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Les emplois de l’imparfait attribués à la branche (b) : usages non-temporels

une interprétation d’ une description d’

1.4.2. L’usage interprétatif de l’imparfait

1.4.2.2. Les emplois de l’imparfait attribués à la branche (b) : usages non-temporels

Les emplois de l’imparfait qui appartiennent à la branche (b) de l’usage interprétatif exigent une pensée désirable à travers laquelle les énoncés s’interprètent. D’après nous, les usages non-temporels, que nous avons brièvement décrits en 1.1.2., appartiennent à

la branche (b) de l’usage interprétatif de l’imparfait. Lorsque C est repéré non pas temporellement comme [C⊂ E-S] mais par rapport à un monde hypothétique, il s’agit d’un cas d’un emploi non-temporel. Les usages non-temporels de l’imparfait, tels que l’imparfait d’atténuation, l’imparfait préludique, l’imparfait hypocoristique et l’imparfait hypothétique contre-factuel, créent donc un monde hypothétique dans lequel une pensée désirable est consistante. Pour l’interprétation des énoncés à l’un des usages non-temporels de l’imparfait, l’interlocuteur recourt à un point de vue particulier qui se situe dans le monde créé. Dans tous les cas d’usages non-temporels de l’imparfait, c’est en raison de l’impossibilité ou de l’incohérence de la lecture descriptive que le destinataire fait des efforts cognitifs afin de récupérer le point de vue hypothétique le plus pertinent en se basant sur les informations contextuelles et ses connaissances encyclopédiques.

L’imparfait d’atténuation (par exemple Excusez-moi, j’avais juste une question à

vous poser), qui a pour fonction d’atténuer le propos ou la demande du locuteur

concernant un fait présent, est traditionnellement expliqué comme un usage métaphorique où « le recul dans le passé symbolise analogiquement un recul respectueux » (Imbs, 1960 : 97). Nous considérons que le destinataire interprète les énoncés à l’imparfait d’atténuation à travers un sujet de conscience hypothétique situé dans un monde hypothétique distinct du monde réel ou présent. Ce recours à un monde hypothétique rend la demande du locuteur moins directe et donc plus polie.

Saussure & Sthioul (2002 : 6), considèrent que, dans le cas de l’imparfait d’atténuation, « il est nécessaire d’ancrer l’événement dans le temps via un moment passé déterminé » et que « l’effet d’atténuation provient ainsi non tant d’une mise dans le passé que par le fait que l’énoncé représente une pensée, et non directement un fait – pensée qui, (…), est une pensée agressive mais que l’énonciation à l’imparfait atténue en l’exprimant en tant que pensée »96. Berthonneau & Kleiber (1994 : 69) partent de l’hypothèse que « si le facteur temporel était le principal responsable, d’autres temps du passé devraient pouvoir fonctionner » de la même manière que l’imparfait

96 Saussure & Sthioul (2002 : 7) remarquent qu’« on est donc dans des cas où l’imparfait a toujours une

d’atténuation. Pour nous, si cela n’est pas ainsi, c’est que l’imparfait est non-autonome à la différence du passé composé et du passé simple, autrement dit qu’il est nécessaire pour le destinataire de récupérer un moment ou un sujet de conscience qui sert de point de repère. Pour cette raison, le destinataire récupère, pour parvenir à l’interprétation comme imparfait d’atténuation, un sujet de conscience situé dans un monde hypothétique comme point de repère. A notre sens, cet appel à un sujet de conscience situé dans un monde hypothétique produit l’effet contextuel de politesse.

