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1.1. Ngoma Binda contre Ebousi : plaidoyer pour Placide Tempels

Ngoma Binda est un philosophe congolais de l’école tempelsienne. Son maître à penser, Placide Tempels, fut l’un des pionniers de la philosophie africaine, particulièrement dans sa Philosophie bantoue187, où il recherchait une conciliation de la pensée bantoue (négro-

africaine) et de la philosophie occidentale, dans un projet d’évangélisation de l’Afrique. Sa réflexion nous intéresse dans l’étude qu’il fait des structures sociales africaines et de la place accordée aux ancêtres et à la relation éthique.

C’est dans le cadre de l’ouvrage commun consacré à Fabien Eboussi et dirigé par

Ambroise Kom188 que Ngoma Binda s’exprime sur notre auteur et qu’il s’oppose à lui. Il

le fait autour de deux axes principaux : l’ethnophilosophie comme lieu privilégié de saisie et de promotion de la force vitale, et la sociohistoire de l’Afrique.

1.1.1. Erreur d’Eboussi sur la conception tempelsienne de la force vitale

Ngoma Binda résume ainsi sa compréhension de la position d’Eboussi189 sur la

philosophie de la force vitale dans les cultures bantu, telle qu’exposée par Tempels190.

Nous le citons longuement :

186 Bon nombre de philosophes et de théologiens que nous allons présenter adressent leur critique à Eboussi

en dehors de tout projet, dans un livre collectif, fruit d’un colloque organisé sur notre auteur par Ambroise Kom. Cf. A. KOM (dir), Fabien Eboussi Boulaga la philosophie du Muntu, Paris, Karthala, 2009.

187 P. TEMPELS, La Philosophie bantoue, trad. Du neerlandais par A. Rubens, Elisabethville, Lovania,

1945.

188 A. KOM (dir), Fabien Eboussi Boulaga la philosophie du Muntu, Paris, Karthala, 2009.

189 Ngoma Binda lit « Le Bantou problématique » de Fabien Eboussi, publié dans Présence africaine, n°66,

1968, p. 4-40.

190 Ngoma Binda se réfère surtout à :

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Ce dernier faisait du Muntu un être humain « en crise », « problématique », un philosophe inné et, néanmoins, totalement ignorant de sa propre condition d’homme philosophe : il n’est capable ni d’expliquer sa propre philosophie supposée, ni de « revendiquer de philosophie vivante ». Il est, de manière foncière, un être humain qui ne se sait pas être humain et qui, de ce fait, se rend problématique quant à son propre être, quant à sa capacité d’intelligence ou, du moins, de logique, de possession d’une philosophie, en dépit d’une certaine célébration qui lui est vouée, par Tempels en l’occurrence. Ainsi, le Muntu est nié à travers l’acte même qui le consacre et cherche à lui conférer de la dignité […], à attendrir la dureté de l’âme blanche face à sa condition problématique […] Eboussi voit dans le Muntu « caricaturé », érigé non pas en sujet, mais en objet muet de discours, d’esthétique, d’amusement et de mesure de la pleine humanité blanche, une rampe de réaffirmation de soi du Blanc comme être humain de totale supériorité et, donc, d’autorité suprême et absolue sur le Noir […] La saisie et la reconnaissance de l’ontologie noire, à travers un libre jugement par la seule autorité habilitée à le faire, le Blanc, devraient conduire, à la fois, à l’acceptation d’une trace d’humanité en cet être pourtant problématique et dont on veut à tout prix le salut de l’âme par le chemin du christianisme occidental, et à la possibilité de mise en route sans condition du Muntu efficacement rendu auxiliaire essentiel, pour l’avoir pénétré en profondeur dans sa psychologie et dans sa logique, du service de l’œuvre de l’exploitation coloniale191.

Face à cette analyse d’Eboussi selon Ngoma Binda, ce dernier défend Tempels, son maître, en apportant ces précisions d’ordre philosophique : d’une part, Eboussi ne pourrait déraciner Tempels du lieu pertinent d’où il est parti, à savoir « la réalité de la vie, comme résistance à la mort sans cesse menaçante »192 dont la dialectique génère aussi

bien la culture que l’histoire et dont la défense et la promotion se font dans des situations particulières. Tempels a donc raison de considérer le Muntu dans sa particularité culturelle et ontologique.

