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L’évolution de l’angoisse

Dans le document Différences des sexes et des générations (Page 100-107)

Partie 2 : Les trois figures d’autorité

2. Les mécanismes psychiques à la base de l’autorité

2.1 L’angoisse : origine de l’autorité

2.1.3 L’évolution de l’angoisse

2.1.3.1 Deux origines pulsionnelles: l’autoconservation, la conservation de l’espèce

Selon Freud, l’angoisse naîtrait de deux sources, plus précisément de deux pulsions principales, issues de deux grands besoins : la faim et l’amour, la pulsion étant le besoin de l’humain privé de sa programmation instinctive qui lui permettrait de le satisfaire lui-même. Ainsi une personne expérimentée est nécessaire pour apprendre comment faire pour se satisfaire. Freud introduit un décalage entre la satisfaction du besoin et celle de la pulsion, qu’il explique à partir de la notion d’étayage, basée sur une hiérarchie des phénomènes : la satisfaction de la pulsion a lieu en s’appuyant sur celle du besoin mais ne se confond pour autant pas avec cette dernière. Or, il semble qu’il y ait une préséance du symbolique sur le besoin qui permet la satisfaction du besoin.

La première pulsion concerne l’autoconservation de l’individu et la seconde la conservation de l’espèce. La pulsion d’autoconservation n’est pas considérée comme une pulsion sexuelle. Elle concerne le besoin primordial du bébé d’être nourri, autant au sens physiologique qu’au sens psychique. Elle correspond en quelque sorte aux différents besoins qu’engendre l’immaturité du bébé. Bien que présentes toutes les deux dès le début de la vie, nous pouvons penser que la pulsion d’autoconservation est surtout prégnante au début de la vie par rapport à la pulsion de conservation de l’espèce, pulsion libidinale, qui s’exprimera de façon plus manifeste ultérieurement, quand l’enfant aura atteint un degré de dépendance moindre et qu’il sera psychiquement structuré à minima. Nous remarquons ici une première distinction dans les étapes de la construction de l’individu, étapes qui vont nécessiter des aides de natures différentes : des fonctions parentales différentes.

Avec les « lunettes de l’autorité », la lecture de la pulsion d’autoconservation renvoie directement au terme augere, puisqu’il s’agit pour le néotène d’être en présence quelqu’un qui lui permettra de répondre à cette détresse, qui a pour lui un caractère vital. La pulsion de conservation de l’espèce, elle, renvoie au terme d’auctor, qui mettra l’enfant en situation de désaide également, et qui nécessitera une réponse spécifique de nature différente. Nous voyons là se dessiner les prémisses d’un partage des taches pour les parents, puisque, dans notre société, à la fonction maternelle incombera la responsabilité des soins primaires, et à la fonction paternelle la responsabilité d’expliquer les modalités qui permettent la perpétuation de l’espèce. Or nous avons vu que le danger pulsionnel se révèle être une condition et une préparation à une situation de danger externe, réelle, qui déclenche le signal d’alerte sous la forme d’angoisse. Mais la provenance de l’énergie inutilisée, ou libérée par le retrait de l’investissement lors du refoulement, est peu significative.

Nous allons étudier maintenant comment l’origine des pulsions, tout en étant source d’angoisse, importe peu dans le mécanisme de l’angoisse.

2.1.3.2 Deux mécanismes d’apparition de l’angoisse

Des deux sortes de pulsions décrites, se distinguent une angoisse du Moi, narcissique, et une angoisse du Ça, libidinale, celle du Moi travaillant avec de l’énergie désexualisée. Deux cas de figure se différencient. Dans le premier, la situation analogue au trauma de la naissance s’instaure dans le Ça, et la réaction d’angoisse est alors automatique, c’est l’angoisse du Ça. Dans le second, il se produit dans le Ça quelque chose qui active pour le Moi une des situations de danger et l’amène à donner le signal d’angoisse en vue d’une inhibition, ce second cas étant dérivé de certaines conditions du premier.

