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L’antériorité du soi dans la relation éthique : Paul Ricœur

Pour mieux comprendre la position de Ricœur sur l’éthique du sujet et son unité thématique qu’est la problématique de l’agir humain458, nous parcourrons son

anthropologie philosophique sous-jacente pour voir comment, selon lui, la structure du

moi détermine ses manques et la nécessité de la relation avec l’autre, et comment cette

structure ouvre le moi à autrui.

Dans la préface de son ouvrage qui nous intéresse, à savoir Soi-même comme un autre459,

l’auteur nous expose lui-même son projet en trois actes. Le premier consiste à « marquer le primat de la médiation réflexive sur la position immédiate du sujet »460 : c’est cela qui

différencie le soi et le moi, comme il le montrera dans la question de l’ipséité461. Le

deuxième veut « dissocier deux significations majeures de l’identité […] selon que l’on entend par identique l’équivalent de l’idem ou de l’ispe latin »462 : l’auteur y trouve la

458 Cf. P. RICOEUR, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, p. 31. C’est dans ce livre que nous

allons puiser l’essentiel de la pensée de l’auteur sur le thème qui nous occupe.

459 P. RICOEUR, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990. 460 P. RICOEUR, Soi-même comme un autre, p. 11.

461 Voir les points 1.3.1 et 1.3.2 de ce chapitre. 462 P. RICOEUR, Soi-même comme un autre, p. 12.

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différence entre l’idée de permanence, caractéristique de l’identité personnelle et l’absence d’un noyau non changeant de la personnalité, ce qui est propre à ce qu’il appelle identité narrative463. Le troisième est « une dialectique complémentaire de celle

de l’ipséité et de la mêmeté, à savoir la dialectique du soi et de l’autre que soi »464, qui est

proprement le niveau de la relation éthique, c’est-à-dire la dialectique de la mêmeté et de l’altérité enracinée dans celle de la mêmeté et de l’ipséité.

En fait, c’est principalement ce dernier aspect de l’étude du sujet qui intéresse notre recherche, à savoir comment le sujet entre en relation avec autrui et quelles conséquences en tirer en ce qui concerne l’autonomie (la liberté) et la responsabilité du sujet dans cette relation.

Le présupposé de P. Ricœur, c’est que la question concernant la subjectivité précède celle relative à la relation éthique. En d’autres termes, c’est l’ontologie qui fonde l’éthique. Contrairement à Levinas chez qui l’éthique est la philosophie première, comme nous le verrons au point 2 de ce chapitre.

Nous suivons à présent l’itinéraire de P. Ricœur dans cette entreprise philosophique, en ayant une attention spéciale à l’aspect éthique qui nous occupe.

1.1. Contre l’exaltation du moi

P. Ricœur s’emploie à démontrer les insuffisances du Cogito cartésien, conçu comme le

moi pensant, en pleine possession de lui-même, clair et transparent, capable de

s’expliquer totalement lui-même et d’expliquer ultimement le monde. Il veut montrer « l’échec du Cogito à se constituer en philosophie première et à résoudre la question du fondement dernier »465, et comment le passage de la pensée à l’être conduit à un sujet

tautologique et irréel.

463 Cf. Ibid.

464 P. RICOEUR, Ibid., p. 13.

465 Ibid., p. 31. P. Ricœur discute ici la pensée de Descartes selon laquelle, selon lui, « le « j’existe

pensant » est une vérité première, c’est-à-dire une vérité que rien ne précède », puisque le doute est intérieur à la pensée qui le pose volontairement et librement. Cf. Ibid., p. 18.

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En effet, selon Ricœur, le doute hyperbolique utilisé comme méthode radicale devrait engloutir tout sur son passage, y compris le Cogito, le sujet du doute. Le je « désincarné » « qui mène le doute et qui se réfléchit dans le Cogito est aussi métaphysique et hyperbolique que le doute l’est lui-même par rapport à tous ses contenus. Il n’est à vrai dire personne »466. Aucune certitude ne peut résister à ce doute radical, fût-ce celle de

l’existence du je, puisque ce dernier « perd définitivement toute détermination singulière en devenant pensée, c’est-à-dire entendement »467.

