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3.2 « L’Acte illocutionnaire de feindre » selon Searle

5. Déclencheurs de l’effet de subjectivisation et degré de l’effet de subjectivisation

5.3. Le degré de l’effet de subjectivisation

Nous avons vu plus haut que l’effet de subjectivisation peut être déclenché par différents éléments linguistiques ou/et pragmatiques. Nous considérons que les éléments pragmatiques contextuels interviennent dans tous les cas de production de cet effet. Quant à la détermination du degré de l’effet de subjectivisation, ce sont les éléments linguistiques ayant différentes forces comme déclencheurs de cet effet, et également le contexte de chaque énoncé qui soit déclenche cet effet par lui-même soit augmente le degré de cet effet déclenché par un élément linguistique. A notre avis, il serait difficile de dire quel élément produit le plus d’effet de subjectivisation. En effet, le degré de subjectivisation dépend hautement du contexte qui varie d’un texte à l’autre. Lorsque plusieurs personnages interviennent dans une scène, il est possible que leurs points de vue ne soient pas toujours accessibles avec la même facilité, c’est-à- dire que le lecteur doive faire peut-être plus d’efforts cognitifs pour récupérer le point de vue d’un personnage que celui d’un autre. L’interprétation d’un énoncé produisant un effet de subjectivisation et la détermination du degré de cet effet est donc le résultat du calcul inférentiel que fait le lecteur afin d’atteindre l’interprétation voulue de l’auteur.

Il nous faut maintenant discuter brièvement de la distinction entre les énoncés qui produisent l’effet de subjectivisation, autrement dit, ceux qui représentent ou reflètent

le point de vue d’un être fictif, et les phrases de la narration assumées par le narrateur. Nous considérons que ce ne sont pas deux pôles qui se distinguent nettement. Comme nous l’avons déjà remarqué, il existe d’un côté des énoncés qui produisent un effet de subjectivisation faible en laissant au lecteur le choix de l’attribution du point de vue et d’un autre côté, des énoncés incontestablement au style indirect libre, de même que des énoncés qui sont clairement attribués à un autre point de vue que celui du narrateur. De plus, nous supposons qu’il existe des énoncés situés entre ces deux pôles.

Comme nous venons de le dire, le degré de l’effet de subjectivisation dépend largement des contextes linguistiques et pragmatiques qui varient d’un cas à l’autre. Ainsi, il est difficile de déterminer d’une manière absolue le degré de l’effet de subjectivisation que chacun des cas produit. Toutefois, nous pouvons présenter quelque cas de la production (ou de l’absence) de l’effet de subjectivisation à différents degrés dans le schéma suivant :

Entre l’absence d’un effet de subjectivisation (point 0) et la production de l’effet de subjectivisation fort (point 1), il peut donc y avoir plusieurs degrés intermédiaires. Les phrases de la narration, qui sont attribuées sans ambiguïté au narrateur neutre se situent sur le point 0. Par contre, les énoncés qui sont incontestablement au style indirect libre, c’est-à-dire, attribués à un personnage de fiction (cf. (18)) peuvent être considérés comme se situant au point 1, puisqu’ils produisent un effet de subjectivisation très fort. Comme nous l’étudierons en profondeur en 1.3.1. de la deuxième partie, les énoncés à l’imparfait narratif54 sont attribués, à notre sens, à un témoin fictif et produisent un

54 Voici un exemple de l’imparfait narratif :

Je partais, trois jours après, pour la province. Je ne les ai point revus. Quand je revins à Paris, deux ans plus tard, on avait détruit la pépinière.

