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Les identifications freudiennes

Dans le document Différences des sexes et des générations (Page 112-117)

Partie 2 : Les trois figures d’autorité

2. Les mécanismes psychiques à la base de l’autorité

2.2 Le processus identificatoire : la dimension relationnelle intersubjective de l’autorité

2.2.3 Les identifications freudiennes

2.2.3.1 L’identification primordiale

Ce que Freud nomme « l’identification primaire », « primordiale » ou encore

« première », est un phénomène fondateur de la psyché humaine reposant sur le postulat du moment mythique. Il ne s’agit pas encore de l’identification précoce de l’enfant à sa mère.

« Préalable mythique », elle correspond à un mécanisme structural et non à une étape du développement : elle ne renvoie à aucun fait clinique. Il s’agit d’un premier modèle d’identification phylogénétique, en tant qu’elle consiste en une identification des fils au père mort de la horde, lors du repas totémique, lorsqu’ils mangent le père : elle serait la façon dont se transmet la libido immortelle de génération en génération (S. Freud., 1929).

En qualité de prototype, l’identification au père de la préhistoire est à entendre plutôt comme une identification à la fonction paternelle, du registre imaginaire, celle qui faisait régner sa loi de façon totalitaire et assujettissait tous les fils.

L’incorporation, quant à elle, va plus précisément correspondre au moment du premier choix d’objet de l’enfant, puisque celui-ci a lieu lors de la première organisation sexuelle prégénitale, appelée orale. A ce moment là, l’activité sexuelle est confondue encore avec l’activité d’ingestion des aliments : même objet et but d’incorporation.

L’incorporation s’effectue sur les imagos, représentations imaginaires inconscientes des figures tutélaires toutes-puissantes, dotées du pouvoir de vie ou de mort, ou en termes lacaniens les représentations imaginaires de l’Autre. Les représentations imagoïques concernent les relations de l’enfant avec son entourage familial et social. En ce sens elles ne sauraient être le reflet de la réalité. Dans un second temps, elles passeront du mode

archaïque à un mode secondaire par le processus du complexe d’Œdipe. Il est intéressant dans ce rapprochement entre deux mécanismes identificatoires de type cannibalique de rappeler que « chez les latins, l’imago était rattachée à la représentation des ancêtres et à leurs spectres » (C. Pigott, 2006, p 95).

Il y a donc deux sortes d’identification que l’on qualifie usuellement de primaire : une phylogénétique, mécanisme structural, celle au père mort de la horde, qui n’a pas lieu dans le réel, et une seconde, constitutive du développement psychique, en tant que lien affectif. « L’identification est d’abord un lien affectif (identification primaire), ensuite un substitut d’un lien sexuel (identification régressive), et enfin, une capacité à vivre « par contagion psychique » une situation dramatique (identification hystérique) » (S. Freud., 1929).

D’autre part, cette identification à la fonction paternelle permet de mieux comprendre une dimension fondamentale qui compose celle-ci et qui est au cœur de ce travail : « La définition de ce qu’est un père reste si problématique que sa place ne peut s’évoquer sans recours au symbole, et finalement au sacré. Ainsi le mythe du père, que chacun s’invente pour répondre à ces questions, rejoindra sa figure collective. Tout événement concernant la fonction symbolique, paternelle, qu’il soit politique ou religieux, retentira par conséquent, pour chaque sujet en particulier, comme s’il s’agissait de son histoire individuelle, parce que son rapport « au père » mythique demeure compris par cet événement. A cause de cette place particulière de la figure paternelle, un événement social pourra emporter les mêmes conséquences qu’un trauma individuel, et à ce titre, il sera alors soumis au refoulement, de même qu’il ne manquera pas de resurgir sous forme de symptôme. » (G. Pommier, 1993, p 11).

2.2.3.2 Les identifications partielles et totales

La différenciation entre les deux types d’identifications partielles et totales est simple puisque la seule identification totale est celle au père mythique de la horde primitive que nous avons vu précédemment. Les identifications partielles, processus inconscient accompli par le Moi quand il se transforme en un aspect de l’objet, sont au nombre de trois, selon l’aspect de l’objet avec lequel l’identification s’effectue :

- avec le trait distinctif de l’objet, identification dite régressive, elle correspond à l’identification symbolique du sujet à un signifiant chez Lacan. Elle est qualifiée de régressive car le Moi fait d’abord le lien avec un trait de l’objet, s’en détache, se replie, régresse et se résout dans les traces symboliques de ce qui n’est plus. C’est une identification du Moi avec le trait d’un objet aimé, désiré et perdu, puis avec le même trait que possède un second objet aimé, désiré et perdu, puis d’un troisième, etc. tout au long du cours de la vie. Il s’agit, pour simplifier, d’une transformation du Moi en ce trait toujours répété dans la succession des objets aimés, désirés et perdus ; objets qui sont aimés car ils possèdent ce trait particulier, en tout cas l’individu le croit-il ;

- Avec l’image de l’objet, qui correspond à l’identification imaginaire du Moi à l’image de l’autre chez Lacan. Le terme « image » est dans ce contexte à entendre comme la représentation inconsciente que l’individu s’est forgé de l’objet aimé, désiré et perdu. Cette image peut être une image globale de l’objet, où l’image de l’objet aimé, désiré et perdu, que le Moi triste fait sienne, est en fait sa propre image qu’il avait investie comme étant l’image de l’autre. C’est-à-dire que l’image de l’autre était investie car en l’aimant, étant son reflet, le Moi s’aimait lui-même. C’est ce mécanisme identificatoire particulier, narcissique de type mélancolique, que l’on retrouve lors de la pathologie du même nom.

