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Cohérence et co-existence des conventions en matière de compétences

Encadré 2. Economie de la grandeur

2. Cohérence et co-existence des conventions en matière de compétences

L’EC permet donc de penser la confrontation entre ces différents mondes. Nous voudrions maintenant indiquer que cette confrontation conventionnelle est en elle-même source d’enjeux pour la coordination en matière de formation sachant au préalable que la confiance est une ressource primordiale pour la légitimité d’une convention, en particulier domestique.

2.1. Rôle de la confiance dans la coordination.

La confiance est d’autant plus mobilisée que plusieurs règles sont envisageables sans qu’aucune ne soit inconditionnellement préférable à l’autre du point des choix individuels. Celle qui sera mise en œuvre le plus fortement deviendra la convention dominante de l’espace social, en l’occurrence l’espace professionnel de l’artisanat de Marrakech. Il nous semble qu’il s’agit là d’une dimension essentielle de la régulation de la formation des compétences dans notre cas.

En effet une confiance réciproque entre les différents protagonistes est le gage d’un usage

« honnête » des conventions existantes ou plus exactement d’un usage non stratégique des principes de justice qui les fondent. Sa présence légitime la constitution des représentations que chaque agent forme et qui facilitent de ce fait, le processus de coordination entre agents et acteurs. Deux types de confiance peuvent être distinguées :

1- Une confiance explicite qui résulte de la mise en œuvre et de l’expérience positive que chacun peut en retirer. Cette confiance est cognitive, née d’un processus cumulatif d’interactions.

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2- Une confiance implicite qui sourd d’une émotion réciproque. Cette confiance est affective. L’adhésion à la convention qui facilite la coordination crée une familiarité qui se base plus sur l’implicite, la coutume par exemple que de règles explicites.

Dans le cas de la convention domestique, la confiance, largement implicite, est d’autant plus cruciale que c’est une ressource consubstantielle à une relation entre proches (voir plus haut la citation de Thévenot). Plus généralement, dans chaque cité conventionnelle, l’instauration de la confiance développe les compromis entre les acteurs. Le processus commence par une familiarité inconditionnelle qui se transforme par la suite, en action ou expérience, à une familiarité d’ordre cognitive.

La convention assure une triple relation qui allie étroitement un apprentissage des règles du métier (il est graduel et cumulatif), une confiance implicite et partagée et une réciprocité mutuelle des agents. Dès lors « … est non engageable celui qui ne sait pas faire confiance ou celui en qui on ne peut pas faire confiance par ce qu’il ne donne pas ce que l’on attend de lui, ou ne diffuse pas l’information qu’il détient et « joue perso », ce qui est une forme de malhonnêteté dans l’engagement (opportuniste). La règle fondamentale est « la réciprocité » : les meilleures volontés se découragent si elles ne reçoivent pas en échange de ce qu’elle donnent. » (Orgogozo 1991).

(Cité par Boltanski, Chiapello, 1999, p.179).

2.2. La convention : système générateur d’informations.

Les auteurs conventionnalistes, pour expliquer la défaillance de coordination, introduisent la notion d’incertitude. En effet, l’information est coûteuse, et déterminer un support d’information c’est adhérer à la convention. Elle permet de réaliser des avantages en coût et en temps car un agent économique ne pourra plus revenir sur les conditions initiales de la genèse de la convention. Le fait d’adhérer à la convention c’est accepter implicitement les conditions de genèse et de mise en application de la convention, et cette action permet à l’adhérent de s’enrichir en information. En plus, l’information comme source ne vise pas un destinataire en particulier, mais un public dans son ensemble.

Chaque individu ne choisit pas la convention, mais il choisit un instrument sans savoir qu’il mène vers la convention, de telle sorte que l’adhésion à cette dernière se transforme en acte rationnel. La convention lie deux mondes distincts : un monde construit des règles, des normes…

qu’on peut le nommer monde supérieur. Le deuxième monde est un espace de mise en œuvre de ces règles et jugements de l’action.

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Pour Rebérioux, Biencourt et Gabriel (2001), les règles conventionnelles émergent selon un processus de deux logiques différentes : l’une est consensuelle dans un seul modèle d’évaluation partagé pour tout les protagonistes où les conventions ont pour objectif l’efficacité de la coordination. L’autre logique est conflictuelle où les rapports de pouvoir et de conflits entraînent des dynamiques au niveau des modèles d’évaluation.

La genèse des conventions permet de donner une explication des comportements des acteurs. La convention est un moyen de coordination permet une génération de l’information à tout adhérents. Par ailleurs, elle développe un système d’attente réciproque sur les actions des individus de telle sorte qu’on le qualifie d’une anticipation actualisée des comportements et des résultats des actions de chacun. Ainsi elle mobilise un arsenal de concepts que chaque auteur introduit dans son domaine d’application pour mieux cerner la relation interindividuelle qui s’établit au sein d’un espace. Les diverses applications des conventions permettent d’enrichir l’analyse économique en rendant les conventions sujet de débat et objet d’étude.

S’ajuster à une convention ; c’est accepter implicitement ce que la convention apporte en termes d’informations. Au niveau de la convention, à l’inverse du contrat, on peut dire qu’il y a absence de menace implicite en cas de la non adhésion à la convention. Dans le cas de l’existence de plusieurs conventions, les frontières ne sont pas facilement repérables.

2.3. Confrontation entre deux ou plusieurs conventions : coexistence ou défaillance conventionnelle.

Dans un contexte donné, l’introduction d’une nouvelle convention provient souvent de l’emprunt à des modèles de formation et d’éducation d’autres pays, pour remédier à certains problèmes (par exemple en matière de chômage des jeunes, ce qui a été assez fréquent en Europe).