Pour lui, les philosophies du Cogito, telle celle des Descartes, ne permettent pas un discours ouvert sur l’autre, puisque, dans son autonomie, le sujet du Cogito est un je, posé ou déposé468, antérieur à la réflexivité qui permet la dialectique de l’analyse et la

structure nécessaires à toute relation à l’autre, caractéristique du soi. Abstrait, le moi « du doute ne manque d’aucun autrui puisqu’il est sorti, en perdant tout ancrage, des conditions d’interlocution du dialogue. On ne peut même pas dire qu’il monologue, dans la mesure où le monologue marque un retrait par rapport à un dialogue qu’il présuppose en l’interrompant »469.

Bref, le moi exalté au détriment de toute altérité est en dehors de la réalité. Le sujet y a une identité non pas d’une personne concrète, mais celle « en quelque sorte ponctuelle, anhistorique, […], celle d’un même qui échappe à l’alternative de la permanence et du changement dans le temps, puisque le Cogito est instantané »470. Pas plus qu’il ne peut

agir sur le monde, pas plus ce sujet réduit au penser et que Descartes appelle âme, ne saurait entrer en relation avec l’autre ni être doté du statut de « sujet d’imputation

morale »471. La seule certitude est, dans le système cartésien, celle du Cogito. La vérité y

a « une version seulement subjective »472 du simple fait que l’acte de penser est « sans

objet déterminé »473. Jusqu’à ce que Descartes découvre que la véracité divine est

première et subordonne celle du Cogito, de sorte que « l’idée de moi-même apparaît

466 Ibid., p. 16. 467 Ibid., p. 18. 468 Ibid., p. 30. 469 Ibid., note 4, p. 16. 470 Ibid., p. 18. 471 Ibid., p. 18. 472 Ibid., p. 19. 473 Ibid., p. 18.

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profondément transformée du seul fait de la reconnaissance de cet Autre qui cause la présence en moi de sa propre représentation »474.

Ricœur pense que le mérite de Descartes est de s’être retrouvé devant cette alternative dont la postérité, Malebranche et Spinoza, s’est nourrie : « ou bien le Cogito a valeur de fondement, mais c’est une vérité stérile à laquelle il ne peut être donné une suite sans rupture de l’ordre des raisons ; ou bien, c’est l’idée du parfait qui le fonde dans sa condition d’être fini, et la première vérité perd l’auréole du premier fondement »475. Cela

n’empêche que la « position » du Cogito ne suffit pas à en faire un sujet réfléchi et éthique qui intéresse Ricœur.

Aux antipodes de l’exaltation du sujet à la suite de Descartes, se dresse son annihilation, principalement par Nietzsche. Paul Ricœur s’inscrit en faux mêmement contre sa démarche.

1.2. Contre l’humiliation du moi

P. Ricœur comprend la légitimité du point de départ de Nietzche dans son entreprise contre la philosophie de la subjectivité de son temps. « [Elle] a fait entièrement abstraction de la médiation langagière qui véhicule son argumentation sur le `` je suis `` et le `` je pense`` […] au nom de l’immédiateté de la réflexion »476. Nous verrons au point

suivant combien, pour Ricœur, la philosophie du langage est incontournable dans la compréhension et la définition du sujet.

Ce qu’il reproche à Nietzsche, c’est d’une part de faire superposer deux sens de la vie, le référentiel et le figural, en attribuant au premier ce qui convient au second, à savoir des fables, « une ``illusion`` servant d’``expédient`` au service de la conservation de la vie »477. D’autre part, son discours sur « la vérité comme mensonge devrait être entraîné

dans l’abîme du paradoxe du menteur »478. De cette façon, le silence seul aurait été

474 Ibid., p. 19-20. 475 Ibid., p. 21 et 22. 476 Ibid., p. 22-23. 477 Ibid., p. 23-24. 478 Ibid., p. 23.

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logique de sa part, car, se demande Ricœur, « comment justifier le ton de révélation sur lequel seront proclamés la volonté de puissance, le surhomme et le retour éternel du même? »479.

Dans un monde où tout est mensonge, le Cogito lui aussi n’est que du vent, « brisé », emporté par le doute généralisé qui frappe aussi bien le « j’existe » que le « j’existe- pensant »480.

Ainsi, Nietzsche n’apporte pas d’arguments contraires à ceux de Descartes en faveur du

Cogito, il détruit la possibilité même de la subjectivité d’un moi pensé comme un absolu

par Descartes. C’est précisément cet aspect que Ricœur rejette.

