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L’adduction en eau du sud au nord (南水北调 Nánshuǐběidiào) : une solution conflictuelle

Chapitre 2. Le développement industriel et économique, en Chine, à l’origine de la « crise de l’eau »

2.3. L’adduction en eau du sud au nord (南水北调 Nánshuǐběidiào) : une solution conflictuelle

À la fin de l’année 2013, les premières phases dans la réalisation des canaux centraux et orientaux ont permis une première distribution en eau. Cette distribution en eau étanche la soif du nord, notamment pour Beijing et Tianjin. De plus, dans une certaine mesure, nous pouvons voir émerger plusieurs avantages à la réalisation de ces travaux. Ils permettent ainsi d’apaiser d’une façon quasi immédiate, les tensions et la pression liées à l’eau dans la capitale de Chine et Tianjin, ainsi que dans certaines régions du Nord : « Ceci va soumettre la crise

écologique de l’eau du Nord et améliorer l’environnement écologique petit à petit. »88

Pour garantir la qualité de l’eau durant tout le processus de cette adduction, la protection de l’environnement naturel, aux abords des canaux et des réservoirs, ainsi que le traitement des eaux usées évacuées dans le fleuve du Yangtsé, ont été mises en place et sont devenues obligatoires. C’est ainsi ce que soulignait TAO Yinquan dans le Quotidien de l’ouvrier (2013) : « Il faut transformer la structure économique, mettre à jour les technologies de

production des sociétés, fermer, déplacer les sociétés polluées des abords des canaux. Annuler le privilège de l’évacuation. ». Dès lors, il semble que l’adduction en eau du sud au

nord a accéléré le processus de protection de l’environnement et a amorcé une prise en considération de la gestion des eaux usées en Chine.

Toutefois, des problèmes non négligeables ont été mis à jour autour de ces travaux. Ces- derniers font ainsi émerger des doutes et des incertitudes sur l’efficacité des travaux de l’adduction, qui ont cependant déjà coûté très cher. En opposition avec les objectifs souhaités et les avantages initiaux des travaux de l’adduction, des risques écologiques incontrôlables

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NAN Yan, 14/01/14 – « La situation gênante du canal oriental, le prix élevé de l’eau du fleuve Yangsté embête les villes ». China economic weekly

88 TAO Yinquan, 05/01/13 - Une offre d’eau dans la vie pour un milliard de personnes — la synthèse de dix ans

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perdurent. Ainsi, certains experts chinois s’inquiètent particulièrement des effets des travaux sur le long terme, ce qui « pourra peut-être détruire l’écologie des rivières du Sud ». 89

Il y a également des facteurs sociaux qui pourront potentiellement nuire aux bénéfices souhaités des travaux entrepris. La pollution imprévisible peut rajouter un risque supplémentaire. Le commencement des travaux de l’adduction en eau, du sud au nord du pays, eut lieu en 2002. A cette époque, la Chine n’avait pas la même « puissance » aux niveaux économique et industriel qu’à l’heure actuelle.90

Or, comme le met en exergue LIAO Yuxian, en consacrant un article à ZHANG Jiyao, ancien directeur du bureau de l’adduction du sud au nord du pays : « Avant, on n’avait pas beaucoup réfléchi sur le traitement des eaux polluées.

Par exemple, le canal oriental traverse plusieurs rivières des provinces du Shandong et du Jiangsu, et leur qualité d’eau d’origine n’était déjà pas bonne. Ces dernières années, ces régions se sont développées très rapidement, ce qui aggrave encore la pollution. »91. Or, « Si

la qualité de l’eau devient très mauvaise ou on pollue le canal à cause d’une mauvaise gestion, les efforts antérieurs des travaux d’adduction de l’eau du Sud au Nord auront été vains… on est face à un grand défi pour la qualité de l’eau, notre objectif est de transporter de l’eau qualifiée au Nord, mais pas de l’eau polluée. »