(Maupassant, « Menuet », in La parure et autres contes)

Degré de

subjectivisation 0 1

certain effet de subjectivisation. Comme le témoin hypothétique ne se montre pas en personne dans le monde du récit, même si le destinataire peut s’approcher psychologiquement davantage du monde de récit à travers le point de vue du témoin, nous considérons que l’effet de subjectivisation produit dans ce cas est moins fort que celui produit dans le cas du style indirect libre (point (2)). Dans le cas relevant de la première catégorie de déclencheur de l’effet de subjectivisation, à savoir la production de l’effet de subjectivisation déclenchée par un élément linguistique (cf. § 5.1.1.), la production de l’effet de subjectivisation dépend hautement du destinataire, notamment lorsqu’un élément linguistique provoque un effet de subjectivisation faible comme nous l’avons vu en (31) et (32)55. Dans ce cas, le degré de l’effet de subjectivisation reste instable et moins fort que les cas précédents. Nous pouvons considérer ce type d’effet de subjectivisation comme se situant sur le point (1) qui représente un degré faible de cet effet. Quant aux énoncés au passé comportant en même temps un déictique temporel comme maintenant (cf. § 1.1.2. de la troisième partie) qui ne s’interprètent pas au style indirect libre56, nous pouvons les considérer comme produisant un effet de subjectivisation moins fort que le style indirect libre (point (3)). Ainsi, nous pouvons généraliser le degré de l’effet de subjectivisation produit dans différents cas en localisant sur un axe qui représente ce degré. Néanmoins, comme nous l’avons déjà dit, le degré de l’effet de subjectivisation de chaque cas ne peut pas être mesuré préalablement, car le contexte linguistique et pragmatique joue un rôle crucial pour la détermination du degré de l’effet de subjectivisation.

55 Nous reprenons (31) et une partie de (32) ci-dessous :

(31) Enfin elle (=Félicité) rentre, épuisée, les savates en lambeaux, la mort dans l’âme ; et, assise au milieu du banc, près de Madame, elle racontait toutes ses démarches, (…).

(Flaubert, Un cœur simple : 50) (32) - Comment, ce n'est pas un voleur, cet individu qui a soustrait cinquante-cinq mille livres en bank-notes

(1million 375 000 francs).

(Verne, Tour du monde en quatre-vingt jours)

56 Voici un exemple de maintenant combiné avec un temps du passé :

Georges regardait Nana avec un tel bonheur de la revoir que ses beaux yeux s'emplissaient de larmes.

Maintenant, les mauvais jours étaient passés, sa mère le croyait raisonnable et lui avait permis de quitter les

Fondettes ; aussi, en débarquant à la gare, venait-il de prendre une voiture pour embrasser plus vite sa bonne chérie.

Conclusion

Cette première partie visait à fonder la base théorique de notre thèse en se basant principalement sur la Théorie de la pertinence de Sperber et Wilson et à décrire la nature et le mécanisme de la production d’un effet contextuel qui joue un rôle crucial dans notre thèse, à savoir, de l’effet de subjectivisation.

Dans la première section, étant donné que l’effet de subjectivisation est un effet contextuel, nous avons traité de la notion d’effet contextuel, une des notions cruciales introduites par la Théorie de la pertinence. Pour commencer, nous avons tenté de répondre à la question En quoi le contexte consiste-t-il ? Contrairement à la théorie de la connaissance commune, nous considérons, en suivant la Théorie de la pertinence, que le contexte ne consiste pas seulement en propositions ou croyances dont disposent à la fois le locuteur et le destinataire dans leur environnement cognitif, mais qu’il est

construit énoncé après énoncé. Les effets contextuels sont produits pendant le

traitement d’un énoncé qui s’interprète relativement à un contexte particulier. Autrement dit, la production d’effets contextuels s’effectue au cours de la recherche de pertinence par le destinataire en échange de ses efforts cognitifs. Puis, nous avons vu également que l’effet contextuel qui se produit chez le destinataire est susceptible de degrés, allant d’un degré faible et à un degré fort, suivant l’intention du locuteur et son attente des capacités du destinataire.

Afin d’approfondir la réflexion sur la notion d’effet contextuel, la deuxième partie s’est proposée d’examiner en profondeur la notion d’implicitation, qui fait partie des effets contextuels. Nous nous sommes notamment penchée sur la notion d’implicitation faible, i.e. d’effet poétique. Contrairement aux implicitations plus ou moins fortes, les effets poétiques se produisent lorsque le destinataire prend la responsabilité de sélectionner plus d’implicitations faibles dans le contexte déjà pris en considération. Nous avons vu que la production d’un effet poétique peut être déclenchée non seulement par des éléments linguistiques particuliers, mais aussi par le conflit entre l’attente du destinataire, basée sur ses hypothèses contextuelles et ses connaissances encyclopédiques, et le contenu d’un énoncé notamment dans le cas de l’effet de coup de théâtre.