Se détournant à la fois du substantialisme cartésien481 et du nihilisme nietzschéen, il va

puiser chez l’un la conviction de l’existence du sujet, mais en la plaçant dans une histoire, et chez l’autre l’importance du langage, pour mettre le sujet dans un récit et le soumettre à une herméneutique. C’est ce que nous examinons au point suivant.

1.3. Le Cogito ou l’anti-Cogito : P. Ricœur est-il entre les deux ou au-delà ?

Notre auteur affirme son intérêt pour cette alternative; elle permet de s’approcher du sujet482. Mais il veut se placer au-delà, grâce à sa méthode qu’il appelle « herméneutique

du soi »483 au bout de laquelle la dixième étude donnera une assise ontologique au soi. Il

s’y agit en fait du problème de l’identité : personnelle et /ou narrative. Parcourons-en quelques aspects. 479 Ibid., p. 25. 480 Cf. Ibid., p. 24. 481

Selon Ricœur, en effet, Descartes conserve « le vocabulaire substantialiste des philosophies avec lesquelles il croit avoir rompu » Ibid., p. 18. Il utilise par exemple le mot « âme ».

482 Ibid., p. 27. 483

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1.3.1. De l’identité personnelle à l’identité narrative

On pourrait dire que Ricœur considère l’identité dont il est question dans le Cogito et l’anti-Cogito comme statique, dans ce qu’il nomme « l’immédiateté du je suis »484. La

question qui pense? rive la réponse sur un sujet tautologique dont nous avons dit plus haut qu’il n’est pas concret. « Le recours à l’analyse, écrit Ricœur, […], est le prix à payer pour une herméneutique caractérisée par le statut indirect de la position du soi »485.

Ainsi, la question de l’identité personnelle passera par l’analyse philosophique du langage et sera liée à celle de la temporalité. Ce qui ouvrira d’office la question du soi à celle de l’autre. Désormais, la question qui pense?, comme l’autre – qui parle? – et qui

agit ? « apparaîtront […] étroitement entrelacées »486. Nous dirions en d’autres termes

que la question du soi débouche naturellement sur celle de l’autre, le statut ontologique du sujet étant étroitement lié au statut éthique de l’autre. C’est donc en éthique, pense Ricœur, que l’étude du sujet trouve son plein déploiement. « L’autonomie du soi y apparaîtra intimement liée à la sollicitude pour le proche et la justice pour chaque homme »487.

Disons brièvement un mot sur l’analyse du soi telle que proposée par Ricœur.

Dans la Première étude, l’auteur définit successivement les termes de base auxquels on recourt pour désigner l’être humain comme un seul individu et qui permettent l’identification488 de ce dernier en tant qu’« échantillon indivisible à l’intérieur d’une

espèce »489. La visée de l’individualisation est d’isoler le je et le tu490 comme sujets de

l’énonciation dans le contexte de la communication dans le monde.

Au bout de cette procédure, l’auteur définit « la personne comme particulier de base »491,

c’est-à-dire non pas l’individu quelconque, mais « l’individu que nous sommes

484 Ibid., p. 30. 485 Ibid., p. 28. 486 Ibid., p. 29. 487 Ibid., p. 30.

488 Ricœur lui préfère le terme d’individualisation, comme il l’explique à la note 1 de la page 39. 489 Ibid., p. 39.

490 Cf. Ibid., p. 43. 491

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chacun »492. Pour Ricœur, c’est dans « une situation d’interlocution » que s’opèrent « les

deux approches de la personne : par référence identitaire493 et par autodésignation »494,

l’une et l’autre étant déterminative du soi, et que chaque partenaire reconnaît en l’autre « le même particulier de base que lui »495. La référence identitaire, pour ainsi dire, définit

la personne comme ce que le monde dit et voit de tel être humain496, en référence non pas

à la personne elle-même, mais au monde. L’auteur en appelle à la « dissociation entre la personne comme entité publique et la conscience comme entité privée »497.

La personne est complexe - l’auteur utilise le mot « étrangeté »498 - parce qu’elle est

déterminée par les prédicats qu’on lui attribue, physiques et moraux, une attribution double qui entraîne l’occultation mutuelle des problématiques de mêmeté et d’ipséité499.

