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L’évolution des sens attribués à l’eau par le changement temporel

Chapitre 4 : La production et la distribution de l’eau courante

5.2. L’eau courante, une évolution importante dans l’usage de l’eau en ville

5.2.1. L’évolution des sens attribués à l’eau à travers les changements géographique et

5.2.1.2. L’évolution des sens attribués à l’eau par le changement temporel

Les sens attribués à l’eau ont également évolué selon ce que nous avons appelé « le changement temporel ». En effet, certains concepts ont évolué en fonction des générations. Pour certains, l’eau courante qui est proposée à l’heure actuelle, n’est plus la même eau que celle qu’ils avaient pu connaître personnellement. Pour nos interviewés âgés de plus de cinquante ans, qui vivent en ville et qui consommaient déjà de l’eau courante dans leur enfance, ils étaient moins « pointilleux » dans leur enfance. Ces personnes avaient déjà

197 YANG Xiaomin, 2006 - La fonction sociale des restaurants en Chine, l’Harmattan, page 60 : « d’après la

médecine chinoise, le corps humain est fortement influencé par l’environnement. L’objectif central de cette médecine est d’établir une harmonie entre le corps humain et son environnement. C’est-à-dire la terre, l’eau et le climat. »

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l’habitude de boire de « l’eau bouillie », à leur domicile, quand ils étaient jeunes. En effet, une interviewée cantonaise de 53 ans se souvient, que, dans sa jeunesse :

« On avait cette habitude… en général on buvait de l’eau bouillie qui était bouillie par une bouilloire. On mettait de l’eau bouillante dans le thermos, comme ça, quand on en avait besoin, on avait directement de l’eau chaude. Mais quand on avait besoin d’eau froide, on attendait que l’eau soit devenue froide (dans la bouilloire), pour la mettre dans une bouteille en verre, et on avait de l’eau froide […] mon mari est cantonais aussi, il avait aussi cette habitude. Généralement, les Cantonais boivent rarement de l’eau courante directement (sans la faire bouillir) ». (N°21 Femme 53 ans, employée,

Guangzhou, 2013)

Néanmoins, cette habitude de boire de « l’eau bouillie », ne les n'empêchait pas de boire de « l’eau crue » en-dehors de leur domicile :

« Généralement, l’eau qu’on boit est toujours de l’eau bouillie. Sauf quand j’étais petite à l’école, on ne ramenait pas de l’eau à l’école. Du coup, on buvait de l’eau courante directement au robinet ». (N°21 Femme 53 ans, employée, Guangzhou, 2013)

Par cet exemple, nous avons appris trois éléments particulièrement importants : dans un premier temps, les personnes que nous avons interviewées avaient déjà l’habitude de boire de « l’eau bouillie », qu’elle soit chaude, ou bien refroidie, et ce, depuis au moins quarante ans. Il s’agit donc d’une pratique plutôt bien ancrée. Deuxième constat, boire de l’eau courante « crue » pouvait survenir, notamment hors du domicile, sans que cela ne prenne une forme dramatique. Enfin, l’exemple de cette interviewée nous montre une série d’actions importantes dans la vie quotidienne des habitants Cantonais: récupérer et faire bouillir de l’eau courante par l’objet de la bouilloire, stocker de « l’eau bouillie » dans un thermos pour avoir de l’eau chaude disponible dès que l’on le souhaite, ou stoker et refroidir « l’eau bouillie » dans un autre récipient, pour avoir de « l’eau bouillie » refroidie (凉开水 Liáng kāishuǐ).

Or, dans notre enquête, nous avons pu mettre en exergue que ces comportements sont toujours très importants dans le quotidien des personnes que nous avons interrogées à Guangzhou, pour avoir de l’eau potable dans l’espace domestique. De plus, nous avons pu faire le même constat pour les interviewés situés au nord (Beijing), à l’ouest (Shanghai et

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Hangzhou), au sud (Guangzhou) et à l’est (Chengdu). Il semblerait donc que ce soit des pratiques culturelles, intégrées au quotidien des Chinois.

