• Aucun résultat trouvé

Financement de l’apprentissage sur le tas : l’enjeu clé de la rémunération des apprentis

professionnelle privée au Maroc

2. Comment se construisent les compétences et/ou les qualifications dans le contexte de l’artisanat marocain ?

2.1. Une logique de qualification professionnelle encore fragile

2.2.2. Financement de l’apprentissage sur le tas : l’enjeu clé de la rémunération des apprentis

2.2.2. Financement de l’apprentissage sur le tas : l’enjeu clé de la rémunération des apprentis.

Dans le cas où l’apprentissage s’effectue sur une longue durée au sein d’un même atelier, on peut considérer que l’apprenti fait partie du marché du travail interne de l’entreprise, ce qui n’est pas une situation propre à l’artisanat marocain « Les apprentissages s’effectuent d’habitude au sein de la même entreprise et donc, au moins pour une certaine période de temps, l’apprenti fait partie du marché du travail interne de l’entreprise » (Gospel, 1994, p.4).

Parallèlement, il faut se demander si la réussite du modèle d’apprentissage réside dans le niveau faible de rémunération des apprentis. Si cela est vrai, on peut dire que « cette pratique facilite l’embauche des apprentis car elle diminue le coût net de l’emploi de ces jeunes » (Marsden, 1993, p.53.). Sur Marrakech, étant donné le revenu des apprentis est le rendement productif, on peut juger cette formation comme étant une méthode de formation bon marché et potentiellement rentable. En effet, les employeurs disposeraient d’un certain contrôle pour empêcher les apprentis de quitter l’entreprise à la fin d’une formation dont le terme, à dessein souvent, n’est pas clairement fixé. En effet, l’augmentation très progressive de la rémunération selon l’ancienneté et les acquis en terme de tour de mains, encourage l’apprenti à continuer son apprentissage en vue d’obtenir le grade de snayiî. En outre, une longue période d’apprentissage permet à l’apprenti de mieux maîtriser les différentes étapes de production qui se font dans les ateliers de l’entreprise et qu’il peut espérer valoriser ensuite, dans l’espace professionnel plus large du métier qu’il exerce.

Dans la région de Marrakech, les jeunes apprentis partent de très bas puisqu’ils reçoivent une incitation monétaire appelée « Tatriba », un mot équivalent à l’argent de poche, reçue en fin de

148

journée et qui varie d’un métier à l’autre et selon la recette journalière du chef de l’atelier et la conjoncture du marché. « Leur rémunération (les apprentis) qui dépend du bon vouloir du patron est parfois réglée par la coutume. Nous citerons le cas de la tannerie où le maître marque la dernière pièce d’une série de peaux, dite la « peau de l’apprenti », dont le produit de la vente est destinée à l’apprenti » (Dupanloup, 1966, p.9). Parfois, le chef d’atelier se contente des incitations verbales sans aucune rémunération. On est alors pas très éloigné de la situation analysée par Adam Smith où les parents devaient aller jusqu’à payer le maître d’apprentissage :

« Dans l’intervalle, ses père et mère, ou des parents, doivent en beaucoup de cas l’entretenir, et presque toujours l’habiller. En outre, il est couramment donné au maître une certaine somme d’argent pour enseigner le métier. Ceux qui ne peuvent pas donner d’argent, donnent du temps, ou se lient pour plus longtemps que d’usage, compensation qui, si elle n’et pas toujours avantageuse au maître en raison de la fainéantise habituelle des apprentis, est toujours désavantageuse à l’apprenti. » (Smith, p.119).

Au total, cet équilibrage entre une rémunération initiale de l’apprenti, certes nulle ou très faible mais qui augmente très progressivement, et l’accès à des compétences à terme transférables dans l’espace du métier, convenait classiquement à toutes les parties concernées : à l’apprenti et à sa famille qui savait que le jeune aurait ainsi de plus grandes chances d’être recruté et de faire carrière; à l’employeur qui dépendait de méthodes de production artisanales et avait besoin de véritables comportements d’allégeance de ce type ; aux autres employeurs qui pourraient par la suite se procurer de telles compétences sur le marché.