Nous pourrions reprendre la problématique en ces termes : qu’est-ce qui est reste le même chez une personne : le physique ou le psychique? le public ou le privé? ce qui lui est attribué ou ce qu’elle est ou a en elle-même – est-elle aussi autre chose que ce qui lui est attribué -?

Ricœur définit le « nouveau cas de mêmeté ; non plus la « même chose » recevant deux sortes de prédicats, mais le « même sens » attribué aux prédicats psychiques, que l’attribution se fasse à soi ou à autrui »500. Si cette réponse est partielle et ne couvre pas la

totalité de la question sur ce qui demeure le même chez la personne, elle peut cependant être étendue à l’ensemble des questions : nous sommes dans une identité narrative, celle née du sens donnée à la personne par l’attribution de prédicats tant physiques que

492

Ibid., p. 43.

493 La référence identitaire fait de la personne une « chose », objet de la parole, alors que l’autodédignation

est la capacité de la personne à parler, comme sujet de l’énonciation. Cf. Ibid., p. 44. Ce sont là, pour Ricœur, « les deux voies de la philosophie du langage ». Ibid., p. 68.

494 Ibid., p. 44.

495 Ibid., p. 44. L’auteur appelle encore l’autodésignation « la réflexivité de l’énonciation ». Ibid., p. 68. 496 L’auteur précise que la personne peut être dans une situation d’interlocution ou un tiers. Cf. Ibid., p. 47. 497 Ibid., p. 47.

498 Ibid., p. 49. 499 Ibid., p. 50. 500 Ibid., p. 52.

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psychologiques, opération que l’auteur nomme double ascription501. Ce qui demeure le

même, c’est ce sens et non pas les choses qui constituent une dimension de la personne. Cette dernière, ainsi caractérisée, est capable d’action502 face à l’événement, et

d’initiative503 face aux contraintes diverses dont celles dues à la référence identitaire. Et

pour être sujet, le soi, personne, agent, sujet de l’énonciation, doit, comme l’action elle- même, revêtir la dimension temporelle. Car, dit Ricœur, « la personne dont on parle, […] l’agent dont l’action dépend, ont une histoire, sont leur propre histoire »504.

A ce stade, toujours dans la recherche de la théorie ricœurienne de l’homme, nous pouvons cerner de plus près ce que l’auteur dit de l’identité personnelle, laquelle intéresse au plus haut point notre recherche sur l’éthique du sujet.

1.3.2. L’identité-idem et l’identité-ipse

Ricœur affirme que les deux usages du concept d’identité résolvent de façon satisfaisante la question de la permanence dans le temps, jusque-là posée au seul aspect idem de l’identité, et en dehors de la dimension narrative505. Alors que les dimensions temporelle

et narrative doivent être appliquées aux deux aspects de l’identité.

1.3.2.1. L’identité-mêmeté

Contrairement à sa compréhension étymologique, l’auteur définit la mêmeté comme « un concept de relation et une relation de relations »506. Cela signifie qu’elle n’est pas une

clôture de l’identité sur soi, mais une disposition à la relation. Elle est numérique, c’est-à-

501 « L’ascription, écrit Ricœur, c’est ce que fait n’importe qui, chacun, on, à l’égard de n’importe qui, de

chacun, de on ». Ibid., p. 49.

502 L’auteur traite de l’action et de l’événement, de l’agent et de l’action, dans la troisième étude que nous

relirons à la lumière de la pensée africaine. Qui agit? Peut-il y avoir d’action sans agent? Qu’est ce qui

cause l’action? Peut-on parler de cause de l’événement?

503 Ricœur définit l’initiative comme « une intervention de l’agent de l’action dans le cours du monde,

intervention qui cause effectivement des changements dans le monde ». Ibid., p. 133.

504 Ibid., p. 137. 505 Cf. Ibid., p. 140. 506 Ibid., p. 140.

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dire « une seule et même »507chose, « qualitative, autrement dit la ressemblance

extrême »508, ou « la continuité ininterrompue entre le premier et le dernier stade du

développement de ce que nous tenons pour le même individu »509.