Ensuite, la force vitale, comme élan et comme énergie qui permet de persister dans l’être et dans l’existence malgré l’entropie, n’est pas, comme le pense Eboussi, un désir spécifique aux Noirs. La question ne se pose pas sur le contenu ni sur l’essence de cette

Idem, Notre rencontre, Léopoldville, Editions du Centre d’Etudes Pastorales, 1962.

191 P. NGOMA BINDA, « Métaphysique et politique de la force vitale », in A. KOM (dir.), Fabien Eboussi

Boulaga la philosophie du Muntu, Paris, Karthala, 2009, p. 26-27.

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force vitale, mais sur comment la gérer ; c’est une question politique et éthique, dans la mesure où cette force vitale englobe toutes les sphères de la vie humaine193.

Ngoma Binda remarque vite la difficulté à défendre son maître. Il le reconnaît : « [il] est possible, dit-il, que Tempels se soit trompé sur la nature et la finalité de la métaphysique bantu, qu’il ait incorrectement désigné l’aspiration fondamentale des Noirs ou qu’il ait agité un « lac illusoire » dans sa très nostalgique et bien généreuse recherche du « paradis perdu »194. Pour le sauver à tout prix, d’une part il le rapproche d’Eboussi en tempérant la

critique qu’il lui a adressée.

Au total, dit-il, Tempels et Eboussi Boulaga s’accordent, se rencontrent, à une distance pas trop lointaine : tous deux, chacun dans sa perspective, se révoltent contre la lecture coloniale du Muntu, du Noir […] Le combat est en tous points identique et commun : un combat politique de légitimité, d’identité, d’affirmation de soi, et de volonté de vie de la personne humaine de culture bantu. Il s’agit, pour Tempels, d’une décision de travailler à la négation d’un injuste oubli de l’être du Muntu […], pour Eboussi d’un ébranlement en faveur d’une passion […] centrée sur le désir d’appropriation, par le Muntu, de la force (vitale) pour en faire un usage judicieux contre la volonté coloniale de puissance et de domination rageuse195.

D’autre part, tout en reconnaissant que « la finalité de l’entreprise tempelsienne est celle- là même qu’Eboussi lui découvre, celle de volonté de succès de l’œuvre coloniale, de ‘civilisation’ »196, il disculpe son maître et le défend d’une quelconque « participation

active et consciente à la domination politique sur le Noir »197. Au contraire, dit-il, son

œuvre mérite une lecture positive et constructive.

1.1.2. Erreur d’Eboussi sur l’intention de Tempels et la finalité de son projet

Pour défendre Tempels contre la critique virulente d’Eboussi, qui fut aussi, selon Ngoma Binda, celle d’Aimé Césaire, notre critique évoque deux arguments. Le premier montre la bonne foi de Tempels dans ses prises de position contre les travers du colonialisme et du christianisme missionnaire. Ces prises de position, selon lui, Eboussi les ignore soit parce

193 Cf. Ibid., p. 33. 194 Ibid., p. 33. 195 Ibid., p. 32. 196 Ibid., p. 27. 197 Ibid., p. 27.

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que publiées après sa lecture de Tempels, soit à cause de la distance linguistique ou géographique entre les deux auteurs.

Ainsi, en toute naïveté et sincérité198, Tempels aurait donné à la colonisation des

arguments et des outils d’exploitation du Noir sans le savoir, immergé qu’il était lui- même dans la culture du colonisateur, la sienne.

Le deuxième argument est que l’œuvre de Tempels fut essentiellement pédagogique et pastorale. Il s’agissait pour lui de connaître la personne à éduquer, à « civiliser » et à convertir. C’est donc une intention scientifique, dont le produit a été détourné et mal utilisé par le colonisateur et le missionnaire. Il a dû s’immerger dans la culture bantu pour la connaître de l’intérieur, « se faire Grec parmi les Grecs, Juif parmi les Juifs, Muntu parmi les Bantu »199, avec une intention valorisante du Noir, celle « de montrer que les

Bantu possèdent une métaphysique spécifique, logique, pertinente, de laquelle découlent un comportement, une morale, un droit spécifique comme principes éthiques, sociaux et juridiques de vie bonne dans la communauté »200.

