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Encadré 2. Economie de la grandeur

1.2. Genèse d’une convention professionnelle

Durant les années 80, la volonté politique de moderniser l’artisanat s’est traduite notamment dans la construction d’un ensemble de formations professionnelles que l’on peut ranger à titre principal sous le registre d’une convention « industrielle ». Elles développent en effet trois dimensions typiques de ce « monde » : la standardisation, la planification et l’intégration tournées vers la volonté de produire de la performance productive, valeur de référence primordiale de ce monde.

En effet, les programmes sont définies à l’échelon national indépendamment des contextes locaux pour fixer les objectifs à atteindre en matière de capacités productives et de niveaux de formation générale à respecter, tant à l’entrée du dispositif qu’au moment de l’obtention du titre.

Celui-ci est d’ailleurs un diplôme national censé valoir pour l’ensemble du marché du travail.

Ce titre est positionné dans une échelle hiérarchique de niveaux de qualification – 4 aujourd’hui depuis l’enseignement fondamental jusqu’au supérieur – qui articule ces derniers à des niveaux d’emploi eux-mêmes hiérarchisées dans les classifications des conventions collectives et les grilles d’emploi des organismes publics. Les référentiels d’emploi des diplômes professionnels relient le contenu des formations à des « besoins » en compétences productives définis par les entreprises. Ainsi s’élabore sur le principe une planification conjointe de la formation et de l’emploi.

L’intégration des différents dispositifs qui organisent la mise en œuvre de cette convention industrielle de la relation formation-emploi est une caractéristique très importante de la régulation

25 Cf. Hervé Charmettant, 2006.

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de ce monde tendu vers la performance. En effet elle assure la circulation des ressources et des personnes entre l’éducation et la FP d’une part, entre celle-ci et l’emploi d’autre part, dans les deux cas grâce notamment à des nomenclatures de passage entre les différents dispositifs : les formations professionnelles sont formellement articulées au système éducatif grâce à une échelle de niveaux de formation ; ces derniers trouvent donc leurs correspondances dans des niveaux d’emploi grâce à des nomenclatures de qualification.

Cet ensemble de qualités définit clairement la qualification comme instrument de coordination entre plusieurs sous-systèmes. Il faut ajouter que ce dispositif de FP répond aussi à des exigences « civiques » puisqu’il s’agissait de protéger les jeunes à l’égard des risques d’un travail trop précoce qui, dans le secteur informel, pouvait les exposer à une sur-exploitation.

Pour des raisons sur lesquelles on reviendra dans le cours de la thèse – notamment en amont, les effets de l’échec scolaire et en aval, les dysfonctionnements du développement industriel

« planifié », d’autres formes institutionnelles de lien entre la formation et l’emploi sont progressivement apparues. C’est en particulier le cas avec la formule de l’apprentissage professionnel. En définissant des programmes et des titres standardisés pour normer la qualité des compétences acquises mais en faisant reposer la réalisation de la formation sur le principe d’une alternance entre l’école et l’entreprise, cet « apprentissage professionnel » organise un compromis entre la convention « domestique » - la proximité avec l’entreprise, instance de socialisation et de transmission des savoirs légitimes – et la convention « industrielle » à visée planificatrice.

A nos yeux, ce compromis est constitutif d’une nouvelle convention que nous qualifions de

« professionnelle » car comme on le verra, elle définit des repères qui lui sont propres et sont constitutifs d’une référence durable en la matière.

Il nous semble les « économies de la grandeur » considèrent que fondamentalement, la convention professionnelle partie de la cité domestique. « Une interdépendance si grande existe entre la vie professionnelle et la vie familiale que des problèmes surgissant dans la profession ont leur répercussion au foyer et vice-versa. ….Cette formule de compromis entre la nature domestique et la nature industrielle ignore les rapports juridiques et traite les relations professionnelles sur le mode des relations personnelles» (Boltanski et Thévenot, 1987, p.258).

Ici nous voudrions insister sur le second aspect de leur proposition, à savoir le fait que la convention professionnelle naît d’un compromis entre une convention domestique et une convention industrielle : « les compromis avec l’autorité industrielle accordent donc aux plus anciens une aptitude associée à leur expérience professionnelle, une conscience professionnelle » (Boltanski et Thévenot, 1987, p.259). Dans ce cadre, l’expérience professionnelle devient la

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composante privilégiée du compromis industriel –domestique en ayant la propriété de se déployer sur une large gamme de compétences professionnelles dont l’inscription sur une échelle exprime une hiérarchie formalisée notamment dans des classifications mais accordée sur l’autorité apportée par des degrés de maîtrise professionnelle (depuis le qualifié jusqu’à l’expert).

