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La copie privée en tant que limite externe des droits exclusifs

Titre I. Le contenu du paradigme

Section 1. La licéité des usages privés – une limite admise praeter legem

I. La copie privée en tant que limite externe des droits exclusifs

57. La copie privée semble être l’exception aux droits de l’auteur la plus controversée et la plus discutée à l’heure actuelle. Cela étant dit, son concept n’est pas une invention moderne.

190 K. MORE, Les dérogations au droit d’auteur, L’exception de copie privée, Presses universitaires de Rennes, 2009, p. 13.

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Dire qu’elle a toujours existé191 serait une simplification de la réalité juridique qui entoure la notion de copie privée, englobant aujourd’hui l’ensemble des régulations situées dans un contexte législatif large. Dire que « jusqu’à la loi du 11 mars 1957, la copie privée à des fins personnelles ne semble pas susciter de question juridique majeure »192serait une simplification encore plus grande.

58. Le législateur révolutionnaire a conçu le droit de reproduction des auteurs comme s’étendant à la vente, à la distribution et à la cession de la propriété de leurs ouvrages193. Cependant, un auteur du XIXe siècle a pu remarquer que « la copie d’un ouvrage, pour l’usage personnel du copiste ou de celui au nom duquel la copie est faite, doit être considérée comme licite : car elle ne constitue ni une vente, ni une distribution, ni une cession dans le sens de l’art. 1er de la loi des 19-24 juillet 1793 »194. L’idée semble acquise, celui qui copie pour soi ne commet pas un acte de contrefaçon195.

59. Les raisons de ce désintérêt du législateur révolutionnaire à l’égard des reproductions privées paraissent évidentes. Sous le règne des premières lois sur la propriété littéraire et artistique, le préjudice causé au titulaire par les copies privées, faites à la main ou autographiées, destinées à seul usage du copiste, était minime, voire nul. C’est pourquoi, semble-t-il, aucune exception en faveur de l’usage privé n’a été prévue par les lois de 1791 et de 1793, ni par le Code pénal de 1810196, ni par la Convention de Berne dans sa rédaction initiale197. À l’époque, une certaine clémence à l’égard des reproductions privées semblait naturelle198, et constituait, une limite199 au droit de reproduction. La copie privée, dans sa forme embryonnaire, se trouvait une cadre que les droits exclusifs de l’auteur n’atteignaient pas. De ce fait, elle n’était pas une exception véritable, car au lieu d’atténuer la force

191 C. CARON, Droit d’auteur et droits voisins, 4e éd., LexisNexis, 2015, p. 330.

192 C. ROJINSKY « La copie privée, point d’équilibre du droit d’auteur », Expertises, n° 294, juill. 2005, pp. 255-258, spéc. p. 256.

193 Article 1 de la loi du 19 juill. 1791, relative à la propriété littéraire et artistique : « Les auteurs d’écrits en tout genre, les compositeurs de musique, les peintres et dessinateurs qui feront graver des tableaux ou dessins, jouiront durant leur vie entière du droit exclusif de vendre, faire vendre, distribuer leurs ouvrages dans le territoire de la république et d’en céder la propriété en tout on en partie ».

194 D. DE FOLLEVILLE, De la propriété littéraire et artistique, Libraires de la Cour d’appel et de l’ordre des avocats, 1877, pp. 12-13.

195 Défini par l’art 425 du Code pénal de 1810 : « Toute édition d’écrits, de composition musicale, de dessin, de peinture ou de toute autre production, imprimée ou gravée en entier ou en partie, au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs, est une contrefaçon ; et toute contrefaçon est un délit ».

196 H. WISTRAND, Les exceptions apportées aux droits de l’auteur sur ses œuvres, Montchrestien, 1968, p. 332.

197 Ibid., p. 317.

198 Ibid., p. 332.

199Dans ce sens, not. : S. CARRE, L’intérêt public en droit d’auteur, Thèse, Montpellier I, 2004, Tome II, p. 652.

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obligatoire de la règle de principe, elle s’étendait à des usages qui échappaient à la réservation privative.

La doctrine du XIXe siècle situe le fondement conceptuel de la licéité des usages privés dans une certaine logique de bon sens, dans « une formule en apparence commode »200, selon laquelle les reproductions privées ne sont pas, par nature, préjudiciables à l’auteur.

