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Les temps verbaux du passé dans le discours de fiction et leurs usages

1.2. Quelques approches et théories non pragmatiques de l’imparfait L’imparfait attire l’attention de nombreux linguistes depuis longtemps Nous

1.2.4. L’approche textuelle La théorie de Weinrich (1973)

La théorie de Weinrich (1973) est très intéressante à étudier, parce qu’elle nous fournit une perspective tout à fait distincte des autres approches portant particulièrement sur les temps verbaux. En s’inscrivant dans le prolongement de la théorie de Benveniste (1966) et également de Hamburger (1977), Weinrich considère que le système temporel doit être déterminé à partir des trois dimensions principales suivantes : l’attitude de locution, la perspective de locution et la mise en relief.

Sous le terme d’attitude de locution, Weinrich fait la distinction entre deux registres : « le monde commenté (le commentaire) » et « le monde raconté (le récit) ». Il caractérise ces deux registres par la présence ou l’absence de tension. Autrement dit, le commentaire exige de l’interlocuteur une attention soutenue alors que le récit lui permet un certain détachement. Selon Weinrich, dans le commentaire, il y a tension puisque le locuteur cherche à influencer son interlocuteur. Par contre, dans le récit, cette tension est absente et l’interlocuteur peut relâcher son attention. Quant au registre de la perspective de locution, cette notion s’appuie sur la distinction entre le moment où l’éventualité a lieu et celui où l’éventualité est rapportée. La perspective de locution concerne les relations entre ces deux moments. Les trois relations possibles entre ces deux moments sont la rétrospection (le moment de l’éventualité précède le moment où il est rapporté), la prospection (le cas inverse) et le degré zéro (lorsque le rapport entre ces deux moments n’est pas pertinent). Nous citons le tableau ci-dessous de Moeschler

& Reboul (1994 : 448) qui nous montre la répartition des temps verbaux dans ces deux dimensions du système temporel de Weinrich :

L’idée principale de Weinrich concernant « la mise en relief » est de distinguer les fonctions du passé simple et de l’imparfait dans le monde raconté. D’après Weinrich (1973 : 107), « les temps projettent au premier plan certains contenus et repoussent d’autres dans l’ombre de l’arrière-plan ». Dans un deuxième temps, il qualifie le passé simple de temps du premier plan et l’imparfait de temps de l’arrière-plan. Le premier plan se compose des actions principales qui font avancer le récit, alors que l’arrière-plan se compose des actions secondaires qui sont moins importants pour la trame du récit, et qui font le fond du décor devant lequel se déroulent les actions principales. Weinrich insiste, en montrant l’extraction de toutes les phrases au passé simple et à l’imparfait d’une nouvelle, sur le fait que l’extraction des phrases au passé simple détruit complètement la trame du récit, alors que celle des phrases à l’imparfait laisse le récit tout à fait consistant. Il en conclut que « la mise en relief est la seule et unique fonction

Perspective de locution Attitude de locution Récit commentaire rétrospection prospection point zéro plus-que-parfait, future antérieur conditionnel imparfait, passé simple passé composé future présent Mise en relief arrière-plan avant-plan imparfait passé simple

de l’opposition entre l’imparfait et le passé simple dans le monde raconté » (Weinrich, 1973 : 117). Il est vrai que, dans la plupart des cas, l’opposition entre le premier plan et l’arrière-plan correspond à l’opposition entre le passé simple et l’imparfait dans les récits. Nous pouvons donc dire que l’hypothèse de Weinrich concernant la mise en relief et l’opposition entre le passé simple et l’imparfait nous semble assez plausible. En outre, Weinrich insiste sur la validité de sa théorie pour l’imparfait narratif en l’opposant à l’approche aspectuelle :

« Le temps est totalement indépendant de l’aspect ponctuel ou duratif du procès ; il est déterminé exclusivement par la technique narrative et dépend de la position de la phrase par rapport à l’ensemble du récit. »

(Weinrich, 1973 : 132) Cependant, nous pouvons tout de suite trouver les difficultés que la théorie de Wenrich rencontre en tenant compte des énoncés à l’imparfait narratif66. Certes, les énoncés à cet usage de l’imparfait n’ont pas la même fonction ou le même rôle dans un récit que les énoncés au passé simple. L’imparfait narratif donne un effet tout à fait différent de celui du passé simple chez le lecteur, alors que le passé simple présente en général des éventualités du passé d’une manière neutre. Toutefois, les éventualités communiquées dans des énoncés à l’imparfait narratif n’appartiennent pas à l’arrière-plan mais plutôt au premier plan. L’extraction de l’énoncé en italique à l’imparfait narratif de l’exemple (45) rendrait ce passage incompréhensible.

(45) A peine la jeune fille était-elle sortie que Rivet entra. Il semblait un peu nerveux, agacé comme un homme qui n’a guère dormi ; il me dit d’un ton maussade : Si tu continues, tu sais, tu finiras par gâter l’affaire de ce cochon de Morin.

A huit heures, la tante arrivait. La discussion fut courte. Les braves gens

retiraient leur plainte, et je laisserais cinq cents francs aux pauvres du pays. (Maupassant, « Ce cochon de Morin », in Contes de la bécasse)

66 Pour des commentaires critiques plus généraux et approfondis sur la théorie de Weinrich, voir Luscher

Nous concluons que, malgré ses observations très intéressantes, la théorie de Weinrich sur la mise en relief, plus précisément sur la distinction entre la fonction du passé simple et celle de l’imparfait, ne fournit pas d’explication globale de l’imparfait. De plus, cette théorie n’est pas en mesure de distinguer les différents emplois de l’imparfait. Par exemple, les phrases à l’imparfait descriptif et les phrases à l’imparfait au style indirect libre n’ont pas le même statut dans les récits. La formation de l’arrière- plan d’un récit ne peut donc pas être la propriété essentielle de l’imparfait.

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