La convention professionnelle est un ensemble d’idées, règles, normes… qui construisent notamment un ensemble de compétences inséparables du métier ou du profession que l’individu met en œuvre sur le lieu du travail. Elle est inséparable d’une configuration d’acteurs particulièrement complexe puisque « la convention professionnelle ne ressortit pas [seulement] à une « régulation conjointe » (Reynaud et Reynaud). 1994) « par en haut », aux niveaux de l’interprofession et des branches, mais [aussi] à une configuration réticulaire. Cette configuration s’appuie sur des acteurs locaux (comités d’entreprises, chambres de commerce et d’industrie) qui s’efforcent d’assurer la qualité du bien commun que constitue la formation des jeunes » (Verdier, 2001). Si on veut situer la portée de la convention professionnelle dans un processus temporel, on peut la placer entre deux périodes qui chacune mobilise des intervenants pour une part spécifique au regard de leur influence. En effet, le système scolaire joue en amont le rôle de « préparation » à la mise en œuvre de la convention puisqu’il est appelé à octroyer une éducation de base d’une qualité suffisante pour la construction de la FP. En aval, pour la régulation du marché du travail, le degré de participation du monde de l’entreprise (associations professionnelles, syndicats…) à la détermination des programmes est essentiel pour donner au diplôme une notoriété bien établie sur le marché. Cette qualification professionnelle est donc elle-aussi une instance de coordination entre l’emploi et la formation.

L’analyse de cette convention appelle à prendre en compte toutes les composantes de la configuration d’acteurs car celles-ci sont en quelque sorte enchaînées les unes aux autres de sorte que la défaillance d’un maillon peut signifier la défaillance de tout dispositif conventionnel. En effet, « …it is intended to draw attention to the fact that ‘education and training’ involves a set of different actors whose specific interaction and coordination strongly influence its overall outcomes » (Buechtemann et Verdier, 1998, p.293).

A cet égard, G. Allaire (2006, p. 284) distingue entre « convention de coopération qui soutiennent les collectifs professionnelles et conventions de qualification qui régissent la définition du domaine professionnel. Les deux types de conventions ont une portée institutionnelle qui donne une généralité aux instruments de la coopération professionnelle et aux formes de la responsabilité professionnelle ».

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L’objectif de la FP est donc double : dans une perspective macroéconomique, la FP peut jouer le rôle d’un catalyseur d’une économie tournée conjointement vers la qualité du travail et la qualité des produits grâce à la relation étroite qui lie la formation aux autres dimensions de l’économie, au niveau tant de la branche que de l’entreprise : ressources humaines, organisation de la production, relations professionnelles (à propos de l’Allemagne qui fut assez emblématique de cette construction et dont la coopération a été mobilisée par les autorités marocaines pour bâtir le nouvel « apprentissage professionnel », voir Maurice, Sellier et Silvestre, 1982). Ainsi plus la formation est solidement intégrée dans l’ensemble des facettes d’un système productif, plus son efficacité augmente en tant que producteur de compétences pour l’ensemble de l’économie. Au niveau individuel, la convention professionnelle soutient le développement d’un capital humain professionnel (les compétences, les connaissances individuelles et les capacités créatrices) de chaque jeune apprenant.

Le tableau suivant récapitule les caractéristiques des conventions en matière de formation des jeunes.

Tableau 4. Principales caractéristiques des conventions en matière de formation des jeunes.

Nature de la convention Professionnelle.

Certification Qualification reconnue

Nature du programme Règlement négocié entre les

acteurs intervenant de prés ou de loin à la formation

Portée de la formation Règles professionnelles

Conception de la compétence Maîtrise d’un métier Espace pivot de la formation Marché professionnel Acteur central de la régulation institutionnelle. Entreprise.

Source : Verdier, 2001, In Formation emploi n°76.

Au final, le marché du travail est de facto un lieu de confrontation entre les différentes conventions. En effet, les entreprises font face à trois types d’offres de travail : les diplômés de la FP « industrielle » qui ont acquis des compétences formelles dans le cadre de la formation formelle, les ouvriers issus d’un système de formation traditionnelle caractérisée principalement par l’apprentissage sur le tas et qui relèvent a priori d’une convention domestique et enfin les (nouveaux) lauréats formés – sur le papier au moins – dans le cadre d’une convention professionnelle. Il en résulte donc une hétérogénéité de la coordination et des compétences sur l’espace professionnel du secteur de l’artisanat.

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D’ailleurs, s’il y a recrutement des différents lauréats sur le marché de travail de l’artisanat, cela signifie que «…dans un premier cas, la référence à d’autres mondes vise à renforcer la validité de celle-ci, en épurant les conditions de sa réalisation qui sont seules mises en causes.

Dans un second cas, la présence d’êtres d’une autre nature est mise à profit pour contester le principe même de l’épreuve, et retourner la situation » (Boltanski et Thévenot, 1991, p.18). Cet aspect rejoint une question plus générale lorsque l’on analyse la régulation sociale. En effet, pour appréhender la rationalité, l’EC part de l’idée selon laquelle la coordination naît d’un conflit ou d’une controverse. Ainsi ce sont les situations de désaccord qui obligent les agents à chercher des moyens de coordination efficaces, des valeurs et des règles d’action. « La rationalité n’est pas aussi clairement à l’origine des conventions, qui émergent plutôt par hasard ou grâce à l’intuition des agents, mais expliquent leur usage et sa consolidation au cours des interactions »(Chaserant et Thévenon, 2001, p.51).

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