Ainsi selon Renouard :

« On peut dire, sans doute, que créer d’un ouvrage privilégié même un seul exemplaire, c’est priver l’auteur du profit qu’il aurait eu si la vente de cet exemplaire était émanée de lui ; mais le bon sens indique qu’on ne saurait réputer contrefacteur celui qui, pour son instruction ou pour son usage, copie tout ou partie d’un livre, fait des études sur un dessin ou sur un tableau. Que si les copies sont faites pour se créer une exploitation commerciale, il sera bien évident que ce commerce préjudiciable à l’auteur aura le caractère de contrefaçon »201.

Et selon Pouillet :

« (…) comment, en effet, réputer contrefacteur celui qui, pour son instruction ou pour aider sa mémoire, copie tout ou partie d’un livre ? N’est-il pas dans la destinée même du livre de servir à l’étude de ceux qui le lisent ? Il n’est pas interdit de l’apprendre par cœur, comment serait-il défendu de le copier ? La copie, en ce cas, n’est qu’un aide-mémoire naturel. Il en serait autrement si cette copie manuscrite était vendue, si, en un mot, celui qui la possède en tirait un bénéfice pécuniaire et la faisait servir à une véritable exploitation commerciale »202.

Compte tenu du coût très élevé de l’impression, et de la nocivité limitée de la copie manuscrite ou autographiée, seules techniques de reproduction disponibles à l’époque, le désintérêt du législateur face à la question des reproductions privées semblait être justifié203.

200 H. DESBOIS, Le droit d’auteur : droit français, convention de Berne revisée, Dalloz, 1950, p. 327.

201 A.-C. RENOUARD, Traité des droits d’auteurs dans la littérature les sciences et les Beaux-arts, Tome I, Jules Renouard et cie libraires, 1838, p. 42, nous soulignons.

202 E. POUILLET, Traité théorique et pratique de la propriété littéraire et artistique et du droit de représentation, 3e éd., Imprimerie et Librairie Générale de Jurisprudence, 1908, p. 559, nous soulignons.

Dans le même sens, J. A. GASTAMBIDE Traité théorique et pratique des contrefaçons en tous genres et de la propriété en matière de littérature, théâtre, musique, peinture, dessin, gravure, dessins de manufactures, sculpture, sculptures industrielles, marques, noms, raisons commerciales, enseignes, etc., Legrand et Descauriet, 1837, p. 97. V. cependant, par rapport à la pertinence du critère d’absence de préjudice : G. HUARD, Traité de la propriété littéraire, Marchal et Billard, 1903 pp. 174-175. Selon ce dernier, même l’existence d’un préjudice potentiel peut justifier la « lésion » des droits d’auteur.

203 Dans ce sens, K. MORE, op. cit., p. 13.

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60. De cela découle une certaine vision du droit d’auteur, défendue encore par de nombreux auteurs contemporains, selon laquelle celui-ci ne s’intéresse qu’à « l’usage public de l’œuvre, dans un cadre et dans une perspective économique »204.

Si l’on considère que le droit d’auteur et les prérogatives qui y sont rattachées cessent dès que commence la sphère privée205, on doit admettre que la création d’une exception distincte pour usage privé n’est pas nécessaire. Plus encore, elle est même superflue, car la reproduction non destinée à être communiquée au public se situe par nature en dehors du monopole de l’auteur206. Ainsi, l’usage privé exclut toute communication de l’œuvre au public, et par conséquent ne peut porter atteinte aux droits de l’auteur.

61. Cette vision du droit d’auteur, faisant de celui-ci une branche du droit commercial plutôt qu’une branche du droit civil, possède une justification historique. En effet, le droit d’auteur, trouvant son origine dans l’exclusivité de l’édition 207, vise historiquement à empêcher le pillage des œuvres, la reproduction et la diffusion non contrôlées de celles-ci208. Une copie privée, faite à la main ou bien lithographiée, peut-elle être considérée comme un pillage de la propriété de l’auteur ?

En pratique, et ce malgré la clarté du concept de droit de reproduction limité à l’usage privé, des désaccords furent observables dès le début de l’histoire du droit d’auteur moderne, quant à la délimitation entre la copie licite et le pillage.

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