Toutefois, pour la génération suivante, à savoir les personnes que nous avons interviewées nées après les années 1970, le sens de « l’eau crue » a changé. En effet, « l’eau crue » est devenue, dans leurs perceptions, une eau qui n’est dorénavant plus suffisamment saine, et pouvant être dangereuse pour la santé. Les individus de cette génération ne sont plus comme leurs parents ; ils ne pensent plus que l’eau courante « crue » peut être bue directement sans encourir de risques :

« Pour boire de l’eau courante, il faut la faire bouillir, je ne la bois pas directement, même de l’eau courante filtrée ! […] c’est comme ça depuis mon enfance, chez-moi, on a cette habitude. » (N°20 Femme 30 ans, banquière, Guangzhou, 2013)

« Depuis que je suis petit, je pense que l’eau courante crue ne peut pas être bue directement (sans être bouillie) […] j’ai rarement eu des occasions de boire de l’eau courante crue, car, depuis mon enfance, mes parents m’ont éduqué (en me disant) qu’il ne fallait pas boire de l’eau crue, ça pouvait provoquer de la diarrhée. Peut-être que c’était pour me faire peur... » (N°22 Homme 34 ans, employé, Guangzhou, 2013)

« L’eau courante, il fallait la faire bouillir avant de la boire, même dans mon ancienne ville. Il faut la faire bouillir. Les ainés disent toujours qu’il ne faut pas boire de l’eau crue. Boire de l’eau crue, ça peut donner de la diarrhée. Je ne sais pas pourquoi, mais je fais toujours bouillir de l’eau courante. » (N°23 Femme 33 ans,

femme au foyer, Guangzhou, 2013)

« Ma mère et ma tante pensent qu’il faut faire bouillir de l’eau pour boire… que ce soit de l’eau courante, y compris de l’eau de la fontaine d’eau. Elles pensent que l’eau crue n’est pas propre. » (N°24 Femme 21 ans, étudiante, Guangzhou, 2013)

Pour cette génération, l’habitude de boire de « l’eau bouillie » est inculquée par l’éducation familiale. D’ailleurs, leurs parents (ainsi que leurs grands-parents) les aident à garder et à conserver cette habitude, en évitant les occasions de boire de l’eau crue :

« On buvait de l’eau courante directement au robinet (à l’école) à l’époque […] mais plus maintenant. Quand ma fille était petite (sa fille est née en 1983), je lui préparais une gourde d’eau tous les jours, quand elle allait à l’école […] c’est une gourde en

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plastique, je la nettoyais tous les soirs, le lendemain je mettais de l’eau bouillie refroidie à l’intérieur pour qu’elle l’apporte à l’école. » (N°21 Femme 53 ans,

employée, Guangzhou, 2013)

« J’ai éduqué mon enfant à ne pas boire de l’eau crue. À l’époque, les maîtres d’école et les parents éduquaient les enfants comme ça. J’ai bu de l’eau crue quand j’étais jeune […] mais bon l’eau crue n’est pas saine et pas propre, je pense. Les enfants d’aujourd’hui, ils ne boiront jamais de l’eau crue. Mon fils, il n’en a jamais bue. Les enfants savent que leurs parents vont mettre de l’eau déjà préparée (eau bouillie refroidie) pour qu’ils la boivent. » (N°25 Femme 58 ans, retraitée, Guangzhou, 2013)

« Aujourd’hui, plus personne ne boit de l’eau crue. J’ai jamais vu (en Chine quelqu’un le faire198) de toute façon. Les enfants jouent en bas de l’immeuble, je ne les

ai jamais vus boire de l’eau crue, ils ont tous des petites gourdes avec eux. » (N°25

Femme 58 ans, retraitée, Guangzhou, 2013)

Nous pouvons constater que la distinction est forte entre « l’eau bouillie » et « l’eau crue ». Pour nos interviewés, « l’eau crue » qui provient du robinet est perçue comme une eau qui n’est pas traitée, pas saine, pas propre et non potable. Ces sens sont dus à plusieurs facteurs. L’un des principaux facteurs est l’évolution de la pollution de l’environnement, et plus précisément de l’eau, nettement plus visible à l’heure actuelle qu’à l’époque des années 1950, ce qui provoque appréhension, crainte et parfois angoisse chez les individus interrogés :

« Quand j’étais petite, je n’étais pas pointilleuse, j’ai déjà bu de l’eau courante crue sous le robinet. Mais à l’époque, l’eau était encore propre. Aujourd’hui, l’eau est sale. Vous pouvez voir qu’il y a de la pollution partout. » (N°21 Femme 53 ans, employée,

Guangzhou, 2013)

« Je doute, bien sûr, de la qualité de l’eau courante… quand je vois qu’il y a de la pollution partout, notre eau courante ne peut surement pas y échapper. » (N°21

Femme 53 ans, employée, Guangzhou, 2013)

Ce n’est pas seulement la pollution de l’eau qui provoque des doutes et de la suspicion, certains ne font ainsi pas confiance aux normes attachées à l’eau courante. En effet, certains

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Il convient de noter que son fils travaille en Australie, où elle a déjà vu des étrangers boire de « l’eau crue », mais, selon elle, leur l’eau courante peut être bue directement.

