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De quelle fonction sociale s’agit-il ?

Dans le document Différences des sexes et des générations (Page 159-162)

Partie 2 : Les trois figures d’autorité

4. Trois figures d’autorité

4.3 La fonction sociale : l’autorité du tiers exclu

4.3.1 De quelle fonction sociale s’agit-il ?

La fonction sociale est chargée de permettre au sujet de réguler lui-même les enjeux de son désir et par là de réguler les échanges entre les individus dans le social. Elle est pacificatrice par l’interdiction de l’expression brute de la satisfaction pulsionnelle afin de construire une satisfaction substitutive tolérable pour le sujet et pour les autres. Elle aide le sujet dans sa rencontre avec l’impossible de la jouissance et l’incomplétude du sujet. En ce sens, la fonction sociale à un rôle de contenance des angoisses du sujet lui-même et du sujet vis à vis des autres, l’Autre étant le garant de la sécurité interne. L’enfant puis les adolescents trouvent dans l’échange avec les parents d’abord et ensuite avec les pairs et les adultes, la pacification nécessaire à une rencontre qui ne soit ni duelle et en miroir, ni mortifère. La fonction sociale est donc celle du tiers exclu, c’est-à-dire une fonction d’autorité venant du dehors du sujet et ensuite du dehors de la famille, à partir de laquelle une fonction d’autorité interne peut se mettre en place. Cette opération nécessite, comme nous l’avons vu précédemment à propos du Surmoi, que ce dernier s’établisse dès le début de la vie psychique.

Elle participe depuis avant la naissance à la construction psychique de l’enfant, sous des formes voilées à travers la mère pour le bébé, par l’incarnation de l’Autre par le père pour l’enfant, puis à partir de l’énonciation des figures sociales pour l’adolescent. Elle permet à l’enfant d’accéder à la fonction tierce incluse, celle que nous avons abordée lors de l’autorité de la fonction paternelle, puis à l’adolescent d’aborder la fonction du tiers exclu.

Lors de l’adolescence la fonction sociale opère le passage du discours infantile référé aux

parents, au discours adulte référé aux discours sociaux articulés par l’Autre social, où l’Autre s’incarne dans l’ordre symbolique du monde. Le discours adulte est transmis par les mythes sociaux chargés de promouvoir les deux grands interdits du meurtre et de l’inceste, notamment à travers l’organisation de l’échange et de l’alliance (S. Lesourd, 2005). Ce passage consiste donc à retrouver-créer de nouveaux objets d’amour, cette fois extérieurs à la cellule familiale, des objets métaphoriques du premier objet d’amour. Cela s’opère via des figures d’autorité incarnant l’Autre, par le mécanisme d’identification à des idoles.

Les figures infantiles de l’idole, les parents, devenant des êtres normaux, le sujet va chercher à s’identifier à une figure incarnant l’Autre par le soutient d’un discours qui donne un sens au monde et à la vie (S. Lesourd., 2005). L’idole va permettre au sujet de supporter une solitude intolérable, néotène qu’il reste, inachevé et rempli d’angoisses.

D’autre part, elle lui offrira aussi un modèle qui le guide dans ses choix éthiques et ses responsabilités. Cette figure constitue une autre figure idéale pourvue de puissance à laquelle le sujet peut s’identifier et reconstruire son idéal mis à mal par la destruction des figures parentales. Outre le fait qu’il faut que ce soit une image trouvée ailleurs, il faut aussi que celle-ci soit valorisée par la société. Cette figure incarnant l’Autre est donc créatrice de soi et du lien social.

Elle est créatrice de soi dans la mesure où elle permet à l’adolescent de reconstruire une idéalisation à travers des réseaux sociaux. L’autre point structural fondamental de cette apparition de l’Autre est qu’il devient un véritable lieu d’adresse, notamment l’adresse de la plainte et plus particulièrement celle de l’inadéquation que le monde oppose au projet de jouissance du sujet (S. Lesourd, 2007, p). L’appel à l’Autre est ainsi une répétition de la situation du néotène dans ses premières relations de dépendance à une figure

toute-puissante. Le fait de trouver ces figures incarnant l’Autre à l’extérieur permet un choix en opposition avec les idoles valorisées par les parents et une distance mise avec les adultes.

