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Chapitre 1 : Penser le handicap en France et au Japon : Vers une épistémologie commune ?

2. Des enjeux communs dans des contextes socio-culturels différents

2.3 Après 1945, la construction des Etats-Providence

2.3.1 En France : la naissance du secteur médico-social

En France, la protection sociale se généralise peu à peu après 1945 avec la création de la sécurité sociale, de l’aide à la réinsertion professionnelle pour tous les « grands infirmes » (1949), des Commissions Départementales d’Orientation des Infirmes (1953) et des Centres d’Aide par le Travail (1954), et la définition de la qualité de travailleur handicapé (1957).

Sur tout le territoire se constitue une mosaïque d’établissements, de centres, d’équipements, à l’initiative d’associations dédiées aux personnes handicapées. Ces établissements formeront un secteur qui est une spécificité française : le secteur médico- social.

C’est également à cette période que s’enclenche un véritable basculement : « l’invention du handicap » (Ebersold, 1994). En effet, jusqu’à la fin des années 1950, le terme utilisé dans la législation est généralement celui « d’infirme » (qui, comme on l’a évoqué précédemment, ne recouvre qu’une faible proportion des infirmes civils). Entre les années 1950 et 1960 s’opère un renversement dans la manière de définir ceux qui deviendront les « personnes handicapées » : à la place d’une définition centrée en premier lieu sur les incapacités des personnes concernées émerge progressivement une conception de l’infirme comme « réadaptable », souffrant de désavantages qui peuvent être corrigés si l’on met en œuvre des moyens suffisant pour l’adapter à leur environnement. Ebersold (1994, p.28) écrit :

« […] La notion de handicap s’est constituée autour de nouvelles techniques de gestion

de la déficience, les techniques réadaptatives, renvoyant ainsi à l’émergence d’un nouveau mode de gestion de l’altérité. […]A travers la réadaptation, l’objet poursuivi consiste en effet à combler le déficit engendré par l’atteinte organique en développant les aptitudes que conserve l’individu malgré sa déficience afin de réunir les conditions favorisant l’acquisition des signes de la « normalité », notamment ceux procurés par l’exercice d’une activité professionnelle en remplacement du défaut.»

La politique publique du handicap n’est encadrée dans sa globalité qu’avec la Loi 75-534 du 30 juin 1975 d’orientation en faveur des personnes handicapées qui définit l’organisation de l’action publique à tous les niveaux : prévention et dépistage des handicaps, instauration de l’obligation d’éducation, soutien au maintien dans un cadre ordinaire de vie et de travail pour les adultes. Elle fait ainsi définitivement sortir la prise en charge du handicap des logiques de solidarité familiale et de charité pour le faire entrer dans une logique de solidarité nationale, c’est-à-dire d’intervention de l’Etat.

Cette loi consacre l’expression « personnes handicapées » en faisant dépendre toutes les prestations sociales liées à une infirmité d’une reconnaissance administrative en tant que « handicapé ». La reconnaissance du handicap est confiée à deux types de commissions : pour les enfants et jeunes jusqu’à 20 ans (Commissions Départementales de l’Education Spéciale) et pour les adultes à partir de 20 ans (Commission Technique d’Orientation et de Reclassement Professionnel). Dans les deux cas, il s’agit de structures départementales dépendant de l’Etat. Ainsi, le traitement social du handicap passe d’une logique médicale à une logique médico-administrative (Ebersold, 1994, pp.69-101). Ce changement sanctionne l’émergence « d’experts » du handicap : on assiste, depuis le début des années 70, à une apparition massive de nouvelles professions spécialisées. De cette manière, un « champ du handicap » s’est constitué progressivement, unifiant les différentes catégories de déficiences et se distinguant des champs de l’inadaptation sociale, de la maladie ou de la vieillesse.

La loi de 1975 marque également un nouveau glissement dans la conception du handicap : « si la rééducation est le principal référent utilisé par le législateur en 1957 dans

son approche du traitement social de la déficience, près de 25 ans plus tard, le travail de délimitation du champ du handicap repose en premier lieu sur le risque d’exclusion auquel se trouve confrontés les « handicapés » » (Ebersold, 1994, p.149). Elle marque ainsi la

première étape d’une approche politique du handicap moins centrée sur les causes de celui- ci que sur les risques sociaux qui lui sont associés (chômage, pauvreté, difficultés à mener une vie sociale) et orientée vers un objectif d’insertion. L’année 1978, au cours de laquelle

sont publiés les principaux décrets d’application de la loi marque le passage à une politique d’intégration des personnes handicapées dans la société, notamment au niveau scolaire.

A partir des années 1980, les lois qui se succèdent visent à favoriser la participation des personnes handicapées à la vie sociale : accessibilité des transports, des bureaux de vote, développement de l’intégration scolaire (voir chapitre 2).

Les politiques d’intégration ne sont toutefois pas sans lien avec une vision normalisatrice du handicap qui ne diffère pas fondamentalement de celle de la réadaptation, une vision dans laquelle la personne handicapée, par la force de sa volonté, parviendrait à réaliser les mêmes actions que les valides. Ebersold (1994, p.201) écrit :

« Les techniques de normalisation […] situent la personnalité du « handicapé » en leur centre, puisent leur efficacité dans l’inculcation d’un savoir-être. Celui-ci s’inscrit sans doute dans un processus de socialisation destiné à amener la personne à intérioriser les règles régissant « l’acceptation fantôme » qui préside à la tolérance des normaux vis-à-vis des stigmatisés et, ce faisant, à intérioriser la position qu’elle occupe au sein de la structure sociale. Mais la centralité de ce savoir-être est aussi, et peut-être surtout, révélatrice du travail de moralisation et de normalisation de l’individu sous-jacent à la démarche réadaptative qui, sous le couvert thérapeutique d’une lutte contre les conséquences psychologiques de la déficience, a pour objet de l’orienter vers « l’acceptation dynamique de son handicap », c’est-à-dire vers l’acceptation de son « rôle de handicap » où prédomine la nécessité de faire preuve de sa volonté d’intégration et de s’en donner les moyens ».

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