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professionnelle privée au Maroc

Section 1. Analyse micro-sociale des acteurs de l’espace professionnel

1. L’apprentissage sur le tas comme complexe de relations

Par une action régulatrice et donc indirecte, les administrations interviennent dans le processus de formation. Elles jouent un rôle d’incitation à la formation de la même manière qu’elles contrôlent et encadrent la formation, et ce à travers la province, la chambre de l’artisanat, les bazaristes et les institutions sociopolitiques le mohtassib et l’amine. Les apprentis et les élèves en formation « reçoivent » l’action de tous ces acteurs et eux-mêmes, par leurs comportements et leurs engagements, ils contribuent à la régulation du système : les abandons en cours de cursus, les mobilités pendant l’apprentissage, le chômage d’insertion … sont autant d’épreuves pour chacun des sous-systèmes qui ainsi, sont conduits à évoluer plus ou moins profondément selon la portée des ajustements.

1. L’apprentissage sur le tas comme complexe de relations.

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A l’atelier de production, au magasin de vente, sur les chantiers comme dans les petites manufactures, à la ville comme à la campagne, le métier s’apprenait en travaillant. L’apprentissage du métier sur le lieu du travail, sa transmission par un adulte expérimenté (maître artisan) à un adolescent, voire un enfant (apprenti), tel est le trait principal de la formation traditionnelle dans le secteur de l’artisanat.

Jadis, l’apprentissage sur le tas était la seule modalité de formation dans le secteur de l’artisanat. Il se basait principalement sur les apprentis de la même famille. Comme nous l’avons vu dans le chapitre 1, l’amine et le mohtassib étaient les principales instances de régulation du secteur et du contrôle de l’apprentissage sur le tas. Les apprentis avaient des niveaux scolaires très faibles ; généralement de l’école primaire ou de l’école coranique.

L’apprentissage sur le tas aujourd’hui, est l’objet d’intervenants de plus en plus diversifiés.

Les apprentis ont maintenant des niveaux scolaires relativement variés. Ceci s’explique par la généralisation de l’éducation et l’attractivité de la formation au-delà des membres de la famille de l’artisan. Le schéma suivant révèle la complexité de la composition de cette fraction de l’espace professionnel.

Schéma n °3. Coordination de la relation dans la formation par apprentissage sur le tas.

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L’apprenti est de facto au centre du dispositif : il reçoit une formation directe auprès du maître d’apprentissage mais il subit indirectement les conséquences de l’intervention de tous les acteurs institutionnels. Ils sont censés assurer la protection de l’individu et la concrétisation d’un environnement propice à une formation devenue plus attractive sur le marché du travail, en particulier en période de chômage croissant.

L’amine et le Mohtassib.

L’apprenti

L’entreprise

artisanale La délégation à

l’artisanat Le maître

d’apprentissage

La province

Les

La chambre d’artisanat.

Bailleur de fonds.

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1.1. Analyse de la relation maître d’apprentissage – apprenti (relation d’apprentissage du métier) : difficile ouverture sur la modernité.

La formation dans le secteur de l’artisanat se fait par apprentissage qui exclut toute pédagogie ou le suivi d’une méthode moderne destinée à soutenir la formation de l’apprenti. La compétence professionnelle est acquise au gré de la disponibilité du patron et grâce à la faculté d’observation et d’assimilation de l’apprenti.

Cette méthode d’apprentissage ou de formation sur le tas est un mode de formation intimement lié au secteur de l’artisanat traditionnel. Il est régi par des relations particulières entre le mâallem et l’apprenti metaâllem où le premier dispose d’une large autorité et d’un pouvoir discrétionnaire sur le second (Bougroum, 2002). Sur le plan personnel, l’apprentissage désigne l’acquisition et l’élaboration de nouvelles connaissances qui transforment la façon dont un apprenti perçoit, comprend ou applique les savoirs professionnels. L’âge précoce et la routinisation des tâches dotent ce dernier d’une grande maîtrise de la matière, des tours de main et de la dextérité.

C’est un processus composé d’un ensemble d’activités corrélées ou interactives qui transforment

« l’ignorance » initiale des apprentis en connaissances utiles et applicables dans le processus de production.

Le processus d’apprentissage63 commence par l’observation de l’entourage, de la localisation des outils et des machines…afin de connaître les différentes appellations des produits et matières premières utilisées dans une première étape. Rendre de petits services qui ne demandent pas de longues réflexions et aussi ‘faire les courses’ dans une deuxième étape. La troisième étape est la plus importante. Elle se caractérise par un apprentissage des processus et des méthodes de production utilisées. C’est la dernière étape où l’implication directe de l’apprenti et le partage de la responsabilité deviennent de plus en plus exigés. Ceci signifie que l’apprenti, pendant cette étape, commence à partager les tâches du travail, en présence ou en absence du maître d’apprentissage, avec les autres anciens apprentis ou ceux qui sont devenus des ouvriers artisans (El Adnani, 2004).

