• Aucun résultat trouvé

L’atteinte à la définition légale des droits patrimoniaux

Titre II. Les limites du paradigme

Section 2. Les signes de perte de contrôle sur le nombre d’exceptions existantes

B. L’atteinte à la définition légale des droits patrimoniaux

226. Contrairement à ce qui a pu être affirmé par une partie de la doctrine, le juge appliquant la théorie de l’arrière-plan, conçue comme une limite externe des droits exclusifs, porte atteinte à la définition légale des droits patrimoniaux de l’auteur (A). Les raisons de l’adoption d’une telle technique par le juge tiennent, paradoxalement, à l’architecture de l’équilibre préétabli du droit d’auteur (B).

1. La réalité de l’atteinte à la définition légale des droits patrimoniaux

227. Les applications évoquées de la théorie de l’arrière-plan sous-entendent une redéfinition des droits patrimoniaux de l’auteur. La représentation consiste en une

« communication de l’œuvre au public par un procédé quelconque »647. La reproduction, quant à elle est une « fixation matérielle de l’œuvre par tous procédés qui permettent de la communiquer au public d’une manière indirecte »648. Le texte de loi ne fait aucune distinction entre les communications de l’œuvre au public à titre principal et celles à titre accessoire.

Il n’est pas douteux que même les reproductions accessoires permettent au public de prendre connaissance de l’œuvre d’une manière ou l’autre649.

228. Le système du droit d’auteur, orienté vers la protection de l’auteur et déterminant le degré de prise en compte de l’intérêt général au stade de l’édiction de la liste fermée des exceptions, parmi lesquelles vainement chercherait-on les hypothèses correspondant à la théorie de l’arrière-plan, voudrait que les lacunes et les zones d’ombre du texte soient interprétées en faveur de l’auteur. Toutefois, comme le souligne B. Galopin, en ce qui concerne la théorie de l’arrière-plan, le juge a préféré, par la voie d’une certaine fiction juridique s’exerçant sur les données réelles constituant les conditions d’application de la règle juridique650, légitimer les pratiques entrant de facto dans le champ d’application des droits exclusifs. Suite à cette opération, nous sommes en présence d’une solution respectant le caractère fermé de la liste des exceptions, mais contaminée par un haut degré d’artifice651.

647 Article L. 122-2 du CPI, l’ancien article 27 de la loi du 11 mars 1957.

648 Article L. 122-3 du CPI, l’ancien article 28 de la loi du 11 mars 1957.

649 Dans ce sens, P. SIRINELLI, obs. sous Paris, 12 sept. 2008, RIDA, n° 219, janv. 2009, pp. 237-265, spéc. pp. 251-253.

650 B. GALOPIN, « Accessoire : la Cour de cassation assume l’exception prétorienne », note sous Cass., 1re civ., 12 mai 2011, Bull. I, n° 87, RLDI, n° 73, juill. 2011, pp. 20-24, spéc. p. 21.

651 A. BENSAMOUN, « Portrait d’un droit d’auteur en crise », RIDA, n° 224, avr. 2010, pp. 2-159, spéc. p. 105.

163

Chaque fiction juridique n’est qu’« un mensonge technique consacré par la nécessité »652. L’analyse des éléments constitutifs de la théorie de l’arrière-plan nous force à constater que son approbation par la Cour de cassation signifie la création d’une nouvelle règle jurisprudentielle précisant les contours des droits patrimoniaux de l’auteur. Selon cette dernière, ne donnent lieu au déclenchement de la protection que les reproductions et représentations non seulement conformes aux conditions prévues par la loi, mais aussi

« non accessoires »653.

229. Ainsi, n’emportent pas notre conviction les thèses qui voient dans l’application jurisprudentielle de la théorie de l’arrière-plan la mise en exergue d’une vérité évidente, selon laquelle la communication accessoire de l’œuvre au public échappe par nature aux droits exclusifs654.

En outre, il convient de souligner que les essais de conceptualisation de la théorie de l’arrière-plan, par référence à une prétendue exception aux droits de l’auteur tirée de la règle de minimus non curat praetor655, apparaissent comme purement théoriques. Si la force indéniable dudit adage a pu inspirer l’élaboration de la théorie, à partir du moment où l’on est en présence d’une négation ferme et non équivoque du droit exclusif, il ne semble pas qu’on puisse parler d’une construction autre qu’une limite externe des droits d’auteur, aux définitions desquelles a été ajouté un critère de caractère non accessoire de la communication de l’œuvre au public.

2. Les raisons de l’atteinte à la définition légale des droits patrimoniaux

230. La redéfinition des frontières du droit d’auteur par rapport à la lettre de la loi étant admise, reste à comprendre ses motifs. Sur ce point, il semble opportun de souligner, avec F. Pollaud-Dulian, qu’à l’origine de la théorie de l’arrière-plan se trouve un certain sentiment de bon sens. Ainsi, « si le cameraman, le photographe ou le peintre prend pour sujet une scène de rue, une cérémonie, un paysage ou un personnage, on ne saurait lui

652 R. IHERING, L’esprit du droit romain dans les diverses phases de son développement, Tome IV, éd. A. Marescq, 1878, p. 295.

653 Dans ce sens, J. DALEAU, note sous Cass. 1re civ., 12 juin 2001, Bull, I. n° 172, D., 2001, pp. 2517-2518, précitée, spéc. p. 2518.

654 M. VIVANT, J-M BRUGUIERE, Droit d’auteur et droits voisins, 3e éd., Dalloz, 2015, p. 527, Dans le même sens, F. POLLAUD-DULIAN, Le droit d’auteur, 2e éd., op. cit., p. 868.

