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a. conditions de la délégation

La Suisse accepte la délégation de poursuite lorsqu’elle n’est pas compétente pour poursuivre sur une autre base455, lorsque l’Etat délégant est l’Etat territorial456, lorsque la Suisse ne peut pas extrader la personne457 ou que cela ne se justifie pas458, et lorsqu’une procédure pour d’autres infractions plus graves est en cours en Suisse459.

i. Demande venant de l’Etat territorialement compétent

La Suisse n’accepte de délégation que sur demande460 venant de l’Etat territorial461. La formulation de l’article 85 alinéa 1 in limine nous paraît redondante462, à moins de considérer que la Suisse n’accepte que des demandes venant d’Etats dans lesquels l’acte (et non le résultat) a eu lieu. Cependant, cette interprétation restrictive ne semble pas se justifier au vu de la reconnaissance, en Suisse463 et en général, du prin-cipe de l’ubiquité.

La compétence de l’Etat délégant doit être considérée au moment des faits. En effet, la Suisse n’admet pas la rétroactivité de la compétence464.

453 Message du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale à l’appui d’une loi sur l’entraide internationale en matière pénale et d’un arrêté fédéral sur les réserves relatives à la convention européenne d’extradition, 8 mars 1976, FF 1976 II 430, p. 453.

454 Message du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale à l’appui d’une loi sur l’entraide internationale en matière pénale et d’un arrêté fédéral sur les réserves relatives à la convention européenne d’extradition, 8 mars 1976, FF 1976 II 430, p. 453-454.

455 Art. 85 al. 3 EIMP.

456 Art. 85 al. 1 in limine EIMP.

457 Art. 85 al. 1 let. a EIMP.

458 Art. 85 al. 2 EIMP.

459 Art. 85 al. 1 let. b EIMP.

460 ATF 137 IV 33, cons. 2.4 p. 46.

461 Art. 85 al. 1 in limine ; Message du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale à l’appui d’une loi sur l’entraide internationale en matière pénale et d’un arrêté fédéral sur les réserves relatives à la convention européenne d’extradition, 8 mars 1976, FF 1976 II 430, p. 432 et ATF 118 Ib 269, cons.

1c ; markees, FJS 424, § 4.02.

462 « A la demande de l’Etat où l’infraction a eu lieu, la Suisse peut réprimer à sa place un acte commis à l’étranger » (nous soulignons).

463 Art. 8 CP.

464 Voir supra Introduction générale N 11.

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La Suisse en tant qu’Etat requis vérifiera non seulement que l’Etat requérant est compétent à raison de la territorialité, mais également que les faits sont incriminés in concreto dans cet Etat465, afin de s’assurer que, une fois la poursuite déléguée, la Suisse ne fasse davantage que ce que l’Etat requérant pouvait faire.

ii. Subsidiarité à une compétence propre

A la différence du droit de l’extradition où la compétence ne fait pas obstacle à l’octroi de la coopération466, la Suisse n’accepte une délégation de poursuite que si elle n’est pas compétente d’après sa propre législation467. En effet, pour reprendre les termes utilisés par le Tribunal fédéral, « cette forme de collaboration internationale en matière pénale [qu’est la délégation de poursuite selon les articles 85 et suivants EIMP] doit être distinguée de la compétence directe des autorités suisses »468. Bien que cette formulation nous paraisse malheureuse du fait de la comparaison entre un mode de coopération et un type de compétence, elle reflète l’idée générale de subsi-diarité entre la compétence déléguée et une compétence originaire.

La délégation de poursuite est ainsi subsidiaire à l’existence d’une compétence propre469, quelle que soit cette compétence470. Nous verrons ce qu’il en est lorsque plusieurs compétences déléguées entrent en ligne de compte471.

iii. Subsidiarité à l’extradition

La délégation de poursuite ne peut être acceptée que si l’extradition de la personne est « exclue »472. Il faut comprendre par là qu’elle n’est pas demandée, ou qu’elle est demandée mais que la Suisse la refuse473.

465 Jeanneret, § 58 ; markees, FJS 424, § 4.071.

466 moreillon, EIMP, ad art. 36 § 1 et les références citées.

467 Art. 85 al. 3 EIMP ; Message du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale à l’appui d’une loi sur l’entraide internationale en matière pénale et d’un arrêté fédéral sur les réserves relatives à la convention européenne d’extradition, 8 mars 1976, FF 1976 II 430, p. 454 ; ATF 118 Ib 269 ; markees, FJS 424, § 4.02.

468 ATF 119 IV 113, JdT 1995 IV 98, cons. 1c.

469 Ce terme est utilisé par le Conseil fédéral dans le Message du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale à l’appui d’une loi sur l’entraide internationale en matière pénale et d’un arrêté fédéral sur les réserves relatives à la convention européenne d’extradition, 8 mars 1976, FF 1976 II 430, p. 432.