Tout compte fait, dans sa critique d’Eboussi qui aurait nécessité plusieurs degrés de lecture et d’approche, Ngoma Binda confirme indirectement l’objectivité des reproches de ce dernier à l’endroit de Tempels et de l’école ethnophilosophique, d’avoir été complice, sciemment ou non, d’une mise à nue de l’Afrique en faveur du colonisateur et du missionnaire, au détriment des cultures africaines et des Africains eux-mêmes, et d’avoir servi de mauvais exemples aux autres intellectuels africains qui ne sont que des ambassadeurs des intérêts occidentaux qui leur laissent de maigres dividendes dans une Afrique rendue exsangue et exténuée.

Ainsi donc, contrairement à Eboussi qui a préféré, pour des raisons d’honnêteté201,

rompre avec une Afrique dans laquelle il ne se reconnaissait plus, et ne pas pactiser avec une domination politique et religieuse occidentale prolongée sous forme de postcolonie et

198 Cf. Ibid., p. 27. 199 Ibid., p. 28. 200 Ibid., p. 28.

201 Cf. A. KOM, « Quelques points de repères. Entretien entre Fabien Ebousi Boulaga et Ambroise Kom »,

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de néochristianisme , ni Tempels ni Ngoma Binda n’envisage nulle part une rupture qui aurait pu assainir leur position et leur intention à la fois scientifique et constructive d’une Afrique en crise.

Toutefois, la critique de Ngoma Binda a le mérite de rappeler à Eboussi que les réalités africaines sont en mouvement et que la tradition, comme la culture elle-même, tout en étant enracinée dans le passé, est un passage ; elle n’est pas figée et la recherche sur l’Afrique est en mouvement. Le refus de tout système, l’anarchisme, lorsqu’il fait école, finit par devenir un système. Autant une pensée demeure vivante quand elle dure et fructifie, autant elle vieillit et meurt quand elle dure sans évoluer. Là se trouve la dialectique du changement qui est au cœur de la problématique de la crise du Muntu. Aussi, l’œuvre de Tempels n’a rien d’absolu, comme celle d’Eboussi. Son intérêt est d’avoir suscité des réflexions en philosophie, en théologie et en sciences sociales. Il ne suffit pas de la critiquer, mais il faudrait la dépasser et l’actualiser grâce à de nouvelles connaissances sur l’homme africain. Reste à savoir si l’école tempelsienne à laquelle appartient Ngoma Binda est sur cette voie.

Un autre point de vue est celui de Célestin Monga, qui s’est exprimé dans le même ouvrage sur la notion de vérité chez Eboussi.

1.2. Célestin Monga202 : Eboussi, « la quête obstinée de la vérité et du savoir » Pour ce philosophe camerounais qui scrute les différents angles à partir desquels Eboussi affronte la question de la vérité en Afrique de façon complexe, dans un style qu’il qualifie d’« arc-en-ciel »203, où langage, discours et signification s’appellent, se tiennent et se

constituent, la question de la vérité est coextensive à la relation entre ces constituants. Langage, discours et signification sont donc les lieux bien soignés dans l’œuvre d’Eboussi où il invite à le rencontrer dans sa recherche et sa définition de la vérité en Afrique. Aussi est-il nécessaire d’entrer dans les méandres du style de l’auteur si l’on

202 Nous n’avons pas de connaissance particulière de cet auteur ni de son projet. Il a participé au colloque

tenu sur Eboussi et c’est sa critique de la notion de vérité chez Eboussi qui nous intéresse. Cette notion est capitale dans une réflexion sur la relation éthique, en particulier sur une éthique de responsabilité.

203 C. MONGA, « Une théorie de la vérité. Révélation, sophisme et illusion », in A. KOM (dir.), Fabien

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veut saisir la vérité qui l’habite. Et l’on n’entre pas chez Eboussi de plain-pied, sans être bousculé, choqué, interpellé204 autant par la forme que par le contenu de son expression.

Heureusement qu’Eboussi lui-même, conscient de la difficulté de décortiquer sa pensée, la fait précéder par une sorte de clé de lecture qu’il appelle « problématique », parfois sous forme de « préface ».