655 Entrepris par quelques auteurs. V. not. : C. CARON, « De la représentation accessoire d’une œuvre de l’esprit », note sous Cass. 1re civ., 15 mars 2005, Bull. I, n° 134, CCE, n° 5, mai 2005, comm. 78.

164

reprocher l’apparition accessoire de l’œuvre d’autrui, dans le cadre où se place son propre sujet »656.

En outre la théorie commentée se justifie d’un point de vue économique. Comme le fait à juste titre remarquer S. Dormont, en son absence, « les coûts de transaction générés par l’autorisation et la rémunération des auteurs dont l’œuvre est reproduite - ou représentée - de manière accessoire seraient prohibitifs au regard des intérêts financiers en jeu »657.

Eu égard à ces justifications, la théorie de l’arrière-plan se présente, pour certains auteurs, comme une construction juridique dont la légitimité n’est pas discutée et qui ne nuit point à la sécurité juridique658. Vu la réalité de la redéfinition prétorienne des contours des droits exclusifs qu’elle entraîne, il serait risqué de partager cette dernière opinion.

En effet, l’ajout d’un critère supplémentaire de reconnaissance des droits d’auteur dans les cas où le public peut prendre connaissance de l’œuvre, et cela dans le système indéniablement orienté in favorem auctoris, est loin de constituer un gage de sécurité juridique…

231. Pourtant, en présence d’un système fermé d’exceptions, le juge, guidé, semble-t-il par le ressentiment profond à l’égard du statisme de l’équilibre interne du droit d’auteur, a dû trouver ailleurs des « échappatoires » pour que la rigidité, à ses yeux excessive, de la lettre de la loi ne soit pas assimilée à une entrave à la création659. Comme le remarque un auteur, le recours aux limites externes permet de « dépasser la logique des exceptions censément prévues de façon limitative »660.

Si le juge était autorisé de réanimer la logique ancienne de création ex nihilo des exceptions prétoriennes, ou bien, si la loi avait prévu une exception couvrant les hypothèses de reproduction et représentations accessoires, il ne serait pas obligé, dans sa mission d’adaptation du droit à la réalité, de mettre un pas sur le terrain glissant de la fiction juridique et de nier un droit exclusif pour contourner la rigidité du système d’exceptions.

656 F. POLLAUD-DULIAN, Le droit d’auteur, 2e éd., op. cit., p. 867.

657 S. DORMONT, Le conflit entre le droit d’auteur et le droit de la concurrence, Thèse, Paris Sud XI, 2011, p. 283.

658 X. PRES, op. cit., p. 107. Dans le même sens, L. MARINO, Les droits fondamentaux émancipent le juge : l’exemple du droit d’auteur, JCP, n° 30, 26 juill. 2010, doctr. 829.

659 P. SIRINELLI, obs. sous Paris, 12 sept. 2008, RIDA, n° 219, janv. 2009, pp. 237-265, spéc. p. 251.

Dans le même sens, pour expliquer la raison d’être de la figure logique de la Cour de cassation dans un autre arrêt consistant à situer l’inclusion fortuite et accessoire d’une œuvre en dehors de la sphère des droits d’auteur, C. Castets-Renard souligne que « ce raisonnement contestable a certainement été guidé par la volonté de contourner le régime juridique des exceptions légalement consacrées », C. CASTETS-RENARD,

« Etre et avoir... et apparaître accessoirement ! Ou comment limiter le monopole de l’auteur », note sous Cass. 1re civ., 12 mai 2011, Bull. I, n° 87, D., 2011, pp. 1875-1879, spéc. p. 1878.

660 P. MOURON, « La parodie, nouvelle limite externe au droit des dessins et modèles », RLDI, n° 98, nov. 2013, pp. 72-77, spéc. p. 76.

165

Comme l’enseignait Jhering, « toute fiction, à cause de son imperfection même, avertit la science d’avoir à rechercher le plus rapidement possible un moyen plus parfait »661. Un nouvel espoir, pour sortir de ladite logique des limites externes, critiquable d’un point de vue formel, mais compréhensible sous l’angle des exigences de pure équité, est apparu à l’horizon avec l’adoption de la directive 2001/29/CE. Celle-ci a mis en place, dans sa

« shopping list » d’exceptions facultatives, une série des normes dérogatoires pouvant, a priori, correspondre aux hypothèses factuelles couvertes par la théorie de l’arrière-plan.

Il s’agit ici de l’exception pour utilisation au cours de cérémonies religieuses ou de cérémonies officielles, organisées par une autorité publique662, pour utilisation d’œuvres réalisées pour être placées en permanence dans des lieux publics663 et finalement, celle pour inclusion fortuite d’une œuvre ou d’un autre objet protégé dans un autre produit664.

II. La réanimation prudente de la logique des exceptions prétoriennes

232. La théorie de l’arrière-plan, initialement conçue comme une limite externe des droits exclusifs, ne s’est pas figée dans cette forme. Elle s’est progressivement transformée en une véritable exception prétorienne. Ce qui a permis ce passage, c’est la consécration par la directive 2001/29/CE d’un certain nombre d’exceptions facultatives qui pourraient couvrir les reproductions et les représentations accessoires. Ces exceptions n’ont toutefois pas été transposées en droit français. Le juge du droit d’auteur, tenté de les transposer à la place du législateur (A), a réussi à intégrer l’une d’entre elles dans le catalogue des exceptions françaises en faisant preuve d’une habileté spectaculaire (B).

Outline

Documents relatifs