégataire. Une fois la délégation acceptée, la Suisse exercera une compétence dite déléguée, dérivée de la compétence territoriale de l’Etat requérant. L’exercice de cette compétence permettra d’aider ce dernier à assurer sa justice pénale495, en agissant « en lieu et place de l’Etat où l’infraction a été commise »496.

La compétence déléguée disparaît lorsque la compétence dont elle est dérivée cesse d’exister497. En raison de son évidence, il n’a pas été jugé nécessaire de le préciser dans les dispositions de l’EIMP. Cette dernière ne traite pas non plus de la ques-tion de savoir quelles sont les conséquences d’un retrait de la demande de déléga-tion498. Néanmoins, du point de vue de la compétence, lorsque l’Etat délégant retire sa demande, la Suisse ne peut plus exercer sa compétence déléguée, dont l’octroi dépend de la volonté de l’Etat délégant.

En ce qui concerne la poursuite, celle-ci doit être suspendue dans l’Etat délégant499. Dès l’acceptation de la délégation, la Suisse est libre d’ouvrir une action pénale500. Si elle le fait, elle ne commencera pas une nouvelle poursuite, mais continuera la pour-suite de l’Etat délégant501. La conséquence en est l’application du principe d’assimila-tion502 en vertu duquel tous les actes entrepris dans l’Etat délégant seront considérés comme accomplis en Suisse.

Le droit applicable sera le droit suisse503, à la seule exception de la prise en considé-ration du droit de l’Etat territorial pour ce qui est de la peine, si celle-ci aurait été plus favorable dans cet Etat (principe de la lex mitior)504.

495 markees, FJS 424, § 4.02 selon lequel la délégation permet d’« assurer […] l’ordre juridique du lieu où le délit a été perpétré ».

496 Message du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale à l’appui d’une loi sur l’entraide internationale en matière pénale et d’un arrêté fédéral sur les réserves relatives à la convention européenne d’extradition, 8 mars 1976, FF 1976 II 430, p. 453.

497 Message du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale à l’appui d’une loi sur l’entraide internationale en matière pénale et d’un arrêté fédéral sur les réserves relatives à la convention européenne d’extradition, 8 mars 1976, FF 1976 II 430, p. 453 : la compétence de l’Etat délégataire « dépend du droit (ou de l’obligation) de punir qu’a cet Etat [délégant] et […] si ce droit s’éteint […] l’affaire doit être classée ».

498 Le Conseil fédéral le remarque dans le Message du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale à l’appui d’une loi sur l’entraide internationale en matière pénale et d’un arrêté fédéral sur les réserves relatives à la convention européenne d’extradition, 8 mars 1976, FF 1976 II 430, p. 453, mais n’en traite pas davantage. Voir gauthier, p. 80 n 119 ; markees, FJS 424, § 4.043.e.

499 C’est d’ailleurs une condition pour l’acceptation de la délégation par la Suisse, voir art. 85 al. 1 let. c EIMP.

500 Art. 91 al. 3 EIMP.

501 ATF 137 IV 33, cons. 2.2.1.

502 Art. 92 EIMP.

503 Art. 86 al. 1 EIMP.

504 Art. 86 al. 2 EIMP.

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Tout comme en matière de compétence, si les actes ne peuvent plus être réprimés dans l’Etat délégant, notamment en raison d’une amnistie ou de l’écoulement de la prescription505, la poursuite doit être abandonnée en Suisse.

2. la suisse en tant qu’etat délégant a. en général

Afin de déterminer si une poursuite doit être déléguée à un Etat étranger506, la Suisse prend en compte différents facteurs507, notamment les relations de la personne avec la Suisse, respectivement l’Etat étranger, une administration rationnelle de la justice, la nécessité d’un jugement d’ensemble en cas de pluralité d’infractions, etc.

La nécessité de déterminer le « rattachement de la procédure pénale », pour reprendre les termes utilisés par le Tribunal fédéral508, peut être illustrée à l’aide d’un exemple concernant un cas de coopération entre la Suisse et l’Italie.

Dans une affaire de vol, recel, faux dans les titres, appropriation de découvertes et exportation d’objets appartenant au patrimoine culturel national italien509, l’Italie a formulé des demandes d’entraide à la Suisse, où une procédure pour recel dans la même affaire était en cours. La Suisse a suspendu sa procédure dans l’attente du résultat de la procédure italienne. Au vu du fait que la personne avait la nationalité italienne et était domiciliée en Italie, l’extradition n’était ni possible, ni souhaitable.