Célestin Monga semble s’accorder avec Eboussi pour critiquer les différentes formes de vérité exotique, qui consiste à vouloir avoir ses propres philosophes, ses propres théologiens et autres intellectuels en vue de penser comme ceux d’ailleurs, ce qui met les Africains à la remorque des occidentaux faute d’être leurs pairs : ils cherchent alors le label et la validation de leur pensée par ceux-là qui leur servent de référence205.

Par conséquent, ces intellectuels exotiques – en réalité intellectuels occidentaux sous la peau d’Africains - sombrent dans la jouissance206 sociale de leur statut, et la vérité du savoir se réduit à d’innombrables discours auto-sécurisants, à une sorte de logologie. Et une fois entrés dans la sphère politique, ils en réduisent la vérité à l’apologétique et au déguisement207, c’est-à-dire à la mystification, source de la dictature et couverture sécurisante de l’incompétence et de la médiocrité.

Célestin Monga présente enfin, avec sympathie, la conception eboussienne de la vérité comme « utopie critique », c’est-à-dire un horizon qui interpelle et mobilise. La vérité n’est pas objective ou, mieux,

une donnée immuable dont certains esprits lucides seraient les propriétaires. Elle n’est pas non plus un énigmatique concept dissimulé comme un trésor dans le hors-mode. Elle est plutôt un processus, une quête perpétuelle, un tâtonnement circonspect, un mouvement dialectique avec soi-même et avec l’autre. Un discours n’est susceptible d’être vrai que s’il va au-delà de lui-même et de son propre langage, s’il s’émancipe du désir, du souhait, de la prière ou de l’incantation208. 204 Cf. C. MONGA, Ibid. 205 Cf. C. MONGA, Ibid., p. 40-43. 206 Cf. C. MONGA, Ibid., p. 45-46. 207 Cf. C. MONGA, Ibid., p. 43-45. 208 C. MONGA, Ibid., p. 47.

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Célestin Monga résume ainsi la théorie de la vérité chez Eboussi, qu’il pense « réconcilier diverses théories de la vérité car elle repose sur un certain nombre de postulats et principes »209 : « Elle est à faire… », « Elle n’est pas pure création… »,

« Elle n’est pas moins invention, et non simple reproduction d’archétypes, avènement de configurations concrètes et inédites surgissant des interactions, au milieu des circonstances, à l’occasion »210.

Après avoir avalisé cette théorie de la vérité selon Eboussi, après l’avoir conditionnée à l’indéterminisme et avoir rejeté « le mythe du temps hypothétique », celui qui oriente le temps et le découpe de façon arbitraire et lui donne une signification et des vertus éthiques et des dimensions ontologiques, Célestin Monga, sous la rubrique « Quelques interrogations et questions ouvertes »211, esquisse quelques pas d’écarts vis-à-vis

d’Eboussi. Cette distanciation concerne « la portée morale et l’application effective d’une théorie syncrétique de la vérité »212. Selon lui, Eboussi semble réserver l’activité

intellectuelle, en particulier philosophique, à l’Occident héritier des Grecs, tout apport des Africains lui paraissant syncrétique. « La vérité philosophique relève-t-elle en fin de compte de la généalogie d’un label ? »213, se demande-t-il.

Le pas d’écart de Monga vient ensuite de la minimisation de l’ethnie africaine dans la réflexion. Pour Eboussi, dit-il, la seule ethnie capable de produire une réflexion universelle est l’occident. D’où, pour lui, les philosophes africains sont ethnophilosophes alors que les européens sont universels, comme si l’Afrique était une ethnie et l’Europe l’univers. « Y aurait-il une tyrannie des ethnophilosophies non africaines sur le marché du savoir ? »214, question de Monga.

209 « La notion de vérité ne recouvre peut-être aucune propriété métaphysique intrinsèque mais elle possède

un pouvoir explicatif et peut servir de boussole à notre interprétation du réel […] L’assertion réaliste bien connue selon laquelle la vérité implique une concordance à des faits empiriques […] est une simple figure de rhétorique […] La vérité est inséparable de sa justification, celle-ci n’étant que le consensus qu’elle acquiert dans un contexte donné […] [quoi qu’] il existe […] quand même une certaine objectivité de la vérité, même si sa valeur doit être contextualisé […] La vérité est un concept vide de sens si elle est abordée comme valeur transcendante et étrangère ici et maintenant ». C. MONGA, Ibid., p. 49-51.