D’autre part, la multiplicité des idoles offre une relation avec le sujet moins empreinte de puissance ou de pouvoir par la diffusion entre elles des idéaux, que ce soient ceux de l’idéal du moi et du Surmoi.

Dans cet enjeu de perte puis de remaniement des idéaux, l’adolescent se trouve confronté au réel du symbolique, le féminin (S. Lesourd, 2005). Le remaniement de la castration et la découverte du manque dans l’Autre sont conjointes à la découverte d’une partie de la mère puis d’une partie de l’adolescent lui-même pas-toutes-soumises au phallus, c'est-à-dire d’une jouissance d’un autre ordre dégagée de la dialectique de l’« avoir l’objet ». Le schéma de l’enfance se poursuit mais les acteurs ont changé : la nécessité, pour que le sujet parachève sa subjectivité, n’est plus seulement que la figure maternelle soit au moins en partie soumise à la figure paternelle, ce qui conférait la toute-puissante de cette dernière, mais que la fonction paternelle soit aussi soumise en partie à la figure du féminin, destituant celle-ci de sa toute-puissance imaginaire œdipienne. C’est parce que le père est à son tour destitué de son trône par le féminin, comme en son temps la mère a été destituée de sa toute-puissance par le père, et parce que le sujet contient lui-même cette dimension

« pas-toute-soumise », qu’il acquiert son autonomie subjective.

C’est une nouvelle fois la différence des sexes, dialectisée selon le masculin et le féminin, en ce qu’elle permet de supporter le signifiant du manque dans l’Autre, le trou laissé par l’objet perdu-trouvé qui n’a jamais existé, qui va préparer la différence des générations. En effet, L’absence est ce qui permet au sujet de penser le tiers exclu et d’entrer dans la représentation de l’Autre en son absence (S. Lesourd, 2006), les prescriptions organisées par les rituels ayant pour dessein de soutenir cette dimension symbolique.

D’autre part, la rencontre d’une figure qui incarne l’Autre est également créatrice du lien social : c’est dans cette personnalisation d’un modèle que vont se créer les identifications sociales qui serviront de référence à l’adolescent pour se conduire dans la société et dans ses relations avec les autres. Cela s’opère par la troisième identification de Freud, l’identification par reconnaissance d’un même objet de désir. Le sujet se met littéralement à la place de l’autre jusqu’à s’y confondre. Le stade du miroir de Lacan rend compte de la simultanéité de la constitution du Moi et de l’autre. Le Moi se confond avec l’image de l’autre qui l’aliène sous forme d’un moi idéal. Cette identification immédiate est reliée à l’envie : être l’autre soupçonné de jouir de ce dont on est privé. Cette haine fraternelle est à la base du lien social en ce que la sujétion à un idéal du moi vient canaliser les rivalités des moi idéaux en les soumettant à une cause commune. Seul le passage œdipien et son remaniement à l’adolescence, l’acceptation de son propre manque puis celle de l’Autre, la castration, permet le maintien de la sociabilité. La reconnaissance par de nombreux jeunes d’une même idole va tisser entre eux un lien social de reconnaissance et d’identité. Les idoles, créant des identifications collectives et des classes d’âge, créent une différence des générations, au-delà des identifications individuelles. Ce sont les adultes qui fournissent des idoles : elles sont donc issues de l’extérieur de ceux qui veulent en faire une idole, c'est-à-dire qu’elles se situent du champ de l’Autre. L’idole est un modèle identificatoire de différence des générations et une représentation des valeurs dominantes de la société, donc des adultes : elle fait lien avec les pairs et aussi lien avec la société dans son ensemble.

Dans le document Différences des sexes et des générations (Page 159-162)