470 ATF 112 Ib 149, cons. 5d p. 152-153 ; ATF 116 IV 244, cons. 3a ; ATF 119 IV 113, JdT 1995 IV 98, cons. 1c. Y compris la compétence universelle (Message du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale à l’appui d’une loi sur l’entraide internationale en matière pénale et d’un arrêté fédéral sur les réserves relatives à la convention européenne d’extradition, 8 mars 1976, FF 1976 II 430, p. 454) et la compétence découlant de l’art. 19 al. 4 LStup (ATF 116 IV 244, cons. 3b ; ATF 137 IV 33, cons.

2.1.3). En effet, si cette compétence est prise en compte dans le cadre des motifs de refus de l’extradition (art. 37 al. 1 EIMP, voir zimmermann R., n 1131), elle doit l’être aussi pour la délégation de poursuite.

471 Infra N 432 ss.

472 Art. 85 al. 1 let. a EIMP.

473 markees, FJS 424, § 4.043.d.

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En matière de motifs de refus d’extrader, la Suisse doit se conformer aux engage-ments qu’elle a pris en ratifiant la CEExtr, en tout cas envers les autres Etats parties à cet instrument international. Ainsi, elle ne peut prévoir, à l’égard de ces Etats, d’autres motifs de refus que ceux expressément mentionnés dans la Convention474. Tout d’abord, l’extradition est refusée pour les infractions dont la peine menace est de moins d’un an de peine privative de liberté. La Suisse a ainsi repris le motif de refus prévu par la CEExtr475 et l’applique à l’égard de tous les Etats, y compris les Etats qui n’y sont pas parties. Pour ces infractions, que l’on peut qualifier de mineures, la délégation de poursuite pourra être acceptée. En effet, la délégation de poursuite ne connaît pas de limite à raison de la gravité de l’infraction, et est ainsi l’instrument adapté à la petite criminalité476. En revanche, la Suisse ne sera pas toujours le forum le plus adapté, notamment dans le cas où la personne est seule-ment de passage en Suisse. Dans ce cas, cet Etat usera de sa marge d’appréciation et n’acceptera sans doute pas la délégation477.

L’extradition est également exclue lorsqu’elle concerne des ressortissants suisses478. L’objectif est ici de ne pas déraciner la personne de son lieu de vie. Lorsque la Suisse refuse d’extrader un de ses nationaux, elle est compétente à raison de la personnalité active. Cependant, l’article 7 alinéa 1 CP ne prévoit une compétence personnelle active pour la Suisse que pour les infractions donnant lieu à extradition, donc seulement celles pour lesquelles la peine-menace est d’au moins un an de privation de liberté.

Pour toutes les autres infractions, la délégation de poursuite sera envisageable.

L’objectif du refus basé sur la nationalité est de permettre le jugement au lieu où la personne a son centre de vie. Ainsi, un refus d’extrader un ressortissant suisse domi-cilié depuis des années à l’étranger n’atteindrait pas le but escompté. La possibilité est ainsi laissée à la personne de donner son accord à l’extradition vers l’Etat avec lequel elle a plus de liens qu’avec la Suisse479. Dans ce cas, l’objectif de resocialisation sera atteint sans besoin de recourir à la délégation de poursuite.

Bien que ces situations ne permettent pas de délégation de poursuite480, l’extradition peut également être refusée lorsque la Suisse dispose d’une compétence propre. A la lecture de l’article 35 alinéa 1 lettre a EIMP, l’extradition est refusée lorsque la Suisse est compétente. Si l’on comprend cette disposition de manière si large, la Suisse viole

474 ATF 129 II 100, cons. 3.1 ; ATF 122 II 485, cons. 3a et b ; TF, 1A.233/2004, cons. 3.3. En revanche, elle pourrait prévoir des conditions plus souples pour l’octroi de la coopération, ATF 120 Ib 189, cons.

2b et les arrêts cités ; ATF 122 II 140, cons. 2.

475 Art. 2 ch. 2 CEExtr.

476 Ce qui découle aussi de l’idée de regroupement de procédures dans l’Etat où a lieu la procédure pour l’infraction la plus grave a lieu, voir infra N 392 ss.

477 Art. 85 al. 1 in limine : « la Suisse peut réprimer à sa place » (nous soulignons). Voir aussi l’art. 91 al. 4 EIMP.

478 Art. 32 EIMP in limine, motif de refus conforme à l’art. 6 ch. 1 let. a CEExtr.

479 Art. 7 al. 1 EIMP.

480 Art. 85 al. 3 EIMP.

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d’une part ses engagements dans le cadre de la CEExtr qui limite le motif de refus à raison de la compétence à la compétence territoriale481, et, d’autre part, l’article 37 alinéa 1 EIMP (refus d’extrader pour des raisons de reclassement social) est dépourvu d’objet.

Ainsi, l’article 35 alinéa 1 lettre a EIMP doit être lu comme permettant de refuser l’extradition lorsque l’infraction tombe dans le champ de la compétence territo-riale suisse. Cette lecture doit être appliquée à l’égard de tous les Etats, qu’ils soient parties à la CEExtr ou non. En effet, bien qu’une disparité de solutions en fonc-tion de l’Etat requérant l’extradifonc-tion soit possible482, l’article 37 alinéa 1 EIMP reste-rait inutile. Cette lecture, contraire à la lettre mais conforme à l’esprit de la loi, est confirmée par la jurisprudence483 et la doctrine484.