Ainsi le Moi apparaît comme le lieu privilégié de l’angoisse : l’angoisse est la réaction du Moi face au danger. Il s’agit pour lui d’anticiper la détresse pour déclencher le signal d’angoisse, dans une sorte d’appel du Moi au Moi : il éveille l’automatisme de plaisir-déplaisir par le signal d’angoisse. Le Moi a donc une fonction dans le cadre de l’angoisse, celle de signal d‘alerte, il « fabrique » de l’angoisse. Le fait est que le Ça, inorganisé, ne peut avoir de l’angoisse en tant que telle puisqu’il ne peut juger de la dangerosité d’une situation. Donc si le Moi est le lieu du signal, ce n’est pas donc pas pour le Moi que le signal est donné. Le signal s’allume en quelque sorte au niveau du Moi pour que le sujet soit averti de quelque chose concernant un désir, c’est-à-dire d’une demande qui ne concerne aucun besoin. Ainsi le signal ne concerne rien d’autre que l’être même tout en le mettant en question.

2.1.3.3 Deux sortes d’angoisse

Freud, à la suite des distinctions précédentes, entre les deux origines pulsionnelles provocatrices d’angoisse et les deux mécanismes d’apparition de l’angoisse, est amené à en faire une troisième qui sépare l’angoisse en deux sortes : une première qui est une angoisse réelle, ou « angoisse-traumatique », qui provient d’un danger externe et connu. Pour ainsi dire, la détresse est matérielle, d’où ses aspects physiologiques. Il s’agit donc d’un phénomène automatique entraînant deux réactions successives au danger réel qui sont l’éruption d’angoisse (affect) d’une part, puis la protection (action) d’autre part. Cette angoisse apparaît quand la situation traumatisante s’établi dans le Ça, c’est-à-dire que l’utilisation psychique et la décharge ne peuvent parvenir à maîtriser le surplus de quantité d’excitation, d’où l’impression d’impuissance dans ce cas là. Elle serait la première angoisse historiquement ressentie par le bébé, l’expérience de la naissance. Et Freud remarque à son propos qu’il s’agit de la première séparation réelle d’avec la mère.

La seconde angoisse est une angoisse névrotique, ou « angoisse-signal », qui elle, provient d’un danger interne et inconnu. Signal de détresse et non plus automatisme, elle nécessite une prévision. Elle ne peut être ressentie que par le Moi. Dans ce cas, la notion d’attente devient prégnante. La détresse est ici psychique, s’agissant d’un danger de pulsion.

L’angoisse névrotique revêt un caractère plus élaboré, elle est une angoisse secondaire en ce qu’elle procède de deux déplacements : un premier déplacement de la détresse, qui, de biologique, devient psychique, alors ressentie par le Moi. Le second déplacement résulte du premier : l’angoisse face au danger lui-même devient angoisse que l’objet extérieur, qui protège contre le dit danger, ne soit pas là. Ainsi la crainte de perdre la mère résulte d’un déplacement.

Enfin, dans le chapitre « La Décomposition de la Personnalité Psychique » (1933), Freud

ajoutera un troisième type d’angoisse, divisant l’angoisse névrotique en deux catégories. Il y aurait au final une angoisse de réel devant le monde extérieur, une angoisse névrotique de conscience morale devant le Surmoi, et une angoisse névrotique devant la force des pulsions du Ça.

Ces distinctions et catégorisations mettent en relief que le danger interne est ressenti en premier par l’individu mais qu’il n’est pas le point de départ. Le fait que la satisfaction de la pulsion engendrerait un danger externe a pour conséquence de transformer cette pulsion initiale en danger interne. Parallèlement, il faut que le danger externe puisse être intériorisé pour pouvoir devenir significatif pour le Moi, c’est-à-dire pour être reconnu comme situation de détresse. La situation économique est au final la même : les deux formes d’angoisse proviennent de la perturbation économique consécutive à l’accroissement des quantités d’excitation qui exigent d’être liquidées. La revendication pulsionnelle est aussi réelle dans une certaine mesure, et, alors que l’angoisse névrotique a un fondement réel elle aussi, dans la névrose le Moi se défend aussi bien contre le danger pulsionnel que contre le danger réel externe.