210 C. MONGA, Ibid., p. 49. 211 C. MONGA, Ibid., p. 54. 212 Ibid.

213 Ibid., p. 55. 214 Ibid.

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Un autre point de désaccord, c’est son cadre théorique : la surévaluation et l’infaillibilité de la raison que suppose sa critique de l’ethnophilosophie :

la vérité chez lui, dit Monga, est un horizon à la fois lointain mais accessible par le Muntu (et tout sujet pensant), tant que sa quête est légitimée par son utilité dans l’ici et maintenant. Mais si la vérité est, en fin de compte, un mode de raisonnement et une sensation, plus qu’une réalité indépendante du jugement de celui qui la recherche, que reste-t-il de l’illusion ? Quelle différence y a-t-il entre être dans le vrai et se croire dans le vrai ?215

Toutefois, concernant ce dernier reproche, Célestin Monga est obligé de reconnaître qu’Eboussi n’y est visé qu’en partie. Pour lui, précise-t-il, « le désir d’absolu intègre constamment les variations du moi et reflète donc les états successifs du sujet profond qui existe en chaque Muntu »216.

Au-delà de la critique, Célestin Monga est donc globalement d’accord avec la définition qu’Eboussi donne de la vérité et qu’il cite avec plaisir: « la vérité, c’est nous-mêmes, désarmés, faisant face à mains nues à ce qui se découvre à nous comme tâche d’homme seul, ensemble, avec les autres, proches et lointains »217.

Célestin Monga nous a dévoilé un aspect de la pensée d’Eboussi, celui relatif à la conception de la vérité pour laquelle ce dernier se bat depuis des décennies : sa légitimité dans le cadre éthique, sa nature réflexive comme recherche d’une validation extérieure de ce qu’on sait ou croit savoir, son lieu qu’est l’individu libre et raisonnable218. Tels sont

les éléments constitutifs de la vérité.

Comme nous l’avons dit plus haut, Eboussi défend contre vents et marées ce qu’il considère comme étant vrai. Pour éviter toute compromission, il n’est pas l’homme de compromis. Ce qui fait de lui un penseur austère et droit, avec les avantages et les inconvénients inhérents à une telle position.

215 Ibid., p. 56. 216 Ibid.

217 F. EBOUSSI BOULAGA, cité par C. MONGA, Ibid., p. 58-59. 218 Cf. C. MONGA, Ibid., p. 59.

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Avec Eddy Mazembo Mavungu, philosophe congolais, nous abordons un autre aspect critiqué de la pensée d’Eboussi : la quête de l’autonomie. Ce thème est évidemment important dans une éthique du sujet.

1.3. Eddy Mazembo Mavungu219 : l’autonomie à l’Eboussi est-elle possible ? L’Africain peut-il, dans le contexte actuel de domination, penser par soi et pour soi, « être par soi et pour soi par l’articulation de l’avoir et du faire selon un ordre qui exclut toute violence et tout arbitraire »220, selon le vœu d’Eboussi ? Comment l’Africain

d’aujourd’hui peut-il faire pour que, sans s’aliéner, l’articulation de l’avoir et du faire échappe à l’ordre de la domination violente et arbitraire, tant ils paraissent liés ?

Eddy Mazembo Mavungu reprend le chemin de La crise du Muntu pour tenter de capter la réponse d’Eboussi à ces questions. Il en sort édifié par le réalisme lucide d’Eboussi dans ses analyses qui mettent en relief les « facteurs [qui] concourent à l’avortement récurrent de cette volonté d’autonomie […] notamment la complexité des rapports entre le Muntu et l’Occident, la puissance matérielle du dominateur, « la colonisabilité itérative de l’affranchi-héritier, etc. »221.

Toutefois, ce lecteur d’Eboussi lui reproche son style, son audience cible, ses modèles et ses interlocuteurs qui, selon lui, font rentrer l’auteur dans l’école « europhile » ou « occidentalisante » qu’il combat, avec la toute-puissance de la raison. Mais le critique ne dit pas comment il pourrait en être autrement, et si l’on peut traiter des relations entre l’Africain et l’Européen sans utiliser la rationalité de l’un ou de l’autre ou, plutôt, des deux en même temps.

Notre critique revient sur les dénominations des activités pensantes de l’Africain :