En outre, la situation actuelle entraine une augmentation, petit à petit, du coût des travaux en nuisant à la fonction du canal, à cause de la pollution : « Les surveillants ont

constaté que l’eau apportée à Tianjin du Yangtsé par le grand canal est tellement polluée, qu’il faut construire 426 stations d’épuration ; le contrôle de la pollution de l’eau sur la route absorbe 44 % de l’investissement des 5 milliards de dollars. »92. Nous trouvons ici la contradiction centrale entre le besoin d’une croissance économique qui demande une croissance industrielle, mais cette croissance industrielle entraîne de la pollution, qui menace la ressource nécessaire à cette même production industrielle et au développement de la Chine. La gestion de l’eau aux abords des canaux n’est pas adaptée, et les accidents de pollution entrainent, dès lors, une incertitude sur la qualité de l’eau provenant des travaux d’adduction, comme le mettent en évidence des rapports de journaux sur un accident entrainant la pollution de la rivière Fu (府河 Fǔ hé), de la province du Hubei, à la catastrophe

89

WONG Edward, 01/06/11 – “Plan for China’s Water Crisis Spurs Concern”, The New York Times

90

Voir le tableau 5, page 40

91

LIAO Yuxian, 24/10/13 – « ZHANG Jiyao, l’ancien directeur du bureau de l’adduction du sud au nord : la plus grande difficulté de l’adduction du sud au nord est l’ajustement des intérêts », Southern Weekend

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écologique de grande ampleur, mise en lumière par Neil Gough (2013): « Des milliers de

poissons morts, flottant sur un tronçon de 19 miles d’une rivière dans la province du Hubei dans le centre de la Chine ont été tués par des polluants émis par une usine chimique locale... La rivière Fu coule dans le fleuve Yangtsé, la plus longue rivière de Chine et est la source d’eau potable pour des millions de personnes [...] Bien qu’il y ait un grand volume d’eau, 40 % des eaux usées de Chine sont jetées dans ce fleuve. Nous nous soucions de la santé de cette rivière et de la qualité de son eau. »93

Photographie 1 : pollution a tué les boissons dans la rivière Fu

Un ouvrier de Wuhan (武汉 Wǔhàn), en Chine, en train de retirer des poissons morts de la rivière Fu. Selon les contrôles effectués, les niveaux d’ammoniac dans la rivière sont extrêmement élevés, à cause des déversements d’une usine chimique en aval. (Photo extraite de l’article de de Neil Gough, 04/09/13 – “Pollutants From Plant Killed Fish in China”, The New York Times)

En effet, la sècheresse est de plus en plus fréquente en Chine, y compris dans les endroits qui en sont normalement préservés, et qui bénéficient d’un climat plus humide, comme dans le delta du fleuve Yangtsé et de la rivière des Perles. La sècheresse du Sud devient de plus en plus importante: « je n’ai jamais vu le fond du lac Dongting94

, tout ne ressemble pas à la réalité. — la pêcheuse dit […] il faut lancer l’alarme si le fleuve Yangtsé

93

GOUGH Neil, 04/09/13 – “Pollutants From Plant Killed Fish in China”, New York Times

94 Le lac Dongting (洞庭湖 Dòngtíng hú) est le premier grand lac de la Chine, situé dans la province du Hunan.

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était face à la sècheresse. »95. De plus, la pollution actuelle de l’eau en Chine est toujours

particulièrement inquiétante. Ainsi, le deuxième plus grand fleuve de la Chine, la rivière Jaune, où la civilisation chinoise s’est développée, et qui est donc le berceau de ses origines, « est tellement polluée, qu’elle ne peut presque plus offrir de l’eau potable »96

. De même, la situation du fleuve Yangtsé n’est guère plus favorable, à cause de la pollution et de la sècheresse.