Ce peut être une image locale de l’objet, dans une identification hystérique : il s’agit ici de

l’image de la part sexuelle de l’autre où celui-ci n’est envisagé qu’en tant qu’être sexué, c’est-à-dire le lieu imaginaire du sexe de l’autre. La part sexuée de l’autre est fortement investie par les sujets hystériques au détriment du reste de l’image de la personne, alors l’objet est perçu comme sexuellement désirable. Le négatif de cet investissement de l’image de la personne peut également se produire. Alors l’autre est investi comme dépourvu de sexe, et l’objet ainsi perçu devient sexuellement désirant pour compléter son manque ;

- l'identification avec l’objet en tant qu’émoi, qui correspond également à une identification hystérique, c’est l’identification fantasmatique du sujet à l’objet en tant qu’émoi chez Lacan.

L’identification du Moi s’effectue dans une absence de représentation. Sorte d’identification à la jouissance des hystériques, mais la représentation de la jouissance est manquante. Dans ce cas, l’objet n’est plus traduisible par représentation inconsciente, mais devient « manque de représentation ». Là, le Moi vient à la place d’un trou dans la trame des représentations inconscientes.

2.2.3.3 Les identifications secondaires, le père : de l’être à l’avoir

Ce mode identificatoire est qualifié de « secondaire » d’une part pour le distinguer de l’identification première évoquée plus haut, et en tant que ces identifications sont secondaires au choix d’objet. Elles supposent que l’objet et le sujet soient distingués, et ce n’est plus l’objet mais le sujet qui est concerné par l’identification. Leurs points communs avec le choix d’objet sont que, dans les deux cas, les identifications sont partielles, et qu’elles relèvent du domaine de l’inconscient, enfin elles sont situées entre les deux

registre de l’être, l’identification renvoie à « l’être comme » qui passe par la possession des attributs phalliques, modifiant le Moi. Et si l’identification et le choix objectal sont indépendants l’un de l’autre, l’identification se fait sur la personne même que l’on a prise pour choix d’objet auparavant. Maintenant que l’objet et le sujet sont de plus en plus distincts et séparés, l’enfant opère le passage de l’être à l’avoir, dont la différence correspond à la différence entre le choix d’objet et l’identification. Le choix d’objet, ce que l’on voudrait être, processus qui ne modifie pas le Moi, nous l’avons vu précédemment : l’objet d’étayage ou narcissique, a été aimé, désiré puis perdu. Plus exactement, l’enfant ne l’a jamais eu véritablement.

A la suite, commencent les processus d’identification, deuxième forme identificatoire régressive décrite par Freud : il s’agit ici pour l’enfant de qui il voudrait être. Ainsi le Moi est intéressé dans le sens où il est modifié puisque dans ce mouvement l’enfant veut « être comme » : le fait est que quand l’enfant possède le père, par exemple, il se rend compte qu’il n’est pas le père et veut devenir comme lui, ce qui passe par avoir le phallus. De cette façon, ce processus identificatoire participe donc à l’individuation du Moi de l’enfant.

D’ailleurs, le père sera une figure identificatoire particulière qui s’impose dans le registre de l’être en tant qu’il a, possède le phallus.

Comme le choix d’objet, l’identification est une forme d’attachement psychique mais qui prend à ce moment deux voies psychologiquement différentes : l’attachement pour la mère, premier choix d’objet, devient attachement pour un objet purement sexuel, et l’attachement au père devient une identification à celui-ci comme un modèle à imiter. Ce sont deux sentiments qui existent côte-à-côte, parallèlement, sans interférer l’un sur l’autre. C’est l’émergence de ces deux attachements qui signe l’entrée dans l’Œdipe.

Nous voyons bien comment, au sortir de l’identification à un objet, de la dialectique de

l’être et de l’avoir, par voie régressive, l’identification devient le substitut d’un lien objectal libidinal, en quelque sorte par introjection de l’objet dans le Moi. L’identification est toujours partielle, le Moi n’empruntant qu’un seul des traits de l’autre. C’est une assimilation du Moi à un Moi étranger au sens extérieur du terme : le Moi se comporte à certains points de vue comme l’autre, dans une sorte d’imitation et se l’approprie partiellement. C’est le remplacement, par identification et par régression, d’un attachement purement objectal à un attachement érotique, lié au complexe d’Œdipe, c’est-à-dire l’identification comme un substitut d’un lien sexuel.

Dans un troisième temps, l’identification, une fois le Complexe d’Œdipe dépassé, peut naître à chaque fois qu’est perçue à nouveau une certaine communauté avec une personne qui n’est pas l’objet des pulsions sexuelles : dans ce cas le lien n’est pas sexuel. Ici, l’idéal du moi « post-œdipien » permet à des sujets de s’identifier entre eux par un lien commun à un autre, le meneur. Cette modalité concerne la vie adaptée en société. À l’adolescence notamment, l’individu va s’autonomiser par rapport à ses parents, seules figures d’identification jusqu’alors, en multipliant ses figures d’identification. Entre autre, dans L’Homme Moïse et la Religion Monothéiste (1939), Freud montre comment les futures figures porteuses de l’autorité, dont chaque individu a besoin, viennent de la nostalgie du père.

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