Ce qui nous intéresse surtout est l’angoisse névrotique secondaire, en tant qu’elle est liée à la présence ou non de la mère, ce qui appartient au domaine de l’introjection de l’objet : l’enfant n’a plus peur du danger lui-même, mais de perdre l’arme avec laquelle il peut lutter contre ce danger, c’est-à-dire qu’il a peur de perdre l’objet pare-excitateur qu’est la mère.

C’est à cette idée que je voulais aboutir en développant la théorie freudienne de l’angoisse. Mon propos était de mettre en relief ce déplacement de l’angoisse d’un niveau économique, pour mettre l’accent sur l’élément qui sert à lutter contre cette angoisse, ce qui donne à celle-ci un caractère évolutif, directement en lien avec le degré de maturation

de l’enfant, c’est-à-dire en lien avec son rapport à l’objet a.

2.1.3.4 L’angoisse, un circuit évolutif

« Le danger du désaide psychique correspond dans la vie à l’époque de l’immaturité du moi, comme le danger de la perte d’objet à l’absence d’autonomie des premières années d’enfance, le danger de la castration à la phase phallique, l’angoisse de surmoi à la période de latence. »

(S. Freud, 1925, 1992, p 55).

La théorie de l’angoisse de Freud, éclairée par les apports de Lacan, met très bien en relief le fait qu’il existe différentes situations de danger, et que celles-ci correspondent chacune à une phase relationnelle à l’objet, un moment structurel du développement de l’enfant : la naissance, la perte de l’objet (objet-mère principalement), la peur du père et la peur du Surmoi, la castration. Il y a une véritable évolution de l’angoisse tout au long de la construction psychique du sujet. L’angoisse mute en quelque sorte, notamment à la suite des déplacements que nous avons observés :

- la première angoisse est celle des perceptions, angoisse ressentie à la naissance ; il n’y a pas encore d’objet pare-excitateur dont on puisse ressentir l’absence,

- la seconde angoisse est la perte de l’objet, qui vient des situations répétées de satisfaction provoquées par la mère qui est alors créée comme objet pare-excitateur, d’où l’investissement du bébé,

- la troisième est la perte d’amour, l’objet n’est plus partiel ; maintenant l’angoisse est ressentie en l’absence de la personne pour qui on éprouve de l’amour.

Il est évidemment entendu que toutes ces situations d’angoisse peuvent persister

côte-à-En résumé, du déplacement de l’angoisse de la situation économique sur l’objet pare-excitateur incarné par la personne qualifiée pour répondre à l’angoisse spécifique, il s’institue la base d’un lien relationnel entre l’enfant angoissé et le parent qui prend en charge cette angoisse. De plus, du fait que l’angoisse évolue en suivant la maturation de l’enfant, les réponses attendues de la part du pare-excitateur seront différentes. Ainsi, selon la situation de détresse dans laquelle l’enfant se trouve, un parent ou l’autre sera convoqué pour y répondre, dans une sorte de distribution de rôles qui tiendrait compte des qualités et facultés spécifiques de la mère et du père, c'est-à-dire des fonctions parentales.

Traduit en langage « d’autorité », la figure autoritaire ne sera pas incarnée par n’importe qui selon la situation de détresse dans laquelle se trouve l’enfant. La relation d’autorité est donc modifiée en conséquence de la spécificité de l’angoisse éprouvée par l’enfant. À partir de ce raisonnement, l’autorité constitue le cadre relationnel contenant de l’angoisse, dans le sens où il apporte une réponse adaptée et adaptative à la détresse de l’enfant par le moyen de la fonction de la figure d’autorité. Ce raisonnement est applicable, en tout cas, à ce qui concerne le danger de la détresse psychique caractéristique du nourrisson, qui nous occupe particulièrement ici.

Mais nous pouvons nous poser la question si cela est toujours valable pour les autres moments de danger présentés en début de paragraphe. J’avance déjà que le phénomène inverse se produit lors de la troisième situation de danger énumérée par Freud, concernant l’angoisse du Surmoi pendant la période de latence : il existe à ce moment là une réelle angoisse devant l’autorité, celle éprouvée devant le Surmoi.

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