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pensent que leur eau courante n’atteint pas les normes réglementaires, si bien que l’eau courante ne serait pas l’équivalente à « l’eau potable », et serait plus dégradée :

« Non, je ne bois pas de l’eau courante directement, il faut la faire bouillir. […] Nous, les Chinois, nous avons l’habitude de faire bouillir l’eau crue. […] il doit y avoir une différence de normes entre l’eau potable et l’eau courante. » (N°16 Femme 52 ans,

cadre, Guangzhou, 2013)

« On boit aussi de l’eau courante. […] il faut la faire bouillir. […] De la boire directement ? Ça serait difficile. Car elle n’est pas pure […] je ne pense pas qu’elle atteint les normes (requises)… » (N°3 Femme 37 ans, employée, Guangzhou, 2012)

Sans évoquer les normes de l’eau courante, rappelons-nous que, jusqu’à 2009, la qualité de l’eau courante ne répondait pas aux critères établis, et était toujours perçue comme inquiétante. Faire bouillir de l’eau est donc une technique pour traiter l’eau courante, et la rendre « moins inquiétante ». De plus, le fait de faire bouillir l’eau courante se justifie également à cause d’une méfiance quant à la gestion de l’eau. Cette méfiance peut ainsi concerner les secteurs publics, et leurs liens avec le gouvernement, qui mettraient à mal leur « indépendance » :

« Aujourd’hui, je ne bois de l’eau courante qu’après l’avoir faite bouillir. […] je trouve que… je n’ai pas suffisamment confiance dans le secteur de la surveillance (chargé de l’eau courante). […] si le secteur de la surveillance était un secteur indépendant, qui ne dépendait pas du gouvernement, et qui était en-dehors du système, je le croirais. […] Si les dirigeants ne veulent pas publier les problèmes liés à l’eau courante, on ne peut pas le savoir. […] Peut-être que l’eau atteint toutes les normes, mais je la fais bouillir quand même, ça me rassure. » (N°1 Homme 50 ans, employé,

Guangzhou, 2012)

Certains ont davantage confiance en le contrôle qui est fait de l’eau, et notamment par la garantie faite par le gouvernement de respecter les normes. Toutefois, cela ne signifie pas que l’eau courante échappe pour autant à la pollution dite « secondaire », notamment la pollution des canalisations, avant d’arriver à leur domicile :

« Ce n’est plus le problème de la source de l’eau courante. L’ancien secrétaire général du gouvernement de la Province de Canton avait promis que l’eau courante qui sortait de l’entreprise (chargée) de l’eau courante avait absolument atteint les

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standards. Mais pourquoi alors il existe encore de l’eau qui a une odeur désagréable, des impuretés, des vers rouges… C’est la « pollution secondaire » (二次污染 Èr cì wūrǎn) » (N°30 Homme 65 ans, retraité, Guangzhou, 2014)

La « pollution secondaire », pouvant provenir de la gestion de l’eau, concerne ainsi le secteur privé, comme le service de gestion d’immeuble.

Ainsi, la pollution visible dans les rivières ainsi que la gestion plus imprévisible de la distribution de l’eau au sein de la résidence, créent une méfiance des habitants quant à leur consommation de cette eau, à leur domicile. Méfiance qui suscite de nombreux doutes et interrogations avant de consommer cette eau. A l’inverse de « l’eau crue », qui ne subit donc aucun « traitement » par l’habitant, faire bouillir de l’eau est une manière de traiter visuellement l’eau, sous ses yeux, puisque la température atteint 100°C, gage de suppression des microbes et autres bactéries que l’on ne peut pas voir, toujours selon les interviewés. Faire bouillir de l’eau est donc un processus de stérilisation (消毒 Xiāodú199

), pour stériliser « l’eau crue », et avoir la preuve visuelle que l’on a bien supprimé tous ces éléments invisibles qui nous effraient.

5.3. L’eau en bouteille : l’eau minérale ou l’eau purifiée, les nouvelles eaux commerciales

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