Vu l’ampleur des infractions commises et le nombre de pièces qu’il aurait fallu faire venir en Suisse, et malgré le fait que la Suisse aussi détenait un nombre important de moyens de preuve, celle-ci a préféré proposer à l’Italie de lui déléguer sa poursuite.

Le Tribunal fédéral suisse a en effet décidé que le « centre de gravité de l’affaire se trouvait en Italie »510. La délégation de poursuite a permis l’envoi à l’Italie des pièces requises (qui auparavant ne pouvaient qu’être consultées sur place511).

La délégation de poursuite a ainsi permis le regroupement de procédures étroitement liées, une meilleure administration des moyens de preuve par leur centralisation dans l’Etat qui en détenait le plus, la limitation du nombre de demandes d’actes d’entraide qui auraient dû être faites entre les deux Etats, que ce soit de la Suisse à l’Italie ou vice versa, et finalement une procédure au lieu le plus proche de la personne poursuivie. Il est tout de même à noter que la délégation aurait pu intervenir plus tôt dans la procédure512.

505 markees, FJS 424, § 4.043.c.

506 En général, voir harari/liniger gros in Roth/Moreillon, ad art. 3 N 48 ss.

507 TF, 1A.117/2000.

508 TF, 1A.117/2000, cons. 2b.

509 TF, 1A.117/2000.

510 Selon l’avis du Procureur général genevois en charge de l’affaire (TF, 1A.117/2000, cons. F), avis confirmé par le TF (TF, 1A.117/2000, cons. 2a et b).

511 TF, 1A.117/2000, cons. 2c.

512 Cinq ans se sont écoulés entre la première demande d’entraide formulée par l’Italie à l’égard de la Suisse et le moment où la poursuite suisse a été déléguée à l’Italie.

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b. conditions

i. Compétence

Afin de pouvoir déléguer une poursuite à l’étranger, une telle poursuite doit avoir commencé en Suisse. La Suisse doit donc être compétente, sans pour autant qu’il s’agisse nécessairement d’une compétence territoriale513.

En revanche, il importe peu du point de vue suisse que l’Etat délégataire soit compé-tent ou non. A la différence du cas de figure où la poursuite est déléguée à la Suisse, la délégation de poursuite vers l’étranger peut intervenir avec ou sans délégation de compétence. Les dispositions pertinentes de l’EIMP s’appliqueront à la délégation à l’étranger dans les deux cas514.

Il est ainsi égal à la Suisse que la compétence de l’Etat étranger soit déléguée ou origi-naire515. Dans les deux cas, l’Etat délégataire représentera la Suisse, soit en exerçant une compétence déléguée, soit une compétence originaire de représentation.

La Suisse devra vérifier que les faits sont incriminés dans l’Etat délégataire516 afin d’éviter de formuler des demandes de délégation inutiles517, débouchant sur des retards injustifiés de procédure. En effet, la poursuite devra être suspendue le temps qu’une réponse parvienne de l’Etat requis. Si les faits ne sont pas incriminés dans l’Etat requis, la réponse sera négative et la poursuite devra reprendre en Suisse. Une analyse in abstracto sera suffisante518.

ii. Détermination de l’Etat délégataire

Une poursuite suisse peut être déléguée dans deux cas de figure. D’une part, la délé-gation peut intervenir vers l’Etat de résidence de la personne lorsque l’extradition est exclue ou inappropriée519. La délégation poursuit alors un très clair objectif de reclassement social, le but étant de ne pas déraciner la personne et permettre son jugement dans l’Etat avec lequel elle entretient les liens les plus forts.

D’autre part, la poursuite peut être déléguée à l’Etat qui a demandé, et s’est vu octroyer, l’extradition de la personne, si le regroupement des procédures contre cette personne peut permettre un meilleur reclassement social520. A la lecture de l’article 88

513 moreillon, EIMP, ad art. 88 N 2 ; zimmermann R., § 745.

514 ATF 118 Ib 269, cons. 1c.

515 Message du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale à l’appui d’une loi sur l’entraide internationale en matière pénale et d’un arrêté fédéral sur les réserves relatives à la convention européenne d’extradition, 8 mars 1976, FF 1976 II 430, p. 455 ; ATF 118 Ib 269, cons. 1c ; harari/liniger gros in Roth/Moreillon, ad art. 3 N 50.

516 Art. 88 in limine EIMP : la poursuite peut être déléguée « si sa législation permet de poursuivre et de réprimer judiciairement cette infraction ».