Quant à l’imparfait hypocoristique (par exemple Comme il était sage ! comme il

aimait sa maman !), utilisé (généralement par un adulte) dans le langage parlé à un très

jeune enfant ou à un animal dépourvu de capacité d’expression, ce n’est pas un procès passé mais un procès présent qui est exprimée en produisant une nuance affective. Nous faisons l’hypothèse que l’interprétation de l’imparfait hypocoristique exige du destinataire de recourir à un monde hypothétique où le bébé ou l’animal est capable de communiquer avec le destinataire, en d’autres termes, où l’adulte peut partager avec eux une pensée, contrairement à ce qui se passe dans la réalité. Ce rapprochement psychologique de la part du locuteur vers l’univers de l’enfant ou de l’animal exprime l’effet affectif de cet usage de l’imparfait. Comme le signalent Saussure & Sthioul (2002 : 8), il arrive que le pronom on, qui implique une fusion du locuteur avec le bébé ou l’animal, soit associé à l’imparfait hypocoristique :

(113) (à un enfant) On avait un gros chagrin. (Saussure & Sthioul, idem) Si l’usage de on s’associe parfaitement à l’imparfait hypocoristique, c’est parce que cet usage produit un effet de rapprochement ou de fusion entre le locuteur et le bébé ou l’animal. De même que le cas de l’imparfait d’atténuation, le processus interprétatif qui débouche sur l’interprétation d’imparfait hypocoristique est déclenché par la nécessité de recourir à un moment passé ou une pensée qui ne se situe pas au moment de parole (S).

Quant à l’imparfait préludique (par exemple J’étais malade, tu appelais le docteur), comme nous l’avons déjà vu en 1.1.2, c’est un usage particulier de l’imparfait que les enfants utilisent lorsqu’ils commencent un jeu. Dans cet usage, les procès ne concernent donc pas le passé du monde actuel mais plutôt le présent du monde de jeu des enfants. Nous considérons que l’imparfait préludique établit un monde hypothétique ou fictif

dans lequel se déroule le jeu des enfants. Autrement dit, ce qui sert de point de repère pour l’imparfait préludique est une pensée ou un point de vue dans le monde hypothétique de jeu des enfants. En utilisant l’imparfait préludique au commencement du jeu, les enfants créent un monde de jeu et continuent leur jeu dans ce monde fictif. Luscher (1998a : 267), expliquant l’imparfait préludique comme une marque de fiction, affirme que la fonction de l’imparfait préludique « a des répercussions sur le reste du discours ». Voici l’exemple donné par Luscher :

(114) Mais moi j’avais aussi une voiture, alors je veux plus être la petite fille, j’étais grande maintenant.

Dans cet exemple, « les enfants-interlocuteurs comprennent parfaitement que, arguant de possessions fictives, leur copine désire changer de rôle. Ils attribuent sans problèmes, grâce aux instructions spécifiques de l’imparfait et du présent, le premier je au rôle et le second à la personne » (Luscher, idem).

Nous pouvons classer l’imparfait préludique et l’imparfait hypocoristique dans l’usage hypothétique qui exige un C situé dans un monde d’enfant. Car ces deux emplois nécessitent tous les deux un C situé dans un monde d’enfant. Lorsque C est repéré dans un monde hypothétique de jeu d’enfant, il s’agit de l’usage préludique. En revanche, dans le cas de l’imparfait hypocoristique, comme nous venons de le voir, C est repéré dans un monde hypothétique dans lequel des bébés (ou des animaux) sont en mesure de comprendre ce qu’on leur dit, contrairement à la réalité.

Penchons-nous sur l’imparfait hypothétique contre-factuel (par exemple S’il faisait

beau, je jouerais au tennis). Dans ce cas, contrairement à l’imparfait hypothétique de

potentiel que nous attribuons à la branche (d) de l’usage descriptif (cf. § 1.4.1.), l’imparfait exprime un fait qui s’oppose à la réalité du présent. Lorsque le destinataire parvient à une lecture pertinente en recourant à C par rapport auquel une éventualité contre-factuelle est présentée, il s’agit de l’imparfait hypothétique contre-factuel. D’après nous, la plus grande différence entre l’imparfait hypothétique contre-factuel et les autres usages non-temporels de l’imparfait concerne la localisation de C. Nous considérons que C de l’imparfait contre-factuel se situe non pas dans un monde hypothétique mais dans le monde réel comme [E⊃C,S]. L’éventualité contre-factuelle qui pourrait se produire à la place de l’éventualité réelle est située simultanément à C

dans un monde hypothétique contre-factuel. Prenons l’exemple S’il faisait beau, je