Aussi à la différence, des pays européens où « le processus d’apprentissage a été déterminé bien davantage par la présence ou l’absence de soutiens des institutions ou de l’Etat, et par les besoins ou possibilités des employeurs (Rayon, 1993, Marsden, 1993, Buchtmann, 1993.) » (Gospel, 1994, p.8), dans l’apprentissage marocain, l’employeur est celui qui finance l’essentiel si ce n’est toutes les opérations d’apprentissage. C’est un coût supporté en termes de temps (les étapes d’apprentissage) et un coût monétaire (achat d’outil d’apprentissage et de matières premières).

L’arrivée de la FP structurée et, en son sein, d’un apprentissage professionnel reposant sur le principe d’une alternance organisée entre l’école et l’atelier, pourrait changer progressivement la donne. C’est du moins l’une des dimensions que l’on examinera dans la suite de cette thèse.

149 Conclusion de la section

Au Maroc, comme dans la majorité des pays en voie de développement, le secteur public est de plus en plus impliqué dans le financement de l’enseignement professionnel, plus que le secteur privé en tout cas. Et ceci pour deux raisons :

1- Pour faire face aux besoins croissants en termes de qualifications professionnelles induits par un changement technique et technologique accéléré.

2- Pour faire face au taux de chômage élevé des jeunes. En effet, ce constat a abouti à une intensification des efforts publics pour faciliter l’accès au monde du travail ; par le biais des une formation qui est directement utile à l’employeur mais en amont néglige de donner aux jeunes les bases éducatives plus générales qui sont d’intérêt public. En outre, à cause des besoins immédiats en compétence qu’affirment certaines industries, les centres de FP ont tendance à se

150

concentrer trop exclusivement sur les qualifications professionnelles et, de ce fait, négligent de renforcer et d’étendre les capacités et les compétences de base des lauréats. Les centres de FP ne devraient-ils pas développer des méthodes d’apprentissage cognitif transversales et ne pas se focaliser sur la formation spécifique à telle ou telle branche ? De telles méthodes pourraient donner des bases plus solides pour une évolution professionnelle ultérieure.

En outre, les savoir-faire et les qualifications professionnelles en tant que résultats immédiats de la FP n’ont pas de valeur intrinsèque en tant que tels. Plus exactement, les résultats de la formation dépendent essentiellement de la façon dont les savoir-faire particuliers acquis peuvent être productivement employés et des temps d’adaptation alors requis.

Ces différents dispositifs de formation se trouvent confrontés les uns aux autres dans le secteur de l’artisanat à Marrakech. Par conséquent, on trouve différents profils d’artisans (chef d’entreprises ou ouvriers artisans) sur le marché du travail. Le profil de chaque artisan a des effets sur la qualité des relations, la qualité de la gestion et les points de vue sur les institutions communes présentes sur la scène du secteur. Cette diversité de profils se traduit fatalement, comme on le verra dans le chapitre 3 et au-delà, par une série de controverses et de justifications différentes auxquelles les acteurs font référence.

D’ores et déjà, la comparaison entre la formation formelle et la formation traditionnelle nous conduit à dresser le tableau suivant :

151

Tableau 25. Comparaison entre qualification formelle et compétence traditionnelle dans l’espace professionnel du secteur de l’artisanat.

Contenu de la compétence traditionnelle.

Contenu de la qualification formelle.

Modalité de formation. Apprentissage sur le tas Formation professionnelle Formation générale Liée au métier Diversifiée et polyvalente Modèle de réglementation Tradition et Réseaux (liens

familiaux et sociaux). Intervenants dans la création Maître d’apprentissage (unité

de production)

Lieu de formation L’atelier de production. Entreprises et écoles de formation.

Lien à l’enseignement général Aucun58 étroit.

58 S’il est vrai que la formation reçue à l’intérieur de l’atelier n’a pas de supports pédagogiques formels, les connaissances scolaires facilitent l’apprentissage dans plusieurs métiers qui nécessitent des calculs et des mesures comme la coupe et la couture, la mécanique, l’électronique, la menuiserie…

152

Outline

Documents relatifs