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Chapitre 5 : Responsabilité de protéger

2. Le transfert des technologies et l’assistance humanitaire

2.2. L’assistance humanitaire en cas de catastrophes naturelles

L’intervention humanitaire lors des catastrophes naturelles est habituellement la manifestation de la solidarité du genre humain. Elle transcende les alliances entre les peuples et traduit d’abord la compassion face aux victimes d’un fléau naturel inattendu. Les pays du Tiers- monde ont très peu de moyens financiers et logistiques pour prévenir ou faire face aux catastrophes naturelles. Lorsqu’elles surviennent, l’intervention humanitaire est nécessaire pour limiter de nombreuses pertes en vies humaines. Quand les dirigeants d’un pays sinistré lancent l’appel au secours international, la générosité des autres pays se manifeste de façon volontaire. Il existe des organismes internationaux pour la coordination de l’aide internationale aux sinistrés. Par contre, l’ONU n’a pas de dispositif contraignant qui quantifierait l’aide aux sinistrés et fixerait les délais à respecter par les États. Il y a là un vide juridique qui repose le problème de la responsabilité et de la capacité. Quand les dirigeants autoritaires et peu scrupuleux d’un pays éprouvé refusent toute intervention extérieure ou détournent l’aide humanitaire à des fins égoïstes, il se pose la même interrogation : faut-il forcer les frontières et intervenir pour sauver des populations aux prises avec les conséquences d’une catastrophe naturelle ? Si oui, qui doit assumer les coûts reliés à une telle intervention ?

Moins par nécessité que par sympathie, l’intervention humanitaire symbolise le soutien et les encouragements de divers pays, lorsque l’État concerné est capable de contrôler la situation en apportant rapidement l’aide dont les victimes ont besoin de toute urgence. La spontanéité par laquelle elle s’exprime est tout aussi prompte que l’instantanéité de la surprise des catastrophes naturelles qui surviennent généralement à l’improviste. Il arrive que l’ampleur de la catastrophe soit tellement étendue que même un pays riche ait besoin de l’aide internationale. L’ONU ne devrait-elle pas statuer aussi sur ce type d’assistance humanitaire ?

Conclusion

Nous avons étudié l’apparent conflit entre souveraineté et droits de l’homme. Il a été résolu de deux manières. D’abord à travers une évolution de la notion de souveraineté : du concept de souveraineté comme autorité, on est passé à celui de souveraineté comme responsabilité. En d’autres termes, il y a une mutation de sens : on est passé du contrôle d’un territoire au respect du minimum standard des droits de l’homme. Puis on est parvenu à une définition dilatée de ce qui constitue une menace à la paix internationale et à la sécurité. La conséquence du premier mouvement est que des violations massives des droits de l’homme à l’intérieur de la juridiction d’un État sont transformées en matière de droit international. La seconde mutation a doté les Nations Unies des pouvoirs susceptibles d’autoriser légitimement des actions internationales pour parer aux menaces émanant des crises humanitaires.

Il y a eu aussi la question de l’autorisation : qui peut et qui doit entreprendre une l'intervention humanitaire ? Cette question a pris de l’ampleur après l’intervention de l’OTAN au Kosovo dans les années 90. Si le consensus est presque total autour du Conseil de Sécurité qui doit autoriser toute l'intervention humanitaire, il reste que la lenteur de la réforme toujours attendue de l’ONU mine son peu de crédibilité. La légitimité d’une intervention est souvent jugée en référence à ses conséquences plutôt qu’à ses intentions. En un mot, rien n’est plus efficace que le succès pour taire toute critique. Le vrai conflit entre l’impératif d’intervenir et la norme de la souveraineté de l’État survient, non pas au moment de l’action coercitive, mais plutôt après l’intervention, lorsque la communauté internationale a placé l’État visé sous tutelle. Le soupçon récurrent est celui des implications impérialistes au cœur des interventions humanitaires. Bien qu’une longue présence internationale soit nécessaire pour créer une stabilité durable, elle soulève d’épineuses questions, non seulement au sujet de

l’autodétermination, mais aussi en ce qui concerne la responsabilité des autorités de transition, sponsorisées ou parrainées par l’Occident. Les crises humanitaires n’ont pas encore épuisées leur potentiel de défis à la communauté internationale.