Spontanément l’apprenti commence par imiter ce qu’il observe. L’apprenti tient en compte l’échec et la réussite du collègue pour ajuster ses comportements. Chaque participation à une expérience requiert des habiletés professionnelles. Ces expériences constituent la base de toute action délibérée de l’apprenti au cours de son travail.

63 L’observation de l’entourage, c’est l’intérieur de l’atelier pour rendre techniquement possible – opérationnelle- cette observation de l’entourage : assurer une bonne lisibilité des actes d’apprentissage en respectant les exigences du travail collectif.

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L’apprenti est certes un récepteur, mais il doit être actif afin de recevoir des connaissances théoriques pour les cumuler et l’utiliser au cours du processus de production d’une manière pratique. « La formation des apprentis se présente comme une forme singulière de construction de la qualification qui, tout à la fois, améliore la formation et génère de l’expérience » (Grasser et Rose, 2000, p.5).

L’apprentissage dans le secteur de l’artisanat, comme ce que nous avons vu au chapitre 1, se caractérise par l’absence d’une durée fixe de formation, l’absence aussi d’un rémunération fixe et d’un un engagement écrit de formation entre les deux parties. Cependant le mode de formation a subi des changements. En effet, si la transmission d’une profession était héréditaire, le jeune apprenti apprend le métier auprès de son père avant de lui succéder dans son atelier ou son unité de production, nous trouvons aujourd’hui que les apprentis n’ont pas seulement des relations familiales avec les patrons, ils ont peut-être ici aussi d’autres relations de voisinage, d’amitié….

Cette ouverture de l’apprentissage renforce et élargit la notion de réseau comme moyen susceptible de faciliter l’établissement de la relation de formation. Si l’on suit Granovetter (1984), « la force des liens faibles » vient suppléer de plus en plus souvent les liens forts de nature domestique.

Ceci dit, au regard de la qualité de cette relation, et à partir des entretiens que nous avons faits avec les artisans, on constate que l’apprentissage sur le tas souffre de problèmes récurrents :

L’entreprise artisanale dominant radicalement la formation pratique, l’absence d’un enseignement théorique engendre des carences qui touchent la qualité de la formation.

La faible culture des patrons et des maîtres d’apprentissage - puisque dans la plupart des cas, ils ont un niveau faible d’éducation - affecte la pédagogie et la méthode de transfert des connaissances professionnelles. La majorité des apprentis quittent précocement l’école pour apprendre le métier en vue de passer du grade d’apprenti sur le tas aux différents grades qui suivent. Tout cela signifie reproduction de la même culture, laquelle n’est pas nécessairement adaptée aux enjeux à venir d’un artisanat de plus en plus lié au tourisme international.

L’absence de formation continue pour les artisans retarde la créativité artisanale formalisée et limite l’efficacité de l’apprentissage sur le tas. De même, cette carence se traduit par un manque d’actualisation des techniques et procédés de production.

Le fait que plusieurs intervenants (patron, maître d’apprentissage et anciens apprentis) participent à la formation peut être considéré comme un avantage mais aussi parfois comme un inconvénient : un avantage s’ils assurent une diversification des connaissances, un inconvénient lorsque les formateurs ont une maîtrise du métier trop hétérogène, au risque de prolonger la durée d’apprentissage.

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1.2. Les relations de tutelle ou de parrainage : faiblesse de l’action publique.

Le secteur de l’artisanat est encadré administrativement par deux organismes différents : la délégation de l’artisanat et la chambre de l’artisanat.

1.2.1. Relation chambre d’artisanat – entreprise (Apprenti) : un problème de représentativité.

La chambre de l’artisanat est un organisme représentatif des artisans (voir encadré 18). Si elle assure la coordination, la formation des artisans et la gestion du budget des opérations de formation dans le cas de l’apprentissage professionnel, elle se fait particulièrement discrète à l‘endroit des artisans « à l’ancienne ».

La représentativité des ateliers artisanaux auprès de la chambre est une relation exceptionnellement biaisée en faveur des artisans les plus aisés. Ainsi déclare un artisan :

« …Les représentants sont les artisans les plus aisés, des patrons qui ont de bonnes affaires qui dépassent parfois le secteur de l’artisanat. Ces représentants ne défendent que leurs propres intérêts et non ceux de petits et moyens artisans…

Ils ne réclament pas la généralisation de la formation continue des petits et moyens artisans et l’égalisation des chances de participer aux foires nationales et internationales. Seuls les représentants et leurs réseaux bénéficient des avantages octroyés par la chambre » déclare un artisan boisselier, (Entretien n°10).

Cette relation s’inscrit beaucoup plus dans un registre de connivence politique que de lien professionnel. En outre l’absence de collaboration entre les entreprises elles-mêmes bloque la discussion des problèmes entre les représentants des ateliers à la chambre.

Les artisans introduits occupent une position dominante par rapport aux petits artisans. Ils imposent au groupe une représentation différente d’une réalité beaucoup plus diversifiée. La représentation des artisans ne profite pas à tous les sous–groupes auxquels appartiennent les petits artisans (El Adnani, 2005).

Cette représentation influe sur la façon de coordonner et d’agir avec les autres acteurs sur un tout problème intervenu.

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