Mais évidemment cette application peut rencontrer des obstacles sérieux car les règles qui met en œuvre les nouveaux principes trouvent leurs origines dans une histoire qui lui est spécifique et que l’on ne peut pas transposer en tant que telle. Dans le cas de l’artisanat marocain pour lequel des emprunts ont été faits à l’extérieur, cela pose explicitement la problématique de la coexistence des conventions : « à une date donnée, une convention règne dans une population, elle est chassée, ou sera délogée par une convention rivale, mais parfois, l’on observe leur coexistence pacifique, durable ou non, stable ou cyclique » (De Larquier, Gannon, 2001, p.161).

Pour Bessy (2003), le passage d’une convention à une autre se fait à partir de la critique de certains acteurs, à la suite de profonds déséquilibres ou de défaillances, suivant un processus délibératif qui de proche en proche peut imposer une autre convention.

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Dans notre cas, se pose donc la question de savoir comment et pour quelle durée pourrait co-exister plusieurs conventions, par exemple une convention professionnelle et une convention domestique au sein du même espace.

En 1997, Goyal et Jansen posent la question de la coexistence des convenions. Ils partent de l’existence de deux conventions rivales. Cette coexistence repose sur l’hypothèse de conventions non exclusives proposées par ces mêmes auteurs. « Deux conventions X et Y suivies respectivement dans les deux sociétés 1 et 2 sont non exclusives si un joueur peut, contre un coût additionnel (φ), acquérir la capacité de suivre indifféremment X et Y pour s’ajuster à son vis –à – vis qui lui, suivrait de manière inconditionnelle soit X soit Y. », (De Larquier, Gannon, 2001, p.161-181).

L’une des réponses apportées peut tenir à l’émergence d’acteurs capables d’adopter les deux conventions simultanément en même temps et d’être en quelque sorte des passeurs ou des « agents frontière » entre les deux conventions grâce à une souplesse et une flexibilité qui les aide à s’adapter à telle ou telle convention (voir De Larquier, Gannon, 2001).

Une autre modalité de co-existence conventionnelle est le compromis entre plusieurs conventions qui devient ainsi un moyen de régler le déséquilibre ou la confrontation entre plusieurs régimes d’action. « La pluralité de régimes relance donc la controverse, conduisant à des affaires difficiles à clore, sauf à se contenter de compromis entre plusieurs régimes. Les variations de régime sont pour nous le moyen d’établir des liens, le blocage dans un seul régime rendent difficile la correction de déséquilibre » (Eymard-Duvernay et Marchal, 1997, p.35). L’affaire peut s’avérer d’autant plus délicate que la possibilité du compromis est suspendue à l’émergence d’une référence commune, autrement dit d’une sorte de « super-règle » capable de dépasser la concurrence entre les conventions mises en œuvre.

« Dans un compromis on se met d’accord pour composer, c'est-à-dire pour suspendre le différend, sans qu’il ait été réglé par le recours à une épreuve dans une seule nature. …Le compromis suggère l’éventualité d’un principe de rang supérieur capable de fonder des jugements s’appuyant sur des objets relevant de natures différentes. … Malgré la visée d’un intérêt souvent d’un compromis demeure composite et l’on dira souvent d’un compromis qu’il soit préférable à tout autre solution. » (Boltanski et Thévenot, 1987, p.225-226).

La pluralité des conventions explique la diversité des formes de coordination simultanément en vigueur, le tissu économique se présentant alors comme un écheveau de liens de natures différentes.

La cohésion d’une branche d’activité peut être fortement éprouvée par la coexistence de plusieurs conventions. Ce problème de confrontation entre plusieurs principes d’évaluation se situe

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au cœur de l’action de chaque acteur économique, qui doit sans cesse arbitrer entre des évaluations reposant sur des critères différents.

La connaissance de l’histoire de chaque convention mise en œuvre dans l’espace de référence, en l’occurrence l’artisanat de Marrakech, est bien sûr une dimension importante à prendre en compte car elle a un effet sur l’attachement des acteurs individuels et collectifs à la convention.

Empiriquement, lorsqu’une ou plusieurs conventions sont en jeu, la question est alors de savoir si l’on se situe dans le cadre d’une co-existence par la juxtaposition cloisonnée de différents

« mondes » ou si émerge un compromis naissant de cette confrontation entre conventions.

Ainsi l’économie des conventions nous semble être particulièrement en mesure de nous aider à comprendre le terrain de l’artisanat de Marrakech parcouru par des logiques d’action diversifiées émanant d’acteurs eux-mêmes multiples.

D’une part, l’économie des conventions cherche à dépasser l’opposition classique entre des explications par les seules conduites individuelles et des explications holistes centrées sur les dimensions collectives du social : dans notre cas, l’articulation entre actions collectives et choix individuels des jeunes en formation et des artisans est au centre de nos préoccupations. D’autre part, l’économie des conventions avance que la coordination sociale et économique s’appuie sur une pluralité de principes de justification des actions individuelles et collectives, principes constitutifs dont la mise en œuvre s’appuie sur des ensembles de règles adaptées aux problèmes posés : ces « cités » (Boltanski et Thévenot), sommairement dit, peuvent être « marchande »,

« civique », « domestique » (tradition et proximité), « industrielle » (standardisation, planification, intégration), « connexionniste » (réseaux). Dans notre cas, l’analyse de la relation formation emploi pourrait révéler une dynamique des conventions qui peut naître de la coexistence de deux ou plusieurs conventions.

Dans la réalité, la coordination au sein de l’espace professionnel de l’artisanat de Marrakech repose-t-il sur des compromis entre des principes d’action hétérogènes ?

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