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3.2 « L’Acte illocutionnaire de feindre » selon Searle

5. Déclencheurs de l’effet de subjectivisation et degré de l’effet de subjectivisation

5.1. Déclencheurs de l’effet de subjectivisation

5.1.2. Deuxième catégorie

Passons maintenant à notre deuxième catégorie de déclencheurs de l’effet de subjectivisation dans la fiction. Il s’agit des cas où la lecture subjective d’un énoncé, à savoir la production de l’effet de subjectivisation, est déclenchée par un élément linguistique se trouvant dans le contexte antérieur. En d’autres termes, il y a des expressions qui donnent au lecteur accès à la subjectivité d’un personnage et qui ensuite facilitent la lecture subjective de l’énoncé (ou des énoncés) suivant(s). Par exemple, les verbes d’énonciation (par exemple dire ou avouer), de pensée (par exemple penser, croire ou comprendre), de perception (par exemple voir ou regarder) sont des exemples typiques de ce type d’expressions.

(36) Aussitôt il (= Théodore) parla des récoltes et des notables de la commune, car son père avait abandonné Colleville pour la ferme des Ecots, de sorte que maintenant ils se trouvaient voisins. – Ah ! dit-elle (= Félicité). Il ajouta qu’on désirait l’établir. Du reste, il n’était pas pressé, et attendait une femme de son

goût. Elle baissa la tête. Alors il lui demanda si elle pensait au mariage. Elle reprit, en souriant, que c’était mal de se moquer.

(Flaubert, Un cœur simple : 23) A notre avis, le troisième énoncé (Du reste, il n’était pas pressé, et attendait une

femme de son goût) peut être interprété au style indirect libre, plus précisément,

comme une parole du personnage Théodore. Il nous semble que l’énoncé précédent (Il

ajouta qu’on désirait l’établir) qui contient un verbe de parole ajouter joue un rôle

dans la détermination de la lecture de l’énoncé suivant comme une parole du personnage. Avant de parvenir au troisième énoncé, l’existence d’une conversation entre deux personnages est déjà évidente pour le lecteur. Comme nous l’avons vu, le contenu sémantique de ce type de verbe peut aider le lecteur à accéder à la subjectivité d’une troisième personne pour l’interprétation d’énoncés se trouvant dans le contexte ultérieur. A part le cas du déclenchement du style indirect libre, qui peut être considéré comme plutôt exceptionnel, nous pouvons trouver d’autres cas, plus ordinaires, de verbes qui déclenchent un effet de subjectivisation moins fort dans l’énoncé (ou les énoncés) suivant(s).

(37) Marie regardait des enfants qui jouaient dans la rue. Il n’y avait que des filles. Dans cet exemple, le deuxième énoncé s’interprète normalement comme ce que voyait Marie. Nous admettons ici la production d’un certain effet de subjectivisation, bien que son degré soit moins élevé que dans le cas de paroles ou pensées représentées dans le style indirect libre. C’est grâce à la présence du premier énoncé manifestant l’existence de la perception de Marie dans le contexte, que le deuxième énoncé peut être interprété à travers la perception de Marie53. Cependant, la présence de ce type de

53 Le cas de verbes de perception correspond, selon Banfield (1982/1995), au type d’énoncés représentant

une conscience non réflexive. Banfield distingue deux niveaux de conscience qui peut être représentée dans un énoncé: la conscience réflexive et la conscience non réflexives. Contrairement à la conscience réflexive qui est l’équivalant de la pleine conscience ou de la pensée, la conscience non réflexive correspond à « un type de savoir qu’on peut dire inconscient » ou à « la subjectivité elle-même » (Banfield, 1995 : 265). D’après Banfield, des états mentaux tels que les perceptions sensorielles font partie de la conscience non réflexive.

verbe dans le contexte n’entraîne pas automatiquement l’interprétation des énoncés suivants à travers un point de vue particulier. Examinons l’exemple ci-dessous :

(38) Marie regardait des enfants qui jouaient dans la rue. Derrière il y avait un homme qui s’approchait d’elle, mais elle ne remarqua pas.

Bien évidement, le deuxième énoncé ne s’interprète pas à travers la perception de Marie introduite dans le premier énoncé par le verbe regarder. Il faut un contexte adéquat pour que la lecture subjective d’un autre énoncé que celui contenant un verbe de perception soit confirmée. Ainsi, en (35), le deuxième énoncé qui décrit une éventualité qui se passe hors de la vue de Marie ne reçoit pas de lecture subjective reflétant la perception de Marie. Nous insistons, aussi dans ce cas de production de l’effet de subjectivisation, sur le fait que la production et la détermination du degré de l’effet de subjectivisation dépendent non seulement du contenu sémantique des éléments linguistiques fonctionnant comme déclencheurs de subjectivisation mais aussi et surtout des éléments contextuels tels que les hypothèses contextuelles.

En plus des types de verbes que nous venons de voir, à savoir les verbes d’énonciation, de pensée ou de perception, comme Rabatel (1998 : 72) le signale en parlant de marquages de l’attribution du point de vue cognitif à un personnage, l’effet de subjectivisation peut être provoqué par un nom « exprimant par son sémantisme un procès de perception et/ou un procès mental » situé dans le contexte antérieur. Voici deux exemples, cités par Rabatel (idem), dans lesquels le procès est exprimé par un nom concernant un procès de perception (ce spectacle en (36)), ou d’un procès mental (de vagues raisonnements en (37)) :

(39) Claude battait des mains à ce spectacle. Il trouvait “ces gredins de légumes” extravagants, fous, sublimes. Et il soutenait qu’ils n’étaient pas morts, qu’arrachés de la veille, ils attendaient le soleil du lendemain pour lui dire adieu sur le pavé des Halles.

(Zola, Le ventre de Paris, cité par Rabatel, idem) (40) Cependant, de vagues raisonnements recommençaient à bourdonner en lui,

gueuse, comme il l’avait pensé, car elle était trop fraîche. Mais pourquoi lui avait-elle conté une histoire si peu croyable ?

(Zola, L’œuvre, cité par Rabatel, idem) Malgré l’absence des verbes explicitant la perception ou la pensée comme regarder ou

raisonner, ce spectacle en (36) et de vagues raisonnements en (37) peuvent évoquer

l’existence de la perception ou de la pensée du personnage. En (37), le premier énoncé facilite (grâce au mot vagues raisonnements) l’attribution d’un point de vue aux énoncés suivants au style indirect libre (Qui pouvait-elle être ? et Mais pourquoi lui

avait-elle conté une histoire si peu croyable ?) en donnant au lecteur accès à la pensée

du personnage désigné par il. Cependant, tout comme les verbes de perception ou de pensée, les mots ou les expressions concernant un procès de ce genre ne déclenchent pas automatiquement un effet de subjectivisation dans les énoncés suivants, car la production de cet effet dépend non seulement des informations linguistiquement explicitées mais aussi largement des informations contextuelles.

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