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Chapitre 2 : L’éducation des enfants handicapés en France et au Japon: Quelle stratégie pour la

4. De l’analyse sociétale à la régulation intermédiaire

4.1 L’analyse sociétale : sortir de l’opposition entre local et universel

Pour Maurice, Sellier et Sylvestre (1982), l’opposition radicale entre approches cross-

national et cross-cultural ne peut mener qu’à une impasse. Ils proposent donc de développer

une troisième voie permettant de déplacer le problème en le considérant sous un autre angle. Il ne s’agit plus alors de considérer des phénomènes ou des objets particuliers, mais des ensembles de phénomènes dont les interactions forment des espaces sociétaux cohérents. Cette posture, qualifiée d’analyse sociétale, doit permettre de rendre compte de la spécificité de chaque pays, sans opposer des catégories terme à terme mais en leur faisant prendre sens dans un espace plus vaste. L’étude de Maurice, Sellier et Silvestre vise à comparer les liens qui unissent monde éducatif et monde professionnel en France et en Allemagne et tente de mettre en évidence « des spécificités qui révèlent à leur tour du général, c’est-à-dire des

invariants qui sous-tendent les processus particuliers dont ils sont porteurs, tout en étant produits par eux » (p.348). Cette approche permet à la fois de résoudre le problème de

l’intégration des « facteurs culturels » à l’analyse comparative et d’expliquer les différences nationales par des éléments institutionnels structurant l’espace sociétal.

« Toute étude comparative du rapport salarial conduit à révéler l'existence de forces qui concourent largement et profondément à la structuration du salariat et qui ne sont pas réductibles à celles que les théories traditionnelles associent à l'universalité de ce rapport.

L'importance accordée à de telles forces et l'accent mis sur leur étude systématique conduisent alors à voir dans les différences entre pays autre chose que l'expression résiduelle de contingences culturelles ou la cristallisation d'événements fortuits. Au contraire, ces différences - ces spécificités - se trouvent réinsérées au coeur d'une problématique qui touche à l'ensemble des structures sociales et économiques des pays

capitalistes développés. C'est à une telle problématique marquée par la combinaison, dans une formation sociale donnée, de forces hétérogènes, de par leur genèse et leur nature, que nous associons l'analyse sociétale qui apparaît ainsi à la fois comme une méthode d'investigation empirique et comme une orientation théorique. » (p.369)

Cependant, ce modèle a également fait l’objet de nombreuses critiques. Premièrement, on lui reproche de manquer de dynamisme temporel et de ne pas prendre en compte les possibilités d’évolution des systèmes décrits (Benoit-Guilbot, 1989 ; Lutz, 1991). Deuxièmement, l’analyse sociétale manque également d’un dynamisme spatial : Géhin et Méhaut (1993) mettent en avant l’incapacité de la comparaison par l’analyse sociétale à prendre en compte les interactions entre les sociétés étudiées, et donc à rendre compte des phénomènes de convergence. Troisièmement, l’analyse de Maurice, Sellier et Silvestre est critiquée sur certains de ses choix méthodologiques subjectifs et le choix des catégories d’analyse est remis en cause : par exemple, Géhin et Méhaut (1993) montrent par exemple que le choix de n’examiner que la formation professionnelle initiale amène à conclure, peut- être trop rapidement, à l’absence de lien avec les entreprises en France et à la supériorité du système dual allemand. Quatrièmement, Géhin et Méhaut mettent en lumière le fait que le va-et-vient entre niveaux micro- et macrosociologiques exclut de l’analyse les acteurs intermédiaires (les données de l’enquête portent sur un échantillon d’établissements industriels et sur des statistiques de niveau macro, sans prendre en considération l’existence possible d’autres acteurs).

Reynaud (1989) s’engage dans le débat en montrant les apports, pour celui-ci, de sa théorie de la régulation conjointe. Il suggère en effet de s’intéresser en premier lieu aux divergences entre les acteurs sociaux et aux compromis issus de leurs négociations dans des situations données, plutôt qu’à l’effet unifiant des institutions dont ils font partie. Il postule que le système social est produit par les acteurs selon un processus de rencontre entre des régulations différentes (régulation de contrôle, produite par l’institution, c’est-à-dire s’imposant du sommet vers la base, et régulation autonome, issue des ajustements spontanés entre les exécutants). La régulation conjointe, résultant de l’interaction entre ces deux niveaux, aboutit alors à la production de compromis variés, à des niveaux différents, qui peuvent être interdépendants. Dans cette perspective, Reynaud s’oppose à la théorie de l’effet sociétal en l’accusant de privilégier la régulation globale sur les régulations locales. Cependant, il peut alors être accusé à son tour de privilégier la régulation locale sur la régulation globale. C’est ainsi que le débat s’est engagé entre Reynaud et Maurice.

Labit et Thoemmes (2003) proposent de sortir de cette nouvelle impasse non pas en choisissant un angle de vue (local ou global) mais en s’attelant à définir avec précision ce qui est global et ce qui est local et comment s’effectue le passage de l’un à l’autre. Ils invoquent en particulier le concept de « régulation intermédiaire », dans laquelle l’émergence d’acteurs autres que les partenaires habituels de négociation permet de contourner une situation de blocage entre niveaux global et local (ils prennent ainsi l’exemple de l’adoption d’un accord sur la réduction du temps de travail chez Volkswagen en Allemagne, créant un précédent alors que les négociations syndicales-patronales à l’échelle de la branche automobile ne parvenaient pas à aboutir à un accord). Il s’agit donc à la fois d’une régulation conjointe (au sens de : fondée sur l’opposition entre des partenaires aux projets divergents) et d’un nouveau niveau de régulation permettant de produire des compromis là où l’articulation « traditionnelle » entre global et local ne parvient plus à créer des règles. Labit et Thoemmes mettent alors en lumière trois dilemmes qui s’imposent au chercheur comparatiste :

- Sur le caractère cumulatif des comparaisons : doit-on s’appuyer sur les « modèles nationaux» préalablement établis, qui permettent la cumulativité des savoirs et la généralisation, au risque de favoriser les stéréotypes ?

- Sur la tension entre permanence des structures et changement social : quel point de vue faut-il adopter, entre une focalisation sur les structures qui réduit l’action à des acteurs à un simple effet du système, et une réflexion centrée sur cette action au risque de négliger les effets de structure ? Comment articuler perspective du changement social et différences entre modèles à un moment donné ?

- Comment situer le regard, entre régulations globale et locale ?

Leur manière de poser autrement ces questions, en mettant en lumière l’existence d’acteurs intermédiaires, présente l’avantage de permettre de « dynamiser » les modèles, c’est-à-dire de prendre en compte les dimensions de changement social et de convergence internationale, deux dimensions particulièrement importantes pour notre étude. Cependant, au point de vue théorique, on peut s’interroger sur la définition des acteurs intermédiaires : comment définir strictement l’objet d’étude, si l’on doit prendre en compte tous les acteurs qui gravitent autour du champ étudié ? Comment circonscrire l’enquête aux acteurs pertinents pour les dimensions étudiées et ne pas étendre l’analyse à l’infini, à tous les acteurs prenant part d’une manière ou d’une autre au jeu social observé? La réponse à cette question se situe peut-être uniquement dans les choix subjectifs du chercheur construisant

son objet ; la littérature épistémologique et méthodologique ne semble en tout cas pas présenter de réponse opératoire.

4.2 Des acteurs révélateurs pour cette recherche : les écoles spécialisées en déficience

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