Dans la troisième section, nous avons étudié, en premier lieu, quelques approches de langage dans le discours de fiction. Dans des travaux antérieurs, que nous avons appelés les théories du langage de la fiction, on suppose l’existence d’un langage ou d’une structure spécifique de la fiction ou des textes littéraires. En tenant compte de la réalité très complexe de la communication établie entre l’auteur et le lecteur de la fiction, la thèse selon laquelle il existe un langage de la fiction et celle selon laquelle il y a une corrélation entre les effets littéraires et les organisations linguistiques de textes ne nous semblent pas judicieuses. En seconde lieu, la théorie de Searle de la fiction dans le cadre de la théorie des actes de langage a été examinée. L’hypothèse de Searle consiste à dire qu’il y a un acte illocutionnaire spécifique de la fiction. Il s’agit non de l’acte illocutionnaire de raconter une histoire, mais de l’acte illocutionnaire non

sérieux de feindre. D’après Searle, les actes de langage sérieux sont également

transmis à travers des textes de fiction. En d’autres termes, l’auteur d’une fiction a l’intention de communiquer un ou des message(s). Malgré l’intérêt de cette thèse, elle soulève, à notre sens, certains problèmes importants concernant entre autres la question de savoir si le destinataire ou le lecteur doit disposer d’un autre mécanisme, distinct de celui du discours non-fictionnel, pour le discours de fiction. En troisième lieu, nous avons recouru à la Théorie de la pertinence qui nous fournit une solution pragmatique cognitive au problème de l’interprétation d’énoncés de fiction. Dans la Théorie de la pertinence, les énoncés de fiction peuvent être considérés comme constituant une sous-catégorie des énoncés ordinaires. Bien qu’il y ait des différences relativement aux circonstances de l’interprétation, les énoncés de fiction, comme tous les autres types d’énoncés, sont donc pertinents à cause des effets contextuels qu’ils produisent. En fin de cette section, nous avons défini le statut de chacun des êtres théoriques qui peuvent intervenir dans l’interprétation des énoncés de fiction, autrement dit l’auteur, le narrateur et des personnages.

Dans la quatrième section, nous avons d’abord présenté une définition de l’effet de subjectivisation. Ensuite, notre discussion a porté sur le mécanisme de production de cet effet et aussi sur l’intention de l’auteur dans le cas de la fiction. Puis, trois travaux antérieurs qui introduisent des notions relatives au point de vue narratif, plus précisément la notion de la perspective de l’empathie proposée par Kuno, celle de

sujet de conscience proposée par Banfield et celle de focalisation proposée par Genette

ont été examinés.

Enfin, dans la dernière section, nous avons analysé les déclencheurs de l’effet de subjectivisation en tenant compte du changement de degré de cet effet dans différents cas. Ce faisant, nous avons insisté sur le fait que des éléments pragmatiques contextuels interviennent toujours dans la détermination de l’effet de subjectivisation, même si ce sont très souvent des facteurs linguistiques qui déclenchent la production de cet effet. Nous avons réparti les déclencheurs de l’effet contextuels en trois catégories. La première catégorie contient des éléments linguistiques dont le contenu sémantique implique nécessairement un sujet de conscience. Quant à la deuxième catégorie, il s’agit des cas où un effet de subjectivisation est déclenché dans un énoncé par un élément linguistique se trouvant dans le contexte antérieur. La troisième catégorie correspond aux cas où la production d’effets de subjectivisation dépend d’éléments pragmatiques, en d’autres termes, contextuels.

C’est sur les bases théoriques que nous avons exposées dans cette première partie que notre étude sur les temps verbaux et les adverbes temporels sera fondée dans les deuxième et troisième parties de cette thèse.

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