jouerais au tennis. Dans le monde réel, il existe les éventualités il ne fait pas beau et je ne joue pas au tennis. Les correspondants dans le monde hypothétique contre-factuel

peuvent être donc représentés par « beau temps » et « jouer au tennis ». C est placé dans le monde réel comme simultané à S et E. Sur C, il existe l’éventualité je ne joue pas au

tennis. Tout en étant conscient que non-beau temps et ne pas jouer au tennis sont vrais

dans le monde réel actuel, comme le montre le schéma suivant, on peut envisager le correspondant de non-beau temps, à savoir « beau temps » comme E’ dans le monde hypothétique.

L’imparfait employé dans la proposition s’il faisait beau donne l’information selon laquelle C est situé au présent du monde réel, et il existe une opposition entre « non-

beau temps » du monde réel actuel et « beau temps » du monde hypothétique. C’est par

rapport à C situé dans le monde réel que cette opposition est réalisée, puisque C permet de voir à la fois E (non-beau temps) du monde réel et E’ (beau temps) du monde hypothétique contre-factuel. C’est là où le sens de contre-factuel se crée comme effet contextuel. C de l’usage contre-factuel n’est donc pas un sujet de conscience qui réside dans un monde hypothétique mais c’est un sujet de conscience qui permet au

monde réel

monde contre-factuel S, E (“mauvais temps”) “ne pas jouer au tennis”

C

destinataire de distinguer par contraste E du monde réel et son correspondant E’ du monde hypothétique97.

Nous allons maintenant mentionner un emploi de l’imparfait, classé parmi les usages temporels en 1.1.1., qui peut être considéré comme appartenant à l’usage interprétatif tout en étant lié à un moment du passé. Il s’agit de l’imparfait de tentative (ou d’imminence). Nous reprenons l’exemple (7) comme (115) ci-dessous :

(115) Une minute de plus, le train déraillait. (Sthioul, 1998 : 208) Dans l’interprétation de l’imparfait de tentative donnée dans cet exemple, le train n’a

pas effectivement déraillé. Comme le montre (115), l’imparfait de tentative exprime une éventualité qui a failli être réalisée dans le passé mais qui n’a pas été finalement réalisée. Selon nous, cet énoncé ne peut pas être considéré comme appartenant à l’usage temporel, autrement dit à la branche (c) de l’imparfait, puisque l’éventualité auquel cet emploi se réfère ne s’est pas produit dans le monde réel. Nous pouvons donc dire que l’imparfait de tentative renvoie à un point de vue situé dans un monde hypothétique où la production de l’éventualité en question est consistante. Pourtant, ce n’est pas non plus un emploi purement modal ou non-temporel98, car la situation dans laquelle l’éventualité se serait passée est liée à un moment du passé. Pour l’interprétation de cet emploi, le destinataire doit récupérer un C placé dans un monde hypothétique tout en

97 L’idée d’établir des rapports entre objets situés dans deux mondes distincts n’est pas loin de l’idée de

Fauconnier (1984) proposée dans sa théorie des espaces mentaux. Fauconnier considère le langage et son usage comme la construction mentale de différents espaces, d’éléments, de rôles et de relations entre espaces. Ce sont ces rapports entre différents espaces qui permettent la référence à un objet par le biais d’un autre. Pour la théorie des espaces mentaux de Fauconnier, voir le § 2.2.2.2.

98 A propos de l’imparfait de tentative (ce que Saussure et Sthioul appellent l’imparfait de conséquence non

réalisée), Saussure & Sthioul (2002 : 7) affirment que « ce que cherche à communiquer le locuteur en utilisant

l’imparfait – et non une autre forme à disposition comme le conditionnel passé ou présent -, ce sont les relations R≠S & R⊂ E, la première comprise comme le passage à un autre univers, la seconde comme une prise en considération interne du procès, créant ainsi un effet de dramatisation que le locuteur n’obtiendrait pas par un conditionnel passé ».

tenant compte d’un moment du passé servant de R ([R⊂ E-S]) pour lier l’éventualité non-réalisée à ce moment du passé.

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