Au fond, nous avons vu avec Jennifer Welsh que la philosophie qui sous-tend les objections à l'intervention humanitaire est essentiellement une philosophie des limites. Ce sont des limites portant sur le consensus international et concernant le lien entre la légitimité de l’État, sa protection ainsi que la promotion des droits humains. Limites sur la volonté des États qui interviennent, à engager des efforts à long terme pour éradiquer les causes à leurs racines profondes. Il s’agit finalement des limites sur le degré auquel nous pouvons dire qu’une l'intervention humanitaire a été entreprise au nom de la communauté internationale. Bref, la question fondamentale a été : qui intervient et pour quels motifs ? La réponse n’est pas simple. Elle donne lieu à des débats effervescents sur les frontières de la communauté morale, les conséquences de l’intervention et la densité des valeurs qui tissent et étayent la société internationale.

Au-delà du choix d’effectuer une intervention humanitaire ( jus ad bellum ) et de sa conduite ( jus in bello ), la théorie traditionnelle de la guerre juste doit évoluer vers le jus post bellum. Même Michael Walzer, qui ne fait aucun cas du jus post bellum dans Guerres justes et injustes, son ouvrage classique, admet maintenant lui aussi, la nécessité de ce changement : “Humanitarian intervention radically shifts the argument about endings.”100 L’intervention humanitaire doit aller au-delà du secours pour la réforme et la reconstruction. Un nouveau régime doit être établi et soutenu jusqu’à ce qu’il soit capable de se prendre en main. La responsabilité de protéger comporte aussi celle d’aider au changement des conditions qui ont favorisé originellement la perpétration des génocides ou des crimes contre l’humanité. Cette conclusion est la fin logique de notre discours à propos du dilemme de l’intervention humanitaire : nous laissons entrevoir la thèse à laquelle nous sommes le plus favorable bien que le dilemme ne soit pas entièrement résolu entre la double sollicitation conflictuelle du devoir moral de protéger et l’obligation légale de respecter la souveraineté politique des États, avec toute leur intégrité territoriale.

Plus concrètement, le fil conducteur qui a guidé l’ensemble de cette discussion a été avant tout la recherche d’une définition du concept de responsabilité capable de solutionner le problème de la misère dans le Tiers-monde. L’analyse des enjeux théoriques constatés à partir de la marche du monde contemporain où la tension juridico-éthique entre le droit international et la moralité a mis la table pour la discussion. D’entrée de jeu, nous avons délimité notre sujet grâce à la définition que la littérature de la guerre juste donne actuellement de l’intervention humanitaire, à savoir, une action militaire conduite par un État ou par un groupe d’États à l’intérieur de la sphère de juridiction d’une communauté politique indépendante, sans la permission des responsables de cette dernière, en vue d’empêcher ou d’arrêter une violation massive et flagrante des droits de l’homme, perpétrée à l’encontre d’innocents qui ne sont pas les co-nationaux des intervenants libérateurs. En resituant l’intervention militaire dans le cadre global de la théorie de la guerre juste, une révision de ses critères traditionnels a permis de les adapter à l’intervention humanitaire, au droit international et à la réalité du monde contemporain. Puisqu’elle représente juridiquement une exception aux principes de non- intervention et d’intégrité territoriale sur lesquels s’appuie la Charte de l’ONU, nous avons mené une large discussion portant sur les interactions inhérentes et les oppositions naturelles entre droit international et moralité, droits et devoirs, légalité et légitimité, intentions et motifs. A l’issue de cette discussion, nous en sommes venus à affirmer que, quels qu’en soient les motifs, si l’intention de l’intervention humanitaire qui a pour but d’éviter un génocide ou un massacre à grande échelle, est honorée, alors elle vaut la peine d’être orchestrée et encouragée.

Toutefois, il est encore mieux que l’intervention humanitaire s’inscrive dans le cadre d’un droit international élargi, reformé et adapté à la réalité du monde contemporain et par des institutions appropriées, fruit de la cohésion et de la solidarité de la communauté internationale. Cela relève d’un consensus qui est toujours à reconquérir malgré la realpolitik et la disparité des intérêts des États. Enfin, le transfert des technologies avec assistance technique, a été identifié comme un type d'intervention humanitaire susceptible d’apporter aussi des solutions concrètes à l’extrême pauvreté du Tiers-monde. Les institutions transfrontalières et les multinationales peuvent fournir un appui non négligeable à ce transfert de technologies. Elles possèdent surtout une immense capacité d’élaboration des pistes d’émergence du Tiers-monde. Tel est l’objet du chapitre qui suit.

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