517 markees, FJS 424a, § 4.121. Voir aussi harari/liniger gros in Roth/Moreillon, ad art. 3 N 49.

518 ATF 118 Ib 269, cons. 3b ; markees, 424a, § 4.121.

519 Art. 88 let. a EIMP.

520 Art. 88 let. b EIMP.

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lettre b EIMP, l’extradition doit avoir été accordée en amont. Cependant, l’article 32 EIMP prévoit, entre autres, que l’extradition peut être accordée si une délégation de poursuite a été acceptée, sous-entendant que c’est la délégation qui doit intervenir en premier lieu. Une lecture séparée de ces dispositions aboutit à un résultat qui nous semble absurde.

Nous proposons ainsi de lire ces dispositions conjointement et dire qu’une délé-gation de poursuite peut intervenir de manière accessoire par rapport à l’extradi-tion. Dans ce cas, une fois l’extradition accordée à l’Etat étranger, les poursuites portant sur d’autres infractions menées en Suisse seront déléguées à cet Etat afin de permettre un meilleur reclassement social par le regroupement de l’ensemble des procédures dans un seul Etat521.

Les poursuites déléguées pourront alors porter soit sur des infractions pour lesquelles l’Etat délégataire n’est pas compétent donc ne pouvait demander l’extra-dition, soit sur des infractions mineures, ne remplissant pas les conditions d’extra-dition, pour lesquelles l’extradition aurait été refusée. Le cumul de ces deux modes de coopération permettra à la Suisse de transmettre la personne et l’intégralité des poursuites menées contre elle, remplissant très certainement l’objectif de meilleur reclassement social et celui d’une administration optimale de la justice.

Lors de l’octroi d’une extradition, le principe de spécialité prévoit que la personne ne pourra être ni jugée ni même détenue pour une infraction antérieure à l’octroi de l’extradition et qui ne faisait pas partie du champ de la demande d’extradition522. Lorsqu’une délégation de poursuite est accordée, en parallèle à l’extradition, pour des faits pour lesquels l’extradition n’a pas été demandée, l’application du principe de spécialité serait un non-sens, en tant qu’elle empêcherait l’Etat délégataire de juger la personne extradée pour ces infractions. L’application de ce principe est donc exceptionnellement écartée par l’article 89 alinéa 3 EIMP. Le Tribunal fédéral parle alors de règle dite « de l’universalité » de la procédure523. Grâce à cette disposition, la personne poursuivie ne pourra se retourner contre la Suisse pour lui reprocher de ne pas veiller au respect des conditions de l’extradition.

La délégation de poursuite depuis la Suisse vers l’étranger doit se limiter à ces deux cas de figure : dans le premier cas, il s’agit de choisir entre l’extradition et la délé-gation vers l’Etat de résidence, en fonction de ce qui paraît le plus adéquat. Dans le deuxième, il s’agit de regrouper l’ensemble des poursuites dans l’Etat qui aurait demandé, avec succès, l’extradition. Dans tous les autres cas, une délégation vers l’étranger ne pourra intervenir524. On pense en particulier au cas où l’Etat qui s’avère

521 Les art. 32 et 88 let. b EIMP seraient alors les pendants, pour la délégation vers l’étranger, de l’art. 85 al. 1 EIMP, qui s’applique dans les cas de regroupement des poursuites dans l’Etat où la personne est jugée pour d’autres infractions.

522 Art. 38 al. 1 let. a et b EIMP.

523 ATF 118 Ib 269, cons. 1d.

524 Voir aussi zimmermann R., § 745.

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détenir la personne n’est pas son Etat de résidence, ou encore à celui où une demande d’extradition n’est pas formulée.

iii. Délégation assortie de conditions

La délégation de poursuite vers l’étranger peut être assortie de conditions. Ainsi, la Suisse peut soumettre la délégation de la poursuite à la condition que l’Etat étranger n’utilise pas les informations qui lui sont transmises pour des infractions à caractère fiscal525, ou encore que les pièces remises dans le cadre de la délégation soient resti-tuées à la Suisse une fois la procédure terminée526. Ce type de conditions, propres à l’entraide, peut également être utilisé en matière de délégation des poursuites.

La délégation peut aussi être subordonnée à la condition que la personne pourra purger sa peine en Suisse527, ce qui est également prévu à l’article 3 alinéa 4 CP. Cette condition, caractéristique de l’extradition aux fins de jugement, n’interviendra, par la force des choses, que lorsque la délégation n’a pas été demandée dans un but de meilleur reclassement social.