La Suisse peut également refuser l’extradition sur la base de l’article 37 alinéa 1 EIMP. Cette disposition ne s’applique néanmoins qu’à l’égard d’Etats qui ne sont pas parties à la CEExtr485. A l’égard de ces Etats, la Suisse pourra refuser l’extradition à la double condition qu’elle soit compétente (sur la base d’un principe autre que la territorialité) et que le reclassement social de la personne justifie qu’elle soit jugée en Suisse. Il faudra alors obtenir l’assentiment486 de l’Etat requérant l’extradition.

Lorsque l’extradition s’avère inappropriée pour des raisons de reclassement social, le pendant de l’article 37 alinéa 1 EIMP en matière d’extradition, est l’article 85 alinéa 2 EIMP en matière de délégation de poursuite. Selon cette disposition, la Suisse peut refuser une extradition et accepter une délégation de poursuite lorsque l’affaire concerne une personne qui, bien que de nationalité étrangère, « réside habituelle-ment » en Suisse, donc a son centre de vie dans cet Etat, et qu’un meilleur reclasse-ment social fait qu’il faut privilégier la délégation de poursuite sur l’extradition487. Tout comme l’article 37 alinéa 1 EIMP, cette disposition ne pourra s’appliquer qu’à l’égard des Etats qui ne sont pas parties à la CEExtr, à moins que l’on considère que les personnes qui résident durablement en Suisse puissent être assimilées aux natio-naux488, auquel cas ce cas de figure sera conforme à l’article 6 chiffre 2 CEExtr.

Il reste encore à déterminer si l’acceptation de la demande de délégation de poursuite présuppose la présence de la personne sur sol suisse. L’article 86 alinéa 3 EIMP s’ap-plique une fois que la délégation est acceptée, et précise que la procédure in absentia est exclue. L’article 85 n’est pas plus explicite sur cette question, en mentionnant seulement

481 Art. 7 ch. 1 CEExtr. Voir RR.2009.309, cons. 9.2 et ATF 129 II 100, cons. 3.1.

482 L’objectif des traités sur la coopération étant précisément l’octroi de la coopération la plus large possible, ATF 122 II 140, cons. 2.

483 ATF 117 Ib 210, cons. b.aa ; TF, 1A.233/2004, cons. 3.1.

484 moreillon, EIMP, ad art. 35 § 1.

485 Jurisprudence constante du Tribunal fédéral, voir notamment TF, 1A.76/2006, cons. 4.2.

486 Il ne s’agira pas d’une délégation de poursuite, mais d’un accord sur le principe de la poursuite en Suisse, voir ATF 117 Ib 210, cons. b.cc ; ATF 120 Ib 120, cons. 3c p. 127 ; confirmé par l’ATF 129 II 100, cons. 3.1. Voir aussi zimmermann r., § 708.

487 markees, FJS 424a, § 4.111.

488 La Suisse devra faire une déclaration dans ce sens, conformément à l’art. 6 ch. 1 let. b CEExtr.

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que l’extradition doit être exclue. On pourrait alors imaginer un cas dans lequel la Suisse accepterait une délégation de poursuite et ferait une demande d’extradition en parallèle, avant de commencer à entreprendre des actes liés à la poursuite acceptée.

iv. Regroupement de procédures

L’acceptation d’une demande de délégation de poursuite par la Suisse est soumise également à la condition du regroupement de procédures489. En d’autres termes, la Suisse ne peut exercer une poursuite déléguée que si elle est déjà compétente et en train de poursuivre la personne pour au moins une autre infraction, qui doit être plus grave que celle pour laquelle la délégation est demandée.

D’une part, cette condition permet de juger la personne à un seul endroit pour l’en-semble des infractions qu’elle aurait commises, permettant le prononcé d’une peine unique, en facilitant l’exécution, et favorisant ainsi un meilleur reclassement social490. D’autre part, cette condition permet de ne pas « surcharger le bateau »491, en limitant les délégations vers la Suisse aux cas accessoires à des poursuites déjà entamées.

Malgré la systématique de la loi, il faut admettre, à notre avis, que la condition de l’alinéa 1 lettre b de l’article 85 s’applique également et de manière indistincte au cas de figure couvert par l’alinéa 2, à savoir le cas où l’extradition est possible mais ne se justifie pas492. En effet, dans la logique prônée par l’EIMP, la délégation de poursuite doit demeurer restrictive493 : l’efficacité de l’administration de la justice l’emporte sur les besoin de reclassement social, impliquant par là que les personnes n’ayant pas commis de crime plus grave en Suisse soient « désavantagées » par rapport à celles remplissant les conditions de l’article 85 alinéa 2. Cette lecture correspond également à la logique des dispositions pertinentes en matière d’extradition, à savoir l’article 36 et 37 EIMP. En effet, l’article 37 alinéa 1 est le pendant de l’article 36 alinéa 1 et doit être compris comme s’appliquant lorsque la Suisse dispose d’une compétence originaire, et non pas lorsqu’elle peut se voir déléguer une compétence.