Ainsi, à l’heure actuelle, l’adduction du sud au nord semble bénéficier à de nombreuses régions situées du nord du pays, notamment à Beijing. Toutefois, cela ne signifie pas que toutes les villes concernées par la distribution de l’eau, en ont un besoin nécessaire. En revanche, l’adduction en eau peut se révéler être une gêne pour certaines villes. Pour répondre aux attentes et besoins de Pékin et Tianjin, certaines villes, qui sont traversées par les canaux, doivent « payer l’addition » : « Le prix de l’eau venant du fleuve Yangtsé est

beaucoup plus cher que l’eau locale, il n’y a que cinq villes sur treize de la province du Shandong qui ont besoin de cette eau […] les provinces du Shandong et du Jiangsu doivent payer plus de 100 millions RMB chaque année pour l’eau, qu’ils n’utilisent même pas »97

. Ces villes doivent ainsi verser des intérêts, à cause de ces travaux nationaux, aux zones plus importantes par rapport à leur puissance de politique, économique et démographique; Il existe donc un rapport de force politique, créé par cette situation.

Or, ce ne sont pas seulement les villes qui n’ont pas besoin de cette eau issue du processus de l’adduction, et se situant sur la ligne des canaux, qui doivent faire des concessions. En effet, certaines régions doivent également payer le prix fort, en devant sacrifier leur développement régional pour protéger les sources d’eau de certains réservoirs principaux. Ces endroits n’ont ainsi plus le droit de développer leur industrie, et pourtant, il s’agit d’endroits peu développés, nécessitant des investissements conséquents pour lutter contre la misère qui s’y trouve. A titre d’exemple, nombreux sont les districts de Shaanxi (陕 西Shǎnxī) se trouvant dans une grande pauvreté. Les gouvernements locaux de ces endroits ont ainsi de grandes difficultés à gérer la faiblesse de leurs revenus et à conjuguer les dépenses publiques nécessaires pour les retraites, l’éducation et les services publics98

. De plus,

95

ZHENG Yujun, 10/06/11 - « La crise de l’eau va déterminer la prospérité de la Chine ? » Elite Reference

96 ZHENG Yujun, 10/06/11 - Ibidem 97

NAN Yan, 22/10/13 – « Pékin manque 1,1 Milliard mᶾ d’eaux par an, l’eau souterraine explorée est dans un

état gravement surchargé en Chine », Economic weekly

98 WANG Shuai, 16/12/2009- « Comment peut-on transformer le financier du « froid » en « chaud » », Le

Chapitre 2. Le développement industriel et économique, en Chine, à l’origine de la « crise de l’eau »

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comme le souligne CHEN Shengqiang (2010) : « la zone de protection de l’eau de

l’adduction se situe au sud de Shaangxi, et, pour protéger ces eaux, on l’oblige à abandonner le développement de certaines industries intéressantes… Ceci limite le développement du sud de Shaangxi. Ces régions ont payé cher pour l’adduction. »99. L’inégalité du développement

du pays est un problème social connu. A l’heure actuelle, les travaux pour conserver le développement et la stabilité des principales régions chinoises aggravent davantage ces inégalités. La compensation écologique, pour ces zones protégées par l’État, semble être alors la seule solution, mais, selon LIU Guanlin (2014), « elle ne suffit pas du tout »100

.

Ainsi, la Chine a de plus en plus besoin de ressources en eau et la « crise de l’eau » apparaît de plus en plus prégnante. En parallèle de cette situation, une tension internationale se discerne. En effet, le plan d’adduction en eau de la Chine inquiète ses voisins. Car l’objectif de construction de ce canal est bien de redistribuer des sources d’eau issues du Tibet. Certes, les travaux du canal occidental sont toujours suspendus, mais ce canal est l’un des plus grands facteurs d’incertitude quant à la stabilité internationale entre la Chine et ses voisins comme l’Inde, le Viêtnam, le Laos, etc., qui se trouvent en aval des fleuves venant de l’Himalaya101

.

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