Notre auteur cherche donc comment ces trois composantes de l’identité, qui lui assurent la permanence dans le temps malgré le changement inévitable de tout ce qui est soumis à ce dernier, sont aussi structurantes pour l’ouverture du soi à la relation. C’est ce qu’il appelle « la quête d’un invariant relationnel, donnant une signification forte de permanence dans le temps »510. Mais il ajoute que cette permanence n’est pas « réductible

à la détermination d’un substrat »511, comme ce serait le cas dans une doctrine

substantialiste où la question qui? est réductible à la question quoi? L’auteur recherche une forme de permanence du soi dans le temps qui réponde à la question « qui suis-

je? »512, laquelle engage dans une quête du sens. Il trouve cette permanence dans le

caractère et la parole tenue.

Pour lui, le caractère est « l’ensemble des marques distinctives qui permettent de réidentifier un individu humain comme étant le même. […] il désigne […] la mêmeté de la personne »513.

Pourtant l’auteur pense qu’une telle composante de l’identité ne renvoie pas au Cogito, c’est-à-dire à la substance immuable du Je conçu comme immuable et indépendant du temps et du langage qui le désigne, et comme une monade quant à son incapacité à la relation. Le caractère, lui, est une « disposition acquise »514 ; il est soumis au temps, il a

une histoire, bien qu’il garde des caractéristiques durables qui rendent l’individu reconnaissable à travers le temps.

507 « Identité, ici, signifie unicité », précise l’auteur. Ibid., p. 140.

508 C’est-à-dire avec possibilité d’opérer la « substitution sans perte sémantique ». Ibid., p. 141. 509 Ibid., p. 141. 510 Ibid., p. 143. 511 Ibid. 512 Ibid. 513 Ibid., p. 144. 514 Ibid., p. 146.

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Comme lieux par excellence de la mêmeté, l’auteur épingle d’une part l’habitude, permanence incluant le changement (« habitude en train […] d’être contractée, et […] habitude déjà acquise »515), et d’autre part « l’ensemble des identifications acquises par

lesquelles de l’autre entre dans la composition du même. […] identifications-à- des valeurs, des normes, des idéaux, des modèles, des héros »516.

Ainsi, parler de l’identité-idem, c’est conjuguer le changement et le maintien dans la structure de l’individu humain, avec une insistance sur l’aspect « permanence »517, que

l’auteur appelle « cette couche de notre existence subjective »518. C’est ici le socle de la

singularité et de l’unicité, qui fait de l’individu, selon les termes de Ricœur, un « échantillon non répétable et de plus non divisible sans altération […] du côté de l’ineffable »519.

Comme on le voit, chez Ricœur la conception du pôle caractère est dynamique. Le mouvement sert à enrichir les acquis par la temporalité. C’est un premier niveau de l’altérité où l’intimité se construit en se déstructurant, mais sans éclater. C’est aussi le premier niveau de l’ipséité, comme réflexion du sujet sur lui-même pour maintenir le soi, avec comme correspondant au niveau du langage, la réflexivité de l’énonciation, complémentaire de la référence identifiante qui, elle, vient de l’extérieur. Ce premier niveau d’ipséité est « recouverte » par l’aspect « permanence » de la mêmeté et constitue un mouvement intrinsèque propre au soi.

Dans sa recherche de réponse à la double question du sujet, à savoir qui suis-je?, ou la question du sujet de l’identité, et que suis-je?, ou la question de l’identité du sujet, notre auteur entre pour ainsi dire dans un voyage, un itinéraire, dont le premier tronçon constitué par la permanence et la réflexivité est à la fois une boucle qui part de la permanence et y revient en évoluant. La mêmeté n’est donc pas ce qui maintient le soi au même niveau, puisqu’il est impossible à l’être humain d’être indifférent au temps. Ce dernier le marque inévitablement, dans le sens de la croissance ou de la décroissance.

515 Ibid., p. 146. 516 Ibid.

517 Ricœur l’appelle « inscription du caractère dans la Mêmeté ». Ibid., note numéro 1, p. 144. 518 Ibid., note numéro 1, p. 144.

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Autant la mêmeté permet l’identification personnelle, autant le temps la rend capable d’altérité interne par la voie de la réflexivité comme première condition d’ipséité, et d’altérité externe par la même ipséité cette fois tournée vers l’altérité de l’autre que le soi. Voyons comment Ricœur aborde ce deuxième